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Décisions | Assistance juridique

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AC/1530/2024

DAAJ/116/2024 du 30.09.2024 sur AJC/3446/2024 ( AJC ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

AC/1530/2024 DAAJ/116/2024

COUR DE JUSTICE

Assistance judiciaire

DÉCISION DU LUNDI 30 SEPTEMBRE 2024

 

 

Statuant sur le recours déposé par :

 

A______ SA, sise ______ [GE],

 

contre la décision du 27 juin 2024 de la vice-présidence du Tribunal civil.

 

 


EN FAIT

A.           a. Par acte déposé en vue de conciliation le 4 avril 2024 puis introduit le 7 juin 2024 devant le Tribunal de première instance (cause C/1______/2024), A______ SA (ci-après : la recourante) a assigné plusieurs avocats, soit B______, C______ et D______, en paiement de 4'309'275 fr. 43 à titre de dommages-intérêts, reprochant à ces derniers d'avoir mal défendu ses intérêts dans le cadre d'une procédure relative au taux d'imposition applicable aux stocks de tabac pour pipe à eau de la société entreposés en port franc.

Le Tribunal a requis une avance de frais de 78'000 fr.

b. A teneur du Registre du commerce de Genève, la faillite de la recourante avait été prononcée par jugement du Tribunal de première instance du 6 février 2023, puis révoquée par arrêt ACJC/215/2023 de la Cour de justice du 14 février 2023.

Dans cette décision, la Cour a attiré l'attention de la recourante sur le fait qu'une nouvelle faillite la concernant, qui serait prononcée à l'avenir, ne serait plus rétractée, sauf si la société prouvait sa solvabilité par pièces.

B.            Le 2 avril et 11 juin 2024, la recourante, agissant par son administrateur et actionnaire unique, a sollicité l'assistance juridique pour la procédure susvisée, la demande étant limitée à "l'exonération d'avances et de sûretés et l'exonération des frais judiciaires".

Dans sa requête, elle a notamment indiqué qu'elle n'avait plus aucun actif, était sans aucun revenu et fortement endettée.

C.           Par décision du 27 juin 2024, notifiée le 4 juillet 2024, la vice-présidence du Tribunal civil a rejeté la requête précitée. En substance, elle a retenu que la recourante, en sa qualité de personne morale, ne pouvait se voir octroyer l’assistance juridique, les conditions d’une éventuelle exception n'étant pas réalisées in casu, puisque les actifs de la société ne constituaient pas l'objet de l'action qui avait été introduite et que l'indigence de son ayant-droit économique n'avait pas été démontrée.

D.           a. Recours est formé contre cette décision, par acte expédié le 14 juillet 2024 à la Présidence de la Cour de justice. La recourante conclut à l'annulation de la décision entreprise et à l'octroi de l'assistance juridique – soit l'exonération de l'avance de frais, de sûretés et des frais judiciaires – pour la procédure susmentionnée. Subsidiairement, elle demande le renvoi de la cause à l'autorité de première instance pour nouvelle décision. Enfin, elle conclut à l'allocation d'une indemnité équitable de 3'000 fr.

Préalablement, elle sollicite l'apport du dossier complet relatif à la cause C/1______/2024 et d'être autorisée à compléter ses écritures si besoin, voire à répliquer.

La recourante produit des pièces nouvelles.

b. La vice-présidence du Tribunal civil a renoncé à formuler des observations.

EN DROIT

1.             1.1. En tant qu'elle refuse l'assistance juridique, la décision entreprise, rendue en procédure sommaire (art. 119 al. 3 CPC), est sujette à recours auprès de la présidence de la Cour de justice (art. 121 CPC, 21 al. 3 LaCC et 1 al. 3 RAJ), compétence expressément déléguée à la vice-présidence soussignée sur la base des art. 29 al. 5 LOJ et 10 al. 1 du Règlement de la Cour de justice (RSG E 2 05.47). Le recours, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance de recours (art. 321 al. 1 CPC) dans un délai de dix jours (art. 321 al. 2 CPC et 11 RAJ).

1.2. En l'espèce, le recours est recevable pour avoir été interjeté dans le délai utile et en la forme écrite prescrite par la loi.

1.3. Lorsque la Cour est saisie d'un recours (art. 121 CPC), son pouvoir d'examen est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC, applicable par renvoi de l'art. 8 al. 3 RAJ). Il appartient en particulier au recourant de motiver en droit son recours et de démontrer l'arbitraire des faits retenus par l'instance inférieure (Hohl, Procédure civile, tome II, 2ème éd., n. 2513-2515).

1.4 Il ne sera pas tenu compte des simples renvois aux écritures au fond contenus dans les écritures de la recourante, cette manière de procéder ne répondant pas aux exigences de motivation (arrêt du Tribunal fédéral 5A_488/2015 du 21 août 2015 consid. 3.2.1; Jeandin, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 3 ad art. 311).

1.5 Le chef de conclusion préalable de la recourante visant à pouvoir compléter son recours est irrecevable, dès lors que le délai légal de recours, venu à échéance, n'est pas prolongeable (ATF 137 III 617 consid. 6.4; arrêt du Tribunal fédéral 4A_659/2011 du 7 décembre 2011 consid. 5, SJ 2012 I 233). Au surplus, un recourant, même sans formation juridique, n'a pas, en application de l'art. 132 al. 2 CPC, à se voir accorder un délai supplémentaire pour compléter ou améliorer une motivation insuffisante (arrêt du Tribunal fédéral 5A_730/2021 du 9 février 2022 consid. 3.3.2 et les références).

1.6 Il n'y a pas lieu d'ordonner l'apport de la procédure au fond, qui n'est pas utile pour statuer sur les questions présentement litigieuses.

2.             Aux termes de l'art. 326 al. 1 CPC, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables dans le cadre d'un recours.

Par conséquent, les allégués de faits dont la recourante n'a pas fait état en première instance et les pièces nouvelles ne seront pas pris en considération.

3.             Invoquant un déni de justice, la recourante reproche à l'autorité de première instance de ne pas avoir statué sur sa demande en tant qu'elle sollicitait d'être dispensée de fournir des sûretés.

3.1 Toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable (art. 29 al. 2 Cst.). Une autorité commet un déni de justice formel et viole l'art. 29 al. 1 Cst. lorsqu'elle se refuse à statuer ou ne le fait que partiellement (ATF 144 II 184 consid. 3.1; 142 II 154 consid. 4.2; 135 I 6 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_443/2022 du 3 mars 2022 consid. 6 et les références citées).

La motivation d'une décision peut être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 5A_441/2019 du 25 octobre 2019 consid. 3.1 et les réf. cit.).

3.2 En l'occurrence, l'autorité de première instance a rejeté la requête d'aide étatique de la recourante, au motif que les conditions d'octroi de l'assistance juridique à une personne morale n'étaient pas réalisées.

Dès lors que les conditions posées par la loi et la jurisprudence n'étaient pas remplies pour qu'un octroi de l'aide étatique soit envisageable, il n'était pas nécessaire de traiter ou de mentionner spécifiquement la question de l'exonération des sûretés (ni de demander à la partie adverse de se déterminer à cet égard).

Le grief de la recourante est dès lors infondé.

4.             La recourante fait grief à l'autorité de première instance de ne pas l'avoir interpellée au sujet des ressources financières de son administrateur et actionnaire unique avant de rendre la décision querellée. Elle soutient en outre que les conditions d'octroi de l'aide étatique à une personne morale sont exceptionnellement remplies en l'occurrence.

4.1. En vertu de l'art. 117 CPC – qui concrétise les principes que le Tribunal fédéral a dégagés de l'art. 29 al. 3 Cst. (ATF 144 III 531 consid. 4.1; 142 III 131 consid. 4.1;
138 III 217 consid. 2.2.3) –, toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit, à moins que sa cause ne paraisse dépourvue de toute chance de succès, à l'assistance judiciaire gratuite.

4.1.1 Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'assistance judiciaire n'est en principe pas accordée aux personnes morales (ATF 131 II 306 consid. 5.2; 126 V 42 consid. 4; 119 Ia 337 consid. 4b; arrêts du Tribunal fédéral 2C_700/2023 du 25 janvier 2024 consid. 3.1; 4A_173/2023 du 7 juillet 2023).

L'assistance judiciaire relève de la solidarité sociale à l'égard de ceux qui ne pourraient assumer les frais de la procédure sans entamer les ressources qui sont nécessaires pour mener une vie décente. La situation est fondamentalement différente pour les personnes morales, lesquelles, en cas d'insolvabilité ou de surendettement, sont seulement exposées à la faillite (arrêts du Tribunal fédéral 2C_700/2023 du 25 janvier 2024 consid. 3.1; 4A_173/2023 du 7 juillet 2023).

Pour tenir compte d'avis divergents exprimés dans la doctrine, la jurisprudence n'a pas exclu d'octroyer l'assistance judiciaire à une personne morale, mais à certaines conditions restrictives. Il faut, notamment, que son seul actif soit en litige et que les personnes physiques qui en sont les ayants droit économiques soient sans ressources. La jurisprudence a précisé que le cercle des ayants droit économiques de la personne morale dont l'indigence était requise devait être défini de manière large et comprendre les sociétaires ou les actionnaires, les organes ou les créanciers intéressés à la procédure (ATF 131 II 306 consid. 5.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 2C_700/2023 du 25 janvier 2024 consid. 3.1). Il incombe à la personne morale de définir quelles sont les "personnes intéressées économiquement" (arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2023 du 7 juillet 2023). L'assistance judiciaire doit aussi être refusée aux personnes morales lorsque la procédure pour laquelle elle est requise ne garantit pas leur survie (ATF
143 I 328 consid. 3.3; arrêts du Tribunal fédéral 2C_700/2023 du 25 janvier 2024 consid. 3.1; 4A_173/2023 du 7 juillet 2023 et la référence citée).

Selon la juridiction fédérale, l'assistance juridique pourrait éventuellement être accordée à une administration de la faillite ou à un créancier cessionnaire au sens de l'art. 260 LP, afin de faire valoir au fond une créance dans le cadre d'un procès ayant des chances suffisantes de succès (ATF 119 Ia 337 consid. 4e).

4.1.2 Applicable à la procédure portant sur l'octroi ou le refus de l'assistance judiciaire, la maxime inquisitoire est limitée par le devoir de collaborer des parties (arrêt du Tribunal fédéral 5A_836/2023 du 10 janvier 2024 consid. 3.2.2 et les références citées).

Ce devoir de collaborer ressort en particulier de l'art. 119 al. 2 CPC qui prévoit que le requérant doit justifier de sa situation de fortune et de ses revenus et exposer l'affaire et les moyens de preuve qu'il entend invoquer. L'autorité saisie de la requête d'assistance judiciaire n'a pas à faire de recherches approfondies pour établir les faits ni à instruire d'office tous les moyens de preuve produits. Elle ne doit instruire la cause de manière approfondie que sur les points où des incertitudes et des imprécisions demeurent, peu importe à cet égard que celles-ci aient été mises en évidence par les parties ou qu'elle les ait elle-même constatées (arrêt du Tribunal fédéral 5A_836/2023 du 10 janvier 2024 consid. 3.2.2 et les références citées).

Le juge doit inviter la partie non assistée d'un mandataire professionnel dont la requête d'assistance judiciaire est lacunaire à compléter les informations fournies et les pièces produites afin de pouvoir vérifier si les conditions de l'art. 117 CPC sont remplies. Ce devoir d'interpellation du tribunal, déduit des art. 56 et 97 CPC, vaut avant tout pour les personnes non assistées et juridiquement inexpérimentées. Il est en effet admis que le juge n'a pas, de par son devoir d'interpellation, à compenser le manque de collaboration qu'on peut raisonnablement attendre des parties pour l'établissement des faits, ni à pallier les erreurs procédurales commises par celles-ci. Or, le plaideur assisté d'un avocat ou lui-même expérimenté voit son obligation de collaborer accrue dans la mesure où il a connaissance des conditions nécessaires à l'octroi de l'assistance judiciaire et des obligations de motivation qui lui incombent pour démontrer que celles-ci sont remplies. Le juge n'a de ce fait pas l'obligation de lui octroyer un délai supplémentaire pour compléter sa requête d'assistance judiciaire lacunaire ou imprécise. Le fait de ne pas accorder un délai supplémentaire à la partie assistée pour compléter sa demande n'est pas constitutif de formalisme excessif. Lorsque le requérant assisté ne satisfait pas suffisamment à ses incombances, la requête peut être rejetée pour défaut de motivation ou de preuve du besoin (arrêt du Tribunal fédéral 5A_836/2023 du 10 janvier 2024 consid. 3.2.2 et les références citées).

4.2. En l'espèce, la recourante fait tout d'abord valoir que dans la mesure où elle n'était pas représentée par un avocat pour ses démarches visant à obtenir l'aide étatique, l'autorité de première instance aurait dû l'interpeller au sujet du caractère lacunaire de sa demande, en particulier sur la situation financière de son administrateur et actionnaire unique, ce d'autant plus que ce dernier est un ressortissant étranger, ne maîtrisant pas la langue française et ne comprenant pas les technicités propres au langage juridique.

En dehors du fait que les éléments allégués au sujet des connaissances de l'administrateur de la recourante sont irrecevables, du fait qu'ils ne figurent pas au dossier de première instance, la critique est infondée. Au vu du contenu de l'acte de recours déposé devant l'autorité de céans, la recourante, qui a agi en personne par son administrateur, semble disposer de bonnes connaissances juridiques. En effet, l'acte de recours mentionne les bases légales topiques en matière d'assistance juridique et comporte de nombreuses références jurisprudentielles, notamment sur le thème du déni de justice et sur la procédure applicable en matière d'assistance juridique.

Dès lors qu'un devoir d'interpellation du juge ne vaut que pour les personnes juridiquement inexpérimentées, l'autorité de première instance n'avait pas à demander à la recourante de compléter sa requête en fournissant des indications et justificatifs au sujet de la situation financière de son ayant-droit économique. La recourante ne conteste au demeurant pas qu'elle n'a pas fourni d'éléments susceptibles d'établir l'indigence de ce dernier.

Par ailleurs, il n'est pas contesté que le litige au fond ne porte pas sur un actif de la recourante, cette dernière admettant qu'elle n'en a plus aucun, vu sa situation de surendettement depuis des années, voire sa faillite prononcée puis révoquée in extremis en 2023. La recourante fait valoir que sa situation de surendettement l'empêche de songer à une quelconque reprise d'activité économique ou à un assainissement de ses comptes. Sa seule activité consiste à essayer d'obtenir réparation pour les dommages qui auraient été causés par les agissements de ses anciens avocats. Par conséquent, sa survie dépendrait de l'issue de l'action en paiement qu'elle a déposée.

Cela étant, dans la mesure où aucun actif de la société n'est en jeu dans le cadre de la procédure au fond, il est douteux que la première condition posée par la jurisprudence pour accorder le bénéfice de l'assistance juridique à une société soit réalisée in casu. Quoi qu'il en soit, comme la cause pour laquelle l'aide de l'Etat est requise pourrait potentiellement durer plusieurs années, rien ne permet de garantir que la faillite de la société ne sera pas à nouveau prononcée dans l'intervalle, avant même l'issue de la procédure.

Par conséquent, c'est à bon droit que l'autorité de première instance a refusé d'octroyer l'assistance juridique à la recourante au motif que les conditions permettant exceptionnellement d'accorder l'assistance juridique à une personne morale n'étaient pas remplies. C'est dès lors en vain que l'intéressée revendique le droit d'accéder à la justice, puisque la pratique a déjà souligné que cette garantie n'empêchait nullement de limiter l'octroi de l'assistance judiciaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_173/2023 du 7 juillet 2023).

Comme l'une des conditions permettant d'octroyer l'aide étatique fait défaut, point n'est besoin d'examiner si le procès au fond présente des chances de succès.

Partant, le recours, infondé, sera rejeté.

5.             Sauf exceptions non réalisées en l'espèce, il n'est pas perçu de frais judiciaires pour la procédure d'assistance juridique (art. 119 al. 6 CPC). Compte tenu de l'issue du litige, la question de l'octroi d'une indemnité équitable ne se pose pas.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA VICE-PRÉSIDENTE DE LA COUR :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 14 juillet 2024 par A______ SA contre la décision rendue le 27 juin 2024 par la vice-présidence du Tribunal civil dans la cause AC/1530/2024.

Au fond :

Le rejette.

Déboute A______ SA de toutes autres conclusions.

Dit qu'il n'est pas perçu de frais judiciaires pour le recours, ni alloué d'indemnité équitable.

Notifie une copie de la présente décision à A______ SA (art. 327 al. 5 CPC et 8 al. 3 RAJ).

Siégeant :

Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI, vice-présidente; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à
30'000 fr.