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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1124/2022

ATA/753/2022 du 26.07.2022 ( NAT ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1124/2022-NAT ATA/753/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 juillet 2022

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Lida Lavi, avocate

contre

CONSEIL D'ÉTAT



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1973, est ressortissant du Ghana.

2) Le 25 juillet 2018, il a déposé une demande de naturalisation suisse et genevoise, pour la commune de Genève, auprès du service cantonal des naturalisations (ci-après : SCN), rattaché à l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM).

Par décision du 28 novembre 2018, l'OCPM a refusé d'engager la procédure de naturalisation, faute pour M. A______ d'avoir fourni les attestations requises de l'administration fiscale, certifiant l'acquittement intégral de ses impôts, et de l'office des poursuites.

3) Le 5 novembre 2020, il a déposé auprès de l'OCPM une nouvelle demande de naturalisation suisse et genevoise, pour la commune de Genève.

Il était célibataire et né au Ghana où il avait été scolarisé jusqu'au lycée. Il vivait en Suisse depuis 2005. À compter de l'année 2009, il avait eu divers emplois en tant que monteur en échafaudages. Il avait un niveau de connaissances en langue française A2 pour l'écrit et B1 pour l'oral.

Il a encore indiqué dans le questionnaire relatif à la procédure de naturalisation ordinaire n'avoir pas occupé les services de la police cantonale ou de la police municipale dans les dix années précédant sa demande et a signé, le 3 novembre 2011, une « Déclaration confirmant l'absence de procédure pénale en cours ainsi que l'absence de condamnation ou de mesure pénales en Suisse et à l'étranger », au cours des vingt dernières années. Il avait également pris connaissance « du fait que [sa] naturalisation p[ouvait], [ ], être annulée dans les huit ans en cas de déclarations mensongères ou par dissimulation de faits essentiels ».

L'extrait de son casier judiciaire pour particuliers du 6 novembre 2020 était vierge.

4) Il ressort des renseignements de police concernant M. A______, extraits le 10 décembre 2020, une inscription le 28 janvier 2014 en lien avec l'infraction de menace, sans que l'on sache s'il était visé comme plaignant ou mis en cause, et le 29 septembre 2016 avec celle de violation d'une obligation d'entretien.

5) L'extrait de son casier judiciaire du 18 août 2021 comportait une condamnation par le Ministère public (ci-après : MP) du 24 avril 2017, à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, assortie du sursis pendant 3 ans, pour violation d'une obligation d'entretien, la période pénale s'étendant du 1er juin 2015 au 30 avril 2016.

Il ressort de l'ordonnance pénale en question que le service cantonal d’avance et de recouvrement des pensions alimentaires (ci-après : SCARPA) s'était substitué à partir du 1er mai 2016 à la mère de la fille de M. A______, née en 2013, afin de percevoir la contribution d'entretien mensuelle due de CHF 180.-. Le montant impayé s'élevait à CHF 1'620.-.

6) Le 16 novembre 2021, le SCN a établi un rapport d’enquête. Le préavis était défavorable en raison de la condamnation dont M. A______ avait fait l'objet le 24 avril 2017.

7) Le 13 décembre 2021, le SNC a informé M. A______ qu'il soumettrait au Conseil d'État une proposition d'arrêté lui refusant la naturalisation. Les critères de naturalisation n'étaient manifestement pas réunis compte tenu de la condamnation dont il faisait l'objet que, de plus, il n'avait pas annoncée spontanément, violant par là-même son devoir de collaboration et dissimulant des fait importants.

8) Faisant usage de son droit d'être entendu le 10 janvier 2022, M. A______ a relevé qu'il avait parfaitement fait ses preuves durant le délai d'épreuve de trois ans fixé dans l'ordonnance pénale du 24 avril 2017, ce qui avait eu pour conséquence la radiation de l'inscription à son casier judiciaire, comme attesté par les extraits des 6 novembre 2020 et 3 janvier 2022 destinés à des particuliers, vierges. Il n'avait pas réitéré les actes reprochés au terme de cette condamnation. Il remplissait donc à l'évidence la condition du respect de la sécurité et de l'ordre public.

Concernant cette condamnation, il devait être tenu compte des sommes dérisoires en jeu et de ce qu'il avait conclu un accord avec la mère de sa fille pour le règlement des arriérés dus, ce qui avait conduit le MP à suspendre l'instruction de la procédure jusqu'au 21 mars 2018. Toutefois, à la suite de difficultés financières, il avait été empêché d'honorer les trois derrières mensualités de CHF 100.-. Ainsi, hormis ce défaut de paiement sur une courte période, il avait toujours respecté son obligation d'entretien. Il était alors célibataire avec deux enfants à charge et au bénéfice d'indemnités chômage à hauteur de CHF 3'269.- par mois. Il n'avait pas eu d'autres antécédents durant toute la durée de son séjour en Suisse. Le principe de proportionnalité commandait de ne pas prendre en considération cette condamnation à l'excès et sans égard à sa situation particulière.

Ce cas de figure relevait de l'art. 4 al. 2 let. e de l’ordonnance sur la nationalité suisse du 17 juin 2016 (OLN - RS 141.01), de sorte que le tableau 6 de la page 36 du Manuel sur la nationalité pour les demandes déposées après le 1er janvier 2018 (version valable dès le 1er janvier 2020 ; consultable sur le site internet du SEM) (ci-après : Manuel sur la nationalité) ne s'appliquait pas. Ainsi, aucun délai d'attente supplémentaire ne devait être pris en compte pour le traitement de sa demande de naturalisation. La condition pour appliquer un délai d'attente ne serait de toute façon pas remplie au vu de son comportement antérieur et postérieur à la condamnation, qui ne laissait présager aucun risque considérable d'atteinte à la sécurité et à l'ordre public. Il convenait donc plutôt de se référer au tableau 5 du Manuel sur la nationalité selon lequel une naturalisation restait « impossible aussi longtemps qu'une inscription concernant l'échec d'une mise à l'épreuve figurait dans VOSTRA ».

9) Par arrêté du 9 mars 2022, le Conseil d'État a refusé la naturalisation à M. A______. Ce dernier n'avait manifestement pas réussi à démontrer qu'il respectait la sécurité et l'ordre publics ni s'était suffisamment intégré dans la communauté genevoise.

Il était au bénéfice d'une autorisation d'établissement valable jusqu'au 29 novembre 2022 et séjournait en Suisse depuis le 30 novembre 2005. Il n'avait pas convaincu les autorités de sa bonne intégration dans la communauté suisse et genevoise. Ce constat était corroboré par la condamnation pénale dont il avait fait l'objet le 24 avril 2017 qui lui avait été notifiée par le MP le 5 mai 2017. Il en ressortait que ses motivations relevaient d'un regrettable mépris de la législation en vigueur. En violant son obligation d'entretien, il n'avait assurément pas respecté l'ordre juridique suisse ni accompli volontairement d'importantes obligations de droit public ou privé (art. 4 al. 1 let. b OLN).

Selon le droit de la nationalité, il convenait de ne pas entrer en matière sur la demande de naturalisation de M. A______ avant la fin du délai d'épreuve de trois ans, le 5 mai 2020, respectivement avant la fin du délai d'attente supplémentaire de trois ans, soit jusqu'au 5 mai 2023 au plus tôt.

En dissimulant cette infraction pénale, il avait également violé son devoir de collaboration, soit dissimulé des faits essentiels.

10) Par acte déposé le 8 avril 2022, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre l'arrêté précité, concluant à son annulation et, principalement, à ce qu'il soit dit qu'il remplissait les conditions pour l'obtention de la nationalité suisse par la voie de la procédure de naturalisation ordinaire et qu'il soit enjoint au Conseil d'État de lui accorder la nationalité genevoise, subsidiairement au renvoi du dossier au Conseil d'État pour qu'il lui accorde la naturalisation genevoise. Préalablement, son audition devait être ordonnée.

Ses deux filles avaient la nationalité suisse et il était le seul membre de la famille à ne pas en bénéficier. Cela lui portait préjudice puisqu'il souhaitait demeurer en Suisse auprès d'elles et ainsi bénéficier des mêmes droits que le reste de la famille nucléaire. Le Conseil d'État avait constaté les faits de manière inexacte, soit violé l'art. 61 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et violé le principe de proportionnalité en omettant de procéder à une pesée des intérêts.

C'était de bonne foi qu'il avait mentionné l'absence de condamnation dans sa demande, étant relevé que l'extrait de son casier judiciaire était vierge le 6 novembre 2020.

Il a repris pour le reste l'intégralité les éléments développés dans son courrier du 10 janvier 2022.

11) Le Conseil d’État a conclu, le 5 mai 2022, au rejet du recours.

En sus des éléments figurant dans l'arrêté querellé, il était relevé que contrairement à ce que soutenait M. A______, il n'avait pas été condamné pour un unique manquement, mais pour ne pas avoir versé la contribution due pendant onze mois, pour la somme totale de CHF 1'620.-, ce défaut de paiement étant d'autant plus important qu'il n'avait ensuite pas honoré, durant au minimum trois mois, l'engagement pris dans le cadre de la procédure pénale.

Comme il n'avait pas récidivé durant le délai d'épreuve, il n'y avait aucune raison d'appliquer l'art. 4 al. 2 let. e OLN à sa situation, mais seulement l'art. 4 al. 3 OLN et le tableau 6 du Manuel sur la nationalité. Compte tenu de la teneur claire du formulaire « déclaration » qu'il avait signé le 3 novembre 2020, il avait déclaré ne pas avoir fait l'objet de condamnation pénale au cours des vingt dernières années, ni d'une procédure pénale. Même si la condamnation du 24 avril 2017 ne figurait plus sur son casier judiciaire destiné aux particuliers, il devait l'annoncer au SNC. Il n'avait au demeurant pu se fier à l'extrait de son casier judiciaire du 6 novembre 2020 pour remplir sa demande de naturalisation, puisqu'il avait daté la déclaration susmentionnée du 3 novembre 2020 et que le SNC avait reçu ces documents le 5 novembre 2020. Il était donc contraire au principe de la bonne foi de prétendre qu'il aurait ignoré devoir annoncer cette condamnation au SNC.

12) M. A______ n'a pas fait usage de son droit à la réplique.

13) Les parties ont été informées, le 20 juin 2022, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) Le recourant sollicite son audition.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Le droit d'être entendu n'implique pas le droit d'être entendu oralement, ni celui d'obtenir l'audition de témoins (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1). Le droit d'être entendu n'empêche pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, s'il acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3).

b. Le recourant n'indique pas ce que son audition serait à même de démontrer. Il a pu s'exprimer par écrit devant le Conseil d'État et la chambre de céans et n'a pas fait usage de son droit à la réplique. Le dossier est en état d'être jugé sans qu'une telle audition soit nécessaire, étant rappelé que le recourant ne dispose pas d'un droit à être entendu oralement.

Sa demande d'audition sera partant rejetée.

3) Aux termes de l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). Les juridictions administratives n’ont toutefois pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.

4) Le litige concerne le refus d'octroi de la nationalité suisse et genevoise au recourant.

5) L’art. 50 de la loi sur la nationalité suisse du 20 juin 2014 (LN - RS 141.0), entrée en vigueur le 1er janvier 2018, indique que l’acquisition et la perte de la nationalité suisse sont régies par le droit en vigueur au moment où le fait déterminant s’est produit (al. 1). Les demandes déposées avant l’entrée en vigueur de ladite loi sont traitées conformément aux dispositions de l’ancien droit jusqu’à ce qu’une décision soit rendue (al. 2).

Le recourant ayant déposé sa demande de naturalisation auprès de l’autorité compétente le 5 novembre 2020, elle doit être traitée en application du nouveau droit, à savoir la LN, l'OLN, la loi sur la nationalité genevoise du 13 mars 1992 (LNat - A 4 05) et le règlement d’application du 15 juillet 1992 (RNat - A 4 05.01).

6) a. Selon l’art. 11 let. a à c LN, l’autorisation fédérale de naturalisation est octroyée si le requérant remplit les conditions suivantes : a) son intégration est réussie ; b) il s’est familiarisé avec les conditions de vie en Suisse ; c) il ne met pas en danger la sûreté intérieure ou extérieure de la Suisse.

Une intégration réussie se manifeste en particulier par le respect de la sécurité et de l’ordre publics (art. 12 al. 1 let. a LN).

b. Un candidat à la naturalisation genevoise doit remplir les conditions fixées par le droit fédéral (art. 1 al. 1 let. b LNat). À cet effet, il doit disposer d'une autorisation fédérale accordée par l'office compétent, lequel examine ses aptitudes à la naturalisation (art. 12 et 15 LN). D'autre part, le requérant doit avoir résidé deux ans dans le canton d'une manière effective, dont les douze mois précédant l'introduction de sa demande, résider en Suisse pendant la procédure de naturalisation et être au bénéfice de l’autorisation d’établissement en cours de validité pendant toute la durée de la procédure (art. 11 al. 1 et 3 LNat).

c. Conformément à l'art. 12 LNat, le candidat doit en outre remplir différentes conditions d'aptitudes dont respecter la sécurité et l’ordre publics (let. b).

d. L'art. 4 al. 1 OLN précise que l’intégration du requérant n’est pas considérée comme réussie lorsqu’il ne respecte pas la sécurité et l’ordre publics parce qu’il viole des prescriptions légales ou des décisions d’autorités de manière grave ou répétée (let. a), n’accomplit volontairement pas d’importantes obligations de droit public ou privé (let. b), ou fait, de façon avérée, l’apologie publique d’un crime ou d’un délit contre la paix publique, d’un génocide, d’un crime contre l’humanité ou encore d’un crime de guerre ou incite à de tels crimes (let. c). Selon l'art. 4 al. 2 OLN, l’intégration du requérant n’est pas non plus considérée comme réussie lorsqu’il est enregistré dans le casier judiciaire informatisé VOSTRA et que l’inscription qui peut être consultée par le SEM porte sur une peine ferme ou une peine privative de liberté avec sursis partiel pour un délit ou un crime (let. a), une mesure institutionnelle, s’agissant d’un adulte, ou un placement en établissement fermé, s’agissant d’un mineur (let. b), une interdiction d’exercer une activité, une interdiction de contact, une interdiction géographique ou une expulsion (let. c), une une peine pécuniaire avec sursis ou sursis partiel de plus de 90 jours-amende, une peine privative de liberté avec sursis de plus de trois mois, une privation de liberté avec sursis ou sursis partiel de plus de trois mois ou un travail d’intérêt général avec sursis ou sursis partiel de plus de 360 heures prononcé comme sanction principale (let. d), une peine pécuniaire avec sursis ou sursis partiel de 90 jours-amende au plus, une peine privative de liberté avec sursis de trois mois au plus, une privation de liberté avec sursis ou sursis partiel de trois mois au plus ou un travail d’intérêt général avec sursis ou sursis partiel de 360 heures au plus prononcé comme sanction principale, pour autant que la personne concernée n’ait pas fait ses preuves durant le délai d’épreuve (let. e).

 

Dans tous les autres cas d’inscription dans le casier judiciaire informatisé VOSTRA pouvant être consultée par le SEM, ce dernier décide de la réussite de l’intégration du requérant en tenant compte de la gravité de la sanction. Une intégration réussie ne doit pas être admise tant qu’une sanction ordonnée n’a pas été exécutée ou qu’un délai d’épreuve en cours n’est pas encore arrivé à échéance (art. 4 al. 3 OLN).

e. Dans le domaine de la nationalité, le secrétariat d’État aux migrations 
(ci- après : SEM) a établi une directive, à savoir le Manuel sur la nationalité.

Selon sa première page, ce manuel est l'ouvrage de référence pour les collaborateurs de la division Nationalité du domaine de direction Intégration et immigration du SEM ainsi que pour les autorités cantonales et communales de naturalisation et les représentations suisses à l'étranger pour l'interprétation de la LN et l'OLN. Il regroupe toutes les bases légales fédérales en vigueur dans le domaine de la nationalité, la jurisprudence principale du Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) et du Tribunal fédéral en la matière, ainsi que la pratique adoptée par le SEM. En tant qu'ouvrage de référence, il contient les instructions nécessaires au traitement professionnel uniforme des dossiers de naturalisation et aide les collaborateurs à répondre aux exigences élevées de leur tâche qui consiste à mener les procédures de naturalisation rapidement et à prendre une décision exempte d'arbitraire et dans le respect de l'égalité de traitement (unité de doctrine).

Lorsque le requérant a commis des infractions avant le dépôt de sa demande de naturalisation ou au cours de la procédure, l’autorité compétente doit en tenir compte lors de l’examen de la demande. La naturalisation constituant la dernière étape du processus d’intégration, il faut attendre que le requérant ne fasse plus l’objet d’aucun jugement, y compris relevant du droit pénal, pour rendre la décision de naturalisation (Manuel sur la nationalité, p. 28 ss).

Lorsqu’une inscription figure au casier judiciaire du requérant, et qu’elle porte sur des éléments mentionnés à l’art. 4 al. 2 let. a à e OLN, l’intégration est lacunaire et la volonté de s’intégrer est insuffisante. Il faut donc prendre en compte le délai d’élimination d’office de l’inscription dans le casier judiciaire. En effet, le respect de la sécurité et de l’ordre publics et des valeurs suisses fait défaut et la naturalisation doit être exclue jusqu’à élimination complète de l’inscription. La demande ne pourra être acceptée qu’après radiation des inscriptions relatives à ses condamnations antérieures qui figurent dans le casier judiciaire, pour autant que les autres conditions soient remplies. L’élimination de l’inscription survient lorsque le délai d’élimination d’office arrive à échéance (Manuel sur la nationalité, p. 29).

Selon le Tableau 6 relatif à l'art. 4 al. 3 OLN, il convient toujours d’attendre la fin du délai d’épreuve. En fonction de la durée de la peine, un délai d’attente supplémentaire doit être pris en compte pour le traitement de la demande par le SEM. Celui-ci prolonge le délai d’attente en le portant jusqu’au double lorsque le comportement du/de la candidat/e laisse présager un risque considérable d’atteinte à la sécurité et à l'ordre publics. Ainsi, pour une peine pécuniaire avec sursis ou sursis partiel de plus de trente jours-amende et de nonante jours-amende au plus, le délai pris en compte par le SEM pour traiter la demande en cas de succès durant le délai d'épreuve est « Fin du délai d'épreuve + 3 ans de délai d'attente. Le délai d'épreuve commence à courir dès la date de la notification du jugement » (Manuel sur la nationalité, p. 36).

f. Selon l'art. 21 OLN, les parties sont tenues de collaborer à la constatation des faits déterminants pour l’application de la LN. Elles doivent en particulier fournir des indications exactes et complètes sur les éléments déterminants pour la naturalisation (let. a), informer immédiatement l’autorité compétente de tout changement dans la situation du requérant dont elles doivent savoir qu’il s’opposerait à une naturalisation (let. b).

L'art. 14 al. 4 et 6 LNat précise que le candidat doit fournir les renseignements utiles sur les faits qui motivent sa demande et produire les pièces y relatives qui sont en sa possession. Le candidat est tenu d’informer le service compétent de tout changement survenant dans sa situation économique et familiale pendant la procédure.

g. L’obtention de l’autorisation fédérale ne confère aucun droit à la naturalisation. Ni le droit fédéral, ni le droit cantonal n’accordent en principe aux candidats étrangers un droit subjectif à la naturalisation. Il n’en demeure pas moins que les procédures et les décisions de naturalisation doivent respecter les droits fondamentaux et que ce respect peut en principe être contrôlé par les tribunaux (ATA/13/2022 du 11 janvier 2022 consid. 10 et l'arrêt cité ; Andreas AUER/Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I, 3ème éd., n. 399 et 401 ; Céline GUTZWILLER, Droit de la nationalité et fédéralisme suisse, 2008, p. 535, n. 1407).

h. Dans un cas récent, le TAF a rejeté le recours d'un couple de candidats à la naturalisation ordinaire compte tenu de leur condamnation, en cours de procédure de naturalisation, à soixante jours-amende à CHF 30.- l'unité, avec sursis durant trois ans, et à une amende de CHF 600.- pour avoir employé un étranger sans autorisation (arrêt du TAF F-5465/2020 du 10 mai 2021).

Dans cet arrêt, l'intérêt public à lutter contre le travail au noir a été mis en exergue dans la mesure où il revêt une importance non négligeable. En effet, la gravité du travail au noir est à l'origine de nombreux problèmes, engendrant notamment, outre une perte de crédibilité de l'État en cas de non-respect de ses lois, des pertes de recettes pour l'administration fiscale et les assurances sociales, ainsi que des distorsions de la concurrence. Il a ainsi été retenu que les intéressés n'avaient pas respecté l'ordre juridique suisse, étant relevé que le fait que l'autorité pénale ait fixé une peine pécuniaire assortie du sursis ne saurait lier l'autorisation décisionnelle en matière de naturalisation (arrêt du TAF F-5465/2020 précité consid. 7.3).

i. Dans un arrêt F-897/2017 du 5 février 2019, le TAF a considéré qu'une peine pécuniaire de dix jours-amende avec sursis infligée pour conduite d'un véhicule avec un permis de conduire à l'essai échu, qualifiée de clémente, était contrebalancée par le fait que cette infraction ne constituait pas un acte isolé, ni ne tenait compte du fait que l'intéressée avait été interceptée alors qu'elle circulait à contresens de la route. En outre, le tribunal pénal avait fixé le jour-amende à un montant très élevé (soit à CHF 510.-) et avait prévu un délai d'épreuve de trois ans, alors que la durée légale minimale de ce délai était de deux. Assurément, ledit tribunal n'aurait pas fixé le délai d'épreuve à trois ans s'il avait estimé que le comportement punissable de l'intéressée était de peu de gravité et n'emportait aucune mise en danger d'autrui. Il apparaissait au contraire qu'aux yeux du tribunal pénal, l'intérêt public commandait de mettre l'intéressée à l'épreuve pendant une durée prolongée (consid. 4.1.4).

7) En l'espèce, le recourant ne remet pas en cause le fait qu'il a été condamné définitivement par ordonnance pénale du MP du 24 avril 2017 à une peine pécuniaire de 60 jours-amende, assortie du sursis pendant trois ans, pour violation d'une obligation d'entretien.

Cette inscription ne figurait plus dans l'extrait de son casier judiciaire destiné à des particuliers du 6 novembre 2020, conformément à l'art. 371 al. 3bis du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), dans la mesure où le recourant a subi avec succès la mise à l'épreuve de trois ans. En revanche, ladite inscription ne sera radiée d'office qu'après un délai de dix ans (art. 369 al. 3 CP).

Le recourant n'ayant pas formé opposition à l'ordonnance pénale du 24 avril 2017, qui lui a été notifiée le 5 mai 2017, cette condamnation est définitive et il n'y a pas lieu d'y revenir, ce d'autant moins que le recourant n'a fourni aucun élément qui viendrait infirmer les constats et considérations retenus dans celle-ci. À cet égard, contrairement à ce qu'il soutient, il n'a pas été question de sanctionner uniquement le non-versement de trois mensualités de CHF 100.- en faveur de sa fille mineure, mais onze mois de non-paiement de la contribution d'entretien due à hauteur de CHF 180.- par mois. De plus, et comme justement relevé par l'autorité intimée, alors qu'il avait bénéficié d'une suspension de la procédure pénale pour mettre à jour l'arriéré dû, il n'a pas respecté l'engagement pris devant le MP qui a été contraint de rendre l'ordonnance pénale en cause à son encontre.

Ainsi, conformément au Manuel sur la nationalité, qui a pour but de fixer les critères destinés à assurer l'application uniforme des normes applicables aux fins de respecter le principe de l'égalité de traitement, et dans le cadre de l'examen du critère du respect de la sécurité et de l'ordre publics (art. 12 al. 1 let. a LN et 12 let. b LNat), l'autorité compétente en matière de naturalisation est tenue d'attendre la fin du délai d'épreuve lié à la condamnation auquel s'ajoute le délai d'attente supplémentaire de trois ans.

Certes, le recourant n'a pas fait l'objet d'autres condamnations avant ou après celle précitée. Néanmoins, l'infraction commise concerne la contribution due en faveur de sa fille mineure. Le fait qu'il se soit abstenu de la verser a contraint le SCARPA à se substituer aux droits de la mère et à déposer plainte pénale pour en obtenir le versement. Ce délit revêt assurément une importance certaine et doit être combattu pour des raisons économiques, sociales et juridiques.

Par conséquent et au vu de la condamnation dont a fait l'objet le recourant, en application de l'art. 4 al. 3 OLN, son intégration ne peut pas être considérée comme réussie.

Le fait que l'autorité pénale ait fixé une peine pécuniaire assortie du sursis ne lie pas l'autorisation décisionnelle en matière de naturalisation (dans le même sens ATF 130 II 493 consid. 4.2 ; ATAF F-5465/2020 précité consid. 7.3).

La nationalité suisse de ses deux filles ne modifie en rien ce qui précède, dans la mesure où l'examen des conditions se fait à l'aune de la situation individuelle du candidat, étant relevé au surplus que la demande de naturalisation concernait le recourant personnellement.

Enfin, le recourant n’a pas annoncé l'existence de la procédure pénale ayant donné lieu à sa condamnation du 24 avril 2017 et a, ce faisant, dissimulé des faits essentiels à l’autorité et violé son devoir de collaboration (art. 21 OLN et art. 14 al. 4 et 6 LNat), alors même qu'il s'était engagé par sa signature du formulaire de demande de naturalisation suisse et de la « Déclaration confirmant l'absence de procédure pénale en cours ainsi que l'absence de condamnation ou de mesure pénales en Suisse et à l'étranger » à informer spontanément l'autorité décisionnelle de faits pouvant avoir une influence sur le sort de sa requête, notamment les procédures et/ou condamnations pénales dont il avait été l'objet durant les vingt années précédant sa demande.

Compte tenu de ces éléments, le Conseil d'État pouvait, sans abuser de son pouvoir d'appréciation ni violer le principe de proportionnalité, rejeter la demande de naturalisation ordinaire du recourant, étant rappelé que ce dernier pourra déposer une nouvelle demande dès le 5 mai 2027, s’il s’y estime fondé.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

8) Aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, la procédure étant gratuite (art. 87 al. 1 LPA et 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l'issue du litige, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 avril 2022 par Monsieur A______ contre l'arrêté du Conseil d'État du 9 mars 2022 ;

 

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Lida Lavi, avocate du recourant, au Conseil d'État ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mme Krauskopf, MM. Pagan et Verniory,
Mme Lauber, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 


 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :