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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/355/2022

ATA/674/2022 du 28.06.2022 ( NAVIG ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/355/2022-NAVIG ATA/674/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 juin 2022

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Guillaume Francioli, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OCEAU - CAPITAINERIE CANTONALE



EN FAIT

1) Selon copie d'un contrat de vente daté du 13 octobre 2021, Monsieur A______ a fait l'acquisition d'un bateau d'occasion motorisé Quicksilver Timonier 530 auprès de Monsieur B______, sans indication de prénom, immatriculé GE 1______, pour le prix de CHF 20'000.-. Il est écrit à la main, en haut à droite de ce document « vente sous réserve de l'accord par la capitainerie du transfert de la place de port. (Port C______ N° 5) ». La remise du bateau était fixée au plus tard le 1er novembre 2021, à D______.

2) Le 13 octobre 2021 également, MM. A______ et B______ ont rempli et signé un document à l'en-tête du département du territoire (ci-après : le département), service du lac, de la renaturation des cours d'eau et de la pêche intitulé « demande d'autorisation de transfert de place avec la vente du bateau/changement de propriétaire » portant sur la place n° 5 à Port C______, en faveur de M. A______.

3) M. A______ indique qu'il s'est rendu à la capitainerie cantonale le 19 octobre 2021 afin de procéder au transfert de la place d'amarrage en sa faveur, à la suite de l'acquisition du bateau précité. À cette occasion, la capitainerie avait refusé de procéder audit transfert, en invoquant la directive relative au non-transfert des places d'amarrage entrée en vigueur le 18 octobre 2021 (ci-après : la directive).

4) Par courrier adressé le 5 novembre 2021 à la capitainerie cantonale, M. A______ a donc relevé qu'ayant acquis ce bateau avant le 18 octobre 2021, il était en droit de bénéficier d'un traitement identique à celui réservé aux administrés avant l'entrée en vigueur de cette directive. De plus, la bonne foi de l'administré devait être protégée dans les situations de changement de pratique administrative. Il ne faisait aucun doute que durant de nombreuses années la capitainerie avait créé une apparence de droit en octroyant systématiquement des autorisations de transfert de places d'amarrage lors de changement de détenteurs de bateaux. C'était sur la base de ce comportement que lui-même, retraité amateur de pêche, avait acquis ce bateau, afin de pouvoir bénéficier d'une place d'amarrage proche de son domicile et recherchée depuis de nombreuses années. Il n'avait aucun moyen de savoir, au moment de l'acquisition, qu'un changement de pratique interviendrait si soudainement. D'ailleurs, cette directive avait été communiquée le jour de son entrée en vigueur, ce qui empêchait tout citoyen ordinaire de prédire qu'un tel changement de pratique administrative se préparait.

L'application de la directive à son cas relèverait manifestement de l'arbitraire.

5) Par décision du 23 décembre 2021 adressée à M. A______, la direction générale de l'office cantonal de l'eau (ci-après : OCEau) se référant à sa « demande du 19 octobre 2021 [ ] de dérogation afin d'obtenir le transfert de la place d'amarrage n° 5 », présentée à la capitainerie et refusée à cette date, réitérée le 5 novembre 2021, a déclaré cette demande irrecevable.

M. A______ n'était pas le bénéficiaire de la place d'amarrage dont le transfert était demandé. Dans ces circonstances, aucun rapport juridique n'existait entre ce dernier et l'État en ce qui concernait ladite place ou toute autre. Au surplus, les accords conclus entre M. A______ et le bénéficiaire de la place d'amarrage relevaient du droit privé et ne créaient de droit qu'entre les parties à ces accords, sans lier l'État, conformément au principe de la relativité des conventions.

Aussi, en l'absence de tout rapport juridique concret relevant du droit administratif, la qualité de partie devait être déniée à l'intéressé.

6) M. A______ a formé recours contre cette décision par acte déposé à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 1er février 2022. Il a conclu principalement à l'annulation de ladite décision et à ce qu'il soit ordonné à l'OCEau de prononcer le transfert de la place d'amarrage en sa faveur, subsidiairement au renvoi du dossier à cette autorité pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Ce dernier devait être condamné en tous les frais et dépens de la procédure, comprenant une équitable indemnité à titre de participation à ses honoraires d'avocat.

Il reprenait les éléments exposés dans son courrier du 5 novembre 2021, ajoutant qu'aucun régime transitoire n'était envisagé aux termes de la directive entrée en vigueur le 18 octobre 2021.

L'OCEau avait violé l'art. 7 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Dans la mesure où il était propriétaire d'un bateau et domicilié dans le canton de Genève, il avait un intérêt personnel à l'obtention d'une place d'amarrage. Le refus de procéder au transfert de la place le touchait personnellement dans ses droits, de sorte que c'était de manière erronée que l'OCEau avait considéré qu'il n'avait pas la qualité pour agir. Cette qualité de partie devait lui être reconnue.

Dans la mesure où l'OCEau avait violé de manière crasse les principes d'égalité de traitement et de protection de la bonne foi de l'administré, la décision devait être annulée.

7) L'OCEau a conclu, le 18 mars 2022, au rejet du recours.

Il revenait sur l'explication donnée dans sa décision pour dénier à M. A______ la qualité de partie au stade de la procédure non contentieuse. Ce dernier peinait à justifier d'un intérêt digne de protection, étant relevé que l'avantage de nature matérielle de se voir octroyer une autorisation pour la place d'amarrage concernée ne différait pas des autres administrés propriétaires de bateau, en attente d'une même autorisation. À ce titre, le principe d'égalité de traitement était scrupuleusement respecté, puisque sa situation était traitée de la même manière que d'autres situations semblables, à savoir celle des administrés sur la liste d'attente de la capitainerie.

Seul le titulaire de l'autorisation avait la qualité de partie pour déposer une demande de transfert. Cette voie restait ouverte et permettrait l'examen de la demande sur le fond et l'ouverture des voies de recours.

Les arguments ayant trait aux principes d'égalité de traitement et de la bonne foi ne seraient pas discutés, dès lors qu'ils concernaient le fond du litige et que la procédure se limitait à la question de l'irrecevabilité de la demande de transfert.

Il était rappelé que M. A______ pouvait en tout temps déposer une demande à la capitainerie en vue de se voir octroyer une autorisation au même titre que tout administré. Vu la situation de surcharge des ports genevois, l'attribution des places se faisait sur la base de la liste d'attente, dans un ordre chronologique, et selon les disponibilités techniques (largeur, longueur, poids de l'embarcation).

8) Dans une réplique du 25 avril 2022, M. A______ a rappelé que la définition de la qualité pour agir n'était pas subordonnée à un lien juridique préexistant. En plus d'être le destinataire du refus de transfert de la place d'amarrage, l'admission du recours lui apporterait une utilité pratique, à savoir l'obtention de cette place.

Sa situation n'était pas la même que celle d'autres administrés sur la liste d'attente, puisqu'avant le 18 octobre 2021, les personnes avec un bateau disposant déjà d'une place bénéficiaient d'un transfert automatique.

9) Le 5 mai 2022, l'OCEau a adressé un courrier à la chambre administrative pour indiquer qu'après vérification auprès de la capitainerie, le formulaire de demande de transfert, rempli conjointement le 13 octobre 2021 par le titulaire de l'autorisation de la place concernée et M. A______, n'avait jamais été réceptionné, ce qui était corroboré par l'absence de tampon de réception ou autre élément qui attesterait de sa réception. Maintenant qu'il en avait connaissance, dans la mesure où il figurait dans les pièces jointes au recours du 1er février 2022, la capitainerie entrerait en matière sur la demande de transfert. Partant, elle notifierait à M. A______ une décision sur le fond dans les meilleurs délais.

Cela dit, ce fait nouveau ne modifiait en rien ses conclusions du 18 mars 2022.

10) M. A______ a, à la demande de la juge déléguée, réagi le 20 mai 2022 à la teneur de ce courrier. La capitainerie avait bien reçu ce formulaire, preuve en étant que c'était précisément parce que le guichet de la capitainerie avait catégoriquement refusé d'entrer en matière sur sa demande, et ainsi refusé de réceptionner ledit formulaire, qu'il avait eu à interjeter recours. Il saluait néanmoins le revirement de l'OCEau, enfin résolu à entrer en matière sur sa demande, comprenant de cette démarche qu'il reconnaissait sa qualité de partie.

Il persistait intégralement dans les termes et conclusions de son mémoire de recours.

11) Les parties ont été informées, le 23 mai 2022, que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) La chambre administrative examine d'office la recevabilité d'un recours ou d'une demande portée devant elle (art. 1 al. 2, art. 6 al. 1 let. c et art. 11 al. 2 LPA ; ATA/986/2018 du 25 septembre 2018 consid. 1 et les références citées).

3) a. Le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6, al. 1 let. a et e, et 57 LPA. Sont réservées les exceptions prévues par la loi (art 132 al. 2 LOJ).

b. À teneur de l'art. 60 al. 1 LPA, ont qualité pour recourir les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (let. a) et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée (let. b). Les let. a et b de cette disposition doivent se lire en parallèle. Ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s'il était partie à la procédure de première instance (ATA/907/2020 du 22 septembre 2020 consid. 2b ; ATA/805/2020 du 25 août 2020 consid. 2b et les références citées).

c. L'intérêt digne de protection au sens de cette disposition consiste dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait à la partie recourante en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre que la décision attaquée lui occasionnerait (ATF 138 III 537 consid. 1.2.2). Cet intérêt doit être direct et concret (ATF 143 II 506 consid. 5.1).

d. L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/1400/2019 du 17 septembre 2019 consid. 2b). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer. L'objet d'une procédure administrative ne peut donc pas s'étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si une recourante ou un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/247/2022 du 8 mars 2020 consid. 2b ; ATA/355/2019 du 2 avril 2019 consid. 2b).

4) En l’espèce, le recourant a attaqué la décision qui lui a été adressée le 23 décembre 2021 déclarant irrecevable la demande présentée à la capitainerie cantonale le 19 octobre 2021 et refusée à cette date, réitérée le 5 novembre 2021, tendant au transfert en sa faveur d'une place d'amarrage, faute d'avoir la qualité de partie.

Comme indiqué à juste titre par l'autorité intimée, seule la question de l'irrecevabilité de la demande de transfert est l'objet du litige. Or, dans son courrier du 5 mai 2022, celle-ci a indiqué qu'elle entrerait en matière sur ladite demande et notifierait au recourant dans les meilleurs délais une décision sur le fond. Le recourant ne dispose en conséquence plus d'un intérêt à l'annulation de la décision querellée qui, en cours de procédure devant la chambre de céans, est devenue sans objet.

Le recours sera ainsi déclaré irrecevable.

5) Nonobstant l'issue du litige, dans la mesure où c'est le recours qui a amené l'autorité intimée à se saisir du fond de la problématique, aucun émolument ne sera perçu et une indemnité de procédure de CHF 400.- sera allouée au recourant qui y a conclu, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 1 et 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 1er février 2022 par Monsieur A______ contre la décision du département du territoire-OCEau du 23 décembre 2021 ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 400.- à Monsieur A______, à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Guillaume Francioli, avocat du recourant, ainsi qu'au département du territoire-OCEau.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Lauber et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :