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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1607/2022

ATA/812/2022 du 17.08.2022 ( EXPLOI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1607/2022-EXPLOI ATA/812/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 août 2022

1ère section

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Enis Daci, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE L'EMPLOI



EN FAIT

1) A______ (ci-après : A______) est une société à responsabilité limitée inscrite au registre du commerce de Genève depuis le 23 mars 2012. Elle a pour but toutes activités dans les domaines de la création et l'entretien de jardins, du paysagisme, de l'aménagement intérieur et extérieur, du terrassement et de la maçonnerie ; nettoyage et entretien de bâtiments et locaux en tous genres ; commerce, achat, vente, importation, exportation, représentation et distribution de tous produits dans ces domaines.

Elle a pour seul associé gérant Monsieur B______.

2) M. B______ a fait l'objet, le 27 août 2020, d'une ordonnance pénale et de non entrée en matière partielle du Ministère public (ci-après : MP) par laquelle il a été condamné à une peine pécuniaire de 120 jours-amende à CHF 130.- l'unité pour infraction à l'art. 117 al. 2 de loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20). Il lui était reproché d'avoir, du 8 au 10 juillet 2019, en sa qualité d'associé gérant de A______, employé sur un chantier dans le canton de Vaud (qui a dénoncé ces faits au MP genevois) trois ressortissants kosovars démunis des autorisations nécessaires. L'al. 2 de l'art. 117 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20) s'appliquait dans la mesure où à teneur de l'extrait de son casier judiciaire, M. B______ avait été condamné pour emploi d'étrangers sans autorisation le 7 juin 2019, soit moins de cinq ans plus tôt.

Le MP a en revanche décidé de ne pas entrer en matière sur un autre complexe de fait, du 11 novembre 2019, concernant un quatrième ressortissant originaire du Kosovo.

M. B______ n'a pas formé opposition contre cette ordonnance pénale.

3) Le 16 février 2021, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a invité A______ à se déterminer sur la problématique d'une interdiction de marchés publics à la suite de l'ordonnance pénale précitée.

4) Dans des observations du 16 mars 2021, A______ a expliqué que l'engagement de trois travailleurs pendant trois jours seulement ne constituait pas un cas de non-respect important ou répété des obligations en matière d'autorisation prévues dans la législation des étrangers. Une interprétation contraire de l’art. 13 de la loi fédérale concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir du 17 juin 2005 (LTN - RS 822.41) relèverait d'un abus de pouvoir d'appréciation de l'autorité et d'une violation crasse du principe de proportionnalité.

Par ailleurs, aucun élément au dossier ne permettait de retenir qu'elle ait imposé des conditions de travail inacceptables ou ait profité d'une situation de gêne ou de dépendance pour contraindre l'étranger à travailler.

En conséquence, elle priait la PCTN de ne pas faire application de l'art. 13 LTN dans le cas d'espèce.

5) Par décision du 1er avril 2022, la Conseillère d'État en charge du département de l'économie et de l'emploi (ci-après : le département) a exclu A______ des marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour une durée de seize mois, dit que cette décision déployait aussi ses effets à l'égard des entités sans personnalité juridique rattachées à cette société, notamment ses succursales, et l’a condamnée à un émolument de CHF 450.-.

Les infractions en cause à la LEI constituaient un délit et avaient justifié une sanction sévère en termes de jours-amende, de sorte qu'elles revêtaient indéniablement le caractère d'importance exigée par la LTN. L'engagement de plusieurs employés pendant une période même relativement courte constituait un cas de non-respect répété des obligations en matière d'autorisation prévue par la législation sur les étrangers. Par ailleurs, A______ n'avait pas fait état d'éléments concrets montrant que les mesures prévues à l'art. 13 LTN la toucheraient de manière disproportionnée. L'exclusion des marchés publics pour une durée de seize mois respectait le principe de proportionnalité, compte tenu des manquements constatés, d'une gravité particulière, et de la fourchette maximale possible de soixante mois.

6) A______ a formé recours contre cette décision par acte expédié le 17 mai 2022 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu à l'annulation de ladite décision, à la révocation de la sanction d'exclusion, subsidiairement à ce qu'il soit dit qu'elle ne soit exclue des marchés publics que pour une durée n'excédant pas quatre mois.

Le département avait violé l'art. 13 LTN. S'il n'était pas contesté que M. B______, en sa qualité d'associé gérant, faisait l'objet d'une condamnation entrée en force relevant du non-respect d'une obligation en matière d'autorisation prévue dans la législation sur les étrangers, la troisième condition de cette disposition, à savoir l'exigence du seuil de gravité important, n'était pas réalisée vu les circonstances du cas d'espèce. En effet, deux des trois ressortissants kosovars concernés par l'ordonnance pénale du 27 août 2020 n'étaient pas ses employés, mais ceux de sa sous-traitante à laquelle elle avait confié l'exécution d'une partie des travaux. Le troisième lui avait garanti qu'il était frontalier et disposait d'une autorisation de travail, soit un permis G, qu'il lui avait présenté. Dans la mesure où le contrôle sur le chantier en cause avait eu lieu deux jours après l'engagement de cet ouvrier, la totalité des démarches administratives, en cours, n'avait pas encore pu être effectuée par M. B______. Ainsi, ce dernier n'avait aucunement eu l'intention d'enfreindre les prescriptions légales en matière d'emploi.

Une exclusion des marchés publics aurait des conséquences désastreuses pour elle, dans la mesure où elle figurait dans la liste publique du secrétariat d'État à l'économie (ci-après : SECO). En effet, il était usuel que ses partenaires contractuels et clients se réfèrent à ladite liste avant de conclure une affaire. Sa survie économique serait donc très largement compromise.

Référence étant faite à des arrêts de la chambre de céans, l'exclusion de seize mois était manifestement disproportionnée.

7) Le département a conclu, le 21 juin 2022, au rejet du recours.

Le MP dans l'ordonnance pénale en cause avait retenu que l'associé gérant unique de A______ avait déjà été condamné pour des faits similaires, ce qui constituait une aggravante au sens de l'art. 117 al. 2 LEI excluant ipso facto l'application de l'al. 1 in fine de cette disposition. La société minimisait la gravité du comportement incriminé en soulignant que les périodes d'engagement n'avaient duré que trois jours et que deux des engagements avaient été sous-traités à une société tierce. Toutefois, la chambre administrative avait retenu que s'agissant du critère de répétition, lorsque l'employeur engageait plusieurs travailleurs, en omettant ainsi de corriger sans attendre sa pratique, il accroissait l'importance de non-respect de ses obligations au sens de l'art. 13 LTN, même si les durées cumulées d'engagement étaient relativement courtes.

S'agissant de la proportionnalité de l'exclusion, la durée de seize mois correspondait au quart de la durée maximale prévue par la LTN, alors que le MP avait de son côté fixé la sanction pénale aux deux tiers de la peine pécuniaire maximale.

8) A______ n'a pas fait usage de son droit à la réplique.

9) Les parties ont été informées, le 28 juillet 2022, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté devant la juridiction compétente et en temps utile à teneur du suivi des envois postaux et compte tenu de la suspension des délais du 7ème jour avant Pâques au 7ème jour après Pâques inclusivement (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) En procédure administrative genevoise, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l'excès et l'abus du pouvoir d'appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA). En revanche, les juridictions administratives n'ont pas compétence pour apprécier l'opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l'espèce.

3) La recourante expose que deux employés concernés par la condamnation de son associé gérant du 27 août 2020 auraient, au moment du contrôle du 10 juillet 2019, travaillé pour une société sous-traitante et que s'agissant du troisième, l'associé gérant aurait été trompé par la production d'un permis pour frontaliers.

a. Lorsque le complexe de faits soumis au juge administratif a fait l'objet d'une procédure pénale, le juge administratif est en principe lié par le jugement pénal et ne peut s'en écarter que s'il est en mesure de fonder sa décision sur des constatations de faits inconnues du juge pénal ou que ce dernier n'a pas prises en considération, s'il existe des preuves nouvelles dont l'appréciation conduit à un autre résultat, si l'appréciation à laquelle s'est livré le juge pénal se heurte clairement aux faits constatés ou si celui-ci n'a pas élucidé toutes les questions de droit, en particulier celles qui touchent à la violation des règles de la circulation (ATF 139 II 95 consid. 3.2). Il convient d'éviter autant que possible que la sécurité du droit soit mise en péril par des jugements opposés, fondés sur les mêmes faits (ATF 137 I 363 consid. 2.3.2). Si les faits retenus au pénal lient donc en principe l'autorité et le juge administratifs, il en va différemment des questions de droit, en particulier de l'appréciation de la faute (arrêt du Tribunal fédéral 1C_71/2008 du 31 mars 2008 consid. 2.1).

b. En l'espèce, les faits à l'origine de la décision querellée ont été appréciés par le MP après enquête de la police. Ils sont tenus pour établis par l'ordonnance pénale du 27 août 2020 contre laquelle il n'a pas été formé opposition et qui est entrée en force. Son état de fait a été repris à l'appui de la décision querellée.

Les circonstances que la recourante allègue pour essayer de remettre en question la décision de l'autorité intimée étaient connues de son associé gérant à l'époque de l'enquête du MP, en particulier au moment de son audition par la police le 8 janvier 2020. Il lui eût cas échéant appartenu de les alléguer et d'offrir de les prouver à l'appui d'une opposition à l'ordonnance pénale.

Rien ne permet ainsi de s'écarter de l'état de fait établi par le MP.

Il sera observé au surplus que l'associé gérant répond de la vérification du statut administratif en droit des étrangers des personnes que sa société engage, et qu'il ne saurait après coup se prévaloir de carences dans la diligence avec laquelle il lui incombait de procéder ou de faire procéder, de réclamer la documentation écrite du droit de séjour ou encore de procéder à des vérifications directement auprès des autorités. Une éventuelle sous-traitance ne le libère pas d'un tel contrôle.

4) La recourante se plaint d'une violation de l'art. 13 LTN. L'infraction était de peu de gravité.

a. Le 1er janvier 2008 est entrée en vigueur la LTN.

Dans son message, le Conseil fédéral a relevé que le travail au noir devait être combattu pour des raisons économiques, sociales, juridiques et éthiques ; la lutte contre ce phénomène passait par une politique de répression ; il existait déjà de nombreux instruments législatifs susceptibles de favoriser cette lutte, mais il fallait les compléter avec la loi sur le travail au noir. Le projet de loi prévoyait une série de mesures pour accroître la répression trop lacunaire (Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale contre le travail au noir du 16 janvier 2002, FF 2002 3371, p. 3372).

L'emploi clandestin de travailleurs étrangers, en violation des dispositions du droit des étrangers, était une forme de travail au noir (FF 2002 3371, p. 3374).

Outre l'aggravation des sanctions pénales et administratives prévues par les diverses législations topiques, la LTN introduisait une nouvelle mesure répressive, tendant à l'exclusion des procédures d'adjudication des marchés publics (FF 2002 3371 p. 3403 et 3404).

b. Comme la chambre de céans l'a déjà exposé dans les arrêts ATA/213/2017 du 21 février 2017 et ATA/142/2021 du 9 février 2021, selon l'art. 13 al. 1 LTN, en cas de condamnation entrée en force d'un employeur pour cause de non-respect important ou répété des obligations en matière d'annonce et d'autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers, l'autorité cantonale compétente exclut l'employeur concerné des futurs marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral pour cinq ans au plus ; elle peut par ailleurs diminuer de manière appropriée, pour cinq ans au plus, les aides financières qui sont accordées à l'employeur concerné. L'autorité cantonale compétente communique une copie de sa décision au SECO (art. 13 al. 2 LTN). Le SECO établit une liste des employeurs faisant l'objet d'une décision entrée en force d'exclusion des marchés publics ou de diminution des aides financières. Cette liste est accessible au public (art. 13 al. 3 LTN).

Le message du Conseil fédéral relève à propos de cette disposition qu'il s'agit de pouvoir, en cas de violation grave des dispositions légales relatives au travail au noir, prononcer contre l'employeur une exclusion temporaire des procédures d'adjudication de marchés publics ; sont concernés les appels d'offres des collectivités publiques au sens strict, ainsi que ceux d'entreprises concessionnaires, telles que les CFF ou la Poste (FF 2002 3371, p. 3419). Il précise encore que la sanction porte exclusivement sur des adjudications à venir. Il ne serait pas possible (ni juridiquement ni pratiquement) de conférer un effet rétroactif à ce type de décision. Dès lors, tout marché attribué reste acquis à son adjudicataire (FF 2002 3371, p. 3420).

Les chambres fédérales, après des discussions longues et animées ayant donné lieu à une procédure d'élimination des divergences, ont modifié la disposition, notamment en ajoutant comme autre sanction possible, alternativement ou cumulativement, la diminution appropriée des aides financières, et en rendant publique la liste des employeurs sanctionnés (BO 2004 N 1209 ss ; BO 2005 E 470 s. et 698 s.).

5) a. L'art. 13 al. 1 LTN prévoit trois conditions pour le prononcé d'une sanction d'exclusion des futurs marchés publics ou de diminution des aides financières pour cinq ans au plus : la condamnation entrée en force d'un employeur ; la cause de cette condamnation, qui doit se limiter au non-respect des obligations en matière d'annonce et d'autorisation prévues dans la législation sur les assurances sociales ou les étrangers ; le caractère important ou répété du non-respect desdites obligations.

b. S'agissant du caractère important ou répété du non-respect des obligations par l'employeur, il ressort des travaux parlementaires que le non-respect des obligations est important par exemple en raison du montant ou du nombre de travailleuses et travailleurs au noir engagés (« sie sind zum Beispiel aufgrund des Betrages oder der angestellten Anzahl Schwarzarbeitnehmerinnen oder Schwarzarbeitnehmer schwerwiegend » ; BO 2005 N p. 696, intervention de Monsieur Remo GYSIN).

Selon la doctrine, l'existence d'un cas grave au sens de l'art. 117 al. 1 LEI doit se juger à la lumière de l'ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas ; il peut y avoir cas grave lorsque l'auteur emploie un grand nombre d'étrangers sans autorisation, lorsqu'il impose des conditions de travail inacceptables ou lorsqu'il profite d'une situation de gêne ou de dépendance pour contraindre l'étranger à travailler (Luzia VETTERLI/Gabriella D'ADDARIO DI PAOLO, in Martina CARONI/Thomas GÄCHTER/Daniela THURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer [AuG], Berne 2010, n. 11 ad art. 117 LEI).

6) a. Dans un premier arrêt prononcé en 2011, la chambre de céans a jugé qu'il ne se justifiait pas d'exclure le recourant des marchés publics futurs, dès lors que le non-respect de ses obligations d'employeur n'avait duré que deux ans à propos d'un seul employé (ATA/758/2011 du 13 décembre 2011 consid. 7). Elle avait relevé que, s'agissant du caractère important - ou grave, si l'on reprend les teneurs allemande et italienne de l'art. 13 al. 1 LTN - du non-respect des obligations en matière d'annonce et d'autorisations prévues dans la législation sur les étrangers, le législateur n'avait pas expressément précisé, dans les travaux préparatoires, ce qu'il entendait par là. Il ressortait toutefois de ces derniers qu'il n'était pas question de couper l'intégralité de son revenu à quelqu'un qui aurait employé pendant quelques mois un employé au noir, sans transgresser gravement la législation. Les délits pénaux auxquels se référait l'art. 13 LTN ne pouvaient être que ceux visant spécifiquement les employeurs, soit l'art. 117 LEI dans le cadre de la législation sur les étrangers. Même s'il ne s'agissait pas d'un renvoi direct du législateur, on pouvait s'inspirer de la notion de « cas grave » au sens de l'art. 117 LEI pour éclaircir celle de « non-respect important » de l'art. 13 LTN (ATA/758/2011 précité consid. 6c).

Cette référence à l'art. 117 LEI a toutefois été contestée par le Tribunal cantonal vaudois, selon lequel la notion de « non-respect important » des obligations de l'employeur au sens de l'art. 13 al. 1 LTN est autonome de celle de «cas grave » visé par l'art. 117 LEI et s'interprète pour elle-même. (Guerric RIEDLI, Les aspects sociaux des marchés publics, en particulier la protection des travailleurs, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STOECKLI, Droit des marchés publics, 2016, p. 334 n. 91 et 93). Le Tribunal fédéral n'a pas encore eu à préciser cette notion.

b. Dans un second arrêt prononcé en 2017, la chambre de céans a jugé que le fait d'employer treize personnes, ressortissantes d'États membres de l'Union européenne et d'États tiers, dénuées de permis de travail, pour une durée cumulée de presque quatre ans en l'espace de vingt mois, était constitutif d'un cas grave. La chambre a également relevé que quand bien même l'ordonnance pénale ne retiendrait pas le cas grave de l'art. 117 al. 1 LEI, cela n'empêcherait pas l'application de l'art. 13 LTN, car si la chambre administrative était liée par les faits retenus par l'ordonnance pénale, elle ne l'était pas pour les questions de droit (ATA/213/2017 du 21 février 2017 consid. 9e).

c. Dans l'arrêt ATA/142/2021 du 9 février 2021, la chambre de céans a eu à se positionner sur une condamnation pour infraction à l'art. 117 al. 1 LEI à une peine pécuniaire de 120 jours-amende à CHF 110.- l'unité, assortie du sursis, outre une amende de CHF 2'640.-, rendue contre l'administrateur d'une société ayant employé pendant quatre mois un ressortissant vénézuélien dépourvu d'autorisation de travailler en Suisse, ainsi qu'un ressortissant kosovar objet d'une décision de révocation de son autorisation de séjour et de renvoi de Suisse définitive et exécutoire et ne disposant d'aucune autorisation de travailler, malgré une demande de reconsidération pendante. Le département avait exclu la société en cause des marchés publics au niveau communal, cantonal et fédéral, ainsi que de toutes les aides financières cantonales et communales, pour une durée de seize mois.

Si l'ordonnance pénale ne qualifiait pas les agissements de graves et ne mentionnait que la peine menace de l'infraction simple, soit une peine privative de liberté d'un an au plus ou une peine pécuniaire, il était rappelé que cette qualification ne liait pas la chambre de céans.

La durée globale d'emploi des deux ressortissants étrangers concernés s'élevait, sur une période d'une année, à dix-sept mois et onze jours. Si cette durée rapprochait prima facie les agissements de la recourante de ceux examinés par l'ATA/758/2011 précités, l'engagement successif de deux travailleurs ainsi que le temps écoulé entre les deux engagements réalisaient la condition de la répétition de l'art. 13 al. 1 LTN. En outre, la recourante, qui avait compris que le premier employé était vénézuélien et dépourvu d'autorisation, avait mesuré le risque auquel son impéritie l'exposait et devait corriger sans attendre sa pratique. En ne le faisant pas et en embauchant un second travailleur dépourvu d'autorisation, elle avait accru l'importance du non-respect de ses obligations au sens de l'art. 13 al. 1 LTN.

d. Dans un arrêt ATA/194/2021 du 23 février 2021, la chambre administrative a retenu que les conditions du prononcé de sanctions au sens de l'art. 13 LTN n'étaient pas remplies et a annulé une décision excluant une société des marchés publics aux niveaux communal, cantonal et fédéral pour une durée de vingt-quatre mois. L'entreprise était aussi exclue de toutes aides financières cantonales et communales pour cette même durée.

Il découlait de la seule ordonnance pénale pertinente que la recourante avait employé un travailleur ne disposant pas des autorisations nécessaires pour travailler en Suisse, à tout le moins du 23 octobre 2017 à mi-février 2018, date à laquelle une demande d'autorisation avait été déposée. La même ordonnance, rendue à l'encontre de l'associé gérant d'alors, qui n'était donc plus celui en fonction au moment du prononcé de la sanction, avait retenu ses deux anciennes condamnations et une peine d'ensemble avait été prononcée. Ainsi, malgré la gravité des infractions retenues dans l'ordonnance pénale à l'encontre de l'associé gérant, un seul cas de non-respect des obligations pouvait être retenu à l'encontre de la recourante et cette infraction portait sur une durée relativement courte. En conséquence, le non-respect ne pouvait être qualifié d'important ou de grave au sens de l'art. 13 al. 1 LTN.

7) En l'espèce, les agissements reprochés ont été qualifiés, d'une manière qui lie la chambre de céans, d'infraction à l'art. 117 al. 2 LEI, lequel punit quiconque ayant fait l’objet d’une condamnation exécutoire en vertu de l’al. 1, et contrevient de nouveau, dans les cinq années suivantes, à l’al. 1, d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. En cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire est également prononcée.

Il s'agit donc d'une aggravante à l'infraction de base prévue à l'art. 117 al. 1 LEI qui prévoit que celui qui, intentionnellement, emploie un étranger qui n'est pas autorisé à exercer une activité lucrative en Suisse ou a recours, en Suisse, à une prestation de services transfrontaliers d'une personne qui n'a pas l'autorisation requise, est punissable d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire.

Ainsi, l'associé gérant de la recourante a été condamné le 27 août 2020 en raison d'une récidive dans les cinq ans précédant une première condamnation du 16 juin 2019, pour des faits spécifiques, ce qui lui a valu le prononcé d'une peine pécuniaire de 120 jours-amende, et l'absence de mise au bénéfice du sursis. Ces éléments finissent de convaincre de la réalisation en l'espèce de la condition du caractère important ou répété du non-respect des obligations découlant de la législation sur les étrangers sens de l'art. 13 LPA.

Les conditions au prononcé d'une sanction selon l'art. 13 al. 1 LTN étaient donc réunies, ce que l'autorité a retenu sans excès ni abus de son pouvoir d'appréciation.

Le grief sera écarté.

8) La recourante conteste encore la quotité de la sanction et conclut, subsidiairement, à ce qu'elle soit ramenée à une durée de quatre mois.

a. Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c et les références citées).

Le principe de la proportionnalité se compose ainsi des règles d'aptitude - qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé - de nécessité - qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).

b. En l'espèce, le principe d'une sanction est acquis. La nature de la sanction, propre à produire l'effet de prévention recherché par la loi, sera également confirmée, étant précisé que l'art. 13 al. 1 LTN ne prévoit pas de sanction alternative à l'exclusion des marchés publics et à la diminution des subventions - en l'espèce à l'exclusion des marchés publics. La quotité de la sanction ne paraît pas disproportionnée eu égard à l'importance de la faute, soit l'engagement de trois travailleurs dépourvus d'autorisation, certes sur une période « d'à tout le moins » trois jours, selon les termes de l'ordonnance pénale, mais en présence d'antécédents judiciaires spécifiques. À cet égard il sera relevé que l'associé de la recourante n'a pas hésité, moins d'un mois après sa condamnation du 16 juin 2019, à employer sur un chantier trois ressortissants démunis d'autorisation de séjour, soit « à tout le moins » du 8 au 10 juillet 2019. C'est dire qu'il a fait entièrement fi du signal qui lui avait pourtant été clairement donné par une première condamnation pénale. Enfin, la durée de seize mois se situe environ au quart de la sanction maximale de cinq ans.

L'autorité intimée n'a ainsi commis ni excès ni abus de son pouvoir d'appréciation en arrêtant la sanction à seize mois.

Le recours est infondé et sera partant rejeté.

9) Vu son issue, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 mai 2022 par A______ contre la décision du département de l'économie et de l'emploi du 1er avril 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Enis Daci, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de l'économie et de l'emploi.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

C. Meyer

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :