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Décisions | Chambre civile

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C/13596/2022

ACJC/474/2024 du 16.04.2024 sur JTPI/10325/2023 ( SDF ) , RENVOYE

Normes : CPC.318; Cst.29
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/13596/2022 ACJC/474/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 16 AVRIL 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante et intimée d'un jugement rendu par la 9ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 13 septembre 2023,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé et appelant, représenté par
Me Jaroslaw GRABOWSKI, avocat, rue Pierre-Fatio 8, case postale 3150,
1211 Genève 3.

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/10325/2023 du 13 septembre 2023, notifié le lendemain, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures protectrices de l'union conjugale, a déclaré irrecevables les actes des parties des 20 et 21 juin 2023 (ch. 1 du dispositif), attribué à A______ la garde exclusive des sept chats du couple (ch. 2), condamné B______ à verser à A______ 5'100 fr. par mois à titre de contribution à son entretien, avec effet rétroactif au 1er avril 2022 (ch. 3), mis les frais judiciaires, arrêtés à 4'000 fr., à la charge des parties à raison de la moitié chacune et condamné chacune de celles-ci à verser 2'000 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire (ch. 4-6), compensé les dépens (ch. 7) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 8).

B.            a. Par actes déposés le 25 septembre 2023 A______ et B______ interjettent tous deux appel contre ce jugement.

a.a A______ a conclu, sous suite de frais et dépens (qu'elle chiffre à 5'000 fr.), à l'annulation du chiffre 3 du dispositif du jugement attaqué et à ce que la pension alimentaire en sa faveur soit arrêtée à 35'000 fr. par mois depuis le 1er avril 2022.

a.b Pour sa part, B______ a conclu, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de tout le jugement, à ce que son épouse soit condamnée à lui verser une contribution d'entretien mensuelle de 1'500 fr. à compter du 1er janvier 2022 et à ce que celle-ci soit déboutée de toute autre ou contraire conclusion. Subsidiairement, en raison des faits nouveaux invoqués en seconde instance, B______ a conclu à être libéré de son obligation de contribuer à l'entretien de son épouse à compter du 1er juin 2023.

Préalablement, il a demandé qu'il soit ordonné à son épouse de produire les extraits détaillés de tous ses comptes bancaires pour la période du 1er janvier 2021 à ce jour.

La requête de B______ tendant à la suspension du caractère exécutoire du chiffre 3 du dispositif du jugement entrepris a été admise en ce qui concerne sa condamnation à verser une contribution d'entretien à son épouse pour la période antérieure au 13 septembre 2023 et rejetée pour le surplus, par arrêt ACJC/1436/2023 de la Cour du 25 octobre 2023. La décision sur les frais liés à cette décision a été renvoyée à l'arrêt à rendre sur le fond.

b. En réponse à leurs appels croisés, les époux concluent au rejet de l'appel de leur partie adverse.

c. Dans leurs répliques, dupliques et autres déterminations spontanées faisant suite à l'appel formé par leur partie adverse, chacun des époux a persisté dans ses conclusions.

d. Chacun des époux a produit des pièces nouvelles en seconde instance.

e. Par avis du greffe de la Cour du 23 janvier 2024, les parties ont été avisées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______, née [A______] en 1970, et B______, né en 1954, se sont mariés le ______ 2007 à Genève. Aucun enfant n'est issu de leur union.

Les époux se sont séparés dans le courant de l'année 2020.

b.a Par acte déposé au Tribunal de première instance le 14 juillet 2022, A______ a requis le prononcé de mesures protectrices de l'union conjugale, concluant notamment à ce que son époux soit condamné à contribuer à son entretien à hauteur de 36'560 fr. par mois dès le 1er avril 2022, date à partir de laquelle il aurait cessé de pourvoir à son entretien.

b.b Pour sa part, sur le plan financier, B______ a réclamé une pension alimentaire de 1'500 fr. par mois en sa faveur depuis le 1er janvier 2022. Préalablement, il a demandé qu'il soit ordonné à son épouse de produire les extraits détaillés de tous ses comptes bancaires pour la période du 1er janvier 2021 au 15 septembre 2022, y compris le compte C______.

Il a notamment fait valoir qu'un revenu hypothétique devait être imputé à son épouse, un délai de trois mois devant être imparti à l'intéressée pour retrouver un emploi.

c. En cours de procédure, une mesure de curatelle de gestion et de représentation a été prononcée en faveur de B______ (cf. décision DTAE/2875/2023 du 17 mars 2023), en raison de ses problèmes de santé (cf. let. D.a.a ci-dessous).

d. Par ordonnances des 22 novembre 2022 et 24 février 2023, le Tribunal a ordonné à B______ de produire les relevés des cartes de crédit D______, E______, F______, G______ et H______, établies à son nom ou celui de A______, pour la période du 1er juillet 2020 au 30 septembre 2022, ainsi que les décisions de taxation fiscale pour les années 2021 et 2022.

La demande de B______ visant à ce qu'il soit ordonné à son épouse de produire certains documents bancaires a été rejetée dans l'ordonnance du 22 novembre 2022, sans que le refus sur ce point ne figure explicitement dans le dispositif de l'ordonnance en question.

e. Une procédure de divorce est pendante depuis le 15 août 2022.

f. Au terme de l'audience du 10 mai 2023, le Tribunal a gardé la cause à juger sur mesures protectrices.

g. Les parties se sont encore déterminées par plis des 20 et 21 juin 2023, B______ ayant produit une pièce nouvelle, soit le mémoire de réponse que son épouse a déposé le 31 mai 2023 devant le Tribunal dans le cadre de la procédure de divorce et dont il résulte qu'elle n'a pris aucune conclusion visant à obtenir une pension alimentaire post-divorce.

D. Les éléments suivants résultent des développements en droit du jugement de première instance au sujet de la situation financière et personnelle des parties :

a.a B______ est atteint de la maladie de Parkinson, diagnostiquée en 2020, avec une dégradation progressive de son état de santé. Il est admis qu'il est fragilisé par sa maladie, qui l'a rendu influençable. Son épouse a par ailleurs expliqué que depuis le mois de novembre 2018, il avait souffert d'épisodes de démence et de confusion mentale. Son état s'était aggravé en novembre 2019 avec, par intermittence, des états de délires pouvant se traduire par de l'agressivité verbale à son encontre.

a.b Sur la base de la déclaration fiscale commune des parties relative à l'année 2021 et de leur avis de taxation 2021, le Tribunal a retenu que B______ percevait, jusqu'au 31 décembre 2021 (soit au-delà de l'âge légal de la retraite), un montant annuel net de 236'684 fr., soit 19'623 fr. par mois, de son activité salariée au sein de la société I______ SA.

a.c Depuis l'âge de la retraite, B______ perçoit une rente AVS/AI d'un montant de 2'390 fr. par mois en 2022, respectivement 2'450 fr. en 2023.

a.d B______ est propriétaire de divers biens immobiliers, dont la mise en location lui procure des revenus nets de 1'111 fr. par mois.

Il est par ailleurs propriétaire d'un studio de 41.20 m2 situé à l'entresol du no. ______ rue 1______ en vieille ville de Genève, qu'il n'occupe pas lui-même et n'est pas mis en location.

En 2021, il a vendu l'un de ses biens immobiliers au prix de 2'100'000 fr. Selon le premier juge, il avait été rendu vraisemblable que le produit de la vente avait en quasi-totalité été utilisé (remboursement du prêt hypothécaire, paiement de commission de courtage, frais, paiement de dettes d'impôt, etc.).

a.e Un litige oppose les parties au sujet des avoirs LPP accumulés par B______ durant le mariage. Ce dernier – qui a largement dépassé l'âge de la retraite – souhaite en effet recevoir son deuxième pilier sous forme de capital, ce à quoi son épouse est opposée.

a.f Selon l'avis de taxation des parties pour la période fiscale 2020, la fortune mobilière de B______ s'élevait à 1'614'740 fr. cette année-là.

Sur la seule période de janvier à mi-septembre 2022, B______ a opéré des retraits en espèces à hauteur de près de 20'000 fr. par mois en moyenne.

a.g En première instance, B______ a exposé que depuis 2022, son train de vie correspondait à un budget mensuel de quelques 6'000 fr. Les charges de B______ ne figurent cependant pas dans le jugement de première instance.

b.a A______, dont la formation et l'expérience professionnelle ne résultent pas du jugement attaqué, a été éloignée du marché du travail depuis 2007 à tout le moins. En ce qui concerne son état de santé, le premier juge a fait état de "diverses limitations fonctionnelles rendues vraisemblables par certificats médicaux", sans que la nature desdites limitations ne soit précisée.

b.b Les seuls revenus de A______ proviennent des appartements dont elle est propriétaire. Selon l'avis de taxation 2021, les revenus locatifs lui auraient procuré 4'280 fr. par mois. Cependant, le Tribunal a retenu que la comparaison des informations entre diverses pièces au dossier rendait vraisemblable que les revenus locatifs nets réalisés par la précitée étaient en réalité plus élevés. Sur la base des documents produits, le premier juge a dès lors chiffré lesdits revenus à 4'468 fr. par mois.

b.c Entre le 18 août et le 20 octobre 2021, B______ a crédité les comptes bancaires de son épouse d'un montant total de 340'000 fr.

A______ détient un portefeuille d'actions, dont la valeur s'élevait à quelques 130'000 fr. au 20 juin 2022.

La précitée possède par ailleurs des bijoux, montres et autres habits de luxe, dont la valeur n'a pas été établie.

b.d Les charges mensuelles de l'épouse ne résultent pas du jugement attaqué.

E. Aux termes du jugement entrepris, le Tribunal a retenu que la situation financière des parties s'était nettement péjorée depuis 2022, puisque l'époux avait cessé de travailler en raison de ses problèmes de santé. Depuis lors, les seules ressources du précité étaient constituées de sa rente AVS (2'450 fr.) et de ses revenus locatifs (1'111 fr.). Le premier juge a toutefois retenu en sus, de manière rétroactive depuis le mois d'avril 2022, des revenus hypothétiques totalisant 10'393 fr. par mois dans les ressources du précité, soit 490 fr. à titre de revenus locatifs estimés

qu'il aurait pu percevoir en mettant en location le studio sis rue 1______ no. ______ à Genève, 8'570 fr. correspondant à la rente LPP estimée dont il disposerait s'il n'avait pas sollicité le versement en capital de son deuxième pilier, ainsi que 1'333 fr. de rendement de la fortune mobilière (1'600'000 fr. x 1% / 12).

Les revenus mensuels de A______ ont pour leur part été arrêtés à 4'884 fr. par mois, soit 4'468 fr. de revenus locatifs et 416 fr. de rendement de la fortune mobilière. Pour estimer ce dernier montant, le Tribunal a retenu que la fortune de l'intéressée à partir du moment où son entretien n'a plus été assumé par son époux s'élevait à un montant avoisinant 500'000 fr, cette fortune étant réputée lui procurer un rendement de 1%, à l'instar de ce qui a été pris en compte pour l'époux. Le Tribunal a précisé qu'il n'y avait pas lieu, au stade des mesures protectrices de l'union conjugale, d'imputer un revenu hypothétique à A______ en lien avec une activité lucrative, au vu de son état de santé (limitations fonctionnelles), du fait qu'elle n'avait pas eu d'emploi depuis 2007 et qu'elle était âgée de 53 ans.

Le Tribunal a ensuite considéré que les revenus totaux des parties retenus ci-dessus (18'838 fr.) ne leur permettaient pas de conserver le train de vie qu'elles menaient du temps de leur vie commune, train de vie dont il n'était pas contesté qu'il avait été très aisé. Il n'apparaissait cependant pas nécessaire d'établir ce train de vie, qui n'était plus pertinent au regard des ressources actuelles des époux. Ainsi, dès 2022, chacune des parties devait adapter son budget à la baisse, étant rappelé qu'elles avaient droit à un train de vie semblable depuis la séparation.

Au vu de l'importance de la réduction du train de vie commandée par la disparition des revenus salariés de l'époux, il apparaissait équitable d'exiger des parties qu'elles entament, pour la durée limitée des mesures protectrices de l'union conjugale, la substance de leur fortune afin de "limiter le choc lié à la brusque chute de leur niveau de vie". L'effort principal devrait en l'occurrence être supporté par l'époux, qui disposait d'une "fortune mobilière mobilisable" nettement supérieure à son épouse (la fortune immobilière des époux n'avait pas à être mise à contribution dans la mesure où elle était source de revenus). La fortune mobilière de l'épouse serait toutefois également mise à contribution dans une moindre mesure (à l'exclusion des bijoux, montres et autres habits de luxe).

La ponction dans la substance de la fortune des époux a été limitée à ce qui permettrait aux deux parties de maintenir un niveau de vie correspondant à celui pouvant être mené en disposant d'un montant mensuel de 11'000 fr., ledit montant ayant été retenu sans aucune explication. Une ponction plus importante dans la fortune n'était pas indiquée en l'espèce. En effet, "un montant de 11'000 fr. par mois suffi[sai]t déjà très largement pour maintenir à Genève un standard de vie confortable, même avec sept chats."

Ainsi, concrètement, B______, dont les revenus (réels et hypothétiques) ont été arrêtés par le premier juge à quelques 13'000 fr. (recte : près de 14'000 fr.; 2'450 fr. + 1'111 fr. +8'570 fr. + 490 fr. + 1'333 fr.), devait contribuer à l'entretien de son épouse à concurrence de 5'100 fr., avec effet rétroactif au 1er avril 2022. De la sorte, la précitée aurait à sa disposition chaque mois un montant de quelques 10'000 fr. (4'468 fr. + 416 fr. de revenus propres + 5'100 fr. de contribution) qu'elle pourrait porter à 11'000 fr. en puisant 1'000 fr. par mois dans sa fortune. De son côté, après versement de la contribution due à l'entretien de son épouse, B______ verrait ses revenus (recte : son disponible) ramené(s) à 7'900 fr. par mois. Ainsi pour maintenir un train de vie équivalant à celui de son épouse, il devrait prélever de sa fortune un montant mensuel d'environ 3'100 fr. (recte : 2'100 fr.).

EN DROIT

1. 1.1 Par économie de procédure, les deux appels seront traités dans le même arrêt (art. 125 CPC) et, par souci de simplification et pour respecter le rôle initial des parties, l'épouse sera désignée comme l'appelante et l'époux comme l'intimé.

1.2 Interjetés dans le délai utile de dix jours (art. 271 let. a et 314 al. 1 CPC) et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC) à l'encontre d'une décision rendue sur mesures protectrices de l'union conjugale - laquelle doit être considérée comme une décision provisionnelle au sens de l'art. 308 al. 1 let. b CPC (ATF 137 III 475 consid. 4.1) - qui statue sur une affaire non pécuniaire dans son ensemble, les appels sont recevables.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). Toutefois, les mesures protectrices de l'union conjugale étant soumise à la procédure sommaire, la cognition de la Cour est limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit, l'exigence de célérité étant privilégiée par rapport à celle de sécurité (ATF 127 III 474 consid. 2b/bb = JdT 2002 I 352; arrêt du Tribunal fédéral 5A_392/2014 du 20 août 2014 consid. 1.5).

1.4 Le litige étant circonscrit à la question de la contribution due entre époux, la procédure est soumise à la maxime de disposition (ATF 128 III 411 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_831/2016 du 21 mars 2017 consid. 4.4) et à la maxime inquisitoire sociale (arrêt du Tribunal fédéral 5A_645/2016 du 18 mai 2017 consid. 3.2.3 et les références).

2. 2.1 A teneur de l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

2.2 En l'espèce, la recevabilité des allégués nouvellement formulés en seconde instance et des pièces nouvelles produites à leur appui peut demeurer indécise, compte tenu de l'issue de la présente procédure d'appel (cf. consid. 3.3 ci-après).

3. La question de l'éventuelle pension alimentaire due entre époux est litigieuse.

En sus de divers griefs sur le fond, l'intimé reproche au premier juge d'avoir violé son droit d'être entendu à plusieurs égards, soit en omettant d'établir les charges des parties, en n'explicitant pas de quelle manière il a fixé à 11'000 fr. le train de vie des parties et en ne répondant pas à l'argumentation qu'il avait développée en première instance concernant le revenu hypothétique à imputer à l'appelante. L'intimé fait également grief au Tribunal d'avoir violé son droit à la preuve en n'ordonnant pas à l'appelante de fournir des documents permettant de connaître l'état de sa fortune.

3.1
3.1.1
La jurisprudence a déduit de l'art. 29 al. 2 Cst. le devoir pour l'autorité de motiver sa décision, afin que le destinataire puisse la comprendre, la contester utilement s'il y a lieu et que l'autorité de recours puisse exercer son contrôle. Pour répondre à ces exigences, il suffit que le juge mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause. Il n'a pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut au contraire se limiter à ceux qui, sans arbitraire, apparaissent pertinents (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2; 141 IV 249 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_19/2020 du 18 mai 2020 consid. 6). Il n'y a violation du droit d'être entendu que si l'autorité n'a pas satisfait à son devoir minimum d'examiner et de traiter les problèmes pertinents (ATF 135 III 670 consid. 3.3.1; 133 III 235 consid. 5.2 et les arrêts cités; arrêt du Tribunal fédéral 5A_609/2012 du 12 septembre 2012 consid. 3.1). L'essentiel est que la décision indique clairement les faits qui sont établis et les déductions juridiques qui sont tirées de l'état de fait déterminant (ATF 142 II 154 consid. 4.2; 135 II 145 consid. 8.2). En revanche, l'autorité se rend coupable d'un déni de justice formel si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (ATF 142 III 433 consid 4.3 et les références citées).

Les exigences minimales de motivation déduites de l’art. 29 al. 2 Cst. valent également pour les décisions de mesures provisionnelles. Peu importe à cet égard que celles-ci soient en principe prononcées à l’issue d’un examen sommaire de la prétention sur laquelle les mesures reposent et qu’en raison de leur but, elles doivent être prononcées rapidement et qu’ainsi, elles ne statuent pas définitivement sur les droits d’usage ou les prétentions en abstention des parties. (ATF 134 I 83 consid. 4).

3.1.2 Le droit d'être entendu au sens de l'art. 29 al. 2 Cst. englobe également le droit à la preuve. Celui-ci, qui se déduit aussi de l'art. 8 CC et trouve une consécration expresse à l'art. 152 CPC (ATF 143 III 297 consid. 9.3.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_397/2022 du 17 mai 2023 consid. 3.1.1 et 5A_926/2021 du 19 mai 2022 consid. 4.1.1), implique que toute personne a droit, pour établir un fait pertinent contesté, de faire administrer les moyens de preuve adéquats, pour autant qu'ils aient été proposés régulièrement et en temps utile (ATF 144 II 427 consid. 3.1; 143 III 297 consid. 9.3.2; art. 152 al. 1 CPC).

3.2
3.2.1 Le principe et le montant de la contribution d'entretien due selon l'art. 176 al. 1 ch. 1 CC se déterminent en fonction des facultés économiques et des besoins respectifs des époux. Même lorsqu'on ne peut plus sérieusement compter sur une reprise de la vie commune, l'art. 163 CC constitue la cause de l'obligation d'entretien (ATF 145 III 169 consid. 3.6). Le juge doit donc partir de la convention, expresse ou tacite, que les conjoints ont conclue au sujet de la répartition des tâches et des ressources entre eux (art. 163 al. 2 CC).

Il doit ensuite prendre en considération qu'en cas de suspension de la vie commune, le but de l'art. 163 CC, soit l'entretien convenable de la famille, impose à chacun des époux le devoir de participer, selon ses facultés, aux frais supplémentaires qu'engendre la vie séparée. Si leur situation financière le permet encore, le standard de vie antérieur choisi d'un commun accord – qui constitue la limite supérieure du droit à l'entretien afin de ne pas anticiper sur la répartition de la fortune – doit être maintenu pour les deux parties. Quand il n'est pas possible de conserver ce standard, les conjoints ont droit à un train de vie semblable. Il se peut donc que, suite à cet examen, le juge doive modifier la convention conclue pour la vie commune afin de l'adapter à ces faits nouveaux, la reprise de la vie commune n'étant ni recherchée, ni vraisemblable (ATF 147 III 293 consid. 4.4).

3.2.2 Toutes les prestations d'entretien doivent en principe être calculées selon la méthode du minimum vital avec répartition de l'excédent, dite en deux étapes (ATF 147 III 265 in SJ 2021 I 316; 147 III 308), sauf s'il existe une situation exceptionnelle dans laquelle cela n'a tout simplement pas de sens, comme cela peut notamment être le cas en cas de circonstances financières exceptionnellement favorables (ATF 147 III 293 consid. 4.5 in JdT 2022 II 107).

La méthode concrète en deux étapes implique d'examiner les ressources et besoins des personnes intéressées, avant de répartir les ressources d'une manière correspondant aux besoins des ayants droit selon un certain ordre (ATF
147 III 265 consid. 7).

En cas de situation particulièrement favorable, il convient de recourir à la méthode fondée sur les dépenses indispensables au maintien du train de vie durant la vie commune, laquelle demeure applicable dans des cas exceptionnels (ATF
147 III 293 consid. 4.1 et 4.5 en ce qui concerne l'entretien de l'épouse). La comparaison des revenus et des minimas vitaux est alors inopportune; il faut se fonder sur les dépenses nécessaires au maintien de ce train de vie, en y ajoutant les charges inhérentes à la séparation et en maintenant pour le surplus les postes qui existaient du temps de la vie commune du fait de la convention des parties (ATF 115 II 424 consid. 2), méthode qui implique un calcul concret. Il incombe au créancier de la contribution d'entretien de démontrer les dépenses nécessaires au maintien de son train de vie (ATF 140 III 485 consid. 3.3; ATF 137 III 102 consid. 4.2.1.1; arrêts du Tribunal fédéral 5A_4/2019 du 13 août 2019 consid. 3.2 et 5A_172/2018 du 23 août 2018 consid. 4.2).

En toute hypothèse, la fixation de la contribution d'entretien relève de l'appréciation du juge, qui jouit d'un large pouvoir en la matière et applique les règles du droit et de l'équité (art. 4 CC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_892/2013 du 19 juillet 2014 consid. 4.4.3 et les références citées).

3.2.3 Bien que le juge doive prendre en compte, en principe, les revenus effectifs des parties, tant le débiteur d'entretien que le créancier peuvent se voir imputer un revenu hypothétique supérieur. Il s'agit ainsi d'inciter la personne à réaliser le revenu qu'elle est en mesure de se procurer et qu'on peut raisonnablement exiger d'elle afin de remplir ses obligations (ATF 143 III 233 consid. 3.2; 137 III 102 consid. 4.2.2.2).

Le juge doit ainsi examiner successivement deux conditions. Il doit d'abord déterminer si l'on peut raisonnablement exiger d'une personne qu'elle exerce une activité lucrative ou augmente celle-ci, eu égard, notamment, à sa formation, à son âge et à son état de santé; il s'agit d'une question de droit. Le juge doit ensuite établir si la personne a la possibilité effective d'exercer l'activité ainsi déterminée et quel revenu elle peut en obtenir, compte tenu des circonstances subjectives susmentionnées, ainsi que du marché du travail; il s'agit là d'une question de fait. Afin de déterminer si un revenu hypothétique doit être imputé, les circonstances concrètes de chaque cas sont déterminantes. Les critères dont il faut tenir compte sont notamment l'âge, l'état de santé, les connaissances linguistiques, la formation (passée et continue), l'expérience professionnelle, la flexibilité sur les plans personnel et géographique, la situation sur le marché du travail, etc. (arrêt du Tribunal fédéral 5A_297/2023 25 octobre 2023 consid. 5.1.1 et les réf. citées).  

3.3 En l'espèce, le jugement attaqué ne comporte pas d'exposé des faits exhaustif. L'état de faits a été complété ci-dessus dans la partie EN FAIT, dans la mesure utile à la solution du litige.

Par ailleurs, pour déterminer la pension alimentaire due entre époux, la décision entreprise – qui ne se réfère pas aux jurisprudences topiques en la matière – ne précise pas quelle méthode a été appliquée in casu. Dans la mesure où le jugement fait référence à un "niveau de vie correspondant à celui pouvant être mené en disposant d'un montant mensuel de 11'000 fr.", l'on imagine que le Tribunal a choisi d'appliquer la méthode du train de vie (sans toutefois expliquer pourquoi cette méthode devrait être privilégiée alors que les ressources des parties ont drastiquement baissé depuis 2022).

Or, la méthode du train de vie (à l'instar de la méthode concrète en deux étapes) implique un calcul concret, ce qui nécessite de connaître le budget réel des époux. La décision ne comporte cependant aucune indication relative aux charges des parties. L'on ignore dès lors de quelle manière le Tribunal a fixé à 11'000 fr. le train de vie de chacune des parties, étant relevé sur ce point que l'intimé avait allégué pour sa part des charges mensuelles totalisant environ 6'000 fr. depuis l'année 2022.

La décision critiquée ne se réfère pour le surplus à aucune jurisprudence ou doctrine s'agissant du revenu hypothétique plaidé par l'intimé en ce qui concerne une activité lucrative à exercer par son épouse. Le jugement n'expose pas non plus de manière motivée les raisons qui ont conduit le premier juge à considérer qu'il ne se justifiait pas d'imputer un revenu hypothétique à l'intéressée. En effet, celui-ci n'a pas examiné les éléments fixés par la jurisprudence à cet égard (état de santé concret, y compris nature et durée des limitations fonctionnelles alléguées, impact des éventuelles limitations fonctionnelles sur la capacité de travail, possibilité de travailler dans une activité adaptée aux éventuelles limitations fonctionnelles, etc.), étant relevé que le jugement attaqué ne fait notamment même pas mention du parcours professionnel de l'intimée et des éventuelles formations qu'elle aurait suivies.

Au vu de l'état de fait lacunaire de sa décision et de sa motivation très succincte et incomplète sur ces divers points, le Tribunal n'a pas satisfait à son devoir minimum d'examiner et de traiter les problèmes pertinents pour la solution du litige.

Le grief de violation du droit d'être entendu soulevé par l'intimé est dès lors fondé, ce qui conduit à l'annulation du chiffre 3 du dispositif du jugement querellé.

4. 4.1 Selon l'art. 318 al. 1 CPC, l'instance d'appel peut confirmer la décision attaquée, statuer à nouveau ou renvoyer la cause à la première instance, notamment lorsqu'un élément essentiel de la demande n'a pas été jugé (let. c ch. 1).

Selon le principe du double degré de juridiction, le tribunal cantonal supérieur ne peut pas trancher un litige avant que le tribunal inférieur ait statué (ATF
106 II 106 consid. 1a 99; Ia 317 consid. 4a). Le principe n'exclut cependant pas que l'instance de recours complète l'état de fait et statue à nouveau, pour autant que la cause ne doive pas être renvoyée au premier juge parce qu'un élément essentiel de la demande n'a pas été jugé ou car l'état de fait doit être complété sur des points essentiels (ATF 143 III 42 consid. 5.4).

Le choix de l'une des variantes prévues par l'art. 318 al. 1 CPC relève de l'appréciation de l'autorité de recours (arrêts du Tribunal fédéral 5A_424/2018 du 3 décembre 2018 consid. 4.2; 4A_460/2016 du 5 janvier 2017 consid. 1.3). Celle-ci doit examiner d'office si un renvoi en première instance se justifie et elle n'est pas liée, à ce sujet, par les conclusions des parties (Sörensen, Commentaire pratique, Droit matrimonial : Fond et procédure, n. 8 ad art. 318 CPC).

Dans la mesure où l'instance précédente a violé des garanties formelles de procédure, la cassation de sa décision demeure la règle, les justiciables pouvant, en principe, se prévaloir de la garantie du double degré de juridiction (ATF
137 I 195 consid. 2.3.2 et 2.7, in SJ 2011 I 345).

Un renvoi au premier juge se justifie en particulier si ce dernier a omis certaines allégations, en a considéré à tort certaines comme non pertinentes ou encore s'il a déclaré erronément des allégations non contestées ou notoires, ce qui l'a amené à procéder à une administration incomplète des moyens de preuves (arrêt du Tribunal fédéral 4A_417/2013 du 25 février 2014 consid. 5.2).

Il n'appartient en principe pas à l'autorité de recours d'établir les faits en lieu et place du premier juge. Le but du renvoi est aussi d'éviter aux parties des inconvénients du fait qu'une seule instance aurait tranché des questions importantes de fait et de droit (décision du Kantonsgericht Basel-Landschaft 400 13 153 du 13 août 2013 consid. 4.3).

4.2 En l'espèce, le Tribunal n'a pas mentionné, même brièvement, les motifs qui l'ont guidé sur certains points et n'a pas satisfait à son devoir minimum d'examiner et de traiter les problèmes pertinents, de sorte que l'intimé n'a pas été en mesure d'attaquer en connaissance de cause certains aspects du jugement qu'il conteste.

Par ailleurs, le premier juge n'a pas jugé utile d'ordonner à l'appelante de fournir des justificatifs complets permettant de déterminer l'état de sa fortune – dont le montant est contesté par chacune des parties – violant ainsi le droit à la preuve de l'intimé. Une instruction sur ce point apparaît d'autant plus importante qu'un rendement hypothétique de la fortune a été pris en compte dans les ressources de l'appelante.

Partant, la Cour ne peut pas exercer le contrôle dont elle est chargée par la loi en examinant si c'est à juste titre ou non qu'une contribution d'entretien de 5'100 fr. a été fixée en faveur de l'appelante.

Par conséquent, la cause sera renvoyée au Tribunal pour instruction complémentaire sur la situation financière de l'appelante puis nouvelle décision motivée, indiquant notamment les faits pertinents retenus à cet égard et les déductions juridiques qui en sont tirées.

Dès lors que la cause est renvoyée au premier juge pour nouvelle décision, il se justifie d'annuler également les chiffres 5 et 6 du dispositif du jugement entrepris. Il appartiendra au Tribunal de statuer sur l'ensemble des frais judiciaires et dépens de première instance dans le jugement qui sera rendu au terme de la procédure de renvoi.

5. Vu les circonstances du cas d'espèce et au regard des griefs soulevés en appel, la Cour renoncera à la perception de frais judiciaires d'appel, qui seront laissés à la charge de l'Etat de Genève (art. 107 al. 2 CPC). Il sera dès lors ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer aux parties l'avance de frais qu'elles ont chacune versée.

Compte tenu de la nature familiale du litige, chaque partie supportera ses propres dépens d'appel (art. 107 al. 1 let. f CPC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :


A la forme :

Déclare recevables les appels interjetés le 25 septembre 2023 par A______ et B______ contre le jugement JTPI/10325/2023 rendu le 13 septembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/13596/2022.

Au fond :

Annule les chiffres 3, 5 et 6 du dispositif du jugement attaqué.

Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

Confirme pour le surplus le jugement entrepris.

Sur les frais :

Renonce à la perception de frais judiciaires d'appel.

Ordonne aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer 2'000 fr. à A______ et 2'200 fr. à B______.

Dit que chaque partie supporte ses propres dépens d'appel.

Siégeant :

Madame Jocelyne DEVILLE-CHAVANNE, présidente; Madame
Verena PEDRAZZINI RIZZI, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges;
Madame Jessica ATHMOUNI, greffière.

 

 

 

 

 


 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.