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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/7945/2024

ACJC/1485/2024 du 26.11.2024 sur JTBL/675/2024 ( SBL ) , JUGE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/7945/2024 ACJC/1485/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU MARDI 26 NOVEMBRE 2024

 

Entre

A______ SA, sise ______ [GE], appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 13 juin 2024, représentée par Me Nathalie SUBILIA, avocate, route de Florissant 10, case postale 186, 1211 Genève 12,

et

B______ SÀRL, sise ______ [GE], intimée, représentée par Me Daniel ZAPPELLI, avocat, rue Charles-Bonnet 2, 1206 Genève.

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/675/2024 du 13 juin 2024, le Tribunal des baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire en protection des cas clairs, a constaté la nullité de la résiliation notifiée le 19 janvier 2024 par A______ SA à B______ SARL (ch. 1 du dispositif), débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 2) et dit que la procédure était gratuite (ch. 3).

B. a. Par acte expédié le 1er juillet 2024 à la Cour de justice, A______ SA a formé un appel, subsidiairement un recours contre ce jugement, concluant à son annulation et à ce que la Cour déclare irrecevable la requête en constatation de la nullité du congé formulée par la voie de la procédure sommaire.

b. Par courrier du 3 juillet 2024, A______ SA a produit une pièce nouvelle, datée du 1er juillet 2024.

c. Dans sa réponse du 15 juillet 2024, B______ SARL a conclu au rejet de l'appel, subsidiairement du recours, formulé par A______ SARL.

Elle a produit une pièce nouvelle, datée du 12 juillet 2024.

d. Les parties ont été avisées par la Cour le 22 août 2024 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a.a C______ SARL est propriétaire de l'immeuble sis no. ______, rue 1______, [code postal] Genève.

a.b. A______ SA est une société qui a pour but notamment l'exploitation de restaurants, de tea-rooms et de bars.

Son administrateur avec signature individuelle est D______.

a.c. B______ SARL est une société dont le but est notamment la gestion, le management et l'exploitation de lieux publics tels que restaurants, bars, dancings et cafés.

b. D______ a été locataire de locaux commerciaux sis no. ______, rue 1______, [code postal] Genève depuis le 1er août 2015, lesdits locaux étant exploités par A______ SA en tant que café-restaurant à l'enseigne "A______".

c. Le 23 octobre 2023, A______ SA et B______ SARL ont conclu un contrat intitulé "contrat de management".

c.a. L'article 3 lettre a du contrat précisait que ce dernier entrait en vigueur le 1er octobre 2023 et prendrait fin le 31 décembre 2025, se renouvelant ensuite tacitement. Il pouvait cependant y être mis fin par notification écrite 180 jours avant l'échéance annuelle.

c.b. Selon l'article 1 de l'annexe 1 du contrat, A______ SA s'engageait, pendant toute la durée du contrat, à exploiter le café-restaurant au minimum six jours sur sept selon le concept d'exploitation décrit à l'annexe 2 du contrat, à savoir un tea-room/restaurant la journée, une formule apéritive de 18h00 à 20h00 et un bar dès 20h00.

Selon l'article 2 de l'annexe 1, B______ SARL s'engageait, notamment, à entretenir le café-restaurant, à fournir, nettoyer et entretenir les meubles et équipements qu'elle estimait nécessaires pour son exploitation, à nettoyer le café-restaurant et à y effectuer les menus travaux d'entretien et de réparations courantes, à conclure les assurances adéquates en relation avec son exploitation, à mettre à disposition, instruire et surveiller le personnel qu'elle estimait nécessaire pour son exploitation ainsi qu'à émettre et encaisser, au nom et pour le compte de A______ SA, les factures clients liées au café-restaurant.

B______ SARL s'engageait également à commander et acheter, au nom et pour le compte de A______ SA, l'ensemble des produits et autres éléments que B______ SARL estimait nécessaires pour l'exploitation du café-restaurant, étant précisé que lesdits produits et éléments seraient payés, pour le compte de A______ SA, au moyen des montants reçus des clients du café-restaurant.

c.c. Les aspects financiers du contrat étaient réglés à l'annexe 6 du contrat.

Selon son article 1, les parties avaient notamment convenu que l'intégralité du chiffre d'affaires résultant de toute activité serait attribué à A______ SA et que cette dernière prendrait à sa charge les frais liés aux achats de produits et autres éléments nécessaires à l'exploitation du café-restaurant.

d. Par courrier recommandé du 30 novembre 2023, B______ SARL a résilié le contrat pour le 31 décembre 2023, au motif que A______ SA ne bénéficiait pas de "l'autorisation événementielle musicale" et que la terrasse se révélait impraticable en hiver. Elle a également sollicité le remboursement, par A______ SA, de divers frais, qu'elle estimait à un montant de 30'000 fr.

e. Par courrier du 15 décembre 2023, A______ SA a sommé B______ SARL de prendre les mesures nécessaires afin de limiter les nuisances sonores provoquées par la musique diffusée dans le café-restaurant. Elle sollicitait également la remise en conformité du logo de l'enseigne, qui avait été modifié.

A______ SA ne s'est pas prononcée sur la teneur du courrier du 30 novembre 2023.

f. Par courrier du 3 janvier 2024, B______ SARL a déclaré maintenir sa décision de résilier le contrat pour le 31 décembre 2023. Elle a également mis en demeure A______ SA de procéder au remboursement d'un montant de 55'158 fr. 32, correspondant à divers frais.

g. Par courrier du 9 janvier 2024, A______ SA a contesté les motifs invoqués à l'appui des courriers de résiliation de B______ SARL et fait valoir l'absence d'effets juridiques de ceux-ci, dans la mesure où B______ SARL n'avait pas respecté le terme prévu à l'article 3 lettre a du contrat. Elle a également contesté les montants dont B______ SARL sollicitait le remboursement.

Elle a par ailleurs sommé B______ SARL de s'acquitter de la facture trimestrielle en cours, d'un montant de 44'721 fr., ainsi que d'une facture de 18'640 fr. – intitulée "mise en demeure" et datée du 22 novembre 2023 – correspondant au paiement du précédent loyer. Elle a finalement précisé qu'à défaut de paiement des montants précités à réception dudit courrier, elle prendrait toutes les "mesures utiles".

h. Par courrier du 19 janvier 2024, A______ SA a résilié le contrat du 23 octobre 2023 avec effet immédiat pour justes motifs, dès lors que B______ SARL ne s'était pas acquittée des loyers en souffrance ni de la facture trimestrielle, et ceci malgré l'ultime rappel qui lui avait été adressé. Elle a sommé B______ SARL de libérer les locaux avec effet immédiat de tous les biens qui s'y trouveraient éventuellement encore et de restituer tous les biens du café-restaurant encore en sa possession d'ici le 26 janvier 2024.

B______ SARL n'a pas retiré le pli recommandé contenant le courrier du 19 janvier 2024, que A______ SA lui a renvoyé par pli simple le 2 février 2024.

i. Entre la fin du mois de janvier 2024 et le début du mois de février 2024, A______ SA a changé les serrures du café-restaurant.

j. Le 29 janvier 2024, le fonds de commerce du café-restaurant a été vendu par A______ SA à un tiers, avec effet au 1er février 2024.

Le transfert de bail a été accepté par C______ SARL par courrier du 1er février 2024.

k. Par courriers des 7 et 16 février 2024, B______ SARL a invoqué la nullité de la résiliation effectuée par A______ SA au motif que ladite résiliation n'avait pas été précédée d'un avis comminatoire et la formule agréée par le canton n'avait pas été utilisée. Elle a également contesté les montants réclamés par A______ SA et sollicité la remise des clés du café-restaurant sans délai.

l. Par courrier du 20 février 2024, A______ SA s'est référée à la résiliation du contrat effectuée par B______ SARL le 30 novembre 2023 pour le 31 décembre 2023, indiquant que la volonté de cette dernière de quitter les locaux était manifeste, dans la mesure où elle avait vidé le café-restaurant en emportant notamment des chaises de l'établissement ainsi que la machine à café. Elle a soutenu que B______ SARL n'était plus titulaire du bail des locaux du café-restaurant.

m. Par courrier du 27 février 2024, B______ SARL a soutenu que A______ SA avait invalidé sa résiliation du contrat du 30 novembre 2023 par courrier du 9 janvier 2024, de sorte qu'elle avait poursuivi l'exploitation du café-restaurant jusqu'à ce que son accès soit impossible en raison du changement de ses serrures.

n. Le 5 avril 2024, B______ SARL a déposé une requête – faisant l'objet de la présente procédure – tendant à la constatation, par la voie de la procédure sommaire en cas clair, de la nullité du congé signifié par A______ SA le 19 janvier 2024, avec suite de frais et dépens.

o. Le 15 avril 2024, l'Office des poursuites a notifié à B______ SARL, à la requête de A______ SA, un commandement de payer pour la somme de 18'640 fr. avec intérêts à 5% dès le 3 octobre 2023 et la somme de 44'721 fr. avec intérêts à 5% dès le 12 janvier 2023.

B______ SARL a formé opposition au commandement de payer précité.

p. Le 23 avril 2024, B______ SARL a déposé devant le Tribunal, dans la cause C/2______/2024, une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles à l'encontre de A______ SA, concluant notamment à ce qu'il soit ordonné à cette dernière de lui restituer la possession du local sis rue 1______ no. ______, [code postal] Genève, et de lui remettre les clés de la serrure du local.

Par ordonnance du 25 avril 2024, le Tribunal a fait droit à ces conclusions.

q. Le 3 juin 2024, A______ SA a répondu à la requête en constatation de la nullité du congé, concluant à l'irrecevabilité de celle-ci, subsidiairement au déboutement de B______ SARL de toutes ses conclusions.

r. Lors de l'audience du 13 juin 2024 par-devant le Tribunal, les parties ont déposé des pièces et persisté dans leurs conclusions, sur quoi le Tribunal les a informées de ce que la cause était gardée à juger.

s. Dans son jugement du 13 juin 2024, le Tribunal a considéré que la mise en demeure adressée par A______ SA à B______ SARL le 19 janvier 2024 ne prévoyait aucun délai comminatoire, alors que ce dernier devait être d'au moins 30 jours en présence d'un bail à loyer commercial et d'au moins 60 jours en matière de bail à ferme non agricole. Par ailleurs, la mise en demeure n'était assortie d'aucune menace de résiliation. Partant, l'avis comminatoire du 19 janvier 2024 était inefficace et le congé du 19 janvier 2024, nul et sans effet, sans qu'il soit nécessaire de trancher la question de savoir si le contrat conclu entre les parties devait être qualifié de bail à loyer commercial ou de bail à ferme non agricole.

La question de la validité de la résiliation effectuée par B______ SARL pouvait au demeurant rester ouverte, dans la mesure où la procédure ne portait que sur la validité de la résiliation du 19 janvier 2024.

EN DROIT

1. 1.1 La voie de l'appel est ouverte contre les décisions d'évacuation, lorsque la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

Dans une contestation portant sur la validité d'une résiliation de bail, la valeur litigieuse est égale au loyer de la période minimum pendant laquelle le contrat subsiste nécessairement si la résiliation n'est pas valable, période qui s'étend jusqu'à la date pour laquelle un nouveau congé peut être donné ou l'a effectivement été. Lorsque le bail bénéficie de la protection contre les congés des art. 271 ss CO, il convient, sauf exceptions, de prendre en considération la période de protection de trois ans dès la fin de la procédure judiciaire qui est prévue par l'art. 271a al. 1 let. e CO (ATF 137 III 389 consid. 1.1; 136 III 196 consid. 1.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

En l'espèce, au vu des montants réclamés par l'appelante à l'intimée, la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.2 L'appel, écrit et motivé (art. 311 al. 1 CPC), doit être formé dans un délai de dix jours si la décision a été rendue en procédure sommaire (art. 314 al. 1 CPC).

L'appel a été interjeté dans les délais et suivant la forme prescrits par la loi. Il est ainsi recevable.

1.3 Les parties ont allégués des faits nouveaux et produits des pièces nouvelles.

1.3.1 Les faits et moyens de preuve nouveaux ne sont recevables qu'aux conditions de l'art. 317 al. 1 CPC.

En cas clair, en ce qui concerne les vrais nova (echte Noven), le Tribunal fédéral a jugé que le requérant qui a succombé en première instance et a vu sa requête déclarée irrecevable ne peut pas produire en appel des pièces nouvelles, même s'il ne lui était pas possible de les produire devant le premier juge. Il lui est par contre loisible d'introduire une nouvelle fois sa requête en cas clair devant le premier juge (arrêt du Tribunal fédéral 4A_420/2012 du 7 novembre 2012 consid. 5).

Les faits qui sont immédiatement connus du Tribunal (gerichtsnotorische Tatsachen), notamment parce qu'ils ressortent d'une autre procédure entre les mêmes parties, peuvent être pris en considération même en l'absence d'allégation ou d'offre de preuve correspondante (arrêt du Tribunal fédéral 5A_610/2016 du 3 mai 2017 consid. 3.1). Il s'agit en effet de faits notoires qui ne doivent être ni allégués ni prouvés (art. 151 CPC; ATF 135 III 88 c. 4.1; 134 III 224 c. 5.2) ; dans cette mesure, ils sont soustraits à l'interdiction des nova (arrêt du Tribunal fédéral 5A_719/2018 du 12 avril 2019 consid. 3.2.1 et 3.2.3).

1.3.2 En l'espèce, l'appelante et l'intimée ont déposé diverses pièces produites dans la cause C/2______/2024. Dans la mesure où cette procédure oppose les mêmes parties, les faits qui en découlent constituent des faits notoires, et sont partant recevables. Ces derniers sont toutefois sans pertinence pour l'issue de la présente procédure.

1.4 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2.  L'appelante a formulé un certain nombre de griefs contre l'état de fait retenu par le Tribunal. Celui-ci a été modifié et complété de manière à y intégrer tous les faits pertinents pour l'issue du litige.

3. L'appelante se plaint d'une violation de son droit d'être entendue ainsi que d'un déni de justice formel. Elle fait valoir que le Tribunal ne s'est pas prononcé sur certains arguments qu'elle avait soulevés, dont la question de l'intérêt à agir de l'intimée ainsi que celle de l'abus de droit et de l'interdiction des comportements contradictoires.

3.1 Le droit d'être entendu, en tant que droit personnel de participer à la procédure, exige que l’autorité écoute effectivement, puis examine soigneusement et sérieusement, et prenne en compte dans sa décision les arguments de la personne dont la décision touche la position juridique. Il implique l'obligation, pour l'autorité, de motiver sa décision, afin que son destinataire puisse la comprendre et l'attaquer utilement s'il y a lieu. Le juge n'a en revanche pas l'obligation d'exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties; il suffit qu'il mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidé et sur lesquels il a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 142 III 433 consid. 4.3.2, JdT 2016 II 347; 129 I 232 consid. 3.2, JdT 2004 I 588,
SJ 2003 I 513; arrêt du Tribunal fédéral 4A_523/2010 du 22 novembre 2010 consid. 5.3).

Dès lors que l'on peut discerner les motifs qui ont guidé la décision de l'autorité, le droit à une décision motivée est respecté même si la motivation présentée est erronée. La motivation peut d'ailleurs être implicite et résulter des différents considérants de la décision. En revanche, une autorité se rend coupable d'un déni de justice formel si elle omet de se prononcer sur des griefs qui présentent une certaine pertinence ou de prendre en considération des allégués et arguments importants pour la décision à rendre (arrêt du Tribunal fédéral 5A_111/2015 du 20 octobre 2015 consid. 3.1). La violation du droit d'être entendue d'une partie pour défaut de motivation doit être exclue lorsque ladite partie est en mesure d'attaquer le raisonnement de l'arrêt attaqué (arrêt du Tribunal fédéral 5A_134/2013 du 23 mai 2013 consid. 4.2). En procédure sommaire, la motivation peut être plus succincte qu'en procédure ordinaire (Mazan, Commentaire bâlois, Code de procédure civile, 3ème éd., 2017, n. 6 s. ad art. 256 CPC).

3.2 En l'espèce, à teneur de ses écritures de première instance, l'appelante n'avait pas spécifiquement soulevé de griefs relatifs à l'abus de droit ou à l'interdiction des comportements contradictoires, se contentant de se prononcer sur l'interprétation qu'il convenait de donner, selon elle, aux courriers de résiliation de l'intimée et à son comportement depuis la réception de son propre courrier de résiliation le 19 janvier 2024.

Quoi qu'il en soit, [il ressort des considérants du jugement attaqué] que le Tribunal s'est – succinctement, comme le permet la procédure sommaire – prononcé sur le contrat liant les parties, la résiliation du contrat formulée par l'intimée ainsi que sur la question de l'intérêt à agir de cette dernière. Le fait qu'il ait traité certaines questions différemment de ce qu'aurait souhaité l'appelante – en laissant ouverte la question de la qualification du contrat et en considérant que la validité de la résiliation formulée par l'intimée ne faisait pas partie de l'objet du litige – ne saurait représenter une violation du droit d'être entendue de l'appelante. Quant à la question de l'intérêt à agir de l'intimée, s'il est exact que le jugement querellé n'y consacre pas de considérant spécifique, force est de constater que le Tribunal l'a implicitement admise, dans la mesure où il a fait droit aux conclusions de l'intimée.

Il sera pour le surplus rappelé, conformément à la jurisprudence citée ci-dessus, que le juge n'a pas d'obligation de discuter tous les griefs invoqués par les parties. A cela s'ajoute que l'appelante a été en mesure de critiquer longuement le jugement querellé, de sorte que l'argumentation développée par le Tribunal doit être considérée comme suffisante.

Au vu de ce qui précède, les griefs de violation du droit d'être entendue de l'appelante ou de déni de justice formel ne sont pas fondés.

4. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir violé les articles 59, 60 et 88 CPC, en ne déclarant pas irrecevable la requête formulée par l'intimée, alors même qu'aucun intérêt juridique à agir ne pouvait lui être reconnu. Elle conteste également la réalisation des conditions de l'art. 257 CPC, estimant que le cas ne pouvait être considéré comme clair.

4.1
4.1.1 La procédure de protection dans les cas clairs prévue par l'art. 257 CPC permet à la partie demanderesse d'obtenir rapidement une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire, lorsque la situation de fait et de droit n'est pas équivoque (ATF 141 III 23 consid. 3.2 et la référence citée). En vertu de l'art. 257 al. 1 CPC, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé (let. a) et que la situation juridique est claire (let. b). Si ces conditions ne sont pas remplies, le tribunal n'entre pas en matière sur la requête (art. 257 al. 3 CPC) et la déclare irrecevable. Il est exclu que la procédure aboutisse au rejet de la prétention du demandeur avec autorité de la chose jugée (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 140 III 315 consid. 5.2.3 et 5.3).

Premièrement, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée : le demandeur doit ainsi apporter la preuve certaine (voller Beweis) des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance (Glaubhaftmachen) ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections et exceptions motivées et concluantes (substanziiert und schlüssig), qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du juge, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 620 consid. 5.1.1 et les arrêts cités).

Secondement, la situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvées (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 138 III 123 consid. 2.1.2, 620 consid. 5.1.1, 728 consid. 3.3). En règle générale, la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 144 III 462 consid. 3.1; 141 III 23 consid. 3.2; 138 III 123 consid. 2.1.2).

Si le juge parvient à la conclusion que les conditions du cas clair sont réalisées, le demandeur obtient gain de cause par une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Si elles ne sont pas remplies, le juge doit prononcer l'irrecevabilité de la demande (ATF 144 III 462 consid. 3.1 et les arrêts cités).

4.1.2 Selon l'art. 88 CPC, le demandeur intente une action en constatation de droit pour faire constater par un tribunal l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'un rapport de droit, et, en vertu de l'art. 59 al. 2 let. a CPC, une telle action n'est recevable que si le demandeur y a un intérêt digne de protection (arrêts du Tribunal fédéral 4A_618/2017 du 11 janvier 2018 consid. 5.2; 4A_688/2016 du 5 avril 2017 consid. 3.1). Selon la jurisprudence, l'action en constatation de droit est ouverte si la partie demanderesse a un intérêt important et digne de protection à la constatation immédiate de la situation de droit. Il n'est pas nécessaire que cet intérêt soit de nature juridique. Il peut s'agir d'un pur intérêt de fait. La condition est remplie notamment lorsque les relations juridiques entre les parties sont incertaines et que cette incertitude peut être levée par la constatation judiciaire. Pour cela, n'importe quelle incertitude ne suffit pas ; il faut au contraire que l'on ne puisse pas exiger de la partie demanderesse qu'elle tolère plus longtemps le maintien de cette incertitude, parce que celle-ci l'entrave dans sa liberté de décision (ATF 135 III 378 consid. 2.2 et les références citées).

L'intérêt pratique à une constatation de droit fait normalement défaut pour le titulaire du droit lorsque celui-ci dispose d'une action en exécution, en interdiction ou d'une action formatrice, immédiatement ouverte, qui lui permettrait d'obtenir directement le respect de son droit ou l'exécution de l'obligation. Dans ce sens, l'action en constatation de droit est subsidiaire par rapport à une action condamnatoire ou une action formatrice. Seules des circonstances exceptionnelles pourraient conduire à admettre l'existence d'un intérêt digne de protection à la constatation de droit bien qu'une action en exécution soit ouverte. Un litige doit en principe être soumis au juge dans son ensemble par la voie de droit prévue à cet effet; le créancier qui dispose d'une action condamnatoire ne peut en tout cas pas choisir d'isoler des questions juridiques pour les soumettre séparément au juge par la voie d'une action en constatation, comme s'il sollicitait un avis de droit (ATF 135 III 378 consid. 2.2; 4A_618/2017 du 11 janvier 2018 consid. 5.2; 4A_688/2016 du 5 avril 2017 consid. 3.1; Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd., 2019, n. 16 ad. art. 88 CPC).

Il appartient au demandeur d'établir qu'il dispose d'un intérêt digne de protection à la constatation (art. 59 al. 2 lit. a CPC; arrêts du Tribunal fédéral 4A_618/2017 du 11 janvier 2018 consid. 5.2 et 4A_688/2016 du 5 avril 2017 consid. 3.3 résumés in CPC Online, art. 88 CPC). A défaut, la demande est irrecevable (ATF 140 III 159 consid. 4.2.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_717/2020 du 2 juin 2021 consid. 4.1.1.3).

4.1.3 La résiliation du bail est un acte formateur (ATF 123 III 124 consid. 3d; 118 II 119 consid. 3a). En tant qu'il s'agit de l'exercice d'un droit formateur, la résiliation revêt un caractère univoque, inconditionnel et irrévocable
(ATF 135 III 441 consid. 3.3).

4.2 En l'espèce, quand bien même la nullité du congé est une question qui peut être examinée par le juge d'office et en tout temps, cela ne signifie pas encore que l'intimée ait la faculté de solliciter que cette question juridique soit tranchée de manière abstraite dans le cadre d'une procédure en constatation. Selon les principes développés précédemment, l'action en constatation est subsidiaire à une action condamnatoire. Or, l'intimée soutient, dans sa réponse à l'appel, avoir "droit à des dommages-intérêts pour résiliation anticipée du Contrat […]", qu'elle pourrait donc réclamer dans le cadre d'une action condamnatoire. La recevabilité de la requête de l'intimée au regard des conditions de l'art. 88 CPC ne peut donc être qualifiée de claire.

Il convient au surplus de relever ce qui suit. L'appelante considère que l'intimée a, par ses courriers des 30 novembre 2023 et 3 janvier 2024, résilié le contrat pour le 31 décembre 2023; elle aurait en outre quitté les locaux. L'intimée, quant à elle, soutient que, dans la mesure où elle ne s'est pas opposée au courrier de l'appelante du 9 janvier 2024 selon lequel le congé qu'elle lui avait adressé était sans effet, le contrat serait resté en vigueur entre les parties; elle conteste par ailleurs avoir quitté les locaux et allègue qu'elle aurait poursuivi l'exploitation du café-restaurant jusqu'au changement de serrures intervenu au début de l'année 2024. Il doit ainsi être considéré que la situation tant factuelle que juridique qui existait entre les parties au moment où le congé du 19 janvier 2024, objet de la présente procédure, a été donné, ne peut être qualifiée de claire.

Contrairement à ce qu'a retenu du Tribunal, la question de la portée des courriers des 30 novembre 2023 et 3 janvier 2024 est déterminante pour statuer dans la présente cause. En effet, à supposer que la résiliation pour le 31 décembre 2023 signifiée par l'intimée à l'appelante à ces occasions soit valable, il n'y aurait plus de place pour une seconde résiliation intervenue ultérieurement, alors que la résiliation de l'intimée avait déjà déployé ses effets. Dès lors, dans la mesure où la question de la validité du congé du 19 janvier 2024 ne peut s'examiner sans avoir au préalable clarifié la situation qui prévalait au moment où ledit congé a été donné, le cas ne peut être qualifié de clair. En outre, l'intérêt de l'intimée à faire constater la nullité de la résiliation du bail alors qu'elle aurait quitté les locaux ne peut non plus être qualifié de clair.

Partant, le jugement entrepris sera annulé et il sera statué en ce sens que la requête de l'intimée en constatation de la nullité du congé sera déclarée irrecevable (art. 327 al. 3 let. b CPC).

5.  A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais ni alloué de dépens dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 1er juillet 2024 par A______ SA contre le jugement JTBL/675/2024 rendu le 13 juin 2024 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/7945/2024‑6‑SD.

Au fond :

Annule ce jugement et, statuant à nouveau :

Déclare irrecevable la requête en protection du cas clair formulée le 5 avril 2024 par B______ SARL à l'encontre de A______ SA.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Sibel UZUN, Monsieur Damien TOURNAIRE, juges assesseurs; Madame Victoria PALAZZETTI, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr. cf. consid. 1.2