Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1247/2024 du 18.12.2024 ( ICCIFD ) , REJETE
PARTIELMNT ADMIS par ATA/758/2025
En droit
Par ces motifs
république et | canton de genève | |||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 16 décembre 2024
|
dans la cause
A______ SA, représentée par Me Malek ADJADJ, avocat, avec élection de domicile
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS
1. A______ SA (ci-après : la contribuable ou la recourante), inscrite au registre du commerce genevois depuis le ______ 2007, a eu, de sa création jusqu’au ______ 2021, le but suivant : « tous conseils en matière de gestion de fortune, gestion de titres et valeurs, gérance de fortunes et toutes opérations financières, (…) ». Ses statuts ont ensuite été modifiés.
2. Le 14 février 2019, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) l’a informée de l’ouverture, à son encontre, de procédures en rappel d’impôt et soustraction pour les années fiscales 2009 à 2016 et d’une procédure en tentative de soustraction pour l’année fiscale 2017.
Des éléments portés à sa connaissance permettaient d’envisager des déclarations inexactes ou incomplètes. Elle comprenait que la contribuable avait créé un fonds de droit caïman (ci-après : le Fonds) et que des sociétés étrangères (B______, aux Bahamas, C______, à Singapour, et D______, aux Émirats arabes unis) y étaient intervenues en qualité de "Fund manager" et lui avaient délégué certaines tâches.
Elle souhaitait procéder à une analyse de son rôle dans ce contexte et, notamment, vérifier l’adéquation de sa rémunération pour les prestations fournies en rapport avec la gestion du fonds précité. Elle requérait ainsi diverses informations et pièces.
3. Par un courrier du 8 mars 2019, un mandataire s'est constitué pour la défense des intérêts de la contribuable et a sollicité la consultation du dossier dans les locaux de l'AFC-GE.
4. Le 18 mars 2019, l’AFC-GE a refusé la consultation du dossier, relevant que la contribuable serait en mesure d’y accéder, sous réserve de la sauvegarde d’intérêts publics ou privés, une fois l’instruction terminée.
5. Il y a eu par la suite de nombreux échanges téléphoniques et par courriels entre le mandataire de la contribuable et l'AFC-GE, cette dernière persistant à demander la production de documents et la contribuable à avoir un accès au dossier. Une réunion a par ailleurs eu lieu dans les locaux de l'AFC-GE le 27 mai 2019. La contribuable y était représentée par son administrateur accompagné de son mandataire.
6. Dans un courrier du 10 juillet 2019, la contribuable a commencé par décrire de manière générale le fonctionnement des fonds, qui permettent de distinguer quatre rôles majeurs, à savoir l'administrateur, le dépositaire, le gestionnaire (manager) et le conseiller (advisor). Expliquant que le Fonds a été mis en place par des acteurs reconnus, elle indique n'avoir agi qu'en qualité de conseiller et produit les trois contrats (investment advisory agreement) conclus avec les trois gestionnaires successifs du Fonds, qui prévoyaient le versement d'honoraires calculés en pourcentage de la valeur nette du Fonds (net asset value). Elle produisait également des factures illustrant le calcul de cette rémunération.
7. Faisant suite à une demande de production de documents complémentaires, la contribuable a, par un courrier du 12 décembre 2019 produit les versions successives du memorandum de placements du Fonds ainsi que l'ensemble des factures de ses prestations du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2014 accompagnées d'un tableau récapitulatif. Elle indiquait par ailleurs ne pas détenir de documents relatifs à des tiers, notamment les gestionnaires successifs du Fonds. Elle n'était dès lors pas en mesure de lui transmettre les contrats conclus par ceux-ci, ni la liste de leurs employés. Elle indiquait par ailleurs avoir conclu des contrats d'apporteurs d'affaires avec deux établissements tiers et avoir versé des commissions, dont les factures étaient produites. Elle détaillait enfin les produits exceptionnels comptabilisés en 2011, qui tiraient leur origine dans des performance fees perçues en exécution d’un contrat de conseiller conclu avec un établissement bancaire relatif à d'autres fonds.
8. Par un courrier recommandé du 22 septembre 2021, l'AFC-GE a demandé à la contribuable de produire des documents complémentaires, et notamment de clarifier la chronologie des faits rapportés dans un tableau annexé, qui faisait apparaître des divergences entre les dates de conclusion des contrats avec les gestionnaires successifs et l'émission des factures. Elle demandait également que soient identifiés les interlocuteurs de la recourante au sein des gestionnaires successifs du Fonds. Réitérant son refus à ce stade de la procédure de laisser consulter le dossier, elle attirait l'attention de la recourante que, si elle ne répondait pas de manière complète, elle prendrait acte du fait qu'elle violait son devoir de collaboration à la procédure en rappels d'impôts et faisait usage de son droit de se taire sur le plan pénal.
9. Se plaignant de ce qu'elle considérait être une violation des règles de la procédure, la contribuable a, par un courrier du 11 octobre 2021, persisté à indiquer que les documents réclamés sont conclus entre des tiers et qu'elle avait pour le surplus répondu à toutes les questions posées par ses courriers antérieurs.
10. Dans plusieurs échanges successifs entre l'AFC-GE et le mandataire de la contribuable, ce dernier s'est plaint d'une violation du droit d'être entendue de sa cliente et demandé que soit motivé le refus de consulter le dossier au regard, notamment, de la protection d'éventuels intérêts publics ou privés.
11. Le 3 décembre 2021, l’AFC-GE a informé la contribuable que les procédures en rappel d’impôt et soustraction étaient terminées.
Elle lui a remis des bordereaux rappel d’impôt concernant les impôts cantonaux et communaux (ICC) et l’impôt fédéral direct (IFD) 2009 à 2013 ainsi que des bordereaux amendes ICC et IFD 2011 à 2013. Les procédures se terminaient sans supplément d’impôt pour les années 2014 à 2016 et sans amende pour les années 2009, 2010 et 2014 à 2016.
Selon les avis de taxation, les rappels d’impôt découlaient de management et performance fees non comptabilisés, auxquels s’ajoutaient des provisions pour impôts ainsi que des intérêts sur rappel d’impôt.
Les bordereaux amendes des années 2011 à 2013 se référaient à des états financiers incomplets et à un montage juridique visant à soustraire un montant important d'impôts et fixaient la quotité de celles-ci à 1.25 fois le montant des impôts éludés.
12. Par une décision incidente du même jour, notifiée par pli séparé, l’AFC-GE a remis cinquante-neuf pièces numérotées à la contribuable.
Ayant compris, à la lecture du courrier du 1er novembre 2021, que la contribuable entendait faire usage du droit de se taire, elle avait clos l’instruction de la procédure de contrôle. Les faits étant dès à présent établis, elle accédait à sa demande de consultation de dossier en lui communiquant une copie de celui-ci. Certains éléments sur lesquels elle s’était fondée pour instruire le dossier et déterminer l’étendue des reprises provenaient toutefois de documents soumis au secret fiscal, raison pour laquelle elle en avait résumé le contenu essentiel. La contribuable ne pouvait les consulter dès lors qu’il s’avérait, après une pesée des intérêts en jeu, que la protection des intérêts publics et privés prépondérants s’y opposait.
13. Contre cette dernière décision, un recours a été déposé le 16 décembre 2021 devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).
14. Par un courrier recommandé du 24 décembre 2021, la contribuable a déposé une réclamation contre les bordereaux de rappels d'impôts et amendes. Se plaignant d'une violation de son droit d'être entendue, elle demandait que les décisions de l'AFC-GE soient motivées et sollicitait une réunion dans ses locaux après avoir pu consulter l'ensemble des pièces du dossier.
15. Il ressort d'échanges de courriels versés à la procédure qu'un entretien a eu lieu le 11 mars 2022, mais aucun procès-verbal, ni compte-rendu n'a été versé à la procédure. A la suite de celui-ci, la contribuable a, dans un courrier du 1er juin 2022, décrit l'historique de sa constitution et de son activité ainsi que le contexte de la création du Fonds et les relations contractuelles avec ce dernier et les honoraires qui en ont découlé.
Elle exposait notamment que le Fonds avait été créé par une très grande société d'investissement émiratie et que c'est par hasard qu'il y a une ressemblance dans les noms, UR étant la transcription de « you are » alors que A______ est l'acronyme de « ______ ».
16. Par un courrier du 2 juin 2022, la contribuable informait l'AFC-GE qu'elle avait dû clôturer ses comptes en inscrivant une provision pour les bordereaux notifiés et qu'elle se trouvait dès lors dans une situation de surendettement, ce qui allait justifier une prochaine annonce au juge. Elle demandait qu'une nouvelle réunion soit organisée. Aucun procès-verbal, ni compte-rendu de la séance qui s'est apparemment tenue le 9 juin 2022 n'a été versé à la procédure.
17. En annexe à un courrier du 16 septembre 2022, la contribuable a fait parvenir à l'AFC-GE la taxation 2010 de la première gestionnaire du Fonds, société enregistrée à Singapour. Elle soulignait que son bénéfice s’était élevé à SGD 2'048'909.-, si bien que le montant net après impôts représentait 35.80% du montant repris dans sa propre taxation de l'année 2010 en lien avec cette société. Elle demandait qu'un ratio de 64.20% de charges soit appliqué pour toutes les années et que les reprises effectuées soient corrigées dans ce sens.
18. Dans un courrier du 1er novembre 2022, le mandataire de la contribuable a résumé la réponse aux nombreuses questions qui avaient été posées par l'AFC-GE et produisait en annexe la copie du contrat de mandat et de conseils en investissement qu'elle avait conclu avec la banque qui était la dernière des trois gestionnaires du Fonds et d'autres fonds parallèles.
19. Par un jugement du 23 novembre 2023, le tribunal a admis le recours qui avait été déposé le 16 décembre 2021 et renvoyé le dossier à l'AFC-GE pour qu'elle communique le contenu essentiel de diverses pièces (JTAPI/88/2023 dans la cause A/4297/2021). Aucun recours n'a été déposé contre ce jugement.
20. Par un courrier recommandé du 10 mai 2023, l'AFC-GE a constaté que ce jugement était entré en force et transmis à la contribuable une description plus étendue du contenu des pièces couvertes par le secret fiscal.
21. Par un courrier recommandé du 7 juin 2023, la contribuable a estimé que le résumé qui lui avait été adressé est lacunaire et insuffisant et qu'il contenait des informations fausses. Elle critiquait en particulier le résumé de la pièce 59 (TAPI-N dans le cadre de la présente procédure) qu'elle analysait point par point, contestant en particulier avoir elle-même géré des fonds, que ce soit en Suisse ou à l'étranger et avoir détenu ses propres fonds où que ce soit. Elle contestait formellement avoir agi comme gestionnaire de fonds situés aux îles Caïman et avoir perçu, par l'intermédiaire d'une structure intermédiaire, des revenus qui ont été redistribués à ses actionnaires. Elle demandait à l'AFC-GE de se conformer au jugement précité du tribunal et de lui faire parvenir une copie, au besoin caviardée, des documents résumés dans la pièce précitée, à tout le moins de lui faire parvenir un résumé objectif et impartial. Elle demandait enfin que lui soit confirmé que les déterminations envoyées les 16 septembre et 1er novembre 2022 ont bien été prises en compte et versées au dossier.
22. Par un courrier recommandé du 9 octobre 2023, l'AFC-GE a répondu qu'elle considérait avoir exécuté le jugement du tribunal et n'entendait pas remettre d'autres éléments que ceux déjà transmis le 10 mai 2023. Elle indiquait par ailleurs que les courriers envoyés en 2022 faisaient suite à des demandes de renseignements et qu'il en serait tenu compte dans la réponse à la réclamation.
23. Par un courrier recommandé du 10 octobre 2023, notifié le 12 octobre 2023, l'AFC-GE a rejeté la réclamation déposée et maintenu les reprises et amendes. D'une manière générale, elle indiquait que le litige porte sur une problématique du non-respect du principe de pleine concurrence dans le cadre de prestations entre la contribuable et deux entités proches, qui sont les deux premières gestionnaires du Fonds. Indiquant que, sur la base d'un regroupement d'informations dans le cadre du dossier d'un contribuable tiers, elle a été informée de ce mode de fonctionnement. Il ressort de ce dossier que le Fonds est lui-même composé de trois principaux sous-fonds, dont l'activité de conseil en investissement a été déléguée à la contribuable.
Pour l'AFC-GE, il ressort de plusieurs indices que la recourante est à l'origine de la création du Fonds qui, de 2009 à 2013 a, d'après les prospectus, a été géré par deux sociétés successives situées aux Bahamas puis à Singapour que l'AFC-GE qualifie de offshore, relevant qu'aucune information pertinente quant à une éventuelle substance suffisante de ces entités ne lui a été apportée. Elle considère par ailleurs qu'il ressort de nombreux indices que ces entités ne peuvent pas être considérées comme des tiers. Pour toutes ces raisons, il se justifie de reprendre les commissions de gestion et de performance réalisées par ces entités dans le bénéfice imposable de la contribuable.
24. Contre cette décision, un recours a été formé devant le tribunal par un courrier recommandé du lundi 13 novembre 2023. La recourante conclut à l'annulation de la décision sur réclamation et des bordereaux de rappels d'impôts et amendes ainsi qu'à l'allocation d'une indemnité pour les frais causés par son recours.
Elle conclut préalablement à ce que les témoins soient entendus, sans les désigner, et à ce qu'une commission rogatoire soit envoyée à Singapour afin de recueillir la taxation 2009 de la gestionnaire du Fonds.
Après avoir rappelé de manière très complète le déroulement des faits, la recourante se plaint en premier lieu d'une violation de son droit d'être entendue, considérant que l'AFC-GE n'a que partiellement exécuté le jugement du tribunal du 23 janvier 2023, soulignant en particulier que le résumé de la pièce 59 est lacunaire et insuffisant. Elle se réfère à cet égard aux critiques déjà formulées dans son courrier du 7 juin 2023.
Elle ajoute qu'elle ne comprend pas pour quelle raison ce document résume plusieurs autres sans qu'il n'y ait un descriptif de chacune pièces le constituant. Elle estime en outre que la violation de son droit d'être entendue est d'autant plus grave que la décision sur réclamation lui a été envoyée le lendemain de celle refusant de manière définitive l'accès aux pièces du dossier.
La recourante se plaint par ailleurs d'un établissement arbitraire des faits, estimant en particulier qu'elle a justifié que le Fonds a été créé par une entité tierce et non par elle-même. Elle conteste par ailleurs avoir été elle-même la gestionnaire du Fonds. Elle indique notamment avoir agi dans l'exécution de son mandat de conseiller de la même manière qu'avec d'autres clients. Le fait qu'elle n'ait pas pu donner l'identité des personnes qui géraient le Fonds à l'exception de directeur ne signifie pas pour autant qu'elle soit proche des entités concernées. Quant à leur substance, le fait que les gestionnaires n'apparaissent que de manière très limitée dans les prospectus s'explique par le fait que c'est l'activité de conseil déployée par la recourante qui est la plus importante pour les investisseurs, celle-ci étant une experte reconnue à l'échelle internationale du type de placements effectués. En revanche, la taxation d'une des entités déjà produite démontre qu’elle a des charges importantes, notamment le salaire de son manager, qui s'élève à plus de SGD 13'000.- par mois, ce qui démontre qu'elle avait une substance économique et des employés.
Tous les documents cités par l'AFC-GE établis par la recourante entraient dans le cadre de son mandat de conseil et le fait que les contrats conclus avec les gestionnaire du Fonds soient soumis au droit suisse ne démontre rien de particulier. Enfin, le tableau chronologique annexé au courrier du 22 septembre 2021 de l'AFC-GE ne permet pas, contrairement à ce que semble indiquer cette dernière, de démontrer l'existence d'une prétendue confusion entre les deux gestionnaires successifs du Fonds. Elle critique à nouveau l'interprétation unilatérale faite par celle-ci des documents en sa possession.
En ce qui concerne le montant des reprises, la recourante considère que le montant des chiffres d'affaires que l'AFC-GE a réintégrés dans son bénéfice ne sont justifiés par aucune pièce qu'elle a pu consulter, si bien qui lui est impossible de contrôler leur exactitude. Elle rappelle avoir démontré que le bénéfice net d'une des gestionnaires du Fonds s'élevait à 35.8% de son chiffre d'affaires, et qu'il convient à tout le moins de retrancher les charges salariales du bénéfice qui lui est imputé.
25. Dans sa réponse du 27 juin 2024, l'AFC-GE conclut au rejet du recours et à la confirmation de sa décision sur réclamation, de même que les taxations querellées.
Commençant par présenter les différentes parties en présence, elle souligne que l'expertise de la recourante et de son animateur principal est reconnue et ressort de nombreuses publications. A l'opposé, les deux sociétés qui se sont succédées comme premières gestionnaires du Fonds ont été liquidées entre-temps et leurs organes étaient actifs dans la fourniture de services auprès de nombreuses sociétés, notamment l'administration de structures offshore.
Se référant à des documents issus du dossier d'un autre contribuable et produit sous couvert du secret fiscal, l'AFC-GE indique avoir été informée du fonctionnement réel de la recourante par le biais d'entités offshore, citant en particulier comme telles les deux gestionnaires successifs du Fonds.
Après avoir décrit dans le détail le déroulement de la procédure, l'AFC-GE insiste en premier lieu sur le risque de prescription imminente des périodes fiscales les plus anciennes et demande que la procédure soit conduite de manière diligente.
Elle conteste ensuite la violation du droit d'être entendue de la recourante, estimant avoir remis des résumés suffisants des pièces couvertes par le secret fiscal et avoir ainsi respecté le jugement du tribunal du 23 janvier 2023.
En ce qui concerne la motivation et le montant des reprises, l'AFC-GE indique s'être toujours efforcée d'expliquer de manière complète ses démarches ainsi que les reprises envisagées lors des différents entretiens qui ont eu lieu avec la contribuable. Elle indique par ailleurs avoir exposé de manière détaillée dans sa décision sur réclamation et dans les tableaux récapitulatifs versés à la procédure comment les reprises ont été calculées.
En ce qui concerne l'établissement des faits déterminants, l'AFC-GE relève que la recourante n'a produit aucun document justifiant que le Fonds a bien été constitué par un organe d'un fonds émirati. Elle souligne que la personne citée ne semble disposer d'aucune expertise dans le domaine des fonds de placement, à l'inverse de l'animateur principal de la contribuable. Citant divers autres documents, elle considère qu'un faisceau d'indices permet de retenir que la recourante est à l'origine du Fonds et que, quand bien même tel ne serait pas le cas, cela ne modifiera pas le principe et l'étendue des reprises.
C'est en effet sur la base de nombreux éléments que, pour l'AFC-GE, il faut retenir que la recourante était proche des gestionnaires successifs du Fonds en se référant à de nombreux éléments qui seront discutés plus amplement ci-dessous par le tribunal. Aucune substance effective n'ayant été établie pour ces structures, c'est à bon droit qu'elle a repris les commissions de gestion et de performance dans le chiffre d'affaires de la recourante.
L'AFC-GE indique par ailleurs s'opposer par avance à l'audition de tout témoin et considère que l'envoi d'une commission rogatoire à Singapour sur la base d'une convention de double imposition conclue en 2012 afin de recueillir un élément relatif à la période fiscale 2009 n'est pas possible.
L'AFC-GE indique enfin que, s'agissant des amendes, l'existence d'une soustraction consommée est démontrée et que la quotité fixée tient compte des circonstances aggravantes sans qu'il ne puisse lui être reproché d'exercer son pouvoir d'appréciation.
26. Par une réplique du 18 juin 2024, la recourante a persisté dans les termes et conclusions de son recours et critiqué la motivation de l'AFC-GE. Son argumentation sera discutée plus amplement ci-dessous par le tribunal.
27. Par une duplique du 17 juillet 2024, l'AFC-GE a formulé ses observations sur ces critiques et persisté pour le surplus dans ses propres conclusions.
28. Exerçant son droit à la réplique, la recourante a, dans son courrier adressé au tribunal le 31 juillet 2024, critiqué l'argumentation de l'AFC-GE.
29. Après avoir reçu cette écriture, cette dernière y a réagi par un courrier du 16 août 2024, qui a été suivi d'une nouvelle réaction de la recourante du 30 août 2024.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 140 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11).
2. Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des art. 49 LPFisc et 140 LIFD.
3. La recourante conclut en premier lieu que l'audition de témoins soit réservée. Bien qu'il dispose d'un pouvoir d'instruction d'office, le tribunal rappelle le devoir d'allégation des parties. La recourante n'a sollicité l'audition d'aucune personne en particulier et le tribunal considère que les éléments déterminants sont établis par les pièces versées à la procédure. Il ne procédera dès lors à l'audition d'aucun témoin.
4. La recourante demande ensuite qu'il soit procédé par voie de commission rogatoire pour obtenir les taxations des années 2009 et 2010 de la gestionnaire du Fonds auprès des autorités de Singapour.
5. L'AFC-GE a souligné à juste titre que la convention conclue entre la Confédération suisse et la République de Singapour permettant l'échange d'informations n'est entrée en vigueur que le 1er août 2012 et ne permet dès lors pas d'obtenir des documents relatifs à des périodes antérieures. Le tribunal relève par ailleurs que la recourante a été en mesure de produire en annexe à son courrier du 16 septembre 2022 le bordereau basé sur le bénéfice 2010 de cette société et qu'elle n'explique pas pour quels motifs elle n'est pas en mesure de produire le même document pour l'exercice antérieur.
6. Pour toutes ces raisons, le tribunal ne donnera pas suite à cette demande.
7. La recourante se plaint ensuite d'une violation de son droit d'être entendue et critique en particulier le résumé qui lui a été remis du contenu essentiel de la pièce 59 de l'AFC-GE.
8. Le tribunal relève en premier lieu que le jugement du 23 janvier 2023 relatif au droit de consulter le dossier est entré en force. Même s'il ne s'agit que d'une décision incidente, il ne reviendra pas sur les principes retenus par celui-ci et se contentera d'examiner dans quelle mesure l'AFC-GE a respecté ce qui lui a été demandé.
9. Le tribunal, après avoir examiné les documents produits par l'AFC-GE sous couvert du secret fiscal (pièce TAPI-N), qui correspondent à la pièce 59 de la précédente procédure, constate que la description communiquée à la recourante en annexe à son courrier du 10 mai 2023 est correcte et résume de manière suffisamment détaillée ces pièces pour qu'il soit retenu que leur contenu essentiel a été transmis à la recourante. Cette dernière est dès lors en mesure d'exercer son droit d'être entendue et les pièces litigieuses ont été valablement versées à la procédure et peuvent servir de moyen de preuve à l'appui des allégués de l'AFC-GE.
10. Dans sa réplique, la recourante s'étonne du fait que le dossier produit par l'AFC-GE comporte cinq classeurs fédéraux alors que celui qui lui avait été transmis à l'époque ne contenait que d'une dizaine de pages. Elle aura certainement remarqué que la plus grande partie de ces documents, soit environ quatre classeurs fédéraux, est constituée d'annexes à son courrier du 10 janvier 2019. La suspicion qu'il existe deux dossiers parallèles n'est ainsi pas étayée.
En outre, le tribunal ne rendra son jugement que sur la base des pièces versées à la procédure et que la recourante a pu consulter, y compris celles couvertes par le secret fiscal dont le contenu essentiel lui a été communiqué. Son droit d'être entendue a été ainsi pleinement respecté, au moins dans le cadre de la procédure de recours, ce qui suffira à réparer toute éventuelle et hypothétique violation antérieure, puisque le tribunal dispose d'un plein pouvoir d'examen.
11. Se pose ensuite la question de la prescription, qui doit être examinée d'office par le tribunal.
12. En l'absence d'une réglementation expresse contraire, le droit applicable à la taxation est celui en vigueur pendant la période fiscale en cause. Le rappel d'impôt relevant du droit matériel, le droit applicable obéit aux mêmes règles (arrêts du Tribunal fédéral 9C_715/2022 du 19 juillet 2023 consid. 5 ; 2C_700/2022 du 25 novembre 2022 consid. 4.1 et la référence). En revanche, en ce qui concerne la poursuite pénale pour soustraction fiscale (consommée ou tentée), le nouveau droit, entré en vigueur le 1er janvier 2017 (RO 2015 779 ; FF 2012 2649), s'applique au jugement des infractions commises au cours de périodes fiscales précédant son entrée en vigueur s'il est plus favorable que le droit en vigueur au cours de ces périodes fiscales (principe de la lex mitior ; art. 205f de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 [LIFD - RS 642.11] et 78f de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 [LHID - RS 642.14 ]).
13. L'art. 152 al. 1 LIFD prévoit que le droit d'introduire une procédure de rappel d'impôt s'éteint dix ans après la fin de la période fiscale pour laquelle la taxation n'a pas été effectuée, alors qu'elle aurait dû l'être, ou pour laquelle la taxation entrée en force était incomplète. Le droit de procéder au rappel d'impôt s'éteint quinze ans après la fin de la période fiscale à laquelle il se rapporte (art. 152 al. 3 LIFD ; cf. ATF 140 I 68 consid. 6.1). Les art. 61 al. 1 et 3 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17) et 53 al. 2 et 3 LHID posent les mêmes principes. La problématique peut donc être examinée conjointement pour l'IFD et les ICC.
14. Avant le 1er janvier 2017, la poursuite pénale de soustraction d'impôt consommée se prescrivait par dix ans à compter de la fin de la période fiscale pour laquelle la taxation n’a pas été effectuée ou l’a été de façon incomplète (art. 184 al. 1 let. b aLIFD). La prescription était en outre interrompue par tout acte de procédure tendant à la poursuite du contribuable (art. 184 al. 2 aLIFD). Depuis le 1er janvier 2017, le délai de prescription est de dix ans et il ne court plus si une décision a été rendue par l'autorité cantonale compétente avant l'échéance dudit délai (art. 184 al. 1 let. b et al. 2 LIFD). L'art. 58 al. 1 et 3 LHID, en vigueur depuis le 1er janvier 2017, a un contenu identique à celui de l'art. 184 LIFD. Il a été repris en droit cantonal à l’art. 77 LPFisc, selon lequel la poursuite pénale pour soustraction d’impôt consommée se prescrit donc par dix ans à compter de la fin de la période fiscale pour laquelle la taxation n’a pas été effectuée ou l’a été de façon incomplète (art. 77 al. 1 let. b LPFisc). La prescription ne court plus si une décision a été rendue par l’autorité compétente (art. 75) avant l’échéance du délai de prescription (art. 77 al. 2 LPFisc).
15. En l’espèce, un avis d’ouverture de la procédure de rappel d’impôt a été notifié à la recourante le 14 février 2019 pour l’IFD et les ICC des périodes fiscales 2009 à 2016. Le délai de prescription de dix ans des art. 152 al. 1 LIFD, 53 al. 2 LHID et 61 al. 1 LPFisc a ainsi été respecté. S’agissant du délai de quinze ans, il n'est pas encore atteint.
16. En ce qui concerne la soustraction d’impôts, l’autorité fiscale a notifié le 3 décembre 2021des bordereaux d’amende IFD et ICC pour les années 2011 à 2013, soit moins de dix ans avant la fin de ces années fiscales. En application du nouveau droit, qui prévoit que la prescription ne court plus si une décision a été rendue par l'autorité cantonale compétente avant l'échéance du délai de prescription de dix ans à compter de la fin de la période fiscale, la poursuite pénale n'est pas prescrite. Il en va de même en application de l'ancien droit, qui prévoyait un délai absolu de quinze ans à compter de la fin de la période fiscale pour laquelle la taxation n'avait pas été effectuée.
17. Sur le fond, les rappels d’impôts et amendes sont contestés dans leur intégralité. Ceux-ci tirent leur origine dans la réintégration dans le bénéfice de la recourante d’honoraires de gestion du Fonds en sus de ceux de conseils, qui ont été régulièrement comptabilisés.
18. Il convient dès lors de rappeler quels sont les principes applicables avant d’analyser le cas d’espèce.
19. L'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net (art. 57 LIFD). L'art. 58 al. 1 LIFD précise que le bénéfice net imposable comprend notamment le solde du compte de résultats (let. a), ainsi que tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultats, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l'usage commercial (let. b). Au nombre de ces prélèvements figurent les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l'usage commercial (let. b, 5ème tiret).
Les cantons doivent imposer l'ensemble du bénéfice net dans lequel doivent notamment être incluses les charges non justifiées par l'usage commercial, portées au débit du compte de résultats, ainsi que les produits et les bénéfices en capital, de liquidation et de réévaluation qui n'ont pas été portés au crédit du compte de résultats (art. 24 al. 1 let. a et b LHID).
Dans le canton de Genève, en matière d'ICC, l'art. 12 LIPM, dans sa teneur au moment des taxations en cause, prévoit que le bénéfice net imposable est celui qui résulte du compte de pertes et profits (art. 12 let. a LIPM), augmenté de certains prélèvements énoncés aux art. 12 let. b à i aLIPM, ainsi que des produits qui n'ont pas été comptabilisés dans le compte de résultat (art. 12 let. j aLIPM). Bien que rédigé différemment, l'art. 12 LIPM est de même portée que l'art. 58 al. 1 LIFD (ATA/1487/2017 du 14 novembre 2017 et les références citées).
20. Un bénéfice, au sens des dispositions susmentionnées, peut prendre la forme d’une renonciation à un produit, qui conduit à une diminution correspondante du résultat auprès de la société. Tel est par exemple le cas lorsqu’une société renonce totalement ou en partie à un revenu qui lui revient en faveur d’un détenteur de parts ou d’un proche, ou qu’elle n’obtient pas, pour la prestation qu’elle a effectuée, la contreprestation qu’elle aurait exigée d’un tiers (ATF 138 II 57 consid. 2.2).
Selon la jurisprudence, il y a distribution dissimulée de bénéfice constitutive de prestation appréciable en argent lorsque les quatre conditions cumulatives suivantes sont remplies : 1) la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante ; 2) cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le ou la touchant de près ; 3) elle n'aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers ; 4) la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que les organes de la société auraient pu se rendre compte de l'avantage qu'ils accordaient (ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_674/2015 du 26 octobre 2017 consid. 7.1 ; 2C_124/2016 du 31 janvier 2017 consid. 6.1). Il convient ainsi d'examiner si la prestation aurait été accordée dans la même mesure à un tiers étranger à la société, soit si la transaction a respecté le principe de pleine concurrence (« dealing at arm's length » ; ATF 140 II 88 consid. 4.1 ; 138 II 57 consid. 2.2).
21. En matière fiscale, il appartient à l'autorité de démontrer l'existence d'éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation d'impôts. S'agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d'en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l'échec de cette preuve, ces règles s'appliquant également à la procédure devant les autorités de recours (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_32/2020 du 8 juin 2020 consid. 3.5 ; ATA/1239/2021 du 16 novembre 2021 consid. 5a ; ATA/1223/2020 du 1er décembre 2020 consid. 3c).
Si les preuves recueillies par l'autorité fiscale apportent suffisamment d'indices révélant l'existence d'éléments imposables, il appartient à nouveau au contribuable d'établir l'exactitude de ses allégations et de supporter le fardeau de la preuve du fait qui justifie son exonération (ATF 146 II 6 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_80/2021 du 29 juillet 2021 consid. 3.2).
Selon la jurisprudence, le devoir de collaboration du contribuable (art. 124 LIFD) est particulièrement qualifié dans les relations internationales, dès lors que les moyens d'investigation de l'autorité fiscale suisse sont nécessairement restreints (arrêt du Tribunal fédéral 9C_678/2022 du 5 juin 2023 consid. 7.3 et les références citées dont ATF 144 II 427 consid. 2.3.2).
22. En l’espèce, la recourante expose à de nombreuses reprises dans ses écritures qu'elle dispose de compétences reconnues sur le plan international et que ses conseils en matière d'investissement sont appréciés par de nombreux clients, ce qui n'est pas contesté par l'AFC-GE et doit être tenu comme établi. Sont en revanche litigieuses les relations entre les différentes parties concernées dans le contexte de la gestion du Fonds et de ses sous-fonds et le sort des honoraires liés à celles-ci.
23. L'AFC-GE soutient en premier lieu que la recourante serait être à l'origine de la constitution du Fonds, en relevant notamment que les dirigeants de la société émiratie qui auraient procédé à cette constitution ne disposent pas des compétences nécessaires. Cela n'exclut toutefois pas que d'autres collaborateurs de cette société ou des tiers mandatés à cet effet aient pu disposer de telles compétences. Le tribunal relève par ailleurs qu'il n'existe aucun document versé à la procédure permettant d'établir de manière déterminante cet élément de fait, même si certains indices permettraient de le supposer.
24. Toutefois, cet élément de fait peut demeurer indécis dans la mesure où, ce qui est déterminant en l'espèce pour décider si les reprises contestées sont justifiées ou non est avant tout les relations entretenues entre la recourante et les gestionnaires successifs du Fonds et non pas qui était à l'origine de sa constitution.
25. Pour justifier son activité de conseiller, la recourante a produit les contrats conclus avec les gestionnaires successifs du Fonds et de très nombreux justificatifs comptables. Les honoraires encaissés à ce titre ne sont pas contestés et ont été régulièrement déclarés et taxés.
26. Est en revanche litigieuse la question de savoir si les honoraires de gestion et de performance doivent être également attribués à la recourante, ce qui fait l'objet des reprises contestées par cette dernière.
27. L'AFC-GE invoque différents indices pour parvenir à la conclusion de l'absence de structure effective des gestionnaires successifs du Fonds et des liens de proximité entre ceux-ci et la recourante, qui peuvent être analysés comme suit par le tribunal :
- dans la chronologie des faits, la recourante a émis sa première facture à l'attention de la deuxième gestionnaire du Fonds avant la conclusion du contrat de conseil avec cette société et avant qu'elle n'apparaisse comme gestionnaire dans les documents établis par le Fonds. En dehors d'une erreur de date plausible, la recourante explique que le délai est lié à l'échange de contrats en version originale expédiés par des transporteurs et que, ayant été avisée préalablement par l'administrateur du Fonds du changement de gestionnaire, elle avait été en mesure de continuer à exercer son activité avec l'assurance d'être rémunérée. A défaut, elle aurait pris le risque de perdre le mandat. Le tribunal tient cette explication pour crédible ;
- la recourante n'a été en mesure de produire aucun document justifiant des pourparlers préalables à la conclusion des contrats. La migration du système de gestion des courriels alléguée et démontrée par la recourante peut expliquer cette absence de justificatifs même si, comme le relève à juste titre l'AFC-GE, il est troublant que d'autres courriels remontant de la même époque aient pu être produits ;
- s'il s'était agi de relations entre des tiers absolus, la contribuable aurait dû avoir accès et conserver certains documents relatifs, notamment, au changement de gestionnaire du Fonds et aux pouvoirs conférés à celui-ci, puisque les contrats de conseil étaient conclus avec lui. La recourante explique que les prospectus produits mentionnent clairement qui était ce gestionnaire, ce qui suffit, et ce d'autant plus qu'elle avait des contacts directs avec leurs collaborateurs par divers canaux. Le tribunal n'est pas convaincu sur ce point de l'argumentation de l'AFC-GE dans la mesure où, dans les relations d'affaires, il n'est pas usuel de demander aux cocontractants de justifier de leurs pouvoirs lorsque ceux-ci ressortent d'autres documents, par exemple, le registre du commerce ou d'autres publications à caractère officiel, en l'espèce, les prospectus du Fonds. L'AFC-GE relève toutefois avec pertinence que, en retenant la date de signature du contrat avec le deuxième gestionnaire le 25 janvier 2011 alors que ce dernier apparaissait dans le prospectus daté du 1er décembre 2010, qu'une activité ait perduré pendant environ trois mois sans contrat au vu de l'importance des montants en jeu. Elle relève également que le deuxième gestionnaire aurait versé des rétrocessions pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2010 sans avoir encaissé de commissions pour le trimestre considéré, ce qui n'est pas contredit de manière probante par la recourante ;
- la recourante a été en mesure de produire des documents internes d'un des gestionnaires, notamment son bordereau et un contrat de travail le liant à son directeur, tout en affirmant de ne pas être en mesure de produire d'autres justificatifs effectifs de son activité effective ;
- la recourante affirme que les honoraires liés à la performance du Fonds reviennent exclusivement aux gestionnaires, qui prennent les décisions finales et assument les risques et la responsabilité des choix d'investissement sur la base des conseils reçus. Toutefois, le fait qu'elle soit incapable de désigner ses interlocuteurs qui assumaient ces tâches au sein des sociétés chargées de la gestion permet de douter de cette affirmation. Ce doute est renforcé par le fait que les courriels produits par la recourante (pièce 29) mentionnent comme signataire "Admin Back Office". Ces informations sur les transactions effectuées ne permettent pas de tirer la conclusion que les décisions de gestion avaient effectivement été prises par les entités concernées, contrairement à ce qu'allègue la recourante ;
- bien qu'elle ait été en mesure de produire, ainsi qu'il a déjà été relevé ci-dessus, des documents internes d'une des gestionnaires du Fonds, la recourante s'est avérée incapable de produire un quelconque justificatif de la réalité d'une structure et d'une activité sur place ;
- dans les contrats de conseil conclus avec les gestionnaires d’autres fonds, la recourante a prévu une rémunération complémentaire liée à la performance. Il est surprenant que tel n'ait pas été le cas des contrats conclus en lien avec le Fonds. L'explication de celle-ci selon laquelle son rôle dans les contrats cités par l'AFC-GE étaient différents n'est pas documentée.
28. En conclusion ces indices ne permettent pas aux yeux du tribunal de retenir à eux seuls de manière définitive l’absence de structure effective des gestionnaires successifs du Fonds, ni leurs liens de proximité avec la recourante. Toutefois les éléments déterminants qui ressortent du dossier d'un autre contribuable et qui ont été produits sous le couvert du secret fiscal démontrent l'existence d'un système mis en place permettant la redistribution à des proches de la recourante des montants encaissés par les structures qui apparaissaient comme gestionnaires du Fonds.
29. Sur la base des principes découlant des arrêts cités ci-dessus, le tribunal considère que l'AFC-GE était légitimée à réintégrer dans le résultat imposable de la recourante les honoraires de gestion et de performance litigieux, ceux-ci résultant manifestement exclusivement de ses propres conseils, dont l’existence est expressément alléguée et admise par celle-ci. Cette conclusion s’impose d’autant plus que, dans le cadre des relations contractuelles avec le troisième gestionnaire du Fonds, dont la qualité de tiers indépendant ne fait pas de doute, des honoraires liés à la performance ont été convenus.
30. Un résultat identique ressort de l’analyse du cas d’espèce sous l’angle de l’évasion fiscale, à l’exemple de l’arrêt du Tribunal fédéral 2C_907/2022 du 16 décembre 2022. Organiser la gestion apparente des Fonds par des structures ne disposant d’aucune infrastructure opérationnelle démontrée et détourner ainsi des honoraires qui auraient dû être taxés en Suisse dans des juridictions offrant notoirement une fiscalité très avantageuse constitue une telle évasion, et ce d’autant plus que les profits ainsi réalisés ont été reversés à des proches de la recourante par ces structures.
31. Reste à contrôler le montant de ces reprises, qui est contesté par la recourante. Le tribunal relève à cet égard que les calculs détaillés ont été produits par l'AFC-GE et que la recourante n'a contesté que deux montants minimes qui, en réalité, aboutiraient à une augmentation du montant des reprises. Le tribunal renoncera à cet égard à une reformatio in pejus.
32. La recourante soutient par ailleurs que, des honoraires encaissés, il y a lieu de déduire des frais généraux de deux entités qui ont été successivement les gestionnaires du Fonds. Elle n'a produit toutefois aucun justificatif probant, se contentant d'extrapoler des chiffres à partir du seul bordereau de l'une des entités pour une seule période fiscale, qui ne contient aucun détail. Dans la mesure où elle supporte le fardeau de la preuve, le tribunal ne pourra que rejeter son argumentation et ses conclusions sur ce point.
33. Les rappels d’impôts doivent être dès lors confirmés. Reste à examiner la question des pénalités.
34. Le contribuable qui, intentionnellement ou par négligence, fait en sorte qu'une taxation ne soit pas effectuée alors qu'elle devrait l'être, ou qu'une taxation entrée en force soit incomplète, est puni d'une amende (art. 175 al. 1 LIFD ; art. 56 al. 1 de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) ; art. 69 al. 1 LPFisc).
35. Pour qu'une soustraction fiscale soit réalisée, trois éléments doivent dès lors être réunis : la soustraction d'un montant d'impôt, la violation d'une obligation légale incombant au contribuable et la faute de ce dernier. Les deux premières conditions sont des éléments constitutifs objectifs de la soustraction fiscale, tandis que la faute en est un élément constitutif subjectif (arrêts du Tribunal fédéral 2C_41/2020 du 24 juin 2020 consid. 9.1 et 11 ; 2C_874/2018 précité consid. 10.1 ; ATA/859/2018 du 21 août 2018 consid. 13b et la référence). La violation d'une obligation légale peut résulter d'une irrégularité dans la comptabilité ou du fait de remplir sa déclaration fiscale de manière non conforme à la vérité et non complète, en violation de l'art. 124 al. 2 LIFD (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1018/2015 précité consid. 9.4.2 et les références citées).
36. La soustraction est punissable aussi bien intentionnellement que par négligence. La notion de négligence des art. 175 LIFD et 56 LHID est identique à celle de l'art. 12 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) : commet un crime ou un délit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, agit sans se rendre compte ou sans tenir compte des conséquences de son acte. L'imprévoyance est coupable quand l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et sa situation personnelle, par quoi l'on entend sa formation, ses capacités intellectuelles et son expérience professionnelle. Si le contribuable a des doutes sur ses droits ou obligations, il doit faire en sorte de lever ce doute ou, au moins, en informer l'autorité fiscale (ATF 135 II 86 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_874/2018 précité consid. 10.1.3 ; 2C_129/2018 précité consid. 9.1 et les références ; ATA/407/2022 du 12 avril 2022 consid. 6 a).
37. La preuve d'un comportement intentionnel de la part du contribuable doit ainsi être considérée comme apportée lorsqu'il est établi avec une sécurité suffisante que celui-ci était conscient du caractère erroné ou incomplet des indications fournies. Si cette conscience est établie, il faut présumer qu'il a voulu tromper les autorités fiscales, afin d'obtenir une taxation plus favorable (arrêts du Tribunal fédéral 2C_792/2021 du 14 mars 2022 consid. 6.4.1 ; 2C_1052/2019 du 18 mai 2020 consid. 3.7.1 ; 2C_184/2019 du 25 septembre 2019 consid. 3.2 et 2C_444/2018 du 31 mai 2019 consid. 10.4.1). Cette présomption ne se laisse pas facilement renverser, car l'on peine à imaginer quel autre motif pourrait conduire un contribuable à fournir au fisc des informations qu'il sait incorrectes ou incomplètes (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1066/2018 du 21 juin 2019 consid. 4.1 ; 2C_129/2018 précité consid. 9.1). Le dol éventuel suffit pour retenir l'intention (arrêts du Tribunal fédéral 2C_78/2019 du 20 septembre 2019 consid. 6.2 ; 2C_444/2018 précité consid. 9.2) : il suppose que l'auteur envisage le résultat dommageable, mais agit néanmoins, parce qu'il s'en accommode au cas où il se produirait (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1073/2018 précité consid. 17.3.1 et les arrêts cités ; ATA/407/2022 précité consid. 6b). En revanche, agit par négligence celui qui, par une imprévoyance coupable, ne se rend pas compte ou ne tient pas compte des conséquences de son acte. L'imprévoyance est coupable lorsque l'auteur n'a pas usé des précautions commandées par les circonstances et sa situation personnelle, ce par quoi l'on entend sa formation, ses capacités intellectuelles et son expérience professionnelle (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1052/2019 précité consid. 3.7.1 ; 2C_1066/2018 précité consid. 4.1 ; 2C_1018/2015 précité consid. 9.4.4).
38. Ainsi, un contribuable a, au moins, agi par dol éventuel lorsqu’il fournit des informations qu’il sait incomplètes ou incorrectes et n’intervient pas auprès du fisc pour les rectifier. On considère en effet qu’il a adopté ce comportement en escomptant que l’autorité fiscale s’en tienne à sa déclaration, sans l’examiner de manière approfondie. Un raisonnement similaire peut être tenu a fortiori si le contribuable n’a pas déposé de déclaration fiscale, qu’il obtient une taxation de loin plus favorable dans le cadre de la taxation d’office qui s’ensuit et ne réagit pas ultérieurement de lui-même pour rectifier l’erreur du fisc, soit avant que celui-ci ne s’en aperçoive et engage une procédure de rappel d’impôt (ATA/561/2011 du 30 août 2011).
39. En l’espèce, il est établi que les taxations initiales établies par l’AFC-GE ont donné lieu à des rappels d’impôts. Les éléments objectifs d’une soustraction fiscale sont ainsi donnés.
40. L’élément subjectif, soit la faute, est également réalisé. Les structures mises en place ne peuvent pas s’expliquer autrement que par une intention de soustraction des impôts suisses.
41. En règle générale, l'amende est fixée au montant de l'impôt soustrait. Si la faute est légère, l'amende peut être réduite jusqu'au tiers de ce montant ; si la faute est grave, elle peut au plus être triplée (art. 175 al. 2 LIFD et 69 al. 2 LPFisc). Il en découle qu'en présence d'une infraction intentionnelle sans circonstances particulières, l'amende équivaut en principe au montant de l'impôt soustrait. Ce dernier constitue donc le premier critère de fixation de l'amende, la faute intervenant seulement, mais de manière limitée, comme facteur de réduction ou d'augmentation de sa quotité (ATA/1427/2019 du 24 septembre 2019 consid. 4a). Le fait que l'auteur ait agi intentionnellement ou par négligence peut avoir une incidence sur l'intensité de la faute et, partant, sur la quotité de l'amende (ATA/513/2016 du 14 juin 2016 consid. 10).
42. En cas de faute grave, l'amende doit en principe être supérieure à une fois l'impôt soustrait et peut être au plus triplée (cf. art. 175 al. 2 in fine LIFD et 69 al. 2 in fine LPFisc ; ATF 144 IV 136 consid. 7.2.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_281/2019 du 26 septembre 2019 consid. 8.1). Par faute grave, il faut comprendre, entre autres, la récidive, de même que l'attitude continuellement récalcitrante du contribuable vis-à-vis des autorités fiscales. Il y a en particulier circonstance aggravante, lorsque la soustraction d'impôt s'étend sur plusieurs années et s'effectue selon différents procédés, en cas d'existence d'un compte bancaire non déclaré ou, par exemple, en cas de présentation planifiée et erronée de bilans sur plusieurs exercices (cf. Pietro SANSONETTI/Danielle HOSTETTLER, Commentaire romand, Impôt fédéral direct, 2017, n. 54 ad art. 175).
En droit pénal fiscal, les éléments principaux à prendre en considération sont le montant de l'impôt éludé, la manière de procéder, les motivations, ainsi que les circonstances personnelles et économiques de l'auteur (ATF 144 IV 136 consid. 7.2.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_180/2013 du 5 novembre 2013 consid. 9.1 ; 2C_851/2011 du 15 août 2012 consid. 3.3 et les références citées).
La bonne collaboration du contribuable dans la procédure en soustraction d'impôt constitue l'un des éléments permettant de réduire la peine (cf. arrêt du Tribunal fédéral 2C_1007/2012 du 15 mars 2013). Entrent également en considération le repentir actif (réglé par l'art. 175 al. 3 LIFD) ou encore l'écoulement d'un temps relativement long entre l'acte et sa découverte, durant lequel le contribuable s'est comporté correctement à l'égard du fisc (cf. Pietro SANSONETTI/Danielle HOSTETTLER, op. cit., n. 47 ad art. 175 et les références citées).
Lorsque le contribuable cache un élément de sa fortune et omet de signaler les revenus qui en découlent dans plusieurs déclarations, on est en présence d'un concours réel : le contribuable commet une nouvelle soustraction fiscale à chaque déclaration (cf. Pietro SANSONETTI/Danielle HOSTETTLER, op. cit., n. 46 s., 54 et 56 s. ad art. 175).
43. Dans la mesure où elles respectent le cadre légal, les autorités fiscales cantonales, qui doivent faire preuve de sévérité afin d'assurer le respect de la loi, disposent d'un large pouvoir d'appréciation lors de la fixation de l'amende, l'autorité de recours ne censurant que l'abus du pouvoir d'appréciation (cf. ATF 144 IV 136 consid. 9.1 ; ATA/1002/2020 du 6 octobre 2020 consid. 9b et les références citées).
Par ailleurs, selon la jurisprudence, l'importance des montants soustraits et donc des rappels d'impôts ne constitue pas une sorte de double sanction et n'est donc pas un critère devant jouer en faveur du contribuable, le critère légal des art. 175 al. 2 LIFD et 69 al. 2 LPFisc étant celui de la gravité de la faute (cf. ATF 144 IV 136 consid. 7.3.2).
44. En l’espèce, la quotité des amendes litigieuses a été fixée à 1.25 fois le montant des impôts soustrait. Compte tenu de la gravité de la faute de la recourante, celle-ci ne consacre en aucun cas un abus du pouvoir d’appréciation de l’AFC-GE.
45. Les amendes seront par conséquent également confirmées, tant dans leur principe que dans leur montant.
46. En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante, qui succombe, est condamnée au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 1’500.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 13 novembre 2023 par A______ SA contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 10 octobre 2023 ;
2. le rejette ;
3. met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1’500.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
4. ordonne la restitution à la recourante du solde de l’avance de frais de CHF 500.- ;
5. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
6. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant: Antoine BERTHOUD, président, Pascal DE LUCIA et Philippe FONTAINE, juges assesseurs
Au nom du Tribunal :
Le président
Antoine BERTHOUD
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
Genève, le |
| La greffière |