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Décisions | Chambre civile

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C/19473/2020

ACJC/1320/2022 du 04.10.2022 sur JTPI/676/2022 ( OO ) , MODIFIE

Normes : CO.120
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19473/2020 ACJC/1320/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 4 OCTOBRE 2022

 

Entre

A______ SARL, sise ______[GE], appelante d'un jugement rendu par la 7ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 19 janvier 2022, comparant par Me Alexandre BÖHLER, avocat, KAISER BÖHLER, rue des Battoirs 7, case postale 284, 1211 Genève 4, en l'Etude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise ______[GE], intimée, comparant par Me Yves MERMIER, avocat, MONTAVON MERMIER VAZEY REALINI, rue du Nant 6, case postale 6509, 1211 Genève 6, en l'Etude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTPI/676/2022 du 19 janvier 2022, reçu le 25 janvier 2022 par A______ SARL, le Tribunal de première instance a débouté celle-ci des fins de sa demande à l'encontre de B______ SA (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 3'200 fr. (ch. 2), compensés avec l'avance de même montant fournie par A______ SARL et laissés à sa charge (ch. 3), ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de restituer 300 fr. à B______ SA (ch. 5), condamné A______ SARL à verser à celle-ci 3'000 fr. à titre de dépens (ch. 6) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 7).

B. a. Par acte expédié le 24 février 2022 au greffe de la Cour de justice, A______ SARL a formé appel de ce jugement, concluant à son annulation. Cela fait, elle a requis la condamnation de B______ SA à lui verser
49'039 fr. 30, avec intérêts à 5% dès le 9 décembre 2020, et le prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, sous suite de frais judiciaires et dépens.

b. B______ SA a conclu au rejet de cet appel et à la confirmation du jugement entrepris, sous suite de frais judiciaires et dépens.

c. Les parties ont été informées le 16 juin 2022 de ce que la cause était gardée à juger, A______ SARL ayant renoncé à répliquer par courrier du 14 juin 2022.

C. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. A______ SARL, sise 3______ à Genève jusqu'au 30 juillet 2015, puis ______[GE] à C______, a notamment pour but tous travaux de peinture, de décoration et d'entretien.

Du 27 mars 2013 au 30 juillet 2015, D______, ex-épouse de E______, en était l'associée gérante avec signature individuelle. Depuis le 30 juillet 2015, E______ en est l'associé gérant avec signature individuelle.

b. F______ SARL, sise 3______ à Genève jusqu'au 15 octobre 2015, puis auprès de la FIDUCIAIRE G______ à Genève, avait pour but tous travaux de rénovation et de transformation de bâtiments.

Du 29 juillet 2010 au 9 juin 2016, D______ en était l'associée gérante avec signature individuelle. Du 4 août 2015 au 9 juin 2016, E______ en était le directeur, puis, dès cette date, l'associé gérant avec signature individuelle.

F______ SARL a été dissoute par suite de faillite prononcée par jugement du ______ 2017.

c. B______ SA est notamment active dans les domaines de l'électricité, de la télécommunication, du multimédia et des réseaux d'entreprises.

H______ en est l'administrateur avec signature individuelle.

d. Entre 2014 et 2016, B______ SA a effectué des travaux sur trois chantiers gérés par E______, situés rue 5______, route 9______ et 4______, à Genève.

I______ est propriétaire des immeubles sis rue 4______ et rue 5______ et D______ est propriétaire de l'immeubles sis à la route 9______.

Les travaux ont été commandés par E______.

e. Il ressort du dossier que, jusqu'à la faillite de F______ SARL, la plupart des factures correspondant à ces travaux ont été adressées par B______ SA à cette dernière. Certaines factures concernant l'immeuble situé route 9______ ont été adressées à D______.

J______, assistante administrative de B______ SA, entendue comme témoin par le Tribunal, a déclaré ce qui suit au sujet du libellé du destinataire des factures précitées : "Au départ les factures devaient être établies au nom de F______ SARL. Monsieur E______ a ensuite demandé que les factures soient adressées au nom de son épouse Madame D______. Il y a eu ensuite des problèmes dans son couple et Monsieur E______ a demandé à ce que les factures soient mises au nom de A______ SARL. Monsieur E______ m'appelait directement pour effectuer ces changements. Je prenais le message et demandais une confirmation à Monsieur H______ avant de modifier le destinataire de la facture".

Il ressort des pièces produites que, à la demande de E______, le témoin a modifié deux factures datées des 26 avril et 28 novembre 2014, relatives à des travaux effectués sur l'immeuble de la route 9______, en indiquant D______ comme destinataire en lieu et place de F______ SARL.

f. Le 28 avril 2016, B______ SA a adressé à D______ une "facture d'acompte" en 32'400 fr. pour des travaux d'électricité dans l'immeuble de la route 9______.

g. A une date qui ne ressort pas du dossier, E______ et H______ ont convenu qu'A______ SARL effectuerait des travaux de peinture, réfection des sols et installation de vitrines dans les locaux de B______ SA.

B______ SA allègue que les précités se sont mis d'accord sur le fait que le prix de ces travaux serait compensé avec une somme de 41'668 fr. 68 qui lui restait encore due au titre des travaux effectués sur les trois immeubles susmentionnés précités en 2015 et 2016.

Lors de son audition par le Tribunal, H______ a indiqué que cette somme était composée à hauteur de 32'400 fr. par la "facture de demande d'acompte" adressée à D______ en avril 2016 qui n'avait pas été honorée. B______ SA avait encore effectué d'autres travaux par la suite, pour arriver à la somme totale de 40'000 fr.

A______ SARL conteste l'existence de l'accord décrit par sa partie adverse. Elle soutient que toutes les factures adressées à F______ SARL ont été réglées.

A ce sujet, le témoin J______ a déclaré ce qui suit : "j'ai appris dans le cadre de mon travail, en entendant les conversations téléphoniques entre Monsieur E______ et Monsieur H______, soit pendant, soit après la fin des travaux, que le paiement d'une partie de la facture de ces travaux devait être compensé avec d'anciennes factures ouvertes. Je précise que je n'ai entendu au téléphone qu'une partie des conversations. J'ai également compris qu'il y avait une compensation convenue en entendant les conversations entre Monsieur E______ et Monsieur H______ sur le chantier de notre nouvelle arcade".

h. Le 20 mars 2017, A______ SARL a adressé à B______ SA une facture n° 6______ pour un montant de 64'281 fr. 60 relative aux travaux qu'elle avait effectués.

i. Le 1er juin 2017, B______ SA a adressé à A______ SARL une facture n° 7______, portant sur les travaux "commandés par M. E______ de la Société A______" et effectués entre 2015 et 2016 sur les immeubles sis rue 5______, route 9______ et 4______, pour un montant de 41'668 fr. 85.

Cette facture mentionne qu'il s'agit d'une "facture finale suite à la demande d'acompte ( ) du 28.04.16 impayée à ce jour".

j. Par courrier du 5 août 2017, la FIDUCIAIRE G______ a fait savoir à B______ SA qu'elle était mandatée par A______ SARL pour le différend entre les parties "suite à [leurs] travaux respectifs". Elle relevait que l'intégralité des prestations de B______ SA avait toujours été honorée et que sa cliente était surprise de son positionnement actuel sur le règlement de sa facture.

B______ SA avait reçu une facture de la part d'A______ SARL pour de travaux en 64'281 fr. 60 et elle avait adressé à cette dernière une facture pour ses prestations en différents lieux de 41'668 fr. 85 A______ SARL lui rappelait que tous les travaux effectués à la route ______[GE] avaient été réalisés pour le compte de D______, comme l'attestaient les factures précédentes et le contrôle réalisé par les SIG.

Toutefois, afin de clore ce différent, elle proposait à B______ SA de s'acquitter de la différence entre les deux prestations, soit 22'612 fr. 75 dès réception du courrier. A défaut, une procédure de recouvrement serait initiée pour l'intégralité de la prestation d'A______ SARL.

k. Par courrier du 15 décembre 2017 de la K______ a informé B______ SA de ce qu'elle ne souhaitait pas d'arrangement ou de compensation de factures sur les prestations qu'elle avait effectuées et qu'un ultime délai d'une semaine lui était accordé pour s'acquitter de la facture n° 6______ du 20 mars 2017.

l. Début 2018, un litige a opposé les parties sur la qualité des travaux effectués par A______ SARL dans les locaux de B______ SA (C/8______/2018).

Par jugement du 19 novembre 2019, le Tribunal a débouté B______ SA de sa demande en paiement des frais de réparation de l'ouvrage de 17'763 fr. 85, intérêts en sus, en raison de la tardiveté de l'avis des défauts.

m. Le 19 février 2018, A______ SARL a fait notifier à B______ SA un commandement de payer, poursuite n° 2______, pour un montant de 64'281 fr. 60, avec intérêts à 5% dès le 21 mars 2017, auquel cette dernière a formé opposition.

n. Par courrier du 29 juin 2020, A______ SARL a réclamé à B______ SA le paiement de 64'281 fr. 60, conformément à sa facture n° 6______ du 20 mars 2017.

o. Le 4 août 2020, B______ SA s'est prévalue de la compensation avec sa créance de 41'668 fr. 85, conformément à sa facture n° 7______ du 1er juin 2017.

p. Le 19 août 2020, A______ SARL a refusé toute compensation, au motif que la facture susvisée concernait F______ SARL, seule cocontractante de B______ SA. De plus, D______ était seule débitrice des travaux réalisés à la route 9______.

q. Le 8 décembre 2020, B______ SA s'est acquittée de 27'112 fr. 40 en mains d'A______ SARL, correspondant selon elle au solde dû après compensation des créances (64'281 fr. 60 - 30'181 fr. 85 dus pour les travaux effectués dans l'immeuble sis 4______ - 6'987 fr. 35 dus pour ceux effectués dans l'immeuble sis 5______). B______ SA a indiqué renoncer, par gain de paix, au montant de 4'490 fr. 05 dû pour les travaux effectués dans les immeubles sis route 9______.

r. Le 18 février 2021, A______ SARL a fait notifier à B______ SA un commandement de payer, poursuite n° 1______, pour un montant de 49'039 fr. 30, avec intérêts à 5% dès le 9 décembre 2020. J______ a réceptionné ce commandement de payer pour le compte de B______ SA. Opposition y a été formée.

D. a. Par acte du 1er mars 2021, A______ SARL a assigné B______ SA en paiement de la somme de 49'039 fr. 30, avec intérêts à 5% dès le 9 décembre 2020, et a requis le prononcé de la mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, sous suite de frais judiciaires et dépens.

Elle a allégué que B______ SA ne s'était pas acquittée du prix des travaux qu'elle avait exécutés dans ses locaux. La créance que celle-ci faisait valoir en compensation de ce paiement portait sur des travaux effectués pour le compte de D______ et F______ SARL, comme attesté par les factures émises. La condition de réciprocité faisait donc défaut ce qui excluait la prise en compte de la compensation.

Concernant le calcul de la créance, elle a expliqué que le prix des travaux en 64'281 fr. 60 était exigible au 1er avril 2017. En tenant compte des intérêts courus et du versement de B______ SA effectué le 8 décembre 2020, le solde encore dû était de 49'039 fr. 30, montant portant intérêts à 5% dès le 9 décembre 2020.

b. B______ SA a conclu au déboutement d'A______ SARL de toutes ses conclusions.

Elle a allégué que les parties s'étaient entendues pour compenser leurs créances respectives. Après paiement du montant de 27'112 fr. 40, elle ne devait plus rien à A______ SARL.

Elle a produit un extrait du registre des poursuites de E______ daté du 22 avril 2021 duquel il ressort que celui-ci faisait l'objet de nombreuses poursuites en 2017, dont notamment des actes de défaut de biens émis en 2015 et 2016 pour un montant supérieur à 450'000 fr. B______ SA a également fourni un extrait des poursuites d'A______ SARL à teneur duquel celle-ci ne faisait l'objet d'aucune poursuite en 2017.

c. Lors de l'audience du Tribunal du 28 septembre 2021, A______ SARL, représentée par E______, a déclaré que les travaux exécutés par B______ SA dans les immeubles sis rue 5______ et rue 4______ avaient été facturés à F______ SARL, qui s'était acquittée de toutes les factures émises. Les travaux effectués dans l'immeubles sis route 9______ avaient été facturés à D______ et E______ ignorait si celle-ci les avait payés.

Les parties n'avaient conclu aucun accord portant sur une compensation entre les travaux exécutés par B______ SA et ceux effectués par A______ SARL.

B______ SA, représentée par H______, a déclaré que E______ lui avait commandé, pour son propre compte, les travaux effectués dans les immeubles susvisés. Les premières factures avaient été établies au nom de F______ SARL sur instruction de ce dernier. Les parties avaient oralement convenu que les travaux exécutés par A______ SARL dans ses locaux seraient compensés avec les factures que E______ devait encore payer. A réception de la facture du 20 mars 2017, H______ avait donc appelé ce dernier pour compenser cette facture avec les montants encore dus. Il n'était pas concevable que B______ SA commande des travaux à E______, alors qu'il était encore débiteur de plusieurs factures, sans vouloir compenser celles-ci.

d. Dans leurs déterminations écrites du 5 novembre 2021, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

e. Le Tribunal a gardé la cause à juger quinze jours après avoir transmis les déterminations susvisées le 8 novembre 2021.

EN DROIT

1. 1.1 Le jugement querellé est une décision finale de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC), rendue dans une affaire patrimoniale dont la valeur litigieuse au dernier état des conclusions était supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC), de sorte que la voie de l'appel est ouverte.

1.2 Déposé dans le délai utile et selon la forme prescrite par la loi (art. 130 al. 1, 131 et 311 al. 1 CPC), l'appel est recevable.

2. La Cour revoit la cause en fait et en droit avec un plein pouvoir d'examen
(art. 310 CPC), mais uniquement dans la limite des griefs motivés qui sont formulés (ATF
142 III 413 consid. 2.2.4). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_55/2017 du 16 juin 2017 consid. 5.2.3.2).

Elle applique la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

3. Le Tribunal a estimé que la distinction entre l'appelante, F______ SARL et les animateurs de celles-ci pouvait être difficile à effectuer, mais que la question de savoir si l'invocation par l'appelante de "l'indépendance entre ces sociétés rele[vait] de l'abus de droit", pouvait rester indécise. Les allégations de l'intimée étaient convaincantes et il convenait de considérer comme établi que les parties s'étaient mises d'accord sur le fait que les travaux d'une valeur de 64'281 fr. 60 effectués par l'appelante n'avaient pas à être acquittés à hauteur du montant des factures ouvertes de l'intimée en 41'668 fr. 85. Il paraissait inconcevable que celle-ci ait accepté de commander des travaux pour environ 60'000 fr. à l'appelante, alors qu'une société gérée par le même animateur venait de tomber en faillite et restait lui devoir quelques 40'000 fr. et que l'ayant droit économique de ces sociétés était lui-même dans une situation financière fortement obérée. Ces allégations étaient confirmées par les déclarations de l'assistante administrative de l'intimée et par le courrier de la FIDUCIAIRE G______ du 5 août 2017. L'appelante n'avait pas établi que F______ SARL ne devait plus rien à l'intimée alors que cela aurait pu aisément être démontré par pièces.

L'appelante fait valoir que la facture opposée en compensation par l'intimée ne la concerne pas puisque celle-ci a indiqué qu'il s'agissait de la demande d'acompte adressée à D______. La lettre de la FIDUCIAIRE G______ ne constituait pas une reconnaissance de la créance opposée en compensation; il s'agissait d'une proposition d'arrangement soumise à la condition que le paiement de l'intimée ait lieu dès réception de la lettre, ce qui n'a pas été le cas. Ce courrier spécifiait qu'à défaut de paiement une procédure de recouvrement serait entamée, ce qui avait été fait. Le témoignage de J______ devait être pris avec réserve car celle-ci était employée de l'intimée. Ses déclarations étaient en outre imprécises et peu convaincantes. L'intimée n'avait jamais allégué que la distinction entre l'appelante, F______ SARL et leurs animateurs était difficile à effectuer de sorte que, en application de la maxime des débats, le Tribunal ne pouvait pas retenir cet élément. La version de l'intimée n'était pas crédible; il était inconcevable que l'appelante accepte d'effectuer des travaux gratuitement pour régler les factures d'une autre société en faillite car cela n'aurait eu aucune conséquence dans le cadre de la faillite.

3.1.1 Aux termes de l'art. 120 al. 1 CO, lorsque deux personnes sont débitrices l'une envers l'autre de sommes d'argent ou d'autres prestations de même espèce, chacune des parties peut compenser sa dette avec sa créance, si les deux dettes sont exigibles.

La compensation exige un rapport de réciprocité entre deux personnes, qui sont débitrices l'une envers l'autre. En d'autres termes, celles-ci doivent être à la fois débitrices et créancières l'une de l'autre. Cette réciprocité doit exister au moment où la compensation est invoquée, mais pas nécessairement dès la naissance des prétentions en cause. En dehors de ce rapport de réciprocité, la compensation est exclue: le débiteur ne peut compenser en invoquant sa propre créance contre un tiers. Seul le critère juridique est relevant pour juger de l'existence ou non du rapport de réciprocité, à l'exclusion d'autres critères comme celui de l'unité économique. Il n'est ainsi pas possible de compenser la créance d'une société anonyme à actionnaire unique avec une créance contre ce dernier, sous réserve d'un abus de droit (Durchgriff) (Jeandin/Hulliger, Commentaire romand CO I, 2021, n° 2 et 3 ad art. 120 CO).

Selon le principe de la transparence (Durchgriff), on ne peut pas s'en tenir sans réserve à l'existence formelle de deux personnes juridiquement distinctes lorsque tout l'actif ou la quasi-totalité de l'actif d'une société anonyme appartient soit directement, soit par personnes interposées, à une même personne, physique ou morale; malgré la dualité de personnes à la forme, il n'existe pas des entités indépendantes, la société étant un simple instrument dans la main de son auteur, qui, économiquement, ne fait qu'un avec elle; on doit dès lors admettre, à certains égards, que, conformément à la réalité économique, il y a identité de personnes et que les rapports de droit liant l'une lient également l'autre; ce sera le cas chaque fois que le fait d'invoquer la diversité des sujets constitue un abus de droit ou a pour effet une atteinte manifeste à des intérêts légitimes (ATF 121 III 319 consid. 5; Chappuis, Commentaire romand, n. 58 art. 2 CC).

L'art. 120 al. 2 CO habilite le débiteur à opposer la compensation alors même que sa propre prétention est contestée; le compensé conserve toutefois la possibilité de remettre en cause la compensation, ce qu'il fera en contestant l'existence ou la quotité de la créance compensante, voire la réalisation de telle ou telle autre condition nécessaire. L'effet compensatoire n'intervient alors que dans la mesure où l'incertitude est ultérieurement levée par le juge, charge au compensant d'apporter la preuve de son droit de compenser, ou à tout le moins de le rendre vraisemblable, ce qui dépendra du cadre procédural dans lequel l'exception de compensation est soulevée (Jeandin/Hulliger, Commentaire romand, n. 19 art. 120 CO).

3.1.2 Selon l'art. 175 al. 1 CO, la promesse faite à un débiteur de reprendre sa dette oblige le reprenant à le libérer soit en payant le créancier, soit en se chargeant de la dette du consentement de celui-ci.

A teneur de l'art. 176 al. 1 CO, le remplacement de l'ancien débiteur et sa libération s'opèrent par un contrat entre le reprenant et le créancier. L'offre de conclure ce contrat peut résulter de la communication faite au créancier par le reprenant ou, avec l'autorisation de celui-ci, par l'ancien débiteur, de la convention intervenue entre eux (al. 2).

3.1.3 Toute personne qui propose à une autre la conclusion d'un contrat en lui fixant un délai pour accepter, est liée par son offre jusqu'à l'expiration de ce délai (art. 3 al. 1 CO). Elle est déliée, si l'acceptation ne lui parvient pas avant l'expiration du délai (al. 2).

3.1.4 Tant pour déterminer si un contrat a été conclu que pour l'interpréter, le juge doit tout d'abord s'efforcer de déterminer la commune et réelle intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO; ATF 144 III 93 consid. 5.2.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_431/2019 du 27 février 2020 consid. 5.1). Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté - écrites ou orales -, mais aussi le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté des parties, qu'il s'agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat, des projets de contrat, de la correspondance échangée ou encore de l'attitude des parties après la conclusion du contrat, établissant quelles étaient à l'époque les conceptions des contractants eux-mêmes (ATF 140 III 86 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_152/2017 du 2 novembre 2017 consid. 4.1).

Si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties - parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes - ou s'il constate qu'une partie n'a pas compris la volonté exprimée par l'autre à l'époque de la conclusion du contrat (ATF 131 III 280 consid. 3.1) - ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu'elle l'affirme en procédure, mais doit résulter de l'administration des preuves -, il doit recourir à l'interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d'après les règles de la bonne foi, chacune d'elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l'autre (application du principe de la confiance) (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; 130 III 417 consid. 3.2).

3.1.5 Dans un procès soumis à la maxime des débats, il incombe aux parties d'alléguer et de prouver les faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et de produire les preuves qui s'y rapportent (art. 55 al. 1 CPC).

3.2 En l'espèce, l'intimée allègue que, au moment où elle a reçu la facture de l'appelante de mars 2017, elle était elle-même créancière de celle-ci au titre, notamment, d'une facture d'acompte de 32'400 fr. adressée à D______ en avril 2016 qui n'avait pas été honorée.

La condition de la réciprocité prévue par l'art. 120 al. 1 CO n'est ainsi pas réalisée en ce qui concerne ces 32'400 fr. puisque c'est D______, et non l'appelante, qui était débitrice de ce montant.

Quant au solde de la facture, en 9'268 fr. 85 (41'668 fr. 85 – 32'400 fr.), l'intimée a indiqué qu'il concernait des travaux effectués par la suite, sans préciser pour le compte de qui exactement lesdits travaux avaient été exécutés. Dans la mesure où il n'est pas allégué que l'appelante aurait commandé des travaux à l'intimée sur les trois immeubles concernés, il peut être retenu en tout état de cause que l'appelante n'était pas débitrice de ce montant.

Il résulte de ce qui précède que, lorsque l'appelante a effectué des travaux pour l'intimée, celle-ci n'avait pas de créance à son égard.

L'effet de la compensation invoquée par l'intimée ne peut dès lors se produire qu'à la condition que l'appelante ait accepté de reprendre tant la dette de D______ que celle du tiers débiteur du solde de la facture.

Or, aucun élément du dossier ne permet de retenir qu'un accord de volontés en ce sens soit parvenu à chef. Un tel accord aurait impliqué l'existence d'une convention de reprise de dette entre D______ et le tiers débiteur du solde de la facture. La conclusion d'une telle convention n'a été ni alléguée, ni établie.

Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, le courrier de la FIDUCIAIRE G______ ne peut pas être interprété en ce sens que l'appelante acceptait de compenser ses prétentions avec la créance invoquée par sa partie adverse.

Il ressort en premier lieu de la formulation de ce courrier qu'il est intervenu à un moment où les parties étaient en litige sur le règlement de leurs factures respectives. En août 2017, l'appelante ne reconnaissait ainsi pas être débitrice de la facture de l'intimée, contrairement aux allégations de celle-ci selon lesquelles un accord était intervenu entre les parties sur une compensation de créances.

L'appelante, par l'intermédiaire de sa représentante, précisait en outre que c'était D______, et non elle-même, qui était débitrice des travaux effectués à la route 9______. Cette formulation permet de retenir que l'appelante n'entendait pas reprendre la dette de D______.

En proposant à l'intimée de lui verser la différence entre les deux factures, l'appelante s'est limitée à formuler une offre transactionnelle, destinée à mettre un terme au litige survenu entre les parties. Cette offre était assortie de la condition selon laquelle le montant de 22'612 fr. 75 devait être versé "dès réception du courrier".

Cette offre n'a cependant pas été acceptée par l'intimée puisque celle-ci n'a pas versé le montant précité dès réception du courrier de l'appelante. Le versement n'est en effet intervenu que plusieurs années plus tard.

A défaut d'acceptation de son offre dans le délai imparti, l'appelante n'était plus liée par celle-ci. Elle était dès lors en droit, comme elle l'avait indiqué dans son courrier, de réclamer le paiement de l'entier de sa facture, ce qu'elle a fait.

L'existence d'un accord de la part de l'appelante portant sur une reprise de dette et sur une compensation de créances n'est pas non plus établie par le témoignage de J______.

En effet, ce témoignage doit être apprécié avec réserve, compte tenu du fait que le témoin est employée de l'intimée. C'est en particulier le témoin qui a réceptionné, au nom de l'intimée, le commandement de payer notifié le 18 février 2021 à celle-ci par l'appelante.

A cela s'ajoute que les conversations entre E______ et H______, que le témoin a indiqué avoir entendues se sont déroulées en partie par téléphone, de sorte que le témoin n'a pas pu saisir exactement la teneur des propos tenus par E______. Lesdites conversations remontent en outre à plusieurs années, ce qui est de nature à diminuer la fiabilité de ses souvenirs.

Le témoin a en particulier fait état de ce que E______ lui avait demandé de mettre plusieurs factures au nom de l'appelante ("les factures"). Or, à teneur du dossier, seule la facture de juin 2017, établie après la fin des travaux effectués par l'intimée, a été adressée à l'appelante.

Celle-ci a en outre rapidement fait savoir à l'intimée qu'elle la contestait puisque le courrier de la FIDUCIAIRE G______ du 5 août 2017 atteste de l'existence, à cette date, d'un différend entre les parties au sujet du paiement de leurs travaux respectifs.

Le témoin n'a de plus pas été à même d'indiquer à hauteur de quels montant la compensation qu'elle a mentionnée devait intervenir, selon l'accord prétendument conclu entre les intéressés.

Les déclarations du témoin J______ ne sont ainsi pas suffisamment fiables, complètes et précises pour retenir qu'elles suffisent à apporter à elles seules la preuve de ce que l'appelante a accepté de reprendre en totalité la dette relative aux travaux effectués par l'intimée sur les immeubles situés rue 5______, route 9______ et rue 4______.

Il n'est pas non plus établi que les parties se sont mises d'accord pour que le montant de la facture de l'intimée soit déduit du montant de la facture de l'appelante.

La condition de la réciprocité des créances n'étant pas réalisée, c'est à tort que le Tribunal a considéré que l'intimée pouvait se prévaloir avec succès de la compensation.

Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, la version de l'intimée, selon laquelle elle n'aurait jamais accepté de confier des travaux pour plus de 60'000 fr. à l'appelante en raison de la faillite de F______ SARL et de la situation obérée de E______ n'est pas particulièrement crédible. L'appelante ne faisait en effet l'objet d'aucune poursuite en 2017. Il n'est par ailleurs pas allégué que D______, débitrice principale de la facture litigieuse faisait l'objet de poursuites.

L'on ne voit d'ailleurs pas ce que l'appelante et/ou E______ auraient eu à gagner à reprendre la dette d'une société en faillite.

L'intimée n'a pas allégué que les conditions d'applications du principe de la transparence (Durchgriff) étaient réalisées en l'espèce. Tel n'est d'ailleurs pas le cas, à teneur des pièces du dossier. Il n'y a en effet aucun motif de considérer que E______ se prévaut de manière abusive du fait que l'appelante a une personnalité juridique différente de la sienne ou de celle de F______ SARL. En tout état de cause, cela ne confirmerait pas la thèse de l'intimée car il n'est pas établi que E______ ou F______ SARL serait personnellement débiteur de la facture de l'intimée du 1er juin 2017.

Le fait que l'appelante n'ait pas établi que F______ SARL ne restait rien devoir à l'intimée est quant à lui dénué de pertinence. Celle-ci n'était pas la destinataire de la "demande d'acompte" adressée à D______ en avril 2016. L'intimée n'a de plus jamais allégué avoir envoyé une facture à F______ SARL pour les travaux figurant dans sa facture de juin 2017 de sorte que l'on voit mal comment l'appelante pouvait établir par pièce qu'une facture inexistante avait été payée.

Il résulte de ce qui précède que l'intimée n'a pas démontré avoir une créance à l'encontre de l'appelante du fait des travaux qu'elle a exécutés en 2015 et 2016 sur les immeubles sis rue 5______, rte 9______ et rue 4______.

Elle ne peut dès lors pas valablement compenser les prétentions de l'appelante avec la facture qu'elle a émise le 1er juin 2017 au titre des travaux précités.

Le chiffre 1 du dispositif du jugement querellé sera dès lors annulé.

L'intimée n'a pas critiqué de manière motivée la quotité du montant réclamé par l'appelante, se limitant à faire valoir que la créance de celle-ci était éteinte par compensation. Elle n'a pas non plus contesté le point de départ des intérêts moratoires réclamés par l'appelante.

L'intimée sera dès lors condamnée à verser à l'appelante le montant de
49'039 fr. 30, avec intérêts à 5% l'an dès le 9 décembre 2020, conformément aux conclusions de celle-ci.

La mainlevée définitive de l'opposition formée au commandement de payer poursuite n° 1______ sera en outre prononcée.

4. Les frais de première et seconde instance seront mis à la charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 et 318 al. 3 CPC).

4.1 Les frais judiciaires de première instance seront arrêtés à 3'200 fr. et compensés avec l'avance du même montant versée par l'appelante, acquise à l'Etat de Genève (art. 17 RTFMC, 111 CPC). L'intimée sera condamnée à verser le montant précité à l'appelante.

Les dépens dus à cette dernière seront fixés à 6'800 fr. débours et TVA inclus (art. 84 et 85 RTFMC).

Les chiffres 2 à 4 et 6 du dispositif du jugement querellé seront dès lors annulés.

Le chiffre 5, portant sur la restitution à B______ SA du montant de 300 fr., sera quant à lui confirmé.

4.2 Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 2'700 fr. (art. 17 et 35 RTFMC) et compensés avec l'avance de même montant versée par l'appelante, acquise à l'Etat de Genève. L'intimée sera condamnée à verser 2'700 fr. à l'appelante au titre des frais judiciaires.

Elle sera en outre condamnée à lui payer 3'500 fr. titre de dépens d'appel (art. 84, 85 al. 1 et 90 RTFMC; art. 23 al. 1 LaCC), débours et TVA compris (art. 25 et
26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 24 février 2022 par A______ SARL contre le jugement JTPI/676/2022 rendu le 19 janvier 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19473/2020.

Au fond :

Annule les chiffres 1 à 4 et 6 du dispositif du jugement querellé et statuant à nouveau :

Condamne B______ SA à verser à A______ SARL 49'039 fr. 30 avec intérêts à 5% l'an dès le 9 décembre 2020.

Met à la charge de B______ SA les frais judiciaires de première instance arrêtés à 3'200 fr. et compensés avec l'avance versée par A______ SARL, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ SA à verser 3'200 fr. à A______ SARL au titre des frais judiciaires de première instance.

Condamne B______ SA à verser 6'800 fr. à A______ SARL au titre des dépens de première instance.

Confirme le jugement querellé pour le surplus.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Met à la charge de B______ SA les frais judiciaires d'appel arrêtés à 2'700 fr. et compensés avec l'avance versée par A______ SARL, acquise à l'Etat de Genève.

Condamne B______ SA à verser 2'700 fr. à A______ SARL au titre des frais judiciaires d'appel.

 

 

Condamne B______ SA à verser 3'500 fr. à A______ SARL au titre des dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Monsieur Patrick CHENAUX,
Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Gladys REICHENBACH, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Gladys REICHENBACH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.