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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3342/2018

ACPR/258/2019 du 01.04.2019 sur OMP/7592/2018 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CAPACITÉ D'ÊTRE PARTIE; PLAIGNANT; LÉSÉ ; PRÉVENU ; INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; BLANCHIMENT D'ARGENT ; GESTION DÉLOYALE ; CONSULTATION DU DOSSIER ; CODE DE PROCÉDURE CIVILE SUISSE ; ABUS DE DROIT
Normes : CPP.382.al1; Cst.29.al2; CPP.118.al1; CPP.119; CPP.115.al1; CP.305bis; CP.158; CPP.107.al1.leta; CPP.108.al1.leta

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3342/2018 ACPR/258/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 1er avril 2019

Entre

A______, domicilié ______, Genève, comparant par Me Louis BURRUS, avocat, Schellenberg Wittmer SA, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1,

recourant,

 

contre l'ordonnance rendue le 5 juin 2018 par le Ministère public,

 

et

B______ SA, dont le siège est à ______, ______, Libéria, comparant par Me N______, avocat, ______, avenue ______, Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le 18 juin 2018, A______ recourt contre l'ordonnance du 5 juin 2018, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a confirmé la qualité de partie plaignante de B______ SA (ci-après: B______).

À titre provisionnel, le recourant conclut à la suspension des prérogatives attachées à la qualité de partie plaignante de B______.

Au fond, le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce qu'il soit dit que B______ n'a pas qualité de partie plaignante à la procédure. Subsidiairement, le recourant conclut au constat de la violation de son droit d'être entendu et au renvoi de la cause au Ministère public pour nouvelle décision sur le droit de B______ d'accéder au dossier de la procédure, plus subsidiairement à ce que cet accès soit refusé, voire limité aux pièces relatives à une relation bancaire seulement.

b. Par ordonnance du 20 juin 2018 (OCPR/17/2018), la Direction de la procédure de la Chambre de céans a fait interdiction au Ministère public, à titre provisionnel, d'accorder à B______ l'accès à la procédure P/3342/2018 jusqu'à droit connu sur le recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 18 février 2018, B______, société active dans le commerce maritime, ainsi que son administratrice C______, ont déposé plainte contre A______ du chef de gestion déloyale aggravée et de blanchiment d'argent. Elles y déclarent se constituer parties plaignantes et souhaiter prendre des conclusions civiles en réparation du dommage subi.

b. À l'appui de leur plainte, elles ont allégué les faits suivants:

b.a. En 1997, la famille D______, d'origine grecque, avait confié la gestion des affaires d'achat, vente, gestion et courtage de navires qu'elle possédait - chaque navire étant détenu par une société dédiée - à A______.

L'accord passé en 1997 avait été confirmé par une nouvelle convention du 1er mai 2000, à laquelle C______, A______, son frère E______ et B______ (représentée alors par A______ en sa qualité de director) étaient parties. En préambule, il était indiqué que C______ souhaitait développer ses activités dans le transport maritime et faisait appel dans ce cadre à l'expérience et aux compétences de A______. B______ était présentée comme la Management Company gérant les navires qui seraient acquis par C______. Cette convention prévoyait une rémunération pour A______ de 10% des bénéfices annuels nets et de 10% des bénéfices réalisés sur chaque vente de navire.

b.b. Dès 1997, A______ avait fonctionné comme administrateur de certaines sociétés détenant et opérant les navires.

b.c. Dans le cadre de ses activités, A______ avait toujours mandaté F______ (ci-après: F______) en qualité de courtier exclusif (exclusive broker). Cette société était détenue par G______, présenté dans la plainte comme le "courtier de référence" de la famille D______ et de B______.

b.d. B______, soit pour elle A______, gérait les acquisitions et ventes de navires par le biais de sociétés dédiées à chaque navire.

Lors de chaque vente, B______ versait à F______ une commission de courtage - oscillant entre 1.75% et 3% du prix de vente - que celle-ci versait pour moitié au courtier de l'acquéreur au titre de split-commission.

Lors de chaque acquisition, le courtier du vendeur transmettait la moitié de sa propre commission à F______ au titre de split-commission, que celle-ci versait également pour moitié à B______.

b.e. En 2012, C______ et A______ avaient acquis chacun pour moitié le capital-actions de F______, renommée H______. Ils avaient ensuite décidé de liquider la société. Nommée liquidatrice, C______ avait, en 2015, consulté les archives de F______ et découvert divers relevés bancaires démontrant que, pour chaque transaction de vente ou d'achat, F______ reversait un pourcentage de sa propre commission à A______. Ce dernier avait ainsi, à son insu et à celui de B______, mandaté exclusivement F______ en qualité de courtier, sans se soucier de trouver un autre courtier présentant une offre plus avantageuse, dans le seul but de toucher une partie de la commission.

b.f. Ces rétrocessions avaient été versées par F______ depuis une relation ouverte auprès de la banque I______ sur une relation bancaire dont A______ était titulaire auprès de la banque J______, enregistrée sous la référence "K______", puis transférés sur des relations bancaires en Suisse dont A______ était titulaire ou ayant droit économique.

c. Après avoir adressé des ordres de dépôt à divers établissements bancaires, le Ministère public a, le 17 avril 2018, ordonné l'ouverture d'une instruction contre A______ pour blanchiment d'argent.

d. Le 18 avril 2018, le Ministère public a ordonné le séquestre, à concurrence de USD 550'000.-, des avoirs déposés sur une relation bancaire à Genève dont A______ est l'ayant droit économique.

e. Le 16 mai 2018, A______ a requis du Ministère public qu'il rejette la qualité de partie plaignante de B______ et C______, subsidiairement qu'il refuse ou limite leur accès au dossier. Les plaignantes n'avaient pas démontré que les faits reprochés constituaient une infraction en droit pénal grec, ni en quoi ils avaient porté atteinte à leurs droits patrimoniaux. Elles cherchaient en outre à instrumentaliser la justice pénale pour rassembler des moyens de preuve à l'appui de la requête en conciliation déposée le même jour que leur plainte auprès du Tribunal de première instance à Genève, au contenu identique. Enfin, elles avaient recouru à des procédés illégaux pour obtenir des copies de courriers électroniques de nature privée, ce qui avait été constaté par les enquêteurs privés auteurs d'un rapport produit à l'appui de la plainte.

f. Invité à préciser ses allégations quant à la mise en oeuvre de procédés illégaux, A______ a produit un extrait du rapport en question, qui permettait de constater que les enquêteurs privés étaient "pleinement conscients de l'illégalité des procédés utilisés".

g. Invitées à se déterminer sur la requête de A______, B______ et C______ ont, le 25 mai 2018, conclu à son rejet, se référant pour l'essentiel au contenu de leur plainte pénale. Un avis de droit retenait que les agissements reprochés à A______ étaient constitutifs, en droit grec, de violation du rapport fiduciaire (art. 390 du Code pénal grec) et d'escroquerie (art. 386 du Code pénal grec).

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a considéré qu'au stade actuel de l'enquête, il ne s'agissait pas de tenir l'origine criminelle des fonds concernés pour établie, mais de se satisfaire de la vraisemblance des soupçons évoqués. Or, il ressortait des éléments de la procédure que B______ avait été directement touchée par les agissements reprochés à A______, si bien que sa qualité de partie plaignante devait être confirmée, "avec toutes les prérogatives qui lui [étaient] attachées". Par contre, la qualité de partie plaignante de C______ lui était retirée, celle-ci n'ayant pas été directement touchées par les agissements reprochés.

D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient que l'admission de B______ en qualité de partie plaignante péjorait "nécessairement" sa situation, tant celle-ci avait déjà confirmé son intention d'utiliser les pièces de la procédure pénale dans la procédure civile intentée en parallèle, si bien qu'il disposait d'un intérêt juridiquement protégé, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, à obtenir l'annulation de l'ordonnance querellée.

Il reproche au Ministère public d'avoir violé son droit d'être entendu en ne statuant pas sur les conclusions de sa requête du 16 mai 2018 relatives à l'accès au dossier, et en s'abstenant de lui transmettre les déterminations du 25 mai 2018 avant de rendre l'ordonnance querellée. Conscient que la Chambre de céans pouvait réparer ladite violation, il réitère par devant elle ses précédentes conclusions relatives à l'accès au dossier.

Sur le fond, A______ prétend avoir été engagé par B______ en tant qu'employé et non mandataire, ainsi que cela ressortait d'un avis de droit grec produit à l'appui de son recours. B______ n'était pas partie aux différentes transactions sur les navires dans le cadre desquelles les commissions litigieuses étaient intervenues et n'avait dès lors pas démontré avoir subi une atteinte directe du fait des agissements reprochés. Seules les parties auxdites transactions, soit les sociétés propriétaires des navires, voire le courtier G______, pouvaient en toute hypothèse avoir subi une diminution de leur patrimoine et se voir ainsi reconnaître la qualité de lésées.

B______ n'avait pas subi de dommage dans le cadre des transactions en question et ne pouvait ainsi être lésée par l'infraction de gestion déloyale (art. 158 CP) comme préalable au blanchiment d'argent. Il n'avait lui-même pas les compétences de fixer seul les prix des commissions, qui faisaient l'objet de négociations entre les courtiers du vendeur et de l'acheteur, puis étaient décidés en dernier lieu par la famille D______. B______ n'alléguait pas qu'il aurait cherché à l'induire en erreur quant à la conformité du prix proposé avec celui du marché.

Selon l'avis de droit grec produit dans le recours, le dommage était également une condition essentielle des infractions prévues aux art. 386 et 390 du Code pénal grec, lesquelles n'étaient dès lors pas réalisées en l'espèce et ne pouvaient constituer le crime préalable au blanchiment d'argent.

Enfin, B______ abusait de son droit d'accéder au dossier pénal afin d'obtenir des pièces, notamment bancaires, utiles à son action civile. Elle avait, dans ce cadre, tu l'existence d'un accord qu'il avait conclu en octobre 2005 avec C______ notamment, par lequel ils liquidaient l'intégralité de leurs rapports contractuels et soldaient leurs dettes respectives - y compris celles issues de la relation contractuelle avec B______ -, et ce à une époque où C______ était pourtant pleinement informée des commissions qu'il avait perçues. B______ avait en outre eu recours à des investigateurs privés pour accéder à ses courriers électroniques privés, en usant de techniques qui "n'étaient pas stricto sensu légales". Dans tous les cas, un accès limité à la documentation bancaire relative à la relation bancaire ayant fait l'objet d'un séquestre pénal s'imposait, compte tenu du fait qu'il se trouvait en relation de concurrence avec B______ et C______, par l'intermédiaire de la société L______ Sàrl, active dans le commerce maritime et dont il était associé gérant. Subsidiairement, cet accès devait être limité en fonction de plusieurs critères, dont notamment le caractère privé des documents ou la fin de son contrat de travail avec B______.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. La reconnaissance de B______ en qualité de partie plaignante emportait le droit de consulter le dossier. La conclusion, dans la requête du 16 mai 2018, visant la limitation de cette consultation n'était motivée ni en fait, ni en droit, de sorte qu'il n'avait pas à l'écarter formellement. Il n'avait pas à fournir à A______ une copie des déterminations de B______ et C______ avant de prendre sa décision.

A______ ne pouvait contester l'existence de charges suffisantes dans le cadre d'un recours contre l'admission de la qualité de partie plaignante. En l'occurrence, B______ reprochait à A______, ancien gérant, d'avoir encaissé, en violation de ses devoirs, des commissions et rétrocessions dues à la société. A______ était dès lors prévenu de blanchiment d'argent pour avoir fait verser sur un compte ouvert en Suisse une partie du produit de ce qui pouvait être constitutif de gestion déloyale avec dessein d'enrichissement illégitime. Si, dans le contexte décrit par la plainte, des actes de gestion déloyale avaient été commis à l'étranger, c'était sans le moindre doute au détriment de B______.

Enfin, il ne lui appartenait pas, pas plus qu'à la partie plaignante, de prouver à ce stade la culpabilité de A______ ni de démontrer ou établir les faits allégués. Il n'avait en outre pas été admis que les courriers électroniques de ce dernier avaient été obtenus ou consultés de manière illégale.

c. Dans ses observations, B______ conclut au rejet du recours et à ce que A______ soit condamné à lui verser des dépens. Le rapport qui la liait à A______ devait être qualifié, en droit grec, de contrat de prestation indépendante de services, conformément à un avis de droit de l'Institut Suisse de droit comparé produit à l'appui de la plainte. Même à retenir une qualité d'employé, le fait de conserver des rétrocessions à l'insu de son employeur contrevenait aux obligations de loyauté, de diligence et de fidélité prévues par le droit grec. L'accord d'octobre 2015, auquel elle n'était pas partie, visait à régler les rapports d'actionnaires de la famille D______ avec A______ et ne concernait pas la problématique des rétrocessions.

Elle assumait financièrement les commissions versées en cas de vente et était la bénéficiaire des address commissions en cas d'acquisitions, puisqu'elles étaient effectuées au débit, respectivement au crédit de son compte. En conséquence, c'était elle qui assumait financièrement les commissions perçues indument par A______, qui constituaient un dommage direct.

Enfin, le fait que certains documents provenant de la procédure pénale soient produits dans une procédure civile connexe ne justifiait pas une restriction du droit d'accéder au dossier.

d. A______ a répliqué que B______ était une société de services agissant comme gérante pour des sociétés propriétaires de navires, qui étaient ses clientes. Les contrats produits à l'appui de la plainte pénale étaient tous conclus entre les sociétés clientes et un tiers acheteur ou vendeur.

Un contrat de gestion - dont il fournissait un exemplaire - liait B______ à chacune de ces sociétés clientes, prévoyant qu'elle intervenait pour le compte et au nom de celles-ci. Les commissions payées en faveur de F______ ou reçues de la part de ce dernier intervenaient ainsi toutes pour le compte de la société propriétaire du navire. En marge de services opérationnels, le contrat réglait également l'intervention de B______ comme intermédiaire. Elle percevait dans ce cadre une commission de la part de sa cliente correspondant à 1% du prix de vente, qui devait être distinguée de la commission due par la société venderesse au courtier. Dans sa plainte pénale, B______ lui reprochait d'avoir perçu une partie de la commission due au courtier, et non une partie de celle qui lui était due en tant que gérante. Ces deux commissions étaient à la charge des sociétés clientes, qui seules pouvaient potentiellement se prétendre lésées. B______, en tant que gérante du propriétaire du navire, n'assumait pas elle-même la commission due par celui-ci au courtier.

e. Dans sa duplique, B______ a exposé faire partie du groupe B______, auquel était affilié l'ensemble des sociétés dédiées à la détention de navires et qui était contrôlé par la famille D______ et gérait de fait les sociétés du groupe. Dans le cadre des transactions liées aux navires, les parties cocontractantes exigeaient régulièrement qu'elle se déclare "ultimement responsable" de la bonne exécution desdites transactions. Les banques exigeaient par ailleurs systématiquement qu'elle garantisse les prêts consentis sur ses actifs propres et que les revenus perçus soient crédités sur son propre compte. Elle devait également postposer toutes ses créances contre la société propriétaire, de manière à ce que la banque créancière soit payée en priorité. Elle était libre de conserver l'ensemble des commissions qu'elle recevait, qui lui étaient acquises, et ne devait pas les reverser aux sociétés dédiées. La quasi-totalité de celles-ci ne disposaient par ailleurs pas de comptes bancaires. Elle était ainsi partie aux transactions de financement, d'achat et de vente de navires, et était la propriétaire de tous les montants qui lui étaient versés dans ce contexte.

f. Le 17 septembre 2018, B______ a informé la Chambre de céans du fait qu'une autre société en mains de la famille D______, B______ M______SA, avait, le même jour, déposé plainte pénale contre, entre autres, A______, pour des faits connexes à ceux dénoncés dans sa plainte pénale, à savoir la dissimulation d'une commission prélevée sur la part revenant à un courtier dans le cadre de l'achat d'un navire.

g. Le 27 septembre 2018, A______ s'est plaint que les annexes à la plainte pénale de B______ M______ SA provenaient du dossier de la procédure relative à B______, laquelle était désormais privée de ses prérogatives procédurales. Celle-ci avait également produit plusieurs pièces provenant du dossier pénal à l'appui de sa demande au fond déposée auprès du Tribunal de première instance. Il concluait à ce qu'il soit ordonné à B______ de restituer toutes les copies des pièces de cette procédure et de détruire toutes les photographies qu'elle détiendrait encore de ces pièces.

Le 1er octobre 2018, le Ministère public a informé A______ du fait que B______ avait consulté le dossier de la procédure le 4 mai 2018.

h. Le 23 novembre 2018, A______ a produit l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 16 novembre 2018 par le Ministère public dans la procédure P/1______/2018 relative à la plainte de B______ M______ SA. Se référant à l'arrêt du Tribunal fédéral 6B______/2016 du ______ 2018 - depuis lors publié aux ATF XXX ______ -, le Ministère public avait considéré que seule la société acquéreuse du navire, débitrice de l'obligation de verser la commission, pouvait être lésée par l'infraction de gestion déloyale dénoncée. Il en allait de même dans la présente cause.

i. Interpellé par la Chambre de céans sur son ordonnance de non-entrée en matière du 16 novembre 2018, le Ministère public a souligné que les faits décrits dans la présente procédure divergeaient très sensiblement de ceux qui l'avaient amené à rendre ladite ordonnance dans la cause P/1______/2018. F______ était présentée dans la plainte pénale comme la mandataire de B______ qui, sur cette base, la rémunérait à l'occasion de tout ou partie des transactions sur les navires. Une partie de cette rémunération était ensuite rétrocédée par F______ à A______, l'un des dirigeants de B______, ce qui était susceptible de constituer des actes de gestion déloyale, dès lors que ces rétrocessions devaient revenir à l'employeur, respectivement que la rémunération de F______ aurait dû être réduite d'autant. Dans les deux cas, B______ était lésée par l'acte de gestion déloyale et, par conséquent, par les actes de blanchiment d'argent ultérieurs.

j. B______ s'est brièvement déterminée, précisant que l'ordonnance de non-entrée en matière avait fait l'objet d'un recours et n'était donc pas entrée en force.

k. A______ s'est également brièvement déterminé, soulignant que les pièces produites dans la plainte pénale démontraient que B______ n'était pas partie aux accords portant sur la vente et l'achat de navires et ne pouvait dès lors avoir subi un quelconque dommage. Si, comme employé de B______, il avait bien mandaté F______, cette dernière agissait en réalité pour le compte des sociétés propriétaires de navires. B______, en tant que mandataire et gestionnaire de ces sociétés, se chargeait de sélectionner le courtier qui agissait ensuite pour le compte de ces dernières.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours, déposé selon la forme et dans le délai prescrits - la décision querellée ayant été communiquée par pli simple - (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du prévenu, qui est partie à la procédure (art. 104 al. 1 let a CPP).

1.2. Celui-ci dispose par ailleurs d'un intérêt juridiquement protégé, au sens de l'art. 382 al. 1 CPP, à s'opposer à la constitution de l'intimée en tant que (seule) partie plaignante, sa situation étant péjorée par la présence de cette dernière, autorisée à exercer ses droits procéduraux, à prendre des conclusions pénales contre lui et à faire appel d'un éventuel acquittement (ACPR/302/2018 du 31 mai 2018 consid. 2.2; cf. également ACPR/355/2016 du 13 juin 2016; ACPR/637/2015 du 25 novembre 2015).

On ne saurait ignorer que les parties se font face dans une procédure civile pendante, portant sur des faits similaires, de sorte qu'un risque existe que l'intimée, une fois sa qualité de partie plaignante confirmée, fasse usage de son droit de consulter le dossier pénal pour obtenir des pièces, notamment bancaires, qu'elle produirait ensuite dans le cadre de la procédure civile, ce qu'elle a semble-t-il déjà fait dans le cadre de sa demande déposée auprès du Tribunal de première instance. Cette circonstance paraît suffisante, sous l'angle de l'intérêt juridiquement protégé de l'art. 382 al. 1 CPP, pour reconnaître au recourant la qualité pour recourir contre la décision querellée (comp. avec l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_399/2018 du 23 janvier 2019 consid. 2.1).

Il s'ensuit que le recours est recevable.

2.             Le recourant reproche au Ministère public une violation de son droit d'être entendu.

2.1.       Le droit d'être entendu, tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., comprend notamment pour le justiciable le droit de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise touchant sa situation juridique, d'obtenir l'administration des preuves pertinentes et valablement offertes, de participer à l'administration des preuves essentielles et de se déterminer sur son résultat lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 II 218 consid. 2.3 p. 222 s.; 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 299). Le droit d'être entendu impose également à l'autorité de motiver - ne serait-ce qu'implicitement - ses décisions, afin que les parties puissent les comprendre et apprécier l'opportunité de les attaquer, et que les autorités de recours soient en mesure d'exercer leur contrôle (ATF 141 III 28 consid. 3.2.4 p. 41; 136 I 229 consid. 5.2 p. 236; 135 I 265 consid. 4.3 p. 276). Une autorité se rend ainsi coupable d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 2 Cst. si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à prendre (ATF 138 V 125 consid. 2.1 p. 127; 135 I 6 consid. 2.1 p. 9; arrêt du Tribunal fédéral 6B_868/2016 du 9 juin 2017 consid. 3.1).

Si une garantie procédurale n'a pas été respectée, il convient, autant que possible, de remettre la personne lésée dans la situation qui aurait été la sienne si l'exigence en cause n'avait pas été méconnue; en matière de droit d'être entendu, la réparation consiste à renvoyer le dossier à l'autorité intimée pour qu'elle rende une nouvelle décision après avoir donné à la personne intéressée l'occasion de s'exprimer (arrêt du Tribunal fédéral 1B_85/2010 du 19 avril 2010 consid. 4.2). La violation du droit d'être entendu peut cependant être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Toutefois, une telle réparation doit rester l'exception et n'est admissible, en principe, que dans l'hypothèse d'une atteinte qui n'est pas particulièrement grave aux droits procéduraux de la partie lésée; cela étant, une réparation de la violation du droit d'être entendu peut également se justifier, même en présence d'un vice grave, lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure, ce qui serait incompatible avec l'intérêt de la partie concernée à ce que sa cause soit tranchée dans un délai raisonnable (ATF 142 II 218 consid. 2.8.1 p. 226 s. et les références; 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197 = SJ 2011 I p. 347).

2.2.       En l'espèce, le recourant se plaint d'abord de ce que le Ministère public n'a pas statué, dans son ordonnance querellée, sur les conclusions de sa requête du 16 mai 2018 relatives à l'accès au dossier de l'intimée. On peut, avec le recourant, s'étonner de ce que ladite ordonnance ne comporte aucun développement spécifique à la question de l'accès au dossier de l'intimée, que ce soit dans sa motivation ou son dispositif, question qui avait pourtant fait l'objet d'une requête motivée. Cela étant, la décision entreprise confirme la qualité de partie plaignante de l'intimée "avec toutes les prérogatives qui lui sont attachées", formule que le recourant, assisté d'un avocat, se devait de comprendre comme englobant également le droit de consulter le dossier. Il a d'ailleurs parfaitement saisi la portée de l'ordonnance querellée, puisqu'il réitère, dans ses écritures de recours, ses conclusions relatives à l'accès de l'intimée au dossier. Il n'y a pas lieu de constater une violation de son droit d'être entendu dans ce cadre.

Ensuite, le recourant estime que le Ministère public se devait de lui transmettre les déterminations de l'intimée du 25 mai 2018 avant de statuer. S'il faut admettre qu'en s'abstenant d'adresser lesdites déterminations au recourant, dont il résume d'ailleurs la teneur dans la partie "En fait" de son ordonnance du 5 juin 2018, le Ministère public a violé son droit d'être entendu, force est également de constater que le recourant a pu s'exprimer largement sur leur contenu dans la présente procédure de recours, menée devant une autorité jouissant d'un pouvoir d'examen complet en fait et en droit (art. 393 al. 2 CPP), de sorte que la violation en question a pu être réparée. Dans ces conditions, un renvoi au Ministère public constituerait une vaine formalité et allongerait inutilement la procédure.

Le grief de violation du droit d'être entendu sera par conséquent rejeté.

3.             Le recourant conteste la confirmation de la qualité de partie plaignante de l'intimée.

3.1.1. Selon l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil.

La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction (art. 115 al. 1 CPP). En règle générale, seul peut se prévaloir d'une atteinte directe le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 143 IV 77 consid. 2.2 p. 78; 141 IV 454 consid. 2.3.1 p. 457). Les droits touchés sont les biens juridiques individuels tels que la vie et l'intégrité corporelle, la propriété, l'honneur, etc. (ATF 141 IV 1 consid. 3.1 p. 5). Pour être directement touché, le lésé doit en outre subir une atteinte en rapport de causalité directe avec l'infraction poursuivie, ce qui exclut les dommages par ricochet (arrêt du Tribunal fédéral 6B_857/2017 du 3 avril 2018 consid. 2.1 et les arrêts cités). Les personnes subissant un préjudice indirect n'ont donc pas le statut de lésé et sont des tiers n'ayant pas accès au statut de partie à la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_191/2014 du 14 août 2014 consid. 3.1).

La déclaration de partie plaignante doit avoir lieu avant la clôture de la procédure préliminaire (art. 118 al. 3 CPP), soit à un moment où l'instruction n'est pas encore achevée. Dès lors, tant que les faits déterminants ne sont pas définitivement arrêtés sur ce point, il y a lieu de se fonder sur les allégués de celui qui se prétend lésé pour déterminer si tel est effectivement le cas. Celui qui entend se constituer partie plaignante doit toutefois rendre vraisemblable le préjudice et le lien de causalité entre celui-ci et l'infraction dénoncée (ATF 141 IV 1 consid. 3.1 p. 5 s). Tant qu'il existe un doute quant à la réalisation des conditions des infractions dénoncées, celui-ci doit profiter aux parties plaignantes, qui doivent pouvoir continuer de défendre leur position et participer à la suite de l'instruction (arrêts du Tribunal fédéral 6B_549/2013 du 24 février 2014 consid. 2.1; 1B_104/2013 du 13 mai 2013 consid. 2.3).

3.1.2. L'art. 305bis CP réprime, du chef de blanchiment d'argent, celui qui aura commis un acte propre à entraver l'identification de l'origine, la découverte ou la confiscation de valeurs patrimoniales dont il savait ou devait présumer qu'elles provenaient d'un crime.

Cette disposition vise en premier lieu à protéger l'administration de la justice; elle protège toutefois également les intérêts patrimoniaux de ceux qui sont lésés par le crime préalable, lorsque les valeurs patrimoniales proviennent d'actes délictueux contre des intérêts individuels (ATF 129 IV 322 consid. 2.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 6B_549/2013 du 24 février 2014 consid. 2.2.3; SJ 1998 646). Il y a dès lors lieu de procéder à une analyse de l'infraction préalable afin de déterminer le titulaire du bien juridique protégé (P. DE PREUX, Le lésé et la partie plaignante en blanchiment d'argent, in: I. AUGSBURGER-BUCHELI (éd.), Blanchiment d'argent : actualité et perspectives suisses et internationales, Genève/Zurich/Bâle 2014, pp. 127ss, p. 131).

S'agissant en particulier d'infractions contre le patrimoine - telles que la gestion déloyale (art. 158 CP) ou l'escroquerie (art. 146 CP) - le propriétaire ou l'ayant droit des valeurs patrimoniales lésées est considéré comme la personne lésée (arrêts du Tribunal fédéral 1B_18/2018 du 19 avril 2018 consid. 2.1; 1B_191/2014 du 14 août 2014 consid. 3.1; 6B_361/2013 du 5 septembre 2013 consid. 1).

3.1.3. L'infraction préalable dont se prévaut l'intimée est intervenue en Grèce.

Selon l'art. 305bis ch. 3 CP, le délinquant est aussi punissable lorsque l'infraction principale a été commise à l'étranger et lorsqu'elle est aussi punissable dans l'Etat où elle a été commise.

Il n'est pas nécessaire qu'il y ait des poursuites ou un jugement à l'étranger; il suffit que le comportement soit aussi réprimé dans l'Etat où il a été adopté (même sans constituer un crime) et qu'il soit qualifié de crime en droit suisse (ATF 120 IV 323 consid. 3d p. 328 s.; arrêt du Tribunal fédéral 6B_52/2012 du 11 mars 2013 consid. 4.1).

3.1.4. L'art. 158 CP punit celui qui, en vertu de la loi, d'un mandat officiel ou d'un acte juridique, est tenu de gérer les intérêts pécuniaires d'autrui ou de veiller sur leur gestion et qui, en violation de ses devoirs, aura porté atteinte à ces intérêts ou aura permis qu'ils soient lésés (ch. 1 al. 1). Le cas de la gestion déloyale aggravée est réalisé lorsque l'auteur a agi dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime (ch. 1 al. 3); il est passible d'une peine privative de liberté de un à cinq ans et constitue dès lors un crime (art. 10 al. 2 CP).

Une lésion du patrimoine, constitutive d'un dommage, peut prendre la forme d'une diminution de l'actif, d'une augmentation du passif, d'une non-augmentation de l'actif ou d'une non-diminution du passif, mais aussi d'une mise en danger du patrimoine telle qu'elle a pour effet d'en diminuer la valeur du point de vue économique (ATF 123 IV 17 consid. 3d p. 22; 122 IV 279 consid. 2a p. 281; 121 IV 104 consid. 2c p. 107).

3.2.       En l'espèce, du point de vue du droit suisse, l'infraction préalable invoquée par l'intimée - et retenue par le Ministère public - est celle de gestion déloyale (art. 158 CP) qui, dans sa forme aggravée, constitue un crime. Cette infraction vise à protéger, en tant que bien juridique, le patrimoine du lésé, lequel peut dès lors se constituer partie plaignante si les valeurs résultant de la gestion déloyale ont fait l'objet d'actes de blanchiment.

Le recourant est d'avis que l'intimée n'a pas subi de dommage dans le cadre des opérations liées aux navires, seul le courtier ou les sociétés propriétaires pouvant potentiellement se constituer partie plaignante. Ses arguments et les moyens de preuve fournis à leur appui - notamment un contrat de gestion passé entre B______ et l'une des sociétés détentrices des navires - ne sauraient toutefois anticiper l'enquête diligentée par le Ministère public, laquelle se trouve encore à ses premiers balbutiements.

À ce stade de la procédure, la question n'est ainsi pas de savoir si les faits décrits dans la plainte sont établis ou si les éléments constitutifs des infractions pénales évoquées sont réalisés - ce qu'il appartiendra à l'enquête d'éclaircir -, mais de déterminer si, à supposer que le comportement dénoncé soit confirmé et qu'il corresponde aux éléments constitutifs d'une infraction pénale, ils conféreraient à l'intimée la qualité de partie plaignante.

Conformément à la jurisprudence précitée, cet examen doit se faire sous l'angle des allégations de la partie qui se prétend lésée. Or, et bien qu'elle admette elle-même que son activité consistait à gérer les opérations sur les navires par le biais de sociétés dédiées, l'intimée soutient également, dans sa plainte, que pour chaque vente ou achat, elle versait directement les commissions liées à la transaction au courtier F______, respectivement en recevait de sa part, ce qui la fait apparaître, à ce stade précoce de l'instruction et malgré les dénégations du recourant, comme la débitrice, respectivement la créancière de ce courtier. Dans la mesure où, toujours selon les dires de l'intimée, le recourant, qui gérait pour elle ces opérations, aurait exclusivement mandaté F______ en qualité de courtier, sans se soucier de trouver un autre partenaire contractuel présentant une offre plus avantageuse, cela dans l'unique but de se voir rétrocéder, sur la base d'un accord sous-jacent, un pourcentage de la commission touchée par celui-ci, il n'apparaît pas exclu que son comportement ait pu causer un préjudice à l'intimée, correspondant à la différence entre ce qu'elle a payé à, respectivement perçu de, F______, et ce qu'elle aurait payé à, respectivement perçu d'un autre courtier, choisi par un gérant diligent. Cette différence pourrait d'ailleurs précisément consister en la commission occulte versée par F______ au recourant lors de chaque opération, laquelle aurait ensuite fait l'objet d'actes de blanchiment d'argent en Suisse.

Du point de vue du droit grec, les infractions dont se prévaut l'intimée, en particulier l'art. 390 du Code pénal grec, qui réprime la violation d'un rapport fiduciaire, paraissent assurément destinées à protéger le patrimoine de la personne lésée. Le fait que le recourant estime, avis de droit grec à l'appui, que seule F______ pourrait avoir subi une diminution de son patrimoine dans ce cadre devra, ici aussi, faire l'objet de l'instruction du Ministère public.

3.3.       Il n'en demeure pas moins que les divers éléments mis en exergue par le recourant dans ses écritures - soit, notamment, le fait que l'intimée n'était pas partie aux contrats de vente, respectivement d'achat des navires, ou encore que les commissions qu'elle payait à, respectivement percevait de, F______ l'étaient pour le compte de chaque société dédiée, ainsi que cela ressortait d'un contrat de gestion passé par B______ avec l'une de ces sociétés - sont assurément de nature à semer le doute sur l'existence d'un lien contractuel entre l'intimée et le courtier F______.

Si ce doute doit, à ce stade, profiter à la plaignante, afin de lui permettre de défendre sa position et de participer à la suite de l'instruction, le Ministère public se devra de le lever en priorité, en déterminant qui, de l'intimée ou des sociétés dédiées, était partie aux contrats passés avec F______ et qui recevait ou s'acquittait des commissions liées aux opérations sur les navires. S'il devait s'avérer que l'intimée n'était en réalité qu'un simple intermédiaire dans les transactions en question, menées au nom et pour le compte des sociétés dédiées, sa qualité de lésée et, partant, de partie plaignante ne pourra qu'être niée.

En l'état toutefois, le grief sera rejeté.

4.             Subsidiairement, le recourant reproche au Ministère public de ne pas avoir restreint le droit de l'intimée de consulter le dossier.

4.1.       L'accès au dossier, résultant du droit d'être entendu consacré par l'art. 29 al. 2 Cst et garanti aux parties de manière générale par l'art. 107 al. 1 let. a CPP, comprend, notamment, le droit de consulter des pièces au siège de l'autorité, de prendre des notes et de faire des photocopies (ATF 122 I 109 consid. 2b p. 112 et les arrêts cités).

Les pièces obtenues légalement dans la procédure pénale suisse peuvent ensuite être librement utilisées par les parties, en particulier la partie plaignante, qui peut, notamment, les produire dans d'autres procédures, y compris étrangères (M. LUDWICZAK, À la croisée des chemins du CPP et de l'EIMP la problématique de l'accès au dossier, RPS 133/2015 295, p. 303).

4.2.       Ce droit n'est toutefois pas absolu.

Il peut ainsi être limité pour la sauvegarde d'un intérêt public prépondérant, dans l'intérêt d'un particulier, voire même dans l'intérêt du requérant lui-même (ATF 122 I 153 consid. 6a p. 161 et les arrêts cités). En effet, conformément à l'art. 108 al. 1 CPP, les autorités pénales peuvent restreindre le droit d'une partie à être entendue lorsqu'il y a de bonnes raisons de soupçonner que cette partie abuse de ses droits (let. a) ou lorsque cela est nécessaire pour assurer la sécurité de personnes ou pour protéger des intérêts publics ou privés au maintien du secret (let. b). Un abus de droit au sens de l'art. 108 al. 1 let. a CPP pourra notamment être retenu lorsqu'une partie utilise son droit d'accès au dossier pour partager les informations ainsi collectées avec d'autres participants à des procédures civiles ou pénales parallèles (N. SCHMID/D. JOSITSCH, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 3e éd., Zurich, 2017, n. 113; J.-P. GRETER / F. GISLER, Le moment de la consultation du dossier pénal et les restrictions temporaires à son accès, Forumpoenale 05/2013 301, p. 304; plus nuancés: M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 5 ad art. 108).

Les restrictions du droit d'être entendu doivent être appliquées avec retenue et dans le respect du principe de la proportionnalité. Elles doivent être absolument nécessaires et toutes les difficultés causées à la défense doivent être suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités pénales. Aussi, la loi pose des limitations tant dans le temps que quant aux personnes ou aux objets concernés par les restrictions en question. Ainsi, si un intérêt public ou privé prépondérant exige que tout ou partie des documents soient tenus secrets, l'autorité doit en revanche permettre l'accès aux pièces dont la consultation ne compromet pas les intérêts en cause (ACPR/365/2011 du 8 décembre 2011; A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011, n. 16 ad art. 108).

La jurisprudence cantonale retient que l'exercice, par le lésé, du droit de consulter le dossier pénal afin d'obtenir des informations utiles à une procédure civile parallèle ne constitue un abus de droit qu'en présence d'indices concrets, par exemple lorsque la plainte pénale est manifestement dénuée de tout fondement ("völlig grundlos"). Dans la mesure toutefois où le CPP octroie au lésé de nombreux droits qui servent spécifiquement ses prétentions civiles, en particulier la possibilité d'introduire une action civile adhésive, on ne saurait considérer que les intérêts du lésé dans le cadre d'un procès civil sont étrangers au but de la procédure et, partant, que la consultation du dossier pénal par celui-ci serait constitutive d'un abus de droit (Appelationsgericht Bâle-Ville, BES.2016.195 du 26 juillet 2017 consid. 4; Kantonsgericht des Grisons, SK2 14 33 du 16 février 2016 consid. 3d, tous deux avec références).

4.3.       En l'espèce, l'ordonnance querellée ne comporte aucun développement spécifique sur la question de l'accès au dossier de l'intimée. Dans la mesure toutefois où le recourant a compris que la reconnaissance de la qualité de partie plaignante emportait le droit d'accéder au dossier et qu'il réitère, devant la Chambre de céans, ses précédentes conclusions tendant au refus, subsidiairement à la limitation de ce droit (cf. consid. 2.2. supra), il y a lieu d'entrer en matière sur son grief.

Le recourant liste une série de motifs qui rendraient selon lui abusive la consultation du dossier par l'intimée.

En tant qu'il remet en cause la qualification d'infraction pénale des faits à la base de la plainte, son grief a déjà été examiné ci-dessus (cf. consid. 3. supra) et ne saurait en lui-même conduire à une restriction du droit d'être entendu de l'intimée.

Quant au dépôt, par l'intimée, d'une requête de conciliation auprès du Tribunal de première instance, le même jour que sa plainte pénale, avec une partie en fait identique à celui de ladite plainte pénale, il ne saurait en tant que tel constituer un indice concret d'abus du droit de consulter le dossier pénal. Cette situation se distingue de celle évoquée par la doctrine précitée, puisqu'en l'occurrence il s'agit de la même partie - le lésé - qui serait impliquée dans les procédures pénale et civile parallèles et pourrait dès lors utiliser les moyens de preuve ressortissant à la première à l'appui de ses prétentions dans la seconde. On ne peut par ailleurs retenir, à ce stade, que les démarches initiées par l'intimée au pénal auraient pour seul et unique but d'obtenir des moyens de preuve utiles à ses prétentions civiles. Ces démarches ne sont en effet manifestement pas dénuées de tout fondement, puisqu'elles ont entraîné l'ouverture d'une instruction par le Ministère public, lequel, sur la base d'un soupçon qu'il a jugé suffisant, a ordonné diverses mesures d'instruction, dont le séquestre d'avoirs déposés sur une relation bancaire. Le fait que l'intimée ait décidé d'agir parallèlement au pénal et au civil, et non de faire valoir des prétentions civiles par la voie adhésive seulement, ne suffit pas, conformément à la jurisprudence précitée, pour considérer qu'elle abuserait de son droit à consulter le dossier, cela même si le résultat de cette consultation est ensuite produit dans le cadre de la procédure civile, qui vise selon toute vraisemblance à obtenir la réparation du dommage subi.

En tout état de cause, on notera que, dans sa plainte pénale, l'intimée déclare expressément vouloir prendre des conclusions civiles en réparation du dommage subi contre, entre autres, le recourant, ce qui vaut constitution de partie plaignante (art. 119 al. 2 let. b CPP). Si la question de la litispendance de son action civile adhésive par rapport à la requête en conciliation déposée le même jour auprès du Tribunal de première instance pourra se poser (cf. ACJC/1133/2017 du 4 septembre 2017 consid. 4), il faut toutefois retenir, à ce stade, que l'exercice de son droit de consulter le dossier est également justifié par sa qualité de partie plaignante au civil, de sorte que cet exercice n'apparaît pas abusif.

L'éventuelle violation, par le dépôt de la plainte pénale, d'un accord conclu en octobre 2005 entre le recourant et C______ notamment (et contenant une clause pour solde de tout compte) n'est pas pertinente pour juger d'un éventuel abus du droit de l'intimée - qui n'était au demeurant pas partie audit accord - de consulter le dossier de la procédure.

Enfin, la question de l'illicéité de certains documents récoltés par l'intimée et produits à l'appui de sa plainte excède manifestement l'objet du présent litige, délimité par la décision querellée (cf. art. 385 al. 1 let. a CPP). Il appartiendra cas échéant au recourant de demander au Ministère public le retranchement des pièces concernées du dossier, la décision de celui-ci pouvant ensuite faire l'objet d'un recours devant la Chambre de céans (ATF 143 IV 475; arrêt du Tribunal fédéral 6B______/2018 du ______ 2019 consid. 3.3.1). On ne saurait en l'état y voir un motif de restriction d'accès au dossier.

4.4.       Dans une conclusion subsidiaire, le recourant souhaite voir limiter l'accès au dossier de l'intimée.

S'il avance se trouver désormais dans un rapport de concurrence avec cette dernière, respectivement son administrative, il n'explique toutefois pas quel intérêt privé, tel que l'existence de secrets d'affaires, serait concrètement lésé par la consultation du dossier. Du simple fait qu'il occupe désormais la position d'associé gérant au sein d'une société active dans le commerce maritime (sans aucune précision sur l'étendue de son champ d'activités, notamment géographique) ne découle pas encore un motif de restriction d'accès au dossier de l'intimée.

L'intérêt tout général du recourant à ce que sa documentation bancaire, de nature privée, ne soit pas consultable par l'intimée n'est pas non plus suffisant au regard de l'intérêt de celle-ci à pouvoir consulter le dossier dans son intégralité pour pouvoir faire valoir ses droits dans la procédure, conformément au principe d'égalité des armes qui vaut en la matière. Malgré le fait que le Ministère public n'ait procédé au séquestre que d'une seule relation bancaire, il n'apparaît pas exclu que la documentation bancaire relative aux autres relations produite par les établissements concernés puisse être utile à l'intimée, afin de retracer certains transferts, les lier à l'infraction de gestion déloyale dont elle s'estime lésée, voire identifier des mouvements de fonds subséquents, ceci en vue d'obtenir la réparation du dommage subi. Quant à la documentation bancaire postérieure à la fin du contrat qui liait le recourant à B______, elle conserve toute sa pertinence, dans la mesure où certains actes de blanchiment peuvent avoir été commis après cette date, ce que l'instruction devra établir.

Ces considérations font que le grief doit être rejeté, tout comme les (nouvelles) conclusions en restitution des pièces prises le 27 septembre 2018 par le recourant (cf. D.g. supra), qui ne font au demeurant pas l'objet de l'ordonnance querellée.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; RSG E 4 10.03).

7.             B______, partie plaignante et intimée, a demandé des dépens.

À teneur de l'art. 436 al. 1 CPP, les prétentions en indemnités et en réparation du tort moral dans la procédure de recours (« Rechtsmittelverfahren », i.e. appel et recours) sont régies par les art. 429 à 434 CPP.

La partie plaignante qui obtient gain de cause (au sens de l'art. 428 al. 1 CPP) peut demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure (art. 433 al. 1 let. a CPP), laquelle comprend une indemnisation de ses frais de défense (art. 429 al. 1 let. a CPP).

En l'espèce, B______, qui obtient gain de cause, a conclu, à l'appui de ses observations, au versement d'une indemnité en couverture de ses frais d'avocat chiffrée à CHF 6'750.-, correspondant à quinze heures d'activité déployée par un avocat chef d'étude, activité qu'elle ne détaille pas, mais qu'on comprend être liée à la rédaction desdites observations. Or, au vu de l'ampleur de celles-ci (29 pages, dont 8 consacrées à des développements juridiques), le temps consacré paraît excessif, et sera dès lors ramené à 8 heures d'activité, au tarif horaire de CHF 450.- applicable à l'avocat chef d'étude (ACPR/279/2014 du 27 mai 2014).

L'indemnité sera, partant, arrêtée à CHF 3'600.-, hors TVA, l'intimée ayant son siège à l'étranger. Elle sera mise à la charge du recourant, prévenu, conformément à l'art. 433 al. 1 let. a CPP.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 2'000.-.

Alloue à B______ SA, à la charge du recourant, une indemnité de CHF 3'600.- (TVA non due).

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant et à B______ SA, soit pour eux leurs conseils, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/3342/2018

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

30.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'895.00

-

CHF

     

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

2'000.00