Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/1006/2024 du 09.10.2024 ( LCI ) , REJETE
REJETE par ATA/507/2025
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 9 octobre 2024
| ||||
dans la cause
Monsieur A______ et Madame B______, Monsieur C______ et Madame D______, Monsieur E______, Monsieur F______, Monsieur G______ et Madame H______, Madame I______, Monsieur J______ et Madame K______, représentés par Me Paul HANNA, avocat, avec élection de domicile
contre
L______ SA et M______ SA, représentées par Me Mark MULLER, avocat, avec élection de domicile
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
1. L______ SA (ci-après : L______ SA) et M______ SA (ci-après : M______ SA) sont copropriétaires, depuis le 3 novembre 2021, de la parcelle n° 1______ de la commune de N______, située en 5ème zone à bâtir au sens de l’art. 19 al. 3 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT- L 1 30), à l’adresse chemin O______ 2______.
Cette parcelle de 1’808 m2 appartenait auparavant à une société immobilière.
2. Le 6 novembre 2019, L______ SA a déposé auprès du département du territoire (ci-après : le département) une demande définitive d’autorisation de construire en vue de l’édification, sur la parcelle précitée, de six villas à très haute performance énergétique (ci-après : THPE ; taux de 47,70%), avec garage souterrain et couvert à vélos.
Le projet concernait six villas réparties en deux blocs de deux villas contiguës et de deux villas, toutes reliées par des constructions de peu d’importance (ci-après : CDPI) ; il impliquait l’abattage d’arbres. Douze places de parking pour les habitants en sous-sol et deux places visiteurs en surface étaient prévues. L’accès des engins du service du feu était prévu par le chemin O______, d’une largeur d’environ 6,75 m, côté route P______.
3. Lors de l’instruction de cette demande, enregistrée sous la référence DD 3______, les préavis usuels ont été requis et émis.
En particulier, l’office cantonal des transports (ci-après: OCT) a rendu un préavis favorable le 20 janvier 2020, sans observations, la police du feu a requis, le 7 janvier 2020, la modification du projet et la commission d’architecture (ci-après : CA) a préavisé défavorablement le 14 janvier 2020, relevant une implantation incohérente par rapport aux contexte bâti environnant, un projet dense s’étalant sur la parcelle au détriment de la végétation et de l’arborisation environnantes, des espaces résiduels entre les villas inutiles et contraignant l’apport supplémentaire de surface végétale, une rampe invasive, un sous-sol conséquent ainsi qu’une architecture banale, sans qualité. La commune a rendu un préavis défavorable le 29 janvier 2020, se prononçant en défaveur de la dérogation prévue à l’art. 59 al. 4 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Le 4 mars 2020, l’office de l’urbanisme (ci-après : OU ; anciennement SPI) a préavisé favorablement.
4. S’agissant de la deuxième version du projet, qui comprenait toujours six maisons, mais divisées en deux blocs de trois villas contiguës, reliées par une CDPI, ainsi que douze places de parking pour les habitants et deux pour les visiteurs, en surface et non plus en sous-sol, la police du feu a préavisé favorablement, sous conditions, le 15 juillet 2020, la CA en a fait de même le 21 juillet 2020. Elle s’est déclarée favorable à la dérogation selon l’art. 59 al. 4 LCI puisque le projet répondait à ses remarques du 14 janvier 2020. L’OCT a rendu un préavis favorable, sans observation, le 23 juillet 2020. La commune s’est à nouveau prononcée, par préavis du 28 août 2020, en défaveur du projet modifié ; elle a notamment requis de réduire le nombre de place de stationnement à une place automobile par logement, au vu de la proximité et de la qualité des transports publics.
5. La troisième version du projet, déposée auprès du département le 15 janvier 2021, comprenait toujours six villas contiguës, projetées en deux blocs de trois désaxés, et huit places de parking, sept pour les habitants et une pour les visiteurs, ceci pour se conformer au préavis communal du 28 août 2020.
La CA, l’OCT et la police du feu n’ont pas été consultés. Le 21 janvier 2021, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC) a requis la modification du projet, faisant valoir que le bureau au rez-de-chaussée devait disposer d’une vue droite d’au moins 4 m sur toute la largeur de l’ouverture en vertu des art. 72 et 73 LCI. Elle a relevé que les critères de dérogations à l’art. 59 LCI étaient réunis. Le 19 février 2021, l’office cantonal de l’agriculture et de la nature (ci-après : OCAN) a émis un préavisé favorable, sous conditions, requérant notamment le respect du préavis liant n° 4______, lequel prévoyait qu’il fallait replanter des arbres pour un montant d’au moins CHF 24’800.- et fournir, avant les abattages, un projet chiffré de replantation pour accord préalable de l’OCAN ; le projet de replantation devait être revu afin d’intégrer des arbres similaires à la forme érigée le long du chemin O______. La commune s’est encore prononcée, par préavis du 31 mars 2021, en défaveur de cette version du projet.
6. Le 21 avril 2021, de nouveaux plans ont été déposés auprès du département ; les places de parking ont été réduites à six places de parking pour les habitants et une pour les visiteurs, afin de se conformer à l’exigence formulée par la DAC.
La CA, l’OCT et la police du feu n’ont pas été consultés sur cette quatrième version du projet.
7. Par décision du ______ 2021, publiée dans le Feuille d’avis officielle (ci-après : FAO) du même jour, le département a délivré l’autorisation globale DD 3______.
8. Le 14 septembre 2021, sous la plume de leur conseil, Monsieur A______ et Madame B______, Monsieur C______ et Madame D______, Messieurs E______ et F______, Monsieur G______ et Madame H______, Madame I______, Monsieur J______ et Madame K______ ont interjeté recours auprès du tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre l’autorisation précitée, concluant principalement à son annulation.
9. Le 4 janvier 2022, l’OCT a rendu un préavis favorable, sans observation (il ne s’est pas prononcé sur les dérogations au règlement d’application de la loi sur la prévention des sinistres, l’organisation et l’intervention des sapeurs-pompiers du 25 juillet 1990 - RPSSP - F 4 05.01). Le service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA) a quant à lui préavisé favorablement, sous conditions.
10. Le 17 janvier 2022, L______ SA et le département ont transmis au tribunal leurs observations sur le recours.
11. Le 15 février 2022, L______ SA a écrit au département pour requérir la reprise de l’instruction du dossier DD 3______ en vue d’une reconsidération et du prononcé d’une nouvelle décision.
Bien que contestant les arguments soulevés dans le recours du 14 septembre 2021, elle déposait, « par prudence », un projet modifié afin de répondre au grief ayant trait à la violation du règlement relatif aux places de stationnement sur fonds privés du 16 décembre 2015 (RPSFP - L 5 05.10) ainsi qu’à celui concernant l’installation des pompes à chaleur (ci-après : PAC). Elle sollicitait la reprise de l’instruction du dossier, la reconsidération de la décision du ______ 2021 et le maintien du numéro du dossier DD 3______ « afin que la nouvelle décision conserve tous les droits liés au dépôt de la demande en novembre 2019 ».
Diverses pièces ont été produites. Les plans déposés prévoyaient deux places de parc pour chaque villa contiguë. Le rapport acoustique sur l’impact sonores des PAC installées en toiture du 8 février 2022 concluait que la future installation serait conforme à l’ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41) ainsi qu’aux exigences minimales de la norme SIA 181, édition 2020, pour les bruits techniques.
12. Au cours de l’instruction de cette demande de reconsidération, le département n’a consulté, au motif de la modification mineure du projet, que certaines instances de préavis :
- le 22 mars 2022, la CA s’est prononcée favorablement, sans observation ;
- le 28 mars 2022, l’OCT a préavisé favorablement, avec le souhait que la place visiteurs soit attribuée à la villa A (soit celle la plus proche du chemin O______) ;
- le même jour, l’office cantonal de l’eau (ci-après: OCEau) a rendu un préavis favorable, sous conditions ;
- toujours le même jour, la commune a renouvelé son préavis défavorable du 31 mars 2021 ;
- le 8 avril 2022, le SABRA a préavisé favorablement, sous conditions.
En particulier, la DAC n’a pas été consultée.
13. Le 6 mai 2022, le département a informé le tribunal qu’il était en train d’instruire une version légèrement modifiée du projet litigieux, raison pour laquelle plusieurs nouveaux préavis avaient été sollicités.
14. Le ______ 2022, le département a reconsidéré sa décision DD 3______ et rendu une décision globale, publiée dans la FAO du même jour, délivrant l’autorisation de construire DD 3______ - RE.
En son point 5, cette décision stipule que les conditions figurant dans les préavis du SABRA du 8 avril 2022, de l’OCEau du 28 mars 2022, de la direction de la mensuration officielle du 11 décembre 2019, du service des monuments et des sites du 12 février 2020, de la police du feu du 15 juillet 2020, de l’office cantonal de l’énergie du 30 juillet 2020, de l’OCAN du 19 février 2021 ainsi que son préavis liant n° 4______, faisant partie intégrante de l’autorisation, devaient être respectées. En son point 11, elle établit que la présente autorisation annulait et remplaçait l’autorisation DD 3______ délivrée le ______ 2021.
15. Le même jour, le département en a informé le tribunal et la commune.
16. Par acte du 16 août 2022, les recourants ont déposé recours contre l’autorisation de construire DD 3______ du ______ 2022, concluant à son annulation et à ce qu’il leur soit donné acte que l’autorisation de construire DD 3______ délivrée le ______ 2021 avait été annulée, avec suite de frais et dépens.
Les recourants, propriétaires de parcelles situées à côté de celle faisant l’objet du projet de construction litigieux, à distance de moins d’une quarantaine de mètres, avaient tous qualité pour recourir, étant précisé que M. G______ n’était pas propriétaire, mais qu’il vivait avec son épouse sur la parcelle de cette dernière.
À la lumière, d’une part, de la doctrine qui retenait que l’autorité pouvait retirer sa décision si elle l’estimait incompatible avec les faits tels qu’ils avaient été établis, avec les règles applicables et avec les autres considérations d’opportunité qui lui paraissaient s’imposer et, d’autre part, du fait que la demande de reconsidération du 15 février 2022 se fondait sur une série d’éléments nouveaux et non sur la base des faits établis par le département pour rendre la décision du ______ 2021, il fallait admettre que la décision entreprise devait être qualifiée de « décision sur demande d’autorisation » - qui représentait le moyen par lequel un administré sollicitait d’une autorité administrative une décision sur la base d’un état de fait qui lui était présenté - et non de « décision sur reconsidération », qui supposait le maintien de l’état de fait existant. En fait, le département n’avait pas « re-décidé » sur la base des faits tels qu’ils avaient été établis, mais sur la base d’un nouveau projet. Or, le fait de ne pas avoir modifié sa décision de base, mais d’en rendre une nouvelle consacrait de nombreuses violations à la loi. Ainsi, les art. 2 LCI et 9 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI - L 5 05.01) concernant les pièces devant être déposées par le demandeur et les indications devant être fournies quant aux objets destinés à occuper le sous-sol de façon permanente, avaient été violés. Il en allait de même de l’art. 3 LCI concernant la publication de la demande d’autorisation de construire dans la FAO, la procédure d’observations et la transmission du dossier aux communes, départements et organismes intéressés.
En outre, l’art. 59 al. 4bis LCI n’avait pas été respecté. En l’occurrence, le plan directeur communal (ci-après : PDCom) de N______ de 2ème génération avait été adopté le 18 novembre 2021 et approuvé par le Conseil d’État le 3 mars 2022, de sorte qu’un préavis communal favorable était nécessaire dans la mesure où la demande d’autorisation de construire avait été déposée le 15 février 2022. Or, la commune avait préavisé défavorablement le projet en cause.
À la lumière de l’art. 59 al. 4 LCI, il y avait aussi un problème avec l’absence de préavis de la CA. Celle-ci n’avait pas été appelée à se prononcer sur les troisième et quatrième versions du projet, alors même que les modifications opérées étaient de nature à justifier une nouvelle analyse de sa part. A priori, elle s’était prononcée sur la 5ème version du projet, mais son dernier préavis ne comportait toutefois aucun commentaire, malgré les modifications de faibles qualités apportées au projet. Aucune dérogation à l’art. 59 al. 4 LCI n’y avait par ailleurs été accordée.
Le projet ne s’intégrait pas avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier. La CA avait vivement critiqué sa première version, mettant notamment en évidence une implantation incohérente par rapport au contexte bâti environnant, un projet trop dense et une architecture banale, sans qualité. Le projet n’ayant globalement pas évolué, elle aurait dû persister dans sa position en rendant le second préavis. Il en allait de même s’agissant de la 5ème version du projet, qui prévoyait encore moins de végétation que les précédents. En tout état, le projet autorisé créait un malheureux précédent dans le quartier puisqu’il s’agissait du premier projet en ordre contigu du secteur.
Les plans visés ne varietur n’indiquaient pas les voies d’accès des services d’incendie et de secours depuis le chemin O______, à savoir la largeur de la chaussée à l’entrée de la parcelle, les rayons et largeurs de chaussées minimaux en virage, de sorte qu’il n’était pas possible en l’état, de vérifier la conformité du projet avec la directive n° 7 du RPSSP (ci-après : directive n° 7). En outre, bien que la police du feu avait rendu un préavis favorable sur les deux premières versions du projet, elle ne s’était pas prononcée sur la dernière version des plans. Ainsi, la question des accès incendie n’avait pas été examinée de manière approfondie et les recourants étaient légitimés à penser que la police du feu n’avait pas pu instruire la dernière version du dossier en ayant connaissance de tous les éléments contextuels. Fondamentalement, ils voyaient mal à quel endroit précis une zone de travail de 5 m sur 12 m pouvaient être implantée. L’absence de tels équipements de sécurité était contraire à la directive et représentait un danger pour le voisinage, dans l’hypothèse où les pompiers ne parviendraient pas à maîtriser à temps un incendie.
L’autorisation litigieuse autorisait l’abattage de neuf arbres d’une valeur totale de CHF 24’800.-, de sorte que le préavis liant du 4 mars 2021 avait conditionné l’abattage de ceux-ci à la replantation d’arbres pour un montant identique, au minimum. Pourtant, selon la requête pour abattage d’arbres de juillet 2020, la requérante ne planterait que cinq arbres, pour un montant total de CHF 11’005.-, en compensation. Un montant supplémentaire de CHF 4’402.- avait été admis pour leur plantation et le reste des mesures compensatoires était constitué d’» autres mesures d’intérêt pour la nature », à savoir la création d’une haie indigène pour un montant total de CHF 10’502,80. Ces autres mesures excédaient de plus d’un tiers la valeur totale de compensation requise et la requérante n’avait pas démontré que la compensation serait difficile ou impossible, ce qui n’avait d’ailleurs pas été reconnu dans le préavis. Il paraissait curieux que tel puisse être le cas, les trois dernières variantes du projet de construction ayant abandonné le principe d’un parking enterré et le faible impact du sous-sol sur la parcelle, projeté sous l’assiette des six constructions, permettait aisément la replantation d’arbres sur tout son pourtour. L’abattage de neuf arbres portait gravement atteinte à la qualité paysagère du site et les mesures de compensation autorisées par l’OCAN, se révélaient insuffisantes pour suppléer à cet abattage.
17. Par jugement du 7 septembre 2022, le tribunal a constaté que le recours interjeté le 14 septembre 2021 était devenu sans objet et a dès lors, rayé la cause du rôle (JTAPI/5______).
18. Le 2 septembre 2022, en réponse à une ordonnance du tribunal du 22 août 2022, L______ SA a indiqué être devenue copropriétaire de la parcelle destinée à accueillir le projet litigieux et avoir ainsi la qualité de partie.
19. Le 21 septembre 2022, le département a transmis son dossier au tribunal, accompagné de ses observations. Il s’en est rapporté à justice quant à la recevabilité du recours du 16 août 2022, a conclu à son rejet et à ce que les recourants soient condamnés aux dépens de l’instance.
Les recourants estimaient que la modification apportée au projet n’aurait pas pu être validée par le biais d’une reconsidération, mais qu’une nouvelle demande d’autorisation de construire aurait dû être déposée. Ils ne démontraient toutefois pas qu’il lui était interdit de reconsidérer librement sa décision, étant relevé que le projet n’était modifié que quant au nombre de places de stationnement, au surplus localisées au même emplacement. Au vu de cette modification, il avait librement estimé pouvoir entrer en matière sur la demande de reconsidération du 15 février 2022. D’ailleurs, la jurisprudence avait déjà eu l’occasion de confirmer une telle façon d’agir et avait aussi établi qu’une modification du nombre de places de stationnement pouvait se faire sur la base du même dossier. Il ne pouvait dès lors être retenu une violation des « art. 2, 3 et 9 LCI » (sic).
La demande déposée en novembre 2019 restait pleinement valable et un préavis favorable de la commune ne s’imposait pas, l’art. 59 al. 4bis LCI n’étant pas en vigueur au moment dudit dépôt. Le tribunal de céans avait confirmé cette position dans l’un de ses jugements.
La CA s’était prononcée sur les deux premières versions du projet et avait rendu, le 7 juillet 2020, un préavis favorable quant à la construction projetée et à l’application de la dérogation de l’art. 59 al. 4 LCI. L’évolution du projet par la suite (version 3 et suivante) s’était avérée minime et ne visait qu’à le rendre plus compact, ce qui ne pouvait que convenir à la CA au vu de la réduction de l’emprise au sol du projet et eu égard aux remarques exposées dans son préavis du 14 janvier 2020. Au niveau de l’esthétique, la légère cassure de la linéarité entre les deux blocs apportait une plus-value architecturale en atténuant l’effet de bloc, tandis que la légère césure initialement projetée entre les deux blocs n’apportait aucune plus-value au projet, son étroitesse n’engendrant aucune véritable percée visuelle. À ce titre, la CA avait d’ailleurs fait mention d’espaces résiduels inutiles, avec impact négatif sur les surfaces végétales dans son préavis du 14 janvier 2020, lorsque le projet prévoyait plusieurs espacements entre blocs de villa(s). C’était donc à juste titre que la CA n’avait pas été reconsultée dans le cadre des versions 3 et 4. La jurisprudence abondait d’ailleurs dans ce sens. Au surplus, la CA, consultée quant à la modification du 15 février 2022 qui pouvait éventuellement impacter les éléments qu’elle examinait, notamment la compacité voulue et la pleine terre, avait rendu un préavis favorable sans observation le 22 mars 2022. Si elle avait estimé que le projet ne lui convenait pas, il ne faisait aucun doute qu’elle l’aurait relevé à cette occasion. Par ailleurs, il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir mentionné la dérogation prévue par l’art. 59 al. 4 LCI dans son dernier préavis, la modification apportée ne portant pas sur la densité de la construction, mais sur un ajout de places de stationnement. S’agissant de l’intégration du projet dans le quartier, la CA avait relevé, dans son préavis du 21 juillet 2020, que les modifications du projet répondaient à ses précédentes remarques et sa position favorable s’avérait dès lors parfaitement compréhensible. De plus, l’harmonie de la construction avec le quartier ne signifiait pas que toutes les constructions devaient être identiques ou devait avoir le même gabarit. Enfin, le projet allait dans le sens indiqué par le plan directeur cantonal 2030 (ci-après : PDCn).
Un nouveau préavis de la police du feu n’avait, au vu des faibles modifications apportées au projet, pas été sollicité. Ainsi, à teneur du préavis favorable sous conditions du 15 juillet 2020 de cette instance, il y avait lieu de considérer que le projet satisfaisait pleinement aux prescriptions en matière de protection incendie. En outre, comme le projet donnait directement sur le chemin O______, les véhicules de secours pourraient s’en approcher dans de bonnes conditions, bien au-delà des exigences minimales en la matière. Enfin, l’art. 96 RCI stipulait qu’hormis les villas, toute construction au sens de l’art. 1 let. a et c devait être facilement accessible aux engins du service du feu.
S’agissant de l’abattage des arbres, le préavis liant de l’OCAN ne prévoyait pas un nombre spécifique d’arbres à replanter, mais imposait la replantation d’arbres (sans précision du nombre) pour un montant de CHF 24’800.- du fait que ce n’était pas uniquement le nombre d’arbres qui avait de l’importance, mais aussi leur valeur respective. Par ailleurs, ce préavis liant fixait comme condition qu’un projet chiffré de replantation soit fourni à l’OCAN, pour accord préalable, avant de procéder aux abattages. Dès lors, ces éléments, et en particulier le respect des conditions émises par l’OCAN dans son préavis, seraient examinés plus tard. Le grief des recourants concernant la prétendue absence de compensation adéquate s’avérait en l’état prématurés, le projet de replantation figurant sur le plan d’aménagement paysager n’étant qu’indicatif. Ce dernier grief devait donc être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.
20. Dans leurs observations du même jour, L______ SA et M______ SA ont conclu, à la forme, à reconnaître la qualité de partie à la procédure de M______ SA, et, au fond, au rejet du recours, à la confirmation de la décision entreprise et à ce que les recourants soient condamnés tant aux frais de la présente procédure qu’à leur verser une indemnité équitable à titre de dépens.
La parcelle destinée à accueillir le projet, dont elles étaient copropriétaires, ce qui leur donnait la qualité de partie à la procédure, était située à proximité de plusieurs zones de développement. En particulier, la parcelle n° 5______ qui la jouxtait était sise en zone de développement 3 et avait fait l’objet d’un plan localisé de quartier qui prévoyait la construction de neuf bâtiments voués à l’habitation ; les chantiers étaient d’ailleurs en cours.
La décision attaquée devait être qualifiée de décision sur reconsidération, qui se substituait formellement à la première, même si elle la confirmait matériellement ; la jurisprudence avait admis qu’une nouvelle décision sur demande en reconsidé-ration pouvait se fonder sur de nouveaux éléments. En l’espèce, la principale modification apportée était l’ajout de places de parking afin que chaque logement puisse disposer de deux places de stationnement. La version finale faisait suite aux différentes observations émises à l’encontre du projet depuis le début de l’instruction du dossier en novembre 2019 et la décision attaquée tenait compte de l’ensemble des éléments de fait pertinents ayant motivé la décision du ______ 2021. Au surplus, ce serait faire preuve de formalisme excessif que d’exiger qu’une nouvelle demande d’autorisation de construire au sens des art. 2ss LCI soit déposée. Une telle exigence nécessiterait de recommencer l’instruction de la requête ab initio, alors même que les intéressés avaient déjà pu faire valoir leurs observations en lien avec ce projet qui n’avait pas fondamentalement changé. Toutes les instances de préavis s’étaient prononcées, si bien que l’instruction avait désormais été menée à son terme.
La demande d’autorisation de construire DD 3______ ayant été déposée auprès du département le 6 novembre 2019, l’art. 59 al. 4bis LCI ne trouvait pas application, de sorte qu’un préavis communal favorable n’était pas nécessaire et que le grief des recourants relatif à la violation de cette disposition devait être écarté.
Le nouveau projet n’augmentait pas l’emprise au sol de la construction et ne réduisait pas les distances aux limites de propriété dès lors que la CDPI avait été retirée. Il restait identique dans tous ses éléments essentiels et caractéristiques, à savoir le nombre et la destination des bâtiments, son architecture, le volume, le nombre d’étages et l’emplacement. En outre, il importait peu que la CA ne se soit pas prononcée sur les troisième et quatrième versions du projet dès lors qu’elle avait rendu un préavis favorable, le 22 mars 2022, sur le projet final autorisé par la décision querellée.
Le projet, qui se situait dans un environnement urbain, était aussi compatible avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, ainsi que le confirmait le préavis favorable sans observations de la CA du 22 mars 2022.
Le projet visant la construction de villas, les modalités prévues par la directive n° 7 ne s’appliquaient pas. En tout état, cette directive était respectée. En effet, l’accès pour les engins du service du feu était prévu par le chemin O______, d’une largeur d’environ 6,75 m à proximité de la parcelle en cause, soit nettement plus que la largeur minimale prévue par l’art. 7.4 de la directive n° 7. De plus, dans ses deux préavis, la police du feu n’avait jamais considéré que l’accès des véhicules de secours serait un problème. Or, les modifications du projet effectuées après le deuxième préavis n’apportaient aucun changement à l’accès à la parcelle. Celle-ci portait sur la réunion des deux blocs de bâtiments contigus. Le préavis de la police du feu du 15 juillet 2020 demeurait ainsi pertinent. Le cas échéant, le tribunal pourrait requérir que la police du feu soit consultée pour rendre un préavis relatif à l’accès des véhicules de secours.
S’agissant de l’abattage des arbres, aucun élément ne permettait à ce stade de constater que les mesures compensatoires ne seraient pas respectées.
21. Différents courriers ont par la suite été échangés quant au fait que L______ SA et M______ SA n’étaient pas inscrites au registre foncier malgré la vente intervenue en date du 3 novembre 2021.
Cette inscription a eu lieu le 21 octobre 2022.
22. Par réplique du 11 novembre 2022, les recourants ont persisté dans leurs conclusions du 16 août 2022.
L’art. 67 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) autorisait certes l’autorité de première instance à reconsidérer ou retirer sa décision en cours de procédure, mais ne détaillait pas le pouvoir « incomplet » qui lui était laissé. À leur sens, ainsi que retenu par deux auteurs de doctrine (Blaise KNAPP et Thierry TANQUEREL), le département n’était pas en droit d’administrer de nouvelles preuves, comme par exemple examiner des plans modifiés. Selon August MÄCHLER, l’autorité de première instance conservait, en cours de procédure de recours, la faculté de procéder à des investigations, mais perdait celle d’administrer des preuves ou d’exiger la collaboration des parties ; cette opinion trouvait un écho favorable dans la jurisprudence du Tribunal fédéral. Mark MULLER rappelait, pour sa part, qu’en droit genevois des constructions, la modification d’une autorisation de construire qui faisait l’objet d’une procédure de recours pendante et donc non entrée en force devait faire l’objet d’une nouvelle requête. Partant, l’art. 67 al. 2 LPA n’autorisait pas le département à examiner de nouveaux éléments et rendre une nouvelle décision portant sur un objet différent ; dans un tel cas, une nouvelle requête devait être déposée. Quant aux exemples jurisprudentiels cités par les intimées, ils ne représentait qu’une clarification ponctuelle, admissible au sens de la littérature et de la jurisprudence du Tribunal fédéral. En l’espèce, le département ne s’était pas limité à demander certaines clarifications auprès de services (tel un préavis manquant), mais avait rouvert un dossier clos et examiné un nouveau projet avec le dépôt de nouveaux documents. Un tel procédé permettrait au département de pouvoir systématiquement réparer un vice matériel entachant une autorisation de construire, faisant fi des exigences formelles de la LCI et du RCI et agissant comme une sorte d’autorité d’opposition et faisant perdre aux tribunaux leur vocation d’organe de contrôle des décisions.
23. Par duplique du 6 décembre 2022, le département a persisté.
Les dires des auteurs de doctrines et la jurisprudence cités par les recourants à l’appui de leur réplique étaient sans pertinence ou sortis de leur contexte et ne présentaient aucunement le sens qu’ils voudraient leur donner. En outre, les suivre limiterait trop le pouvoir de reconsidération qui était laissé par la loi, ce qui n’était pas son but et qui s’avérait contraire aux principe d’économie de procédure et de célérité. La jurisprudence, citée de manière très partiale par les recourants, avait déjà retenu qu’une modification du nombre de places de stationnement, l’aménagement de deux places « visiteurs » et d’une place « moto », pouvait se faire sur la base du même dossier.
En tout état, la possibilité de reconsidération n’engendrait aucun préjudice pour les parties dans la mesure où le dépôt d’un recours (pour l’intimé) ou la poursuite du recours en cours (pour le recourant), avec modification éventuelle du chef des conclusions, restaient possible contre la nouvelle décision.
24. Par duplique du même jour, les intimées ont persisté dans leurs conclusions et arguments du 21 septembre 2022.
La doctrine et la jurisprudence citées par les recourants ne permettaient nullement de soutenir leur position. En particulier, la procédure administrative fédérale ne permettait à l’autorité administrative de revoir sa décision que jusqu’à l’envoi de sa réponse au recours, contrairement à la situation genevoise, de sorte qu’il ne se justifiait pas d’appliquer en l’espèce les principes jurisprudentiels et doctrinaux relatifs à l’effet dévolutif du recours dans la procédure administrative fédérale. En outre, le Tribunal fédéral avait admis qu’en procédure administrative genevoise, une décision sur reconsidération facultative pouvait tenir compte de moyens de fait ou de droit nouveaux.
De plus, la modification du projet consistait en l’ajout de places de parking afin que chaque logement dispose de deux places de stationnement, conformément aux dispositions du RPSFP. Une telle modification ne saurait été considérée comme essentielle, s’agissant d’une modification portant sur un aspect limité du projet, sans impact sur le volume ni sur l’implantation du bâtiment, et qui n’affectait pas le régime juridique de l’autorisation sollicitée.
25. Le 28 mars 2023, le tribunal a interpellé le département pour qu’il lui transmette un préavis de la DAC sur la dernière version du projet. Il ressortait du dossier que cette instance avait, le 21 janvier 2021, requis la modification de la version du projet prévoyant huit places de stationnement au motif que le bureau au rez-de-chaussée devait disposer d’une vue droite d’au moins 4 m sur toute la largeur de l’ouverture, et qu’elle avait ensuite préavisé favorablement la version successive du projet, qui ne prévoyait plus que sept places de parking. La décision litigieuse prévoyant treize places de stationnement, la DAC devait se prononcer à ce sujet, en particulier sur la problématique de la vue droite d’au moins 4 m sur toute la largeur de l’ouverture si celle-ci était encore d’actualité dans la version autorisée par la décision attaquée.
26. Le 21 avril 2023, le département a transmis au tribunal le préavis favorable avec dérogations de la DAC, daté du même jour.
Les pièces donnant sur les places de stationnement s’avéraient être, comme pour la version n° 4 du projet qui avait été préavisée favorablement, affectées à des cuisines. Or, il admettait que les vues droites ne soient pas respectées pour ce type d’affectation. En effet, une cuisine n’était pas une pièce destinée au long séjour et à la détente, au contraire de l’affectation desdites pièces en tant que bureaux dans les versions n° 3 et antérieures du projet.
Ce préavis se prononcaient favorablement quant à une dérogation à l’art. 59 al. 4 let. a LCI.
27. Un échange d’écritures relatif à la portée de l’art. 72 LCI et à la recevabilité d’un grief ayant trait à cette disposition a ensuite eu lieu.
28. Par jugement du 22 juin 2022 (JTAPI/6______), le tribunal a déclaré recevable et admis le recours interjeté le 16 août 2022.
À teneur de la législation en vigueur et de la jurisprudence, rien ne limitait le département pour entrer en matière sur une demande de reconsidération et ce même si la décision en cause était pendante devant le tribunal. Le département n’avait ni abusé ni excédé de son pouvoir d’appréciation en acceptant, après avoir consulté certaines instances de préavis, de reconsidérer sa décision du ______ 2021 et d’en prononcer une nouvelle. Il n’y avait dès lors pas lieu de considérer la demande de reconsidération comme une nouvelle demande distincte.
L’art. 72 LCI exigeait formellement que les cuisines soient pourvues de baies et d’une vue droite indépendamment de leur utilisation. Le marquage des places de parking au sol ne pouvait certes pas porter atteinte aux vues droites. En revanche, il aurait pour effet qu’un véhicule y serait stationné, pour un temps plus ou moins long, ce qui porterait atteinte à ces vues. Cette disposition était ainsi violée.
29. Le 28 août 2023, L______ SA et M______ SA ont recouru contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à son annulation et à la confirmation de l’autorisation de construire DD 3______ du ______ 2022, subsidiairement au renvoi de la cause au tribunal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
30. Les parties ont ensuite déposé diverses écritures - réponses, réplique, duplique, déterminations spontanées - par devant la chambre administrative.
31. Par arrêt du 27 février 2024 (ATA/7______), la chambre administrative a admis le recours du 28 août 2023, annulé le jugement du 22 juin 2023 et renvoyé la cause au tribunal pour examen des autres griefs. Elle a considéré que le tribunal n’aurait pas dû entrer en matière sur le grief d’une violation de l’art. 72 LCI puisque les recourants ne disposaient pas de la qualité pour recourir sur ce point.
32. Par arrêt du 26 avril 2024 (8______), le Tribunal fédéral a déclaré le recours interjeté à l’encontre de l’ATA/7______ irrecevable, jugeant que ce dernier ne pouvait pas faire l’objet d’un recours immédiat.
1. Il a déjà été retenu que le recours était recevable (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).
2. Selon l’art. 61 al. 1 LPA, le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation (let. a), ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (let. b). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA), non réalisée en l’espèce.
Il y a en particulier abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou lorsqu’elle viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire, l’égalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 143 III 140 consid. 4.1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_712/2020 du 21 juillet 2021 consid. 4.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 515 p. 179).
3. Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives seront repris et discutés dans la mesure utile (ATF 145 IV 99 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1C_136/2021 du 13 janvier 2022 consid. 2.1 et les références citées), étant rappelé que, saisi d’un recours, le tribunal applique le droit d’office et que s’il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, il n’est lié ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique (ATA/84/2022 du 1er février 2022 consid. 3).
4. Les recourants concluent qu’il leur soit donné acte que l’autorisation de construire DD 3______ délivrée le ______ 2021 a été annulée.
Dans son jugement du 22 juin 2023, le tribunal a retenu qu’il était admissible que la décision entreprise stipule expressément annuler et remplacer l’autorisation de construire DD 3______ du ______ 2021, puis a donné acte aux recourants que ladite autorisation avait été annulée.
Il sera à nouveau donné acte, pour les motifs retenus dans le jugement du 22 juin 2023, de ce fait aux recourants dans le présent jugement.
5. Les recourants font ensuite valoir que la décision entreprise doit être qualifiée de « décision sur demande d’autorisation » et non de « décision sur reconsidération » et en tirent divers autres griefs.
Dans le jugement du 22 juin 2023, le tribunal a retenu que le département n’avait ni abusé ni excédé de son pouvoir d’appréciation en acceptant de reconsidérer sa décision du ______ 2021 et d’en prononcer une nouvelle, après avoir consulté certaines instances de préavis, de sorte qu’il n’y avait pas lieu de considérer la demande de reconsidération comme une nouvelle demande distincte. Il a ainsi rejeté ce grief et les autres en découlant.
Le tribunal rejettera à nouveau, pour les motifs déjà retenus dans son jugement du 22 juin 2023, qui demeurent toujours valables, tant ce grief que les autres en découlant et relatifs à une violation des art. 2 et 3 LCI et 9 RCI.
6. Les recourants se plaignent d’une violation de l’art. 59 al. 4bis LCI. À leur sens, dans la mesure où la demande d’autorisation de construire litigieuse a été déposée le 15 février 2022, un préavis communal favorable - qui fait en l’espèce défaut - est nécessaire.
7. Sur tout le territoire du canton, nul ne peut, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (art. 1 al. 1 LCI).
8. L’art. 59 LCI règle les rapports des surfaces en zone villas (5ème zone à bâtir).
Dans sa teneur en vigueur depuis le 26 janvier 2013 et jusqu’au 27 novembre 2020, l’art. 59 al. 4 LCI prévoyait que lorsque les circonstances le justifient et que cette mesure est compatible avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, le département peut autoriser, après consultation de la commune et de la CA, un projet de construction en ordre contigu ou sous forme d’habitat groupé dont la surface de plancher habitable n’excède pas 40% de la surface du terrain, 44% lorsque la construction est conforme à un standard de HPE, 48% lorsque la construction est conforme à un standard THPE, reconnue comme telle par le service compétent.
Depuis l’entrée en vigueur, le 28 novembre 2020, d’une modification législative du 1er octobre 2020, l’art. 59 al. 4 let. a LCI dispose que dans les périmètres de densification accrue définis par un PDCom approuvé par le Conseil d’État et lorsque cette mesure est compatible avec le caractère, l’harmonie et l’aménage-ment du quartier, le département peut autoriser, après la consultation de la commune et de la CA, un projet de construction en ordre contigu ou sous forme d’habitat groupé dont la surface de plancher habitable n’excède pas 44% de la surface du terrain, 48% lorsque la construction est conforme à un standard de THPE, reconnue comme telle par le service compétent.
Depuis cette même date, le nouvel art. 59 al. 4bis LCI prévoit que dans les communes qui n’ont pas défini de périmètres de densification accrue dans leur PDCom, lorsque les circonstances le justifient et que cette mesure est compatible avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, le département peut accorder des dérogations conformes aux pourcentages et aux conditions de l’art. 59 al. 4 let. a et b LCI. Pour toutes les demandes d’autorisation de construire déposées avant le 1er janvier 2023, un préavis communal favorable est nécessaire.
L’art. 156 al. 5 LCI précise que l’art. 59 al. 3bis, 4 et 5, dans « leur » teneur du 1er octobre 2020, s’appliquent aux demandes d’autorisation déposées après leur entrée en vigueur, soit le 28 novembre 2020.
9. Selon la jurisprudence, le nouvel art. 59 al. 4bis LCI est applicable seulement pour les demandes d’autorisation déposées après le 28 novembre 2020, compte tenu de l’intention du législateur exprimée dans les travaux préparatoires, et ce quand bien même il n’est pas textuellement repris à l’art. 156 al. 5 LCI (ATA/739/2024 du 18 juin 2024 consid. 3.3 et 4.2 ainsi que les références citées).
La jurisprudence retient également que la date pertinente pour déterminer le droit applicable à l’autorisation querellée est celle du dépôt de la demande par le requérant auprès du département, compris comme la date de réception par le département (ATA/739/2024 du 18 juin 2024 consid. 4.1).
10. En l’espèce, le dépôt auprès du département de la demande d’autorisation de construire en cause a eu lieu en novembre 2019, et non en février 2022 comme le soutiennent à tort les recourants. En effet, ainsi que retenu ci-dessus, la demande de reconsidération du 15 février 2022 n’est pas à considérer comme une nouvelle demande distincte au sens de l’art. 10A al. 2 RCI, lequel stipule que la demande qui a pour objet un projet sensiblement différent du projet initial ou qui porte sur l’adjonction au projet initial d’un ouvrage séparé et d’une certaine importance est traitée comme une demande nouvelle et distincte. L’art. 156 al. 5 LCI, en tant que disposition transitoire, fait échec à l’application de l’art. 59 al. 4bis LCI aux demandes d’autorisation de construire déposées, comme en l’espèce, avant le 27 novembre 2020. C’est en conséquence l’art. 59 al. 4 LCI, dans sa teneur jusqu’au 27 novembre 2020, qui est applicable à la demande litigieuse. Il s’ensuit qu’un préavis favorable de la commune n’est pas nécessaire pour la délivrance de l’autorisation. La décision querellée ne consacre par conséquent aucune violation de l’art. 59 al. 4bis LCI.
Le grief sera donc écarté.
11. En relation avec l’art. 59 al. 4 LCI, les recourants soutiennent que l’absence de préavis de la CA sur les troisième et quatrième versions du projet constitue un problème, se plaignent que le préavis de la CA concernant la dernière version du projet ne comporte aucun commentaire et qu’aucune dérogation à l’art. 59 al. 4 LCI n’y a été accordée. Ils affirment aussi que le projet ne s’intègre pas avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier.
12. L’art. 59 al. 4 let. a LCI, dans sa teneur jusqu’au 27 novembre 2020 rappelée ci‑avant et applicable au présent litige, est entré en vigueur le 26 janvier 2013. Il est issu d’une modification législative qui visait à promouvoir une utilisation plus intensive du sol en zone villas pour répondre à la crise du logement sévissant à Genève (exposé des motifs du projet de loi 10’891 modifiant la LCI du 15 novembre 2011 [ci-après : PL 10’891], Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève [ci-après : MGC] 2011-2012 II A p. 1335). Il ressort de l’exposé des motifs que ce projet de loi visait également à fournir une alternative aux déclassements de la zone villas, laquelle était essentielle à l’équilibre sociologique du canton et à son attractivité (exposé des motifs du PL 10’891, MGC 2011-2012 II A pp. 1335-1336 ; ATA/1364/2023 du 19 décembre 2023 consid. 9.1).
Le législateur a eu conscience de l’évolution du visage des quartiers de villas et a souhaité encourager la réalisation de ces nouvelles formes d’habitat (groupé ou en ordre contigu), lorsqu’il a augmenté les indice d’utilisation du sol (ci-après : IUS) dérogatoires susceptibles d’être appliqués dans cette zone (intervention de Christophe AUMEUNIER, rapporteur de majorité, lors du premier débat consacré au PL 10’891, MGC 2012/II/A p. 1432 ss). Il a considéré cette évolution comme une réponse utile et nécessaire aux problèmes de l’exiguïté du territoire et à la pénurie de logements (ATA/1364/ 2023 du 19 décembre 2023 consid. 9.1 et l’arrêt cité).
13. Le caractère justifié des circonstances au sens de l’art. 59 al. 4 let. a LCI ne relève pas de l’opportunité mais de l’exercice d’un pouvoir d’appréciation dont le tribunal, à l’instar de la chambre, est habilité, selon l’art. 61 al. 1 let. a LPA, à sanctionner l’excès ou l’abus (cf. arrêt du Tribunal fédéral 1C_204/2021 du 28 octobre 2021 consid. 5.3).
14. La compatibilité du projet avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier, exigée par l’art. 59 al. 4 let. a LCI, est une clause d’esthétique, analogue à celle contenue à l’art. 15 LCI. Une telle clause fait appel à des notions juridiques indéterminées, dont le contenu varie selon les conceptions subjectives de celui qui les interprète et selon les circonstances de chaque cas d’espèce ; ces notions laissent à l’autorité une certaine latitude de jugement. Lorsqu’elle estime que l’autorité inférieure est mieux à même d’attribuer à une notion juridique indéterminée un sens approprié au cas à juger, l’autorité de recours s’impose une certaine retenue. Il en va ainsi lorsque l’interprétation de la norme juridique indéterminée fait appel à des connaissances spécialisées ou particulières en matière de comportement, de technique, en matière économique, de subventions et en matière d’utilisation du sol, notamment en ce qui concerne l’esthétique des constructions (ATA/739/2024 du 18 juin 2024 consid. 6.4 ; ATA/1364/2023 du 19 décembre 2023 consid. 9.2).
L’art. 59 al. 4 let. a LCI, dans sa teneur jusqu’au 27 novembre 2020, exige entre autres la consultation de la commune, mais le département ne peut omettre d’éventuels autres intérêts publics, comme la nécessité de répondre aux besoins de logements, ni l’intérêt privé du propriétaire souhaitant construire conformément à l’affectation de la zone et aux règles de densité prévues à l’art. 59 al. 4 let. a LCI eu égard à la garantie de la propriété. L’octroi d’une autorisation fondée sur cette norme contraint le département à mettre en balance différents intérêts lorsqu’il fait usage de sa liberté d’appréciation (ATA/739/2024 du 18 juin 2024 consid. 6.4 ; ATA/1301/2019 du 27 août 2019 consid. 9).
15. Dans le système de la LCI, les avis ou préavis des communes, des départements et organismes intéressés ne lient pas les autorités et n’ont qu’un caractère consultatif, sauf dispositions contraires et expresses de la loi ; l’autorité reste ainsi libre de s’en écarter pour des motifs pertinents et en raison d’un intérêt public supérieur. Selon une jurisprudence constante, chaque fois que l’autorité administrative suit les préavis des instances consultatives, l’autorité de recours observe une certaine retenue, fonction de son aptitude à trancher le litige. Les autorités de recours se limitent à examiner si le département ne s’écarte pas sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/1364/2023 du 19 décembre 2023 consid. 6.6).
Lorsqu’un préavis est obligatoire, il convient de ne pas le minimiser. Dans le système prévu par l’art. 59 al. 4 let. a LCI, tant le préavis de la commune que celui de la CA ont cette caractéristique. Lorsque la consultation de la CA est imposée par la loi, le préavis de cette commission a un poids certain dans l’appréciation qu’est amenée à effectuer l’autorité de recours. Il n’en demeure pas moins que la délivrance de telles autorisations de construire demeure de la compétence exclusive du département, à qui il appartient de statuer en tenant compte de tous les intérêts en présence (ATA/1364/2023 du 19 décembre 2023 consid. 9.2).
16. La jurisprudence relative aux préavis de la CA retient qu’un préavis favorable n’a en principe pas besoin d’être motivé (ATA/665/2023 du 20 juin 2023 consid. 4.9 ; ATA/414/2017 du 11 avril 2017 consid. 7b confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 1C_297/2017 du 6 décembre 2017 consid. 3.4.2), même si une motivation plus explicite puisse être requise lorsque, par exemple, l’augmentation de la hauteur du gabarit légal est trop importante (ATA/824/2013 du 17 décembre 2013 consid. 5). Cela n’aboutit pas pour autant à l’opacité du dossier, puisque, d’une part, la motivation des préavis peut découler de manière plus ou moins explicite des demandes et remarques émises par l’instance concernée en vue de modification du projet et que, d’autre part, si les circonstances paraissent le justifier, cette instance peut être invitée à donner des explications détaillées en procédure contentieuse (cf. JTAPI/861/2023 du 17 août 2023 consid. 17 et ss confirmé par ATA/206/ 2024 du 13 février 2024 et les références citées).
17. Il n’appartient pas aux instances judiciaires d’examiner le projet de construction à l’aune de toutes les exigences des préavis antérieurs et défavorables, étant rappelé que le litige ne concerne que la conformité au droit de l’autorisation de construire délivrée, et non son opportunité (ATA/934/2019 du 21 mai 2019 consid. 8 confirmé par l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_355/2019 du 29 janvier 2020 consid. 3.2).
18. En vertu de l’art. 3 al. 1 LCI, toutes les demandes d’autorisation sont rendues publiques par une insertion dans la FAO. Il est fait mention, le cas échéant, des dérogations nécessaires.
La jurisprudence a toutefois précisé que le défaut de publication des dérogations n’entraîne pas la nullité de l’autorisation délivrée. Tout au plus empêche-t-il le délai de recours de courir, pour autant que des tiers aient subi un préjudice et il doit être analysé au regard des règles régissant la notification des décisions (ATA/439/2022 du 26 avril 2022 consid. 7a).
19. La fiche A04 du PDCn, intitulée « favoriser une utilisation diversifiée de la zone 5 », a pour objectif la poursuite de la densification sans modification de zone de la zone villas en favorisant l’habitat individuel groupé. Elle vise une accentuation de la densification de la zone villas aux abords de l’agglomération, alors que les secteurs relevant de la protection du patrimoine et des sites devraient conserver une urbanisation plus légère. Cette fiche donne mandat aux communes de proposer, dans leurs PDCom, des stratégies communales pour leur zone villas en identifiant les secteurs à densifier, les éléments remarquables à protéger, le maillage arborisé à maintenir ou à créer, les espaces verts et publics à créer (ATA/1364/2023 du 19 décembre 2023 consid. 9.4).
Le PDCom fixe les orientations futures de l’aménagement de tout ou partie du territoire d’une ou plusieurs communes. Il est compatible avec les exigences de l’aménagement du territoire du canton, contenues notamment dans le PDCn (art. 10 al. 1 et al. 2 LaLAT). Le plan directeur localisé adopté par une commune et approuvé par le Conseil d’État a force obligatoire pour ces autorités. Il ne produit aucun effet juridique à l’égard des particuliers. Pour autant que cela soit compatible avec les exigences de l’aménagement cantonal, les autorités cantonales, lors de l’adoption des plans d’affectation du sol relevant de leur compétence, veillent à ne pas s’écarter sans motifs des orientations retenues par le plan directeur localisé (art. 10 al. 8 LaLAT).
20. Un projet de construction conforme au droit cantonal ne peut être refusé au seul motif qu’il contreviendrait à un PDCom (arrêt du Tribunal fédéral 1C_257/2013 du 13 janvier 2014 consid. 5.3 ; ATA/739/2024 du 18 juin 2024 consid. 6.7). Par « conforme au droit cantonal », il faut entendre conforme au plan d’affectation. En effet, le refus d’une autorisation au seul motif que le projet de construction contreviendrait au PDCom reviendrait à donner à ce plan directeur un effet anticipé inadmissible et à aboutir à une modification du plan d’affectation en vigueur (arrêt du Tribunal fédéral 1A.154/2002 du 22 janvier 2003 consid. 4.1). Toutefois, il ne faut pas tirer de cette argumentation la conclusion que le plan directeur ne serait d’aucune importance dans le cadre d’une autorisation de construire. L’effet obligatoire d’un tel plan se déploie là où l’ordre juridique confère un pouvoir d’appréciation ou introduit des concepts juridiques indéterminés ménageant de la sorte une marge de manœuvre. Si le droit applicable exige une pesée globale des intérêts, alors le contenu du plan directeur doit être considéré, dans la pesée des intérêts, comme le résultat obligatoire du processus de coordination spatiale. Reste réservée la pesée des intérêts qui doit être faite dans un cas particulier en prenant aussi en compte les intérêts publics qui ne relèvent pas de l’aménagement du territoire ainsi que les intérêts privés. Le plan directeur s’impose aux seules autorités chargées des tâches dont l’accomplissement a des effets sur l’organisation du territoire, et non aux autorités judiciaires qui ont pour fonction d’examiner la légalité des actes étatiques. Dans le cadre d’un recours interjeté par une personne privée, il y a lieu de vérifier si le refus de l’autorisation sollicitée dans cette affaire repose sur une pesée globale de tous les intérêts publics et privés déterminants, qui ne soit pas entachée d’un vice lié à l’exercice du pouvoir d’appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 1A.154/2002 précité consid. 4.2 ; ATA/739/2024 du 18 juin 2024 consid. 6.7 et l’arrêt cité).
21. En l’espèce, la parcelle ne faisant l’objet d’aucun plan localisé de quartier, les normes de la zone 5, et plus particulièrement l’art. 59 al. 4 LCI, sont applicables à la demande d’autorisation de construire querellée, ce qui n’est pas contesté.
La CA a examiné à plusieurs reprises le projet. Dans son premier préavis du 14 janvier 2020 fort critique, et dès lors défavorable, elle a relevé une implantation incohérente par rapport aux contexte bâti environnant, un projet dense s’étalant sur la parcelle au détriment de la végétation et de l’arborisation environnantes, des espaces résiduels entre les villas inutiles et contraignant l’apport supplémentaire de surface végétale, une rampe invasive, un sous-sol conséquent ainsi qu’une architecture banale, sans qualité. Elle a délivré un second préavis, cette fois-ci favorable, le 21 juillet 2020 : elle s’y est déclarée favorable à la dérogation selon l’art. 59 al. 4 LCI puisque le projet répondait aux remarques formulées dans son premier préavis. La CA ne s’est ensuite pas prononcée sur les deux versions successives du projet, mais elle s’est à nouveau déterminée sur la dernière version du projet. L’absence de détermination sur les versions nos 3 et 4 ne porte donc pas à conséquence, un préavis favorable sans observation ayant été rendu sur la dernière version du projet. À l’instar du département, le tribunal estime que si cette ultime version du projet ne lui convenait pas, la CA l’aurait fait valoir à cette occasion. Certes, il est malheureux que son dernier préavis ne mentionne pas la dérogation selon l’art. 59 al. 4 LCI, mais ce manque ne peut signifier que la CA s’oppose à cette dérogation dans la mesure où elle l’a accordée lors de son second préavis du 21 juillet 2020 et que les modifications subséquentes du projet ne portaient pas sur la densité de la construction. Il apparait ainsi que l’on est dans un cas où il peut être renoncé à sanctionner l’absence de mention de dérogation à l’art. 59 al. 4 LCI dès lors qu’il est évident et manifeste que les conditions d’octroi d’une telle dérogation sont ici réalisées hors de tout doute raisonnable, ainsi que le confirme d’ailleurs la DAC dans son préavis du 21 avril 2024. En outre, le défaut de publication de cette dérogation, pour autant qu’il soit d’ailleurs avéré puisque la décision entreprise mentionne « vu l’article 59 alinéa 1 lettre a LCI » n’entraîne pas la nullité de l’autorisation délivrée. L’OU et l’OCT ont aussi émis des préavis, tous favorables ; aucune réserve n’a été fait sur la compatibilité du projet avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier. Il ressort de ce qui précède qu’aucune des instances de préavis précitées, dont la consultation est soit obligatoire soit nécessaire dans le cadre d’une éventuelle application de la dérogation prévue par l’art. 59 al. 4 LCI, ne s’est opposée à une telle dérogation. La commune n’a certes émis que des préavis défavorables, dont le dernier du 28 mars 2022 faisait notamment valoir qu’elle « ne disposait pas d’une planification directrice permettant d’envisager, sous conditions, un indice d’utilisation des sols dépassant les maximas ordinaires de la LCI prévoyant certains secteurs de 5e zone » de sorte qu’aucune dérogation à l’art. 59 al.4 LCI n’était envisageable et qu’une telle dérogation en ce lieu serait inopportune vu les enjeux de nécessaire gradation et transition entre les immeubles des parcelles alentours. Cela étant, outre le fait que le préavis de la commune n’est pas contraignant, son poids doit être relativisé face aux préavis favorables de toutes les autres instances consultées, auxquels il doit céder le pas. Il ne saurait enfin être fait abstraction de l’intérêt privé du propriétaire souhaitant construire conformément à l’affectation de la zone et aux règles de densité prévues à l’art. 59 al. 4 let. a LCI, eu égard à la garantie de la propriété.
Il sera encore précisé que l’affirmation des recourants selon laquelle le projet ne s’intègre pas avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier ne relève que de leur propre appréciation et est contredite par les préavis favorables des instances spécialisées, qui ont analysé le projet à plusieurs reprises sans émettre de réserve sur les dimensions du projet. L’IUS de ce dernier, soit 47,70%, est par ailleurs conforme aux rapports de surface autorisés par l’art. 59 al. 4 LCI. En outre, la construction, comme en l’espèce, de six villas contiguës dans un quartier composé de maisons individuelles n’est pas incompatible avec les exigences de l’art. 59 al. 4 LCI. En effet, la modification de l’aménagement de tels quartiers a d’ores et déjà été entamée dans de nombreuses communes afin de pallier les problématiques d’aménagement du territoire, conformément à la volonté du législateur (ATA/1102/2022 du 1er novembre 2022 consid. 7). Le reproche des recourants n’apparaît donc pas fondé. Enfin, le bâtiment projeté permettra de contribuer à offrir une réponse à la pénurie notoire de logements qui sévit à Genève (voir à ce propos l’intervention du conseiller d’État en charge du département du territoire dans le cadre des travaux préparatoires relatifs au PL 12’566, PL 12’566-A, p. 11) tout en contribuant à donner une solution aux problèmes de l’exiguïté du territoire. Il s’inscrit dans ce contexte pleinement dans l’objectif d’une densification sans modification de zone de la zone 5 prévu par la fiche A04 du PDCn, en favorisant l’habitat contigu ou groupé.
Il s’ensuit que rien ne permet de retenir que l’autorité intimée, qui a notamment suivi les préavis de la CA, de l’OU et de l’OCT, aurait abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant que le projet était compatible avec le caractère, l’harmonie et l’aménagement du quartier et que les circonstances justifiaient l’octroi d’une dérogation. Les recourants ne parviennent du reste pas à l’établir.
Leurs griefs, infondés, seront par conséquent écartés.
22. Les recourants font valoir que les voies d’accès des services d’incendie et de secours n’étant pas indiquées dans les plans, il n’était pas possible de vérifier la conformité du projet avec la directive n° 7. On ignorait de plus si la police du feu avait examiné cette question. On voyait d’ailleurs mal à quel endroit précis une zone de travail de 5 m sur 12 m pourraient être implantée.
23. Conformément aux art. 121 al. 2 LCI et 6 al. 1 RCI, les exigences imposées pour les constructions et les installations en matière de prévention des incendies sont régies par la norme de protection incendie et les directives de l’association des établissements cantonaux d’assurance incendie.
Hormis les villas, toute construction au sens de l’art. 1 let. a et c RCI doit être facilement accessible aux engins du service du feu (art. 96 al. 1 RCI). Des emplacements résistants doivent être aménagés de façon à permettre aux engins de sauvetage du service du feu d’atteindre, par les façades, les zones définies, selon le type d’affectation des bâtiments. Ces éléments sont précisés dans la directive n° 7 (art. 96 al. 2 RCI).
24. Le ch. 7.4 de cette directive (« voies d’accès ») prévoit, s’agissant de la résistance de celles-ci, que les chaussées et aires d’accès doivent être construites en matériau dur pouvant supporter une charge de 25 tonnes (let. a). Quant à leur forme, elle stipule que la largeur minimale de la chaussée doit être de 3,50 m en ligne droite. En outre, pour un rayon intérieur de chaussée égal ou supérieur à 7 m, la largeur minimum de la chaussée doit être de 5 m. Pour un rayon intérieur de chaussée égal ou supérieur à 9 m, la largeur minimum de la chaussée doit être de 4,50 m. Pour un rayon intérieur de chaussée égal ou supérieur à 13 m, la largeur minimum de la chaussée doit être de 4 m. La hauteur libre de passage doit être de 4,50 m et un dévers de 5% maximum est possible (let. b). S’agissant de leur déclivité, elle dispose que la pente de la voie d’accès doit être de 15% au maximum (let. c).
Le ch. 7.5 de cette directive (« place de travail ») prévoit quant à la résistance que la résistance du sol de la zone de travail doit être de 8 kg/cm2 (let. a), quant à la forme que la largeur de la zone de travail doit être de 5 m au minimum, que sa longueur doit être de 12 m au minimum, que pour les bâtiments de grande longueur plusieurs places de travail distantes d’au maximum 20 m doivent être aménagées, que la distance entre l’axe de la place de travail et la façade doit être de 5 à 12 m pour un bâtiment dont la dernière dalle est inférieure à 9 m de hauteur, de 5 à 10 m pour un bâtiment dont la dernière dalle est inférieure à 22 m et de 5 à 8 m pour un bâtiment dont la dernière dalle est inférieure à 26 m (let. b) et quant à déclivité, que la pente maximum doit être de 11% (let. c).
25. Selon une jurisprudence bien établie, la juridiction de recours observe une certaine retenue pour éviter de substituer sa propre appréciation à celle des commissions de préavis, pour autant que l’autorité inférieure suive l’avis de celles-ci. Elle se limite à examiner si le département ne s’est pas écarté sans motif prépondérant et dûment établi du préavis de l’autorité technique consultative, composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi (ATA/896/2021 du 31 août 2021 consid. 4d ; ATA/155/2021 du 9 février 2021 consid. 7c et 10e).
26. S’agissant de l’accessibilité au réseau routier, le droit fédéral n’exige aucunement qu’une route carrossable mène directement jusqu’au terrain ou au bâtiment projeté pour que celui-ci soit considéré comme équipé. Il suffit qu’il existe une route à proximité, à partir de laquelle il est possible d’accéder à la construction par un chemin piéton. C’est ainsi que l’on peut considérer qu’un terrain est suffisamment équipé, même si les véhicules des services publics ne peuvent l’approcher à moins de 80 m, pour autant bien sûr qu’une intervention efficace reste possible en cas de problème, compte tenu de la dimension du bâtiment projeté, de son affectation et de son accessibilité générale (Eloi JEANNERAT in : Heinz AEMISEGGER/ Pierre MOOR/Alexander RUCH/Pierre TSCHANNEN, Commentaire pratique LAT : Planifier l’affectation, 2016, n° 24 ad art. 19 LAT et les références citées ; ATA/1060/2023 du 26 septembre 2023 consid. 5.3).
27. En l’espèce, même en admettant qu’il faille appliquer l’art. 96 al. 1 RCI, question qui sera laissée ouverte, force est de constater que la police du feu a préavisé favorablement le projet et que rien ne laisse penser qu’elle n’aurait pas dûment examiné les caractéristiques du projet. Eu égard à ces éléments ainsi qu’au lien direct que ces questions entretiennent avec des aspects techniques, il convient de s’en remettre à l’avis de l’instance spécialisée. Au demeurant, une voie d’accès depuis le chemin O______ mène aux six villas, ce qui les rendent facilement accessibles aux engins du service du feu au sens de l’art. 96 al. 1 LCI. Ces engins pourraient même, en tout état, stationner sur le chemin O______ afin de permettre une intervention sur les villas, dont la plus éloigné se trouve à un peu moins de 47 m dudit chemin. Pour le surplus, la bonne réalisation du projet sera contrôlée au plus tard lors du dépôt d’un dossier de plans conformes à l’exécution et d’une attestation de conformité établie par un mandataire professionnellement qualifié, laquelle devra certifier que la construction est conforme à l’autorisation de construire, aux conditions de celle-ci - en particulier celles du dernier préavis de la police du feu - ainsi qu’aux lois et règlements applicables au moment de son entrée en force. Dans ce cadre, devra notamment être produite une attestation de conformité certifiant que la directive n° 7 a été respectée. Partant, il convient de retenir que les conditions d’accès des véhicules SIS et l’existence d’une place de travail apparaissent remplies.
Mal fondé, ce grief est écarté.
28. En dernier lieu, les recourants estiment que l’abattage de neuf arbres porte une grave atteinte à la qualité paysagère du site et que les mesures de compensation autorisées par l’OCAN sont insuffisantes pour suppléer à cet abattage.
29. La loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05) a notamment pour but d’assurer la sauvegarde de la nature, en ménageant l’espace vital nécessaire à la flore et à la faune, et en maintenant les milieux naturels (art. 1 let. c LPMNS).
Sont protégés conformément à la loi, les sites et paysages, espèces végétales et minéraux qui présentent un intérêt biologique, scientifique, historique, esthétique ou éducatif (art. 35 al. 1 LPMNS). À teneur de l’art. 36 al. 1 LPMNS, le Conseil d’État édicte les dispositions nécessaires à la protection, la conservation et l’aménagement des sites visés à l’art. 35 LPMNS. Il peut n’autoriser que sous condition ou même interdire l’abattage, l’élagage ou la destruction de certaines essences d’arbres, de cordons boisés, de boqueteaux, buissons ou de haies vives (art. 36 al. 2 let. a LPMNS).
30. En application de l’art. 35 al. 1 LPMNS, le Conseil d’État a adopté le règlement sur la conservation de la végétation arborée du 27 octobre 1999 (RCVA - L 4 05.04), qui a pour but d’assurer la conservation, à savoir la protection, le maintien et le renouvellement, de la végétation formant les éléments majeurs du paysage (art. 1 RCVA). Il est applicable aux arbres situés en dehors de la forêt, telle que définie à l’art. 2 de la loi sur les forêts du 20 mai 1999 (LForêts - M 5 10), ainsi qu’aux haies vives et boqueteaux présentant un intérêt biologique ou paysager (art. 2 al. 1 RCVA).
Selon l’art. 3 al. 1 RCVA, aucun arbre ne peut être abattu ou élagué, ni aucune haie vive ou aucun boqueteau coupé ou défriché, sans autorisation préalable du département, sous réserve de l’al. 2, non pertinent en l’occurrence. L’autorisation d’abattage d’arbres ou de défrichage de haies vives et de boqueteaux est assortie, en principe, de l’obligation de réaliser des mesures compensatoires (art. 15 al.1 RCVA). Le département édicte des directives en matière de sauvegarde des végétaux maintenus, de leur mise en valeur et de l’exécution correcte des mesures compensatoires (art. 16 RCVA). Les directives sont élaborées avec la participa-tion d’une commission technique composée de cinq spécialistes (art. 20 al. 1 et 2 RCVA).
31. La directive concernant les plantations compensatoires, en sa troisième version de janvier 2020, a pour objectif de préciser les règles décisionnelles en matière de conservation du patrimoine arboré. Elle vise à assurer la protection des arbres en place et simultanément le renouvellement du patrimoine arboré (art. 1). Cette directive précise notamment les principes de la compensation de l’abattage (art. 2), le projet de replantation (art. 3), le calcul du montant compensatoire (art. 4) et le déroulement du processus de compensation (art. 5).
32. En l’espèce, en estimant que l’abattage de neuf arbres portait gravement atteinte à la qualité paysagère du site, les recourants ne font que tenter de substituer leur propre appréciation, forcément subjective et biaisée, à celle objective de l’OCAN, autorité composée de spécialistes capables d’émettre un jugement dépourvu de subjectivisme et de considérations étrangères aux buts de protection fixés par la loi. Le fait que l’OCAN puis le département aient procédé à une analyse différente de la leur ne permet toutefois pas de retenir un abus ou un excès de son pouvoir d’appréciation. Le tribunal, qui doit faire preuve de retenue et respecter la latitude de jugement conférée à l’OCAN, s’agissant d’un domaine faisant appel à des connaissances techniques, ne saurait en corriger le résultat, en l’occurrence parfaitement défendable, en fonction d’une autre conception, sauf à statuer en opportunité, ce que la loi lui interdit de faire (art. 61 al. 2 LPA).
S’agissant des mesures de compensation, force est de constater, ainsi que souligné par le département, que le préavis liant de l’OCAN ne prévoit pas un nombre spécifique d’arbres à replanter, imposant la replantation d’arbres pour un certain montant et conditionnant les abattages à la fourniture d’un projet chiffré de replantation, avec pour effet que le respect de ces conditions seront examinés plus tard. Il en résulte que le grief concernant l’absence de compensation adéquate s’avère prématuré, le projet de replantation figurant sur le plan d’aménagement paysager n’étant qu’indicatif.
Ces griefs seront par conséquent écartés.
33. Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté.
34. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnées au paiement d’un émolument s’élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.
Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 1’200.-, à la charge conjointe et solidaire des recourants, sera allouée aux intimées (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable le recours interjeté le 16 août 2022 par Monsieur A______ et Madame B______, Monsieur C______ et Madame D______, Messieurs E______ et F______, Monsieur G______ et Madame H______, Madame I______, Monsieur J______ et Madame K______ contre la décision du département du territoire du ______ 2022 ;
2. donne acte aux recourants que l’autorisation de construire DD 3______ délivrée le ______ 2021 a été annulée ;
3. rejette le recours interjeté le 16 août 2022 ;
4. met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l’avance de frais ;
5. condamne les recourants, pris conjointement et solidairement, à verser à L______ SA ainsi qu’à M______ SA une indemnité de procédure de CHF 1’200.- ;
6. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant : Gwénaëlle GATTONI, présidente, Oleg CALAME et Aurèle MULLER, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Gwénaëlle GATTONI
Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.
| Genève, le |
| Le greffier |