Skip to main content

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/4480/2019

ATA/1081/2022 du 01.11.2022 sur JTAPI/949/2020 ( AMENAG ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4480/2019-AMENAG ATA/1081/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er novembre 2022

 

dans la cause

 

Madame et Monsieur A______
représentés par Me Gian-Reto Agramunt, avocat

et

B______
C______

représentées par Me Alain Maunoir, avocat

contre

Madame et Monsieur D______
représentés par Me François Bellanger, avocat

et

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OCAN


_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 novembre 2020 (JTAPI/949/2020)

 

 

 

 

 

 

 


EN FAIT

1) Par arrêt du 18 août 2022, le Tribunal fédéral a joint les causes 1C_517/2021 et 1C_522/2021, admis, dans la mesure où ils étaient recevables, les recours de B______ et C______, d'une part, ainsi que de Madame et Monsieur A______, d’autre part, annulé l’arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative) ATA/707/2021 du 6 juillet 2021, et lui a renvoyé la cause pour nouvelle décision dans le sens des considérants (arrêt du Tribunal fédéral 1C_517/2021 et 1C_522/2021 du 18 août 2022).

a. Madame et Monsieur D______ étaient propriétaires de la parcelle n° 1'658 de la commune de ______, en cinquième zone à bâtir, d'une surface de 3'001 m², sur laquelle étaient érigés une habitation, un garage et un bâtiment de moins de 20 m². Une partie du jardin était occupée par de grands arbres.

Le 4 novembre 2019, le département du territoire (ci-après : DT), par son office cantonal de l'agriculture et de la nature (ci-après : OCAN), avait rendu une décision en constatation de la nature non forestière de la parcelle des époux D______.

Statuant sur recours de B______ et C______, d'une part, ainsi que de Madame et Monsieur A______, respectivement propriétaires et occupants de la parcelle voisine n° 1'407, d'autre part, le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) avait confirmé cette décision par jugement du 4 novembre 2020. Saisie, la chambre administrative avait rejeté les recours des parties précitées par arrêt du 6 juillet 2021.

B______ et C_______ d’une part et Mme et M. A______ d’autre part avaient interjeté recours auprès du Tribunal fédéral, concluant à l’annulation ainsi que de la décision de constatation de la nature non forestière prise par le DT et au constat que le boisement situé sur la parcelle n° 1'658 constituait une aire forestière au sens de la législation sur les forêts.

b. Le Tribunal fédéral a retenu, après consultation de l’office fédéral de l’environnement (ci-après : OFEV), que de nombreux éléments devaient conduire la Cour cantonale à considérer que le dossier n'était pas suffisamment complet pour exclure la nature forestière du boisement litigieux, de sorte qu’elle aurait dû poursuivre l'instruction.

L'audition d'un collaborateur cantonal ayant considéré le boisement comme de la forêt en 2011, ou à tout le moins la production des documents, s'ils existaient, en lien avec cette constatation, de même qu'une expertise indépendante, seraient de nature à mieux renseigner la Cour sur les caractéristiques du boisement litigieux. Vu le sort de la cause, il était toutefois laissé à son appréciation quelles mesures d'instruction complémentaires s'imposaient (consid. 4.2).

Les critères quantitatifs étaient remplis, la surface litigieuse faisant notamment le double de celle requise. Seuls étaient litigieux les critères qualitatifs (consid. 5.2). Or, une surface boisée supérieure aux seuils minimaux fixés par le droit cantonal, dans la fourchette définie par le droit fédéral, emportait présomption d’une nature forestière. Par ailleurs, il suffisait généralement que le boisement revête l’une des fonctions forestières pour que lui soit reconnue la valeur qualitative d’une forêt.

En l’espèce, la fonction paysagère du boisement concerné, composante de la fonction sociale, était « significative », celle de « maintien de la biodiversité » étant discutée par les experts, à l’instar de l’absence d’étage intermédiaire et de sous-bois.

La chambre de céans devait investiguer plus avant la question de la valeur du sous-bois et examiner plus en détail en quoi la fonction paysagère reconnue au boisement ne devait pas suffire à le faire reconnaître comme forêt.

Le grief de violation de l’art. 2 al. 3 de la loi fédérale sur les forêts du 4 octobre 1991 (loi sur les forêts, LFo - RS 921.0) était par conséquent bien fondé. Les faits ressortant de l'arrêt attaqué ne permettaient pas de constater l'inexistence d'une forêt au sens du droit fédéral. L'instruction devant être complétée, la cause était renvoyée à la chambre administrative pour qu'elle procède aux investigations nécessaires ou, cas échéant, adresse le dossier à l'autorité administrative pour ce faire (consid. 5.3).

2) Interpellés sur la suite de la procédure :

a. B______ et C______ ont sollicité l’audition du collaborateur de l’OCAN qui avait effectué la visite en 2011, et la production par le DT de tous les documents réunis ou établis en 2011 par ledit collaborateur. Ces deux mesures devaient permettre de mieux comprendre la situation du boisement en 2011 et son évolution, notamment s’il avait été endommagé, voire supprimé, à la suite, par exemple, de l’intervention du bureau d’ingénieur forestier E______ entre mai 2011 et mars 2012. L’audition d’un des membres de la commission consultative de la diversité biologique (ci-après : CCDB) devait aussi être ordonnée. Le DT devait produire toute éventuelle autorisation de construire le cabanon visible sur les photographies produites par les époux D______ ainsi que de tout autre éventuel aménagement à l’intérieur du boisement litigieux. Une expertise judiciaire par un ingénieur forestier spécialiste devrait être finalement ordonnée.

b. Mme et M. A______ ont sollicité l’audition de ce même collaborateur de l’OCAN, la production de tous les documents en lien avec ladite visite et l’établissement d’une expertise judiciaire par un ingénieur forestier spécialiste, sur la base de l’ensemble du dossier. Ils se réservaient de solliciter ultérieurement d’autres mesures d’instruction.

c. Les époux D______ ont requis le renvoi du dossier à l’OCAN afin qu’il complète son instruction et se détermine à nouveau sur la nature non forestière de la parcelle litigieuse. Subsidiairement, ils sollicitaient la réalisation d’une expertise conformément à l’art. 38 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

d. Le DT a sollicité un transport sur place afin que toutes les explications complémentaires relatives à « l’appréciation de l’autorité forestière » puissent être apportées à la chambre de céans par Monsieur F______, inspecteur cantonal des forêts, qui avait signé la décision litigieuse et qui, à la suite d’une visite sur place en 2011, avait demandé que le boisement en question soit inscrit au cadastre forestier indicatif. Le DT était dubitatif quant à une expertise judiciaire, dans la mesure où deux entités indépendantes comportant des ingénieurs forestiers, soit l’OCAN et la CCDB, avaient déjà examiné le boqueteau concerné et rendu leurs conclusions. Monsieur G______, ingénieur forestier, avait déjà réalisé une expertise privée.

3) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) La recevabilité du recours a été admise par l'arrêt de la chambre de céans.

2) La LFo a pour but général la protection des forêts, notamment la conservation de l'aire forestière (art. 1 et 3 LFo). L'art. 2 LFo définit la notion de forêt. On entend par forêt toutes les surfaces couvertes d'arbres ou d'arbustes forestiers à même d'exercer des fonctions forestières (à savoir des fonctions protectrices, économiques ou sociales, art. 1 al. 1 let. c LFo), sans égard à leur origine, à leur mode d'exploitation ou aux mentions figurant au registre foncier (art. 2 al. 1 LFo). L'art. 2 al. 2 LFo indique ce qui doit être assimilé aux forêts, alors que l'art. 2 al. 3 LFo exclut de cette notion notamment les groupes d'arbres ou d'arbustes isolés, les haies, les allées, les jardins, les parcs et les espaces verts. Selon l'art. 1 al. 1 de l'ordonnance du 30 novembre 1992 sur les forêts (OFo - RS 921.01), les cantons précisent les valeurs requises pour qu'une surface boisée soit reconnue comme forêt, dans les limites fixées par le droit fédéral.

Dans ce cadre, l'art. 2 de la LFo prévoit que sont considérés comme forêts les peuplements boisés présentant toutes les caractéristiques qualitatives d'une forêt, exerçant une fonction forestière et répondant aux critères suivants : a) être, en principe, âgés d'au moins 15 ans ; b) s'étendre sur une surface d'au moins 500 m² et c) avoir une largeur minimale de 12 m, lisière appropriée comprise (al. 1). Sont également considérés comme forêts : a) les surfaces ne répondant pas aux critères quantitatifs définis à l'al. 1, pour autant qu'elles remplissent des fonctions forestières importantes ; b) les clairières ; c) les cordons boisés situés au bord de cours d'eau ; d) les espaces liés à la divagation des rivières dans les zones alluviales ; e) les parcelles réservées à cet effet (al. 2). Ne sont pas considérés comme forêts : a) les groupes ou alignements d'arbres isolés et les allées ; b) les haies situées en zone agricole, constituées grâce à des mesures d'encouragement, prévues par les législations fédérale et cantonale en matière de compensations écologiques ; c) les parcs situés en zone de verdure (al. 3).

Ces critères quantitatifs servent à clarifier la notion qualitative de forêt posée par le droit fédéral. La nature forestière doit en principe être reconnue lorsque les critères quantitatifs sont satisfaits, de sorte que ces derniers constituent des seuils minimaux. Aussi, lorsque les surfaces minimum sont atteintes, ce n'est qu'en présence de circonstances exceptionnelles que la qualification de forêt peut être déniée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_517/2021 et 1C_522/2021précité consid. 5.1.1 et 5.1.2).

3) En l’espèce, les questions en suspens portent sur les aspects qualitatifs de la nature forestière du boisement. Les surfaces minimum étant atteintes, il convient de déterminer s’il existe des circonstances exceptionnelles au sens de la jurisprudence précitée.

Les faits doivent préalablement être complétés. Il convient principalement de reconstituer la situation du boisement litigieux sur plusieurs années, d’examiner notamment la question des sous-bois et de déterminer quelles ont été les possibles interventions plus récentes, afin de décider l’éventuelle existence d’une forêt. Plusieurs mesures d’instruction apparaissent dès lors nécessaires pour établir les faits pertinents, y compris en bénéficiant du travail d'investigation mené par l’OFEV sur la base des photographies aériennes d'époque produites par l'association recourante. 

Il n’appartient toutefois pas à la chambre de céans, juridiction de recours appelée notamment à examiner le grief de constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents, de se substituer à l’autorité administrative et de procéder à l’instruction nécessaire à l’établissement desdits faits (ATA/1016/2021 du 30 septembre 2021 consid. 9 ; ATA/358/2019 du 2 avril 2019 consid. 11 et les références citées).

S’agissant de données techniques, il est nécessaire que les faits soient établis par l’autorité compétente pour l’application de la LFo et de son règlement, soit le DT (art. 1 RForêts). À charge pour lui d’agir par l’OCAN (art. 1 al. 2 RForêts) tout en se faisant assister dans sa tâche par la CCDB (art. 1 al. 3 RForêts), étant rappelé qu’en l’état, il existe des divergences d’appréciation entre les deux entités précitées.

L’OCAN étant l’autorité compétente pour établir les faits, le dossier lui sera renvoyé. Cette solution garantit par ailleurs le double degré de juridiction.

Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement et le dossier retourné à l'autorité intimée pour instruction et nouvelle décision.

4) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de
Mme et M. D______, pris solidairement (art. 87 al. 1 LPA).

Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée B_____ et C______, prises solidairement, à hauteur de CHF 500.- à la charge de Mme et M. D______, solidairement, et de CHF 500.- à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à
Mme et M. A______, pris solidairement, à hauteur de CHF 500.- à la charge de Mme et M. D______, solidairement, et de CHF 500.- à la charge de l’État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés le 7 décembre 2020 par B______ et C______ et le 10 décembre 2020, par Madame et Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 4 novembre 2020 ;


 

au fond :

les admet partiellement et annule le jugement du 4 novembre 2020 du Tribunal administratif de première instance ;

renvoie la cause au département du territoire pour complément d’instruction et nouvelle décision dans le sens des considérants ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge solidaire de Madame et Monsieur  D______ ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à B______ et C______, pris solidairement, à la charge pour CHF 500.- de et Monsieur  D______ solidairement entre eux, et pour CHF 500.- de l’État de Genève ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Madame et Monsieur A______, pris solidairement, à la charge pour CHF 500.- de Madame et Monsieur  D______ solidairement entre eux, et pour CHF 500.- de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alain Maunoir, avocat de B______ et C______, à Me Gian-Reto Agramunt, avocat de Madame et Monsieur A______, à Me François Bellanger, avocat de Madame et Monsieur  D______, au département du territoire – OCAN, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’aux offices fédéraux du développement territorial (ARE) et de l’environnement (OFEV).

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mme Krauskopf, M. Verniory,
Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :