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Décisions | Chambre civile

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C/15815/2021

ACJC/1451/2024 du 14.11.2024 sur ORTPI/965/2024 ( OO ) , RENVOYE

Normes : Cst.29.al2; CPC.53; CPC.319.letb.ch2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15815/2021 ACJC/1451/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 14 NOVEMBRE 2024

 

Entre

1) Madame A______, domiciliée ______ [GE],

2) Monsieur B______, domicilié ______ [GE], recourants contre un jugement rendu par la 23ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 19 août 2024, représentés tous deux par Me Peter PIRKL, avocat, REGO AVOCATS, esplanade de Pont-Rouge 4, case postale, 1212 Genève 26,

et

3) C______ SA, sise ______ [FR], intimée, représentée par Me Samuel THETAZ, avocat, Métropole avocats, rue Beau-Séjour 11, case postale 530, 1001 Lausanne.

 


EN FAIT

A.           a. Le 7 mars 2022, C______ SA, société ayant son siège à D______ (Fribourg), active dans la fabrication et la distribution de matériaux isolants et d'emballages, a saisi le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) d'une demande en paiement dirigée contre B______ et A______, auxquels elle réclamait, conjointement et solidairement, le paiement des sommes, en capital, de 218'002 fr. 75 et de 898'918 fr. 56.

En substance, C______ SA a allégué avoir adressé, dans le courant de l'année 2020, de nombreuses factures à la société E______ SA, société ayant son siège à F______ (Genève), dont B______ était administrateur unique et A______ secrétaire et comptable. Les 7 et 23 septembre 2020, C______ SA, B______ et A______ avaient signé une convention, dont il ressortait que la société E______ SA était débitrice à l'égard de C______ SA d'un montant de 898'918 fr. 56, valeur au 3 septembre 2020. C______ SA avait accepté « de transformer une partie des postes ouverts débiteurs en dettes. Ainsi, la dette totale, incluant la dette existante, s'élevait à 500'817 fr. 96, valeur au 3 septembre 2020, cette somme devenant un prêt. En outre, les postes ouverts débiteurs diminuaient de 309'918 fr. 79 à 398'100 fr. 60 » (sic). B______ et A______ s'étaient engagés à reprendre, comme codébiteurs solidaires avec la société E______ SA, la totalité des montants dus à C______ SA, la convention fixant les modalités de remboursement. Considérant que les engagements pris n'avaient pas été respectés, C______ SA avait initié des poursuites à l'encontre de B______ et A______, ainsi qu'à l'encontre de la société E______ SA, auxquelles il avait été formé opposition.

E______ SA a été déclarée en faillite le 12 avril 2021.

b. Par courrier du 27 mai 2022 adressé au Tribunal, C______ SA a sollicité la suspension de la procédure jusqu'à droit connu dans la procédure pénale dirigée à l'encontre de B______ et A______, en lien avec la faillite de E______ SA. Selon C______ SA, des motifs d'opportunité commandaient cette suspension; en outre, le sort de la procédure pénale était susceptible d'influencer le procès civil.

Le Tribunal a imparti à B______ et A______ un délai pour se déterminer sur la demande de suspension.

c. Le 29 août 2022, ces derniers ont relevé que C______ SA avait déclaré vouloir prendre des conclusions civiles dans la procédure pénale, de sorte que la procédure civile ne devait pas être suspendue mais déclarée irrecevable, avec suite de dépens.

d. Dans sa réplique du 31 octobre 2022, C______ SA a indiqué avoir retiré, le même jour, son action civile contre B______ et A______ dans la procédure pénale, annexant à son pli le courrier adressé au Ministère public. C______ SA a conclu au rejet des conclusions de ses parties adverses du 29 août 2022.

e. Par courrier du 1er novembre 2022, C______ SA a indiqué au Tribunal que sa requête de suspension de la cause était « désormais sans objet »; en tant que de besoin, elle la retirait purement et simplement.

f. Par pli du 4 novembre 2022, B______ et A______ ont soutenu qu'il n'était pas certain qu'en retirant ses conclusions civiles de la procédure pénale C______ SA ait guéri l'irrecevabilité de sa demande civile; ils s'en rapportaient toutefois à l'appréciation du Tribunal sur ce point.

g. Par jugement JTPI/5766/2023 du 16 mai 2023, le Tribunal a donné acte à C______ SA du retrait de sa requête de suspension, déclaré la demande recevable, renvoyé le sort des frais à la décision finale et réservé la suite de la procédure.

Ce jugement n'a pas été contesté.

h. Par courrier du 30 juin 2023, B______ et A______ ont, à leur tour, sollicité la suspension de la procédure civile dans l'attente de l'issue de la procédure pénale dirigée à leur encontre. A l'appui de leurs conclusions, ils ont allégué que la procédure pénale était en cours de classement, que C______ SA entendait contester. Or, l'issue de la procédure pénale aurait des conséquences sur la demande civile, ne serait-ce qu'au niveau de l'examen des faits et de leur instruction, de sorte qu'il existait un motif d'opportunité à suspendre la procédure civile.

i. C______ SA a conclu, le 6 juillet 2023, au rejet de la requête de suspension.

j. Par ordonnance du 9 octobre 2023, le Tribunal a dit qu'il n'y avait pas lieu de suspendre la procédure, le délai au 27 octobre 2023 (imparti auparavant) pour répondre à la demande au fond étant par ailleurs maintenu.

Cette ordonnance ne contient aucune description des faits de la cause. En ce qui concerne la motivation en droit, le Tribunal a rappelé la teneur de l'art. 126 al. 1 CPC, les conditions permettant la suspension d'une procédure et le pouvoir d'appréciation du magistrat. Puis, le premier juge a indiqué ce qui suit : « Qu'il n'y a pas lieu de suspendre la présente procédure jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale P/1______/2021, le résultat de celle-ci n'ayant pas d'effet direct sur la présente procédure. Que le cas échéant, les parties pourront se prévaloir des actes d'instruction effectués dans le cadre de la procédure pénale en les invoquant dans la présente procédure ».

k. Le 23 octobre 2023, B______ et A______ ont formé recours auprès de la Cour de justice (ci-après : la Cour) contre l'ordonnance du 9 octobre 2023, concluant à son annulation et ce que la suspension de la procédure civile soit ordonnée jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale P/1______/2021.

l. Par arrêt ACJC/49/2024 du 11 janvier 2024, la Cour a annulé l'ordonnance du 9 octobre 2023 et a renvoyé la cause au Tribunal pour nouvelle décision motivée dans le sens des considérants. En substance, la Cour a retenu que l'ordonnance attaquée ne contenait aucune description des faits de la cause et aucune motivation en droit, le Tribunal s'étant contenté d'affirmer, sans autre précision, que le résultat de la procédure pénale n'était pas susceptible d'avoir un effet direct sur la procédure civile. Il lui appartenait toutefois d'expliquer quels éléments lui permettaient de parvenir à une telle conclusion. Pour ce faire, le Tribunal ne pouvait se dispenser d'exposer les tenants et aboutissants de la procédure pénale dirigée contre les recourants, puis d'expliquer les raisons pour lesquelles il parvenait à la conclusion que, quel que soit son résultat, elle ne pourrait influencer la procédure civile, de sorte que la demande de suspension devait être rejetée. En ne procédant pas à une telle démonstration, le Tribunal avait violé le droit d'être entendus des recourants, leur causant un dommage qui ne pouvait être réparé ni dans le cadre du recours, ni dans celui d'un éventuel appel contre le jugement au fond, puisque les recourants n'étaient pas en mesure de comprendre et par conséquent de critiquer la prise de position du Tribunal, qui ne pouvait davantage et pour les mêmes raisons être examinée par la Cour.

B. a. Par ordonnance du 28 juin 2024, le Tribunal a imparti aux parties un délai au 12 juillet 2024 pour le renseigner sur l'avancement de la procédure pénale P/1______/2021.

b. Le 11 juillet 2024, le conseil de A______ et de B______ a informé le Tribunal de ce que, par avis du 15 mai 2024, le Ministère public avait annoncé une clôture partielle de l'instruction dirigée contre ses mandants sur le volet des cotisations sociales. Par lettre du 27 mai 2024, le conseil de A______ et de B______ avait rappelé au Ministère public qu'il avait décidé de classer l'entier de la procédure, donc également la plainte de C______ SA et qu'il fallait se tenir à cette décision. Par ordonnance de classement partiel du 28 mai 2024, le Ministère public avait classé les plaintes sur le volet des cotisations sociales. La procédure pénale suivait son cours pour le reste. Selon le conseil de A______ et de B______, il découlait de ce qui précédait que la procédure civile devait « rester suspendue ».

Selon ce qui ressort du dossier, copie de ce courrier a été adressée à C______ SA par pli du 12 août 2024.

c. Par courrier du 12 juillet 2024, le conseil de C______ SA a indiqué au Tribunal que le 15 mai 2024, le Ministère public avait rendu un avis de prochaine clôture, en indiquant que la procédure pénale allait faire l'objet d'un classement pour les plaintes déposées par la Caisse de compensation G______, la Caisse de compensation H______ et la Caisse paritaire de prévoyance I______ (ci-après : les Caisses) ; la procédure allait par contre suivre son cours s'agissant des faits dénoncés par C______ SA.

Le 28 mai 2024, le Ministère public avait rendu une ordonnance partielle en faveur de B______ et de A______, ceci après un retrait de la plainte des Caisses. Pour le surplus, la procédure allait suivre son cours et C______ SA avait renouvelé auprès du Ministère public les réquisitions de preuves qui avaient été formulées le 20 juin 2023.

C______ SA a conclu au rejet de la requête de suspension.

Selon ce qui ressort du dossier, copie de ce courrier a été adressée à B______ et à A______ par pli du 12 août 2024.

C.                Par ordonnance ORTPI/965/2024 du 19 août 2024, le Tribunal a dit qu'il n'y avait pas lieu de suspendre la procédure, a imparti un nouveau délai au 12 septembre 2024 à la partie défenderesse pour déposer sa réponse écrite à la demande et les titres présentés comme moyen de preuve, invité la partie défenderesse à ne pas mélanger ses allégués et offres de preuve propres avec ses déterminations sur les allégués demandeurs qui se limiteront à la mention « admis » ou « contesté » et à une courte observation cas échéant et a dit que les allégués qui se trouveront dans les déterminations sur les allégués de la partie adverse ne seront pas considérés comme tels.

Dans la motivation de son ordonnance, qui ne contient aucun état de fait, le Tribunal a rappelé les conditions permettant de suspendre une procédure sur la base de l'art. 126 CPC. Pour le surplus, le premier juge a indiqué ce qui suit : « Qu'il n'y a pas lieu de suspendre la présente procédure jusqu'à droit jugé dans la procédure pénale P/1______/2021, le résultat de celle-ci n'ayant pas d'effet direct sur la présente procédure. Qu'en effet, la présente procédure porte sur des factures émises par la demanderesse dont elle réclame le paiement aux défendeurs. Que ceux-ci font valoir que les faits se recoupent avec ceux de la procédure pénale diligentée à leur encontre sur plainte de la demanderesse. Que les infractions qui pourraient éventuellement être reprochées aux défendeurs dans le cadre de la faillite de E______ SA sont sans influence sur la réalité et l'exigibilité des créances faisant l'objet de la présente procédure. Qu'ainsi, quelle que soit l'issue de la procédure pénale, celle de la présente procédure n'en sera pas modifiée, les défendeurs ne précisant en outre pas en quoi elle le serait. Que le cas échéant, les parties pourront se prévaloir des actes d'instruction effectués dans le cadre de la procédure pénale en les invoquant dans la présente procédure ».

D.                a. Le 30 août 2024, A______ et B______ ont formé recours auprès de la Cour contre cette ordonnance, reçue le 20 août 2024, concluant, préalablement, à ce que l'apport de la procédure P/1______/2021 soit ordonné, ainsi que l'apport de l'intégralité de la procédure C/15815/2021; principalement, ils ont conclu à l'annulation de l'ordonnance attaquée, à ce que la suspension de l'instance C/15815/2021 soit ordonnée jusqu'à droit jugé sur la procédure pénale P/1______/2021 opposant les mêmes parties, à ce que la récusation de la présidente J______ dans la cause C/15815/2021 soit prononcée et « si mieux n'aime », à ce que la cause soit renvoyée au premier juge, en l'invitant à statuer dans le sens des considérants. Subsidiairement, les recourants ont conclu à l'annulation de l'ordonnance entreprise, à ce qu'un délai leur soit octroyé pour se déterminer sur le courrier du 12 juillet 2024 de l'intimée, à la confirmation de la suspension de l'instance C/15815/2021 jusqu'à droit jugé sur la procédure pénale P/1______/2021 opposant les mêmes parties, à ce que la récusation de la présidente J______ dans la cause C/15815/2021 soit prononcée et « si mieux n'aime », à ce que la cause soit renvoyée au premier juge, en l'invitant à statuer dans le sens des considérants; en tout état, l'intimée devait être condamnée aux frais judiciaires et aux dépens.

Les recourants ont par ailleurs sollicité la restitution de l'effet suspensif, en tant que l'ordonnance attaquée leur fixait un délai pour répondre au fond au 12 septembre 2024.

Ils ont soutenu qu'il ne faisait d'emblée aucun doute que l'absence de suspension allait leur causer un préjudice irréparable compte tenu de l'avancement de la procédure qui allait découler de ce refus, de sorte que le recours était recevable.

Ils ont fait grief au Tribunal d'avoir violé leur droit d'être entendus, au motif qu'il n'avait pas attendu de recevoir leur détermination sur le courrier de leur partie adverse du 12 juillet 2024 avant de rendre l'ordonnance litigieuse. De plus, le Tribunal n'avait pas examiné la procédure pénale en cours et ne les avait pas entendus sur l'opportunité ou non de suspendre la procédure civile. Par ailleurs, l'ordonnance attaquée présentait des similitudes avec celle du 9 octobre 2023 et la situation était la même : le Tribunal s'était contenté d'affirmer sans motivation que la procédure ne méritait pas d'être suspendue, ce en violation de leur droit d'être entendus. Les recourants ont également soutenu que l'ordonnance attaquée était arbitraire. Les procédures civiles et pénales reposaient sur le même complexe de faits. L'intimée avait d'ailleurs pris les mêmes conclusions civiles dans les deux procédures et les avaient ensuite retirées justement parce qu'il existait un risque que sa demande civile soit déclarée irrecevable. Ce retrait était l'aveu que l'état de fait se recoupait exactement. Continuer l'instruction au civil alors que l'instruction était en cours au pénal présentait un risque trop important de « contradiction irréparable ». Or, une fois leur réponse déposée, les recourants ne pourraient plus modifier/compléter leur écriture en fonction de l'instruction de la procédure pénale sur les mêmes faits. Dans l'ordonnance attaquée, le Tribunal indiquait que le litige portait sur des factures émises par C______ SA et le paiement de celles-ci. Or, la procédure pénale portait sur des faits dénoncés par l'intimée en rapport avec lesdites factures, de sorte qu'il paraissait difficile de comprendre comment les deux procédures pouvaient ne pas être connexes et interdépendantes. Enfin, les recourants ont exposé les motifs pour lesquels, selon eux, la juge J______ devait être récusée.

Les recourants ont par ailleurs soutenu que dans son arrêt du 11 janvier 2024, la Cour avait « confirmé qu'il convenait de suspendre la procédure civile dans la mesure où celle-ci recoupait le même complexe de faits que la procédure pénale et renvoyé la cause au Tribunal de première instance pour se prononcer sur l'opportunité de la suspension ».

Par arrêt ACJC/1102/2024 du 11 septembre 2024, la Cour a admis la requête tendant à la suspension du caractère exécutoire de l'ordonnance ORTPI/965/2024 du 19 août 2024 en tant qu'elle avait imparti un délai au 12 septembre 2024 à A______ et B______ pour déposer une réponse écrite à la demande.

b. Dans sa réponse du 24 septembre 2024, C______ SA a conclu au rejet du recours, avec suite de frais judiciaires et dépens à la charge des recourants.

c. Par avis du 14 octobre 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 En tant qu'elle porte sur un refus de suspension, l'ordonnance entreprise entre dans la catégorie des ordonnances d'instruction (ATF 141 III 270 consid. 3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_453/2021 du 26 juillet 2021 consid. 2) pouvant faire l'objet du recours au sens des art. 319 ss CPC.

A la différence d'une décision d'admission de suspension, le refus de la suspension ne peut faire l'objet que du recours de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, le recourant devant démontrer le préjudice difficilement réparable résultant du refus de suspendre (arrêts du Tribunal fédéral 5A_313/2022 du 15 août 2022 consid. 1.2; 5D_182/2015 du 2 février 2016 consid. 1.3 et la doctrine citée).

Le recours, écrit et motivé, doit être introduit dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 321 al. 2 CPC).

1.2 Interjeté en temps utile et dans la forme prévue par la loi, le recours est recevable sous cet angle.

1.3 La Cour est en possession de l'intégralité de la procédure C/15815/2021, transmise par le Tribunal, de sorte qu'il n'est pas nécessaire d'en solliciter l'apport.

Pour les raisons qui vont suivre, il ne se justifie pas non plus de solliciter l'apport de la procédure pénale P/1______/2021.

2. Il reste par conséquent à examiner si la décision querellée peut causer aux recourants un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC), étant relevé que ceux-ci ont invoqué une violation de leur droit d'être entendus.

2.1.1 La notion de préjudice difficilement réparable est plus large que celle de préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF relatif aux recours dirigés contre des décisions préjudicielles ou incidentes, dès lors qu'elle ne vise pas seulement un inconvénient de nature juridique, mais toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive, avant d'admettre l'accomplissement de cette dernière condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu (ATF 138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, in SJ 2012 I 73; ACJC/327/2012 du 9 mars 2012 consid. 2.4; Jeandin, Code de procédure civile commenté, n. 22 ad art. 319 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2010, n° 2485).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, la partie doit attaquer l'ordonnance avec la décision finale sur le fond (ACJC/327/2012 précité et les réf. citées; Message du Conseil fédéral relatif au CPC, FF 2006 6841, p. 6984; Brunner, Kurzkommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung ZPO, 2014, n° 13 ad art. 319 CPC; Donzallaz, La notion de préjudice difficilement réparable dans le Code de procédure civile suisse, in Il Codice di diritto processuale civile svizzero, 2011, p. 183 et jurisprudence citée).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

2.1.2 Garanti aux art. 29 al. 2 Cst et 53 CPC, le droit d'être entendu comprend en particulier le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d'avoir accès au dossier, de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur sujet (ATF 135 II 286 consid. 5.1; 135 I 187 consid. 2.20; 129 II 497 consid. 2.2). Le droit d'être entendu impose également au juge de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse en saisir la portée et, le cas échéant, l'attaquer en connaissance de cause. Pour répondre à cette exigence, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision (ATF 137 II 266 consid. 3.2; 136 I 229 consid. 5.2). La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision (arrêts du Tribunal fédéral 6B_311/2011 du 19 juillet 2011 consid. 3.1; 6B_12/2011 du 20 décembre 2011 consid. 6.1; 2C_23/2009 du 25 mai 2009 consid. 3.1, RDAF 2009 II p. 434).

Le droit d'être entendu est une garantie de nature formelle, dont la violation entraîne l'annulation de la décision attaquée, sans égard aux chances de succès du recours sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2). Ce moyen doit être examiné avec un plein pouvoir d'examen (arrêt du Tribunal fédéral 5A_540/2013 du 3 décembre 2013 consid. 3.3.1; ATF 127 III 193 consid. 3).

Compte tenu de la nature formelle du grief portant sur la violation du droit d'être entendu, qui est propre à entraîner l'annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès de l'appel (ou du recours) sur le fond (ATF 137 I 195 consid. 2.2; 135 I 279 consid. 2), il convient de l'examiner en premier lieu.

2.2 En l'espèce, l'ordonnance attaquée ne contient, à nouveau, aucune description des faits de la cause. En ce qui concerne la motivation, le Tribunal a complété en quelques phrases sa précédente ordonnance du 9 octobre 2023, qui n'en contenait aucune. Le premier juge a ainsi précisé que la procédure C/15815/2021 portait sur des factures émises par C______ SA, dont elle réclamait le paiement et a ajouté que les infractions qui pourraient éventuellement être reprochées à B______ et à A______ dans le cadre de la faillite de la société E______ SA étaient sans influence sur la réalité et l'exigibilité des créances faisant l'objet de la procédure civile.

Dans son précédent arrêt ACJC/49/2024 du 11 janvier 2024, la Cour de céans avait annulé l'ordonnance du Tribunal du 9 octobre 2023 et renvoyé la cause en première instance pour nouvelle décision. Contrairement à ce qu'ont curieusement soutenu les recourants dans leur recours contre l'ordonnance ORTPI/965/2024 du 19 août 2024, la Cour n'a pas affirmé, dans son arrêt du 11 janvier 2024, qu'il convenait de suspendre la procédure civile dans la mesure où celle-ci « recoupait » le même complexe de faits que la procédure pénale. La Cour ne s'est en aucune manière prononcée sur l'opportunité de suspendre ou pas la procédure civile dans l'attente de droit connu au pénal. Même si elle avait voulu le faire, elle en aurait été bien incapable, puisque justement – et c'est ce qui était reproché au premier juge – l'ordonnance du 9 octobre 2023 n'expliquait pas sur quels éléments le premier juge s'était fondé pour parvenir à la conclusion que le résultat de la procédure pénale n'était pas susceptible d'avoir un effet direct sur la procédure civile. La Cour avait ainsi relevé que n'étant pas en mesure de comprendre la prise de position du Tribunal, elle ne pouvait l'examiner. L'ordonnance du 9 octobre 2023 a par conséquent été annulée et le Tribunal invité à rendre une nouvelle décision expliquant les raisons pour lesquelles il parvenait à la conclusion que, quel que soit son résultat, la procédure pénale ne pourrait influencer la procédure civile.

Force est toutefois de constater que le Tribunal n'a pas donné suite à l'arrêt de la Cour du 11 janvier 2024. L'ordonnance attaquée ne contient en effet et à nouveau aucun état de fait de sorte que les chefs d'accusation retenus en l'état à l'encontre des recourants dans le cadre de la procédure pénale n'ont même pas été mentionnés. Le premier juge ne s'est par conséquent livré à aucune analyse concernant l'impact éventuel que la procédure pénale pourrait avoir ou pas sur la procédure civile et a évacué cette question au moyen d'une phrase toute générale selon laquelle les infractions qui pourraient éventuellement être reprochées à B______ et A______ étaient sans influence sur la réalité et l'exigibilité des créances faisant l'objet de la procédure civile. Cette argumentation n'est toutefois pas suffisante au regard du devoir de motivation qui incombait au Tribunal.

En procédant de la sorte, le premier juge a violé le droit d'être entendus des recourants, leur causant un dommage qui ne peut être réparé ni dans le cadre du présent recours, ni dans celui d'un éventuel appel contre le jugement au fond, puisqu'en raison de son caractère plus que sommaire, le raisonnement du Tribunal n'est pas compréhensible.

Au vu de ce qui précède, l'ordonnance attaquée sera annulée et la cause retournée au Tribunal pour nouvelle décision motivée, dans le sens des considérants.

Au vu de ce qui précède, il n'est pas nécessaire d'examiner si le droit d'être entendus des recourants a également été violé du fait que, comme ils l'allèguent, le Tribunal ne leur aurait pas laissé suffisamment de temps pour se prononcer sur le courrier de leur partie adverse du 12 juillet 2024, étant néanmoins relevé que la teneur dudit courrier était pratiquement identique à celle du courrier des recourants du 11 juillet 2024.

3. Les recourants ont conclu à la récusation de la présidente J______.

3.1 La partie qui entend obtenir la récusation d'un magistrat ou d'un fonctionnaire judiciaire la demande au tribunal aussitôt qu'elle a eu connaissance du motif de la récusation (art. 49 al. 1 CPC).

Les demandes de récusation visant un juge ou un fonctionnaire du Tribunal civil sont tranchées par une délégation de cinq juges, dont le président ou un vice-président et quatre juges titulaires. La Chambre civile de la Cour de justice est compétente pour connaître des recours (art. 13 al. 2 LaCC).

3.2 Il résulte de l'art. 13 al. 2 LaCC que la compétence pour statuer sur une demande de récusation visant un juge du Tribunal civil appartient à une délégation de celui-ci, la Cour n'intervenant que comme instance de recours contre les décisions de la délégation du Tribunal.

La demande de récusation formée par les recourants est par conséquent irrecevable.

4. Les frais judiciaires de recours et de la demande de récusation seront arrêtés à 1'200 fr. (art. 41 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile, RTFMC, E 1 05.10) et, vu l'issue du recours et de la demande de récusation, laissés à raison de 1'000 fr. à la charge de l'Etat et de 200 fr. à la charge des recourants. Les frais judiciaires mis à la charge des recourants seront compensés avec l'avance de frais versée, le solde leur étant restitué.

L'intimée, qui a conclu au rejet du recours, sera condamnée aux dépens des recourants, fixés à 1'000 fr., débours et TVA inclus (art. 85, 87 et 90 RTFMC; art. 23, 25 et 26 LaCC).

* * * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare irrecevable la requête de récusation formée le 30 août 2024 devant la Cour de justice par B______ et A______ à l'encontre de la juge J______.

Déclare recevable le recours interjeté par B______ et A______ contre l'ordonnance ORTPI/965/2024 du 19 août 2024 rendue par le Tribunal de première instance dans la cause C/15815/2021.

Au fond :

Annule l'ordonnance attaquée.

Cela fait :

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour nouvelle décision motivée dans le sens des considérants.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 1'200 fr., les met à raison de 1'000 fr. à la charge de l'Etat de Genève et de 200 fr. à la charge de B______ et de A______, pris conjointement.

Invite en conséquence les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à B______ et A______, pris conjointement, le solde de leur avance en 1'000 fr.

Condamne C______ SA à verser à B______ et A______, pris conjointement, 1'000 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Paola CAMPOMAGNANI, Madame Stéphanie MUSY, juges; Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.