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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/68/2019

ATAS/1039/2024 du 19.12.2024 ( AI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/68/2019 ATAS/1039/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 19 décembre 2024

Chambre 5

 

En la cause

A______

représenté par Me Butrint AJREDINI, avocat

 

 

ecourant

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A. a. Monsieur A______ (ci-après : l'assuré), né en 1972, a travaillé en tant que maçon dès le 2 mai 2005 auprès de B______. À ce titre, il était assuré contre les accidents auprès de la SUVA Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (ci-après : la SUVA)

b. L’assuré a été en incapacité de travail totale dès le 16 juillet 2007, en lien avec un sinistre survenu le 15 février 2007 et annoncé à la SUVA le 2 août 2007.

c. L’assuré a subi une arthroscopie pour lésion du bourrelet glénoïdien antéro-inférieur de l’épaule droite le 11 février 2008, puis une seconde intervention de l’épaule droite le 4 novembre 2009, consistant en une réparation de la coiffe des rotateurs.

d. Le 30 janvier 2009, l’assuré a requis des prestations de l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI).

e. L’assuré a séjourné à la Clinique romande de réadaptation (ci-après : la CRR) du 25 août au 14 septembre 2010. Les médecins y ont posé les diagnostics de thérapies physiques et fonctionnelles pour douleurs persistantes et raideur de l'épaule droite, de notion de traumatisme de l'épaule droite le 15 février 2007, d'antécédent d'arthroscopie et réinsertion du bourrelet le 11 février 2008, d'antécédent d'acromioplastie, résection du centimètre externe de la clavicule et ténodèse du long chef du biceps le 4 novembre 2009, d'atteinte myélinique et sensitive focale du nerf médian symétrique sans corrélat clinique, d'acromion bipartite à droite sur la radiographie, d'antécédent d'infarctus en 2008, de pose de trois stents en juin et juillet 2008, et d'hypertension artérielle. L’assuré se disait émotif et dépressif, en lien avec son atteinte et ses problèmes familiaux. Le psychiatre qui a examiné l’assuré durant le séjour n’a retenu aucune pathologie majeure, mais quelques éléments de surcharge liés à l'incertitude quant à sa capacité de reprendre son activité professionnelle, ainsi qu'à des préoccupations familiales et financières. L'assuré a été invité à poursuivre le traitement médicamenteux prescrit par le service de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG) et à reprendre un suivi régulier par son psychologue. Les médecins ont conclu qu’il était probable que l'assuré ne puisse pas reprendre son activité antérieure de maçon et qu'il faille envisager un reclassement professionnel.

f. Le docteur C______, spécialiste FMH en chirurgie et médecin d'arrondissement auprès de la SUVA, a examiné l'assuré le 1er décembre 2010. Il a conclu que celui-ci devrait être reclassé dans une profession ne sollicitant pas l'épaule au-dessus de l'horizontale, ni mouvements répétés des bras ou port de charges supérieures à 10 kg. Il n'était pas tenu compte de facteurs non organiques susceptibles de compromettre un processus de reclassement chez l'assuré, qui semblait quelque peu fixé sur son invalidité.

g. Par décision du 24 février 2011, la SUVA a accordé à l'assuré une rente de 20% dès le 1er février 2011. Le degré d'invalidité résultait de la comparaison du revenu sans invalidité de CHF 69'862.- avec le revenu dans une activité exigible à 100% de CHF 56'167.-, fondé sur les salaires obtenus dans cinq emplois décrits dans les descriptifs de postes de travail (ci-après : DPT).

Saisie d’une opposition, la SUVA l’a partiellement admise par décision du 7 juin 2011, en ce sens que le gain annuel assuré sur lequel était calculé la rente était fixé à CHF 72'234.- pour tenir compte du gain accessoire réalisé par l’assuré ; la SUVA a confirmé sa décision pour le surplus.

h. Par arrêt du 25 octobre 2011 (ATAS/1000/2011), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) a rejeté le recours interjeté par l’assuré contre la décision de la SUVA, en considérant que les conclusions du Dr C______ devaient être suivies.

i. Sur recours, le Tribunal fédéral a confirmé l’arrêt de la chambre de céans du 25 octobre 2011 (8C_897/2011).

B. a. Dans un rapport du 17 juin 2011, le docteur D______, médecin au service de psychiatrie des HUG, a rapporté un état dépressif moyen (F 32.1) depuis mars 2010. Aucune incapacité de travail n’avait été établie par ce service et il n’y avait pas de contre-indication ni de baisse de rendement dans l’activité professionnelle pour des motifs psychiatriques.

b. En date du 8 février 2012, le docteur E______, spécialiste FMH en rhumatologie et médecin du service médical régional (ci‑après : le SMR) de l’OAI, a rendu un rapport à la suite de l’examen du 30 novembre 2011 de l’assuré. Il a retenu les diagnostics avec répercussion durable sur la capacité de travail de douleurs et limitations de l’épaule droite dans le cadre d’une rupture partielle du sus-épineux avec status après deux opérations de l’épaule droite (M.75), et de status après pose de trois stents pour maladie coronarienne bi-tronculaire. Pour les diagnostics sans répercussion sur la capacité de travail, le médecin a retenu des cervicalgies dans le cadre de discrets troubles statiques du rachis (M 54.2), un possible trouble somatoforme douloureux chronique (avec pour diagnostic différentiel une majoration des symptômes), une obésité, une hypertension artérielle traitée ainsi qu’une hyperlipidémie anamnestique. Les limitations fonctionnelles étaient les suivantes : pas d’élévation ou d’abduction de l’épaule droite à plus de 60°, pas de levée de charges de plus de 5 kg avec le membre supérieur droit, pas de mouvements répétitifs avec le bras droit, et il y avait lieu d’éviter le travail nécessitant des efforts en raison de la maladie coronarienne. Le Dr E______ a conclu à une incapacité de travail totale dans l’activité de maçon du 15 juillet 2007 au 3 mai 2008, puis de 50% du 5 mai 2008 au 17 juin 2008, puis à nouveau complète depuis le 18 juin 2008. Dans une activité adaptée, la capacité de travail était complète dès le 5 mai 2008. Dès le 18 juin 2008, la capacité de travail dans une activité adaptée était nulle, puis à nouveau complète du 28 octobre 2008 au 4 novembre 2009. Du 4 novembre 2009 au 1er décembre 2010, la capacité de travail dans une activité adaptée était nulle, mais à nouveau complète dès le 2 décembre 2010.

c. L’OAI a confié un mandat d’expertise au docteur F______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Dans son rapport du 13 septembre 2012, l’expert a rapporté des scores aux échelles de Hamilton se situant dans la fourchette de la dépression légère et de l’anxiété mineure. L’assuré ne présentait pas de dépressivité marquée mais plutôt une émotivité ; il n’y avait pas d’anhédonie, d’aboulie, ou d’apragmatisme. Il n’y avait pas d’indice en faveur d’un trouble majeur de la personnalité. Au sujet de l’amplification des symptômes, le Dr F______ a considéré que l’assuré faisait preuve de peu d’initiatives individuelles et paraissait déjà préfixé dans sa situation de futur invalide. Il s’exprimait sur un ton souvent dramatique et démonstratif et émettait des plaintes permanentes, notamment à l’égard du médecin qui ne le guérissait pas. Le niveau de participation a été considéré comme insuffisant en général, avec des incohérences assez frappantes, une attitude revendicatrice, pas d’initiative individuelle, pas de volonté de coopération individuelle et un but recherché assez discernable, plus ou moins conscient, de tirer profit de la maladie, le statut d’invalide offrant apparemment à l’assuré des solutions pratiques à des problèmes de réalité. En conclusion, l’expert a retenu le diagnostic, selon le DSM-IV sans répercussion sur la capacité de travail, de trouble douloureux associé à la fois à des facteurs psychologiques et une affection médicale générale chronique. Il n’y avait pas de symptômes en faveur d’un état anxio-dépressif cliniquement significatif. L’expert a estimé la capacité de travail à 100% d’un point de vue psychiatrique.

d. Dans un avis du 8 octobre 2012, le SMR a conclu à une capacité de travail nulle comme maçon, mais complète dans une activité adaptée depuis le 2 décembre 2010.

e. En date du 20 juin 2016, le professeur G______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a émis un certificat rappelant les troubles de l’assuré, mentionnant que celui-ci avait travaillé à 50% dès le 28 janvier 2014 à l’aéroport, puis en tant que chauffeur-livreur depuis avril 2014. Au vu de son état douloureux chronique et du handicap au niveau de son épaule droite, l’assuré contestait les évaluations de la SUVA quant à sa pleine capacité de travail.

f. Par certificat du 4 juillet 2016, le docteur H______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, a attesté du suivi de l’assuré par ses soins et par une psychologue, sous sa délégation, du 21 juin 2013 au 3 mars 2014.

g. Dans un rapport du 2 mars 2018, le service de réadaptation professionnelle de l’OAI a noté que la pleine exigibilité retenue avait été confirmée par le stage suivi par l’assuré du 6 juin au 3 juillet 2011, en dépit des contestations de celui-ci, mais que les mesures suivies pour favoriser une activité en qualité de métreur n’avaient pas pu être prolongées, car elles n’auraient pas été de nature à diminuer le dommage, ni à favoriser la reprise d’une activité adaptée.

h. Par décision du 21 novembre 2018, l’OAI a nié le droit à des mesures d’ordre professionnel et alloué à l’assuré une rente entière, basée sur un taux d’invalidité de 100%, du 1er août 2009 au 31 mars 2010 uniquement, l’assuré étant considéré comme apte au travail à 100% depuis le 2 décembre 2010. Dès cette date, compte tenu de revenus sans et avec invalidité de respectivement CHF 69'160.- et CHF 55'048.-, le degré d’invalidité était de 20%. Partant, le droit à la rente était supprimé, trois mois après l’amélioration de la capacité de gain, soit dès le 1er avril 2010 (sic).

C. a. Par courrier du 7 janvier 2019, l’assuré a recouru contre la décision de l’OAI du 21 novembre 2018. Il a indiqué être suivi, en raison d’une dépression, par le docteur I______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie, et a mentionné deux nouveaux accidents survenus le 15 octobre 2013 et le 10 avril 2018. Il a fait valoir que son état s’était dégradé et qu’une nouvelle expertise était nécessaire. Il a notamment produit un rapport du 13 décembre 2018 du docteur J______, spécialiste FMH en cardiologie, concluant à un examen clinique normal, à une situation cardiologique stable et à une évolution clinique favorable en l’absence de douleur thoracique ou de symptôme d’insuffisance cardiaque depuis l’angioplastie de décembre 2017.

b. L’intimé a conclu au rejet du recours le 5 février 2019.

c. Par ordonnance d’expertise du 23 juin 2021 (ATAS/626/2021), la chambre de céans, après avoir invité les parties à se déterminer sur les experts pressentis et la mission d’expertise, a confié une expertise du recourant aux docteurs K______, L______ et M______, respectivement spécialistes FMH en rhumatologie, chirurgie orthopédique et traumatologie de l'appareil locomoteur, et psychiatrie et psychothérapie, afin de procéder à une expertise multidisciplinaire comprenant une appréciation consensuelle du cas. Elle a, en substance, retenu que le recourant invoquait une dégradation de son état de santé en se référant au certificat du Prof. G______ datant de 2016. L’intimé n’avait procédé à aucune expertise pluridisciplinaire, mais uniquement à un examen du SMR et à une expertise en 2012 par le Dr F______, lequel était parvenu à des conclusions relativement péremptoires. Les éventuelles interactions entre les troubles psychiques, rhumatologiques et orthopédiques n’avaient cependant pas été examinées. Compte tenu de cet élément et du temps écoulé, une expertise pluridisciplinaire se justifiait.

d. Le Dr K______ a rendu son rapport d’expertise rhumatologique en date du 24 mai 2022. Cet expert a retenu les diagnostics avec répercussion sur la capacité de travail d’atteinte chronique des coiffes des rotateurs droits et gauches, plus importante à droite, depuis 2007, de tendinite chronique du moyen fessier gauche, et de maladie coronarienne chronique. Le recourant présentait également une obésité, sans incidence sur la capacité de travail. L’expert ne revenait pas sur le problème cardiaque, qui lui semblait très bien pris en charge et qui n’était pas remis en cause dans la documentation. S’agissant du problème orthopédique, le recourant avait bénéficié de deux interventions chirurgicales avec une évolution décrite comme bonne par certains orthopédistes, et mauvaise par d’autres. Après avoir effectué une arthro-IRM des deux épaules, l’expert a retenu une péjoration des lésions au niveau des deux épaules, principalement au niveau de l’épaule droite, les lésions correspondant aux douleurs décrites par le recourant, sous réserve d’une façon histrionique de mettre en évidence cette atteinte. L’état s’était dégradé depuis 2011. L’exagération des symptômes lors de l’examen physique ne remettait pas en cause les diagnostics et leur gravité, et le tableau clinique était parfaitement cohérent. Les limitations fonctionnelles retenues étaient les suivantes : pas de port ou de soulèvement de charges de plus de 5 kg ; pas de mouvements répétés avec les épaules ; pas de déplacements sur des échafaudages et d’utilisation d’échelles ; pas de déplacements sur terrains non plats ou sur plus de 500 m ; pas de travail comportant un stress psychologique ou physique ; travail en position assise avec la possibilité de changer de position toutes les heures. L’expert a estimé la capacité de travail du recourant dans une activité adaptée à ces limitations fonctionnelles à 50% depuis juillet 2010, en tenant compte de la fatigabilité liée à son problème cardiaque, tout en soulignant qu’aux plans orthopédique et rhumatologique, la capacité de travail était entière. Il a précisé avoir eu des colloques avec les experts orthopédiste et psychiatre.

e. Le Dr L______ a rendu son rapport d’expertise en date du 31 mai 2022. Après une anamnèse, un résumé du dossier et un descriptif de la journée-type, l’expert a relaté les résultats de son examen et a posé les diagnostics suivants : pour l’épaule droite, une lésion labrale de type SLAP constatée sur l’arthro-IRM du 7 août 2007 ; un état après réinsertion chirurgicale du bourrelet labral le 11 février 2008 ; un état après acromioplastie, résection du centimètre externe de la clavicule et ténodèse du long chef du biceps le 4 novembre 2009 et une lésion interstitielle du tendon sous-scapulaire et sous-épineux sur l’arthro-IRM du 13 décembre 2021 ; pour l’épaule gauche, une lésion partielle du tendon sous-scapulaire et une partition de l’acromion asymptomatiques visualisées sur l’IRM du 25 octobre 2016 ; pour la hanche gauche, une tendinopathie du moyen fessier gauche diagnostiquée le 10 avril 2018 ; pour la cheville gauche, une arthrose sous-talienne, diagnostiquée sur l’IRM du 13 décembre 2016 ; pour la cheville droite, une arthrose sous-talienne évoquée dans le rapport d’échographie du 28 août 2018. Ces atteintes avaient une répercussion sur la capacité de travail. L’état de santé s’était détérioré au vu des diagnostics posés après 2011. L’expert a retenu les limitations fonctionnelles suivantes : pas d’élévation répétitive du bras droit au-dessus des épaules et pas de port de charges de plus de 5 kg, pas d’élévation répétitive du bras gauche au-dessus des épaules et pas de port de charges de plus de 10 kg, pas de marche prolongée ou en terrain instable, et pas de montées ou de descentes répétées des escaliers. L’expert a considéré que la capacité de travail dans l’activité habituelle était nulle dès le 15 juillet 2007. Dans une activité adaptée, la capacité de travail du recourant était entière dès le 4 mai 2010, soit six mois après la seconde intervention, sans diminution de rendement.

f. La Dre M______ a rendu son rapport d’expertise psychiatrique en date du 15 juin 2022. Elle y a retenu trois diagnostics, soit un trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen avec syndrome somatique (F 33.11), apparu en 2010, rechute en 2018, un syndrome douloureux somatoforme persistant (F 45.4) apparu en 2008, et une agoraphobie avec trouble panique apparue en 2019. Ces troubles étaient de sévérité moyenne à grave. L’état s’était aggravé depuis 2011. Les limitations fonctionnelles étaient les suivantes : baisse nette de l’élan vital avec fatigabilité, difficulté à maintenir l’attention, tension interne, intolérance à la frustration, difficultés inter-personnelles, ces limitations étant présentes de manière importante depuis 2018, date de la rechute dépressive. Le syndrome douloureux somatoforme induisait des autolimitations au niveau de l’usage des membres, notamment le bras droit, des difficultés à se concentrer, à maintenir son attention, et une fatigabilité, ces limitations étant présentes depuis 2007 – 2008 avec une dégradation actuellement liée à une généralisation des plaintes. Le trouble anxieux entraînait, depuis 2019, une anxiété envahissante avec des manifestations neurovégétatives de type sensation de vertiges, besoin de fuir, évitement de situations redoutées, difficulté à maintenir son attention.

L’experte psychiatre a analysé les indicateurs de gravité des troubles psychiques avant de se prononcer sur la capacité de travail. Elle a considéré que dans un cadre très hypothétique, le recourant pourrait exercer une activité jusqu’à 30% dans un cadre adapté à ses limitations, soit une activité ne nécessitant pas d’effort d’attention ou de concentration, ni d’interactions interpersonnelles, avec des tâches répétitives, dans un encadrement bienveillant, pouvant accepter que le recourant puisse prendre le temps de se reposer en cas de fatigabilité ou d’exacerbation anxieuse ou algique, et pouvant tolérer un absentéisme plus ou moins régulier pour des raisons de santé. Ces limitations s’ajoutaient à celles posées par le Dr K______. L’experte a ajouté qu’il était difficile d’imaginer dans le cadre du marché concurrentiel du travail une activité correspondant à toutes ces limitations, et qu’une telle activité pouvait représenter un facteur de stress chez le recourant et pourrait entretenir son état de santé instable. Ainsi, l’experte estimait que le recourant était en incapacité totale de reprendre une activité professionnelle, quel que soit le domaine d’activité, depuis 2018. Elle considérait que le recourant présentait une capacité de travail de 50% entre 2010 et 2017.

g. À la demande de la chambre de céans, la Dre M______ lui a fait parvenir par courrier du 27 juillet 2022 les résultats du consilium avec les deux autres experts, qui confirmaient son évaluation de la capacité de travail dans une activité adaptée de 50% depuis 2010, et nulle depuis 2018.

h. Dans ses déterminations du 23 septembre 2022, l’intimé a rappelé que la décision querellée avait été rendue en date du 21 novembre 2018 et que la situation médicale antérieure à cette date était déterminante. Par conséquent, l’éventuelle aggravation de l’état de santé du recourant, d’un point de vue cardiologique et psychiatrique, devrait faire l’objet d’une procédure distincte. L’intimé s’est pour le surplus rallié à l’avis du SMR du 23 septembre 2022, dans lequel ce service a exprimé son désaccord avec l’appréciation du Dr K______ sur le plan cardiologique, aucune incapacité de travail ne pouvant être retenue jusqu’à fin 2018 dans une activité adaptée de ce point de vue selon le rapport du Dr J______ du 13 décembre 2018. Le SMR a noté la pose de deux stents en décembre 2017 et de deux autres stents en décembre 2018, et un infarctus en 2019 selon les documents présentés à l’expertise et l’anamnèse. Ainsi, d’un point de vue rhumatologique et orthopédique, une capacité de travail entière était exigible en tenant compte des limitations fonctionnelles somatiques retenues par les experts. Sur le plan psychiatrique, le SMR a considéré qu’il n’y avait pas lieu de retenir une incapacité de travail antérieurement au mois d’octobre 2018, date de l’aggravation sur le plan psychiatrique, qui ne justifiait de plus qu’une incapacité de travail partielle.

i. Dans ses observations du 14 octobre 2022, le recourant s’est rallié aux conclusions des experts et a allégué une incapacité totale de travailler depuis le 1er avril 2010, en raison de problèmes cardiaques et psychiques notamment.

j. Par arrêt du 10 novembre 2022 (ATAS/973/2022), la chambre de céans a partiellement admis le recours. Elle a retenu, en substance, que l’expertise orthopédique avait valeur probante. Au plan purement rhumatologique, l’expertise du Dr K______ ne devait pas être remise en cause. Cependant, cet expert retenait une incapacité de travail en lien avec des problèmes cardiologiques qui ne relevaient pas de son domaine de compétence. De plus, ces troubles s’étaient déjà manifestés auparavant, et l’infarctus était postérieur à la décision attaquée. Il n’était cependant pas nécessaire d’examiner plus en détail la validité des conclusions au plan cardiologique du rapport du Dr K______. En effet, l’experte psychiatre avait conclu à une incapacité de travail de 50% depuis 2010 et totale depuis 2018. Or, son rapport avait pleine valeur probante et établissait au degré de la vraisemblance prépondérante qu’à partir du 1er avril 2010, la capacité de travail du recourant était de 50% pour des motifs psychiatriques, jusqu’à octobre 2018. En l’absence d’une date plus précise, la chambre de céans admettait que la capacité de gain du recourant s’était dégradée dans les trois mois précédant le 1er octobre 2018. C’était ainsi dès cette date que la capacité de travail était nulle et que le droit à une rente entière était ouvert. La chambre de céans a ensuite procédé au calcul des degrés d’invalidité. Elle a annulé la décision de l’intimé du 21 novembre 2018 en tant qu’elle portait sur la période postérieure au 31 mars 2010, et a octroyé au recourant un trois quarts de rente d'invalidité dès le 1er avril 2010 et une rente entière d’invalidité dès le 1er octobre 2018.

k. Saisi d’un recours de l’intimé, le Tribunal fédéral l’a partiellement admis par arrêt du 15 juin 2023 (8C_470/2022). Il a annulé l’arrêt de la chambre de céans et lui a renvoyé la cause pour nouvelle décision. Il a retenu que l’expertise de la Dre M______ n’était pas convaincante en tant qu’elle admettait une capacité de travail de 30% dès le 1er octobre 2018 dans un cadre hypothétique, tout en concluant à une capacité de travail nulle. Ses conclusions pour retenir une incapacité de travail de 50% sur le plan psychique entre le 1er avril 2010 et le 30 septembre 2018 étaient de plus insuffisamment motivées. Les difficultés d'ordre psychique dès mars 2010 étaient survenues dans le contexte de tensions importantes dans le couple du recourant, mais ses médecins n’avaient attesté aucune incapacité de travail, et les médecins de la CRR n’avaient retenu aucune pathologie psychique majeure. L’état de santé psychique du recourant s’était amélioré à partir de mars 2014, et le dossier ne mentionnait aucune rechute sur le plan psychiatrique avant une nouvelle prise en charge initiée en octobre 2018. Le recourant avait par ailleurs exercé plusieurs activités entre 2012 et 2019, en assurant la gestion de la boulangerie de sa fille, entre 2014 et 2019. Partant, la capacité de travail de 50% dès mars 2010 n’emportait pas non plus la conviction, et une nouvelle expertise psychiatrique devait être ordonnée.

D. a. Par ordonnance du 23 janvier 2024 (ATAS/37/2024), rendue après avoir invité les parties à se déterminer sur l’expert pressenti et la mission d’expertise, la chambre de céans a confié une expertise du recourant au professeur N______, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

b. Le Prof. N______ a rendu son expertise le 26 juillet 2024, qui a été établie avec le concours de Madame O______, psychologue.

Après avoir établi l’anamnèse et résumé le dossier médical du recourant, l’expert a relaté ses observations cliniques. La thymie était triste avec fixation de la tonalité au pôle dépressif. Le recourant présentait une baisse marquée de l'élan vital avec une aboulie et une anhédonie modérées, et une souffrance morale avec sentiment de détresse à chaque référence à son parcours des dernières années. Des troubles de la concentration étaient rapportés, mais non objectivés lors de l'entretien. Il y avait un fort sentiment de dévalorisation avec vécu de honte quant à sa propre identité et son évolution depuis 2018, ainsi qu’un sentiment de culpabilité vis-à-vis de ses enfants. L’expert constatait un retrait des investissements libidinaux, avec prédominance d'une vision négative des liens et recherche de la solitude. Les souhaits de mort étaient très présents avec idéation suicidaire vague, en lien avec la crainte du recourant de blesser davantage les membres de sa famille, sans projets mis en place. Le recourant décrivait une anticipation anxieuse par rapport aux activités simples de la vie quotidienne, mais aussi et surtout pour son avenir sur le plan physique, et notamment par rapport à ses crises d'angor. L'évaluation neuropsychologique mettait en évidence un fonctionnement intellectuel se situant dans la zone « très faible » pour l'ensemble des indices évalués. Le profil cognitif révélait des difficultés dans tous les domaines cognitifs au niveau attentionnel, de la mémoire auditivo-verbale et visuospatiale, en cognition sociale, au niveau exécutif et de la vitesse de traitement. Finalement, la tâche investiguant la présence éventuelle de majoration de symptômes indiquait un biais de réponse.

Après s’être entretenu avec la fille du recourant et la psychiatre de celui-ci, l’expert a retenu les diagnostics d’épisode dépressif moyen (F 32.11) dès 2018 avec répercussion sur la capacité de travail, de majoration des symptômes physiques pour des raisons psychologiques (F 68.0) dès 2012, sans incidence sur la capacité de travail, ainsi que de troubles mentaux et du comportement liés à l'utilisation de l'alcool, syndrome de dépendance, utilisation continue (F 10.2) dès 2018. Le syndrome douloureux somatoforme était de sévérité moyenne, caractérisé par des douleurs diffuses et mal systématisées. Il avait un impact clair sur la fonctionnalité, en synergie avec l'épisode dépressif moyen. Ce dernier était également de sévérité moyenne, d'apparition plus récente, et correspondait à un vécu d'effondrement narcissique après la perte définitive de son emploi et la séparation de son ex-compagne. L'utilisation d'alcool à visée anxiolytique avait pris de l'ampleur depuis 2018, tout en restant sans répercussions psychosociales majeures. Cette consommation, de sévérité légère, augmentait l'irritabilité et le repli, en lien avec l'épisode dépressif.

Au plan psychique, l'état de santé s’était clairement détérioré à partir de 2018, avec l'installation d'un épisode dépressif moyen. Le diagnostic d'épisode dépressif plutôt que de trouble récurrent était retenu, en l’absence de rémission avec rechute dépressive objectivée depuis 2018. Les douleurs ressenties diminuaient la mobilité, la préoccupation autour des douleurs induisait une réactivité anxieuse avec tendance à l'évitement et repli sur soi. La pathologie dépressive entraînait une passivité marquée avec un désinvestissement partiel des activités de la vie quotidienne, le recourant ayant besoin de l’aide de sa fille pour la gestion du ménage, des repas et des lessives, des actes administratifs, mais aussi de la vie sociale. L'impact était de sévérité légère dans les activités instrumentales, et moyenne dans les contacts sociaux quotidiens. On retrouvait également une série de limitations sur le plan fonctionnel touchant en priorité l'endurance, la résistance, la proactivité, l'intégration dans un groupe, la capacité de contact et de conversation avec des tiers, la relation à deux. Le test de validation et l'observation clinique mettaient en évidence une majoration des symptômes physiques pour des raisons psychologiques. Le recourant était par moments démonstratif et mettait en scène ses douleurs, mais il n’était toutefois pas dans le registre de l'exagération consciente. Le discours n’était pas vague, les plaintes douloureuses étaient précises, la demande de soins médicaux ne faisait aucun doute, et tant le handicap psychosocial que la souffrance morale étaient perceptibles. La majoration observée ne suffisait pas pour remettre en question la sévérité de l'atteinte.

Le syndrome douloureux somatoforme avait été documenté en 2012. Après le départ de sa compagne, le recourant avait présenté un trouble de l'adaptation avec humeur anxieuse et dépressive, qui avait régressé progressivement avec arrêt des soins psychiatriques en 2014. L’épisode dépressif moyen datait de 2018, lors de l’arrêt des tentatives d'insertion professionnelle. S’agissant de la cohérence, on notait des domaines préservés tels que la flexibilité, la mobilité, la planification des tâches, la capacité à porter des jugements et à prendre des décisions, et l'adaptation aux règles. De plus, le recourant pouvait voyager au Portugal et restait présent auprès de ses enfants. En l'absence d'un épisode dépressif, l’impact du trouble somatoforme douloureux n’aurait pas dépassé 30% dans la capacité de travail dans un milieu usuel ou adapté en économie libre. L'épisode dépressif évoluait peu malgré le traitement antidépresseur, ce qui n’était pas surprenant au vu de la blessure narcissique subie avec la perte de l'emploi. Le recourant ne présentait pas de trouble de la personnalité. Il était capable d'interactions et pouvait compter sur le soutien de ses trois enfants. En revanche, sa vie affective était inexistante. Sur un plan psychiatrique, le recourant avait présenté une capacité de travail nulle de mars 2010 à septembre 2012 en lien avec le trouble de l'adaptation déclenché par le départ de sa compagne et l'échec des traitements entrepris pour ses douleurs, puis de 70% en milieu usuel ou adapté en économie libre en lien avec le syndrome douloureux somatoforme de septembre 2012 jusqu'à mars 2018. À partir d'avril 2018, la capacité de travail était nulle en lien avec le syndrome douloureux somatoforme et l'épisode dépressif moyen. Un changement du traitement antidépresseur pourrait être tenté, mais les chances de succès étaient très minces, compte tenu de la chronicisation du cas et l'ampleur de la blessure narcissique. Le pronostic était mauvais, les capacités de récupération étant très faibles chez un homme amer, par moments vindicatif, avec un vécu d'échec et d'humiliation. Le traitement pharmacologique était bien suivi, avec un dosage plasmatique dans les normes, et était adéquat, de même que le traitement psychothérapeutique. Le diagnostic de syndrome douloureux somatoforme posé par le Dr F______ était correct. Toutefois, les limitations qui en découlaient n’étaient pas nulles, et n’avaient pas été évaluées en fonction des indicateurs développés postérieurement. L’expert confirmait les diagnostics de la Dre M______, notamment la présence d'un épisode dépressif moyen en association avec le syndrome douloureux somatoforme. Il ne retenait en revanche pas le diagnostic d'agoraphobie avec attaques de panique. Le repli sur soi et le fait de moins quitter son domicile étaient des signes accompagnant l'effondrement dépressif, mais n'avaient pas l'intensité requise pour retenir un trouble anxieux séparé. Le recourant était capable de voyager au Portugal et d’avoir des activités hors du domicile, sans rapporter d’attaques de panique. L'évaluation de la capacité de travail par la Dre M______ à partir de 2018 concordait avec les constatations du Prof. N______.

Cet expert a précisé qu’en accord avec les Drs K______ et L______, la capacité de travail était de 0% de mars 2010 à septembre 2012, de 70% en milieu usuel ou adapté en économie libre de septembre 2012 jusqu'à mars 2018, et de 0% dès avril 2018.

c. Le recourant s’est déterminé le 28 août 2024. Il a soutenu que l’expertise du Prof. N______ ne différait que peu de la précédente expertise. L’avis divergent de cet expert concernant la capacité de travail entre 2012 et 2018 n’emportait pas la conviction, étant donné qu’il ne reposait pas sur une approche clinique détaillée de cette période. En conséquence, à défaut de déterminer précisément la capacité de travail durant ladite période, il convenait de retenir celle qui était la plus favorable au recourant, à savoir une capacité de travail de 50%.

d. À la même date, l’intimé s’est également déterminé, en se ralliant à l’avis du SMR qu’il a produit. Les conclusions de l’expert pour la période de mars 2010 à décembre 2012 ne pouvaient être suivies. L’intimé a cependant modifié ses conclusions dans le sens où le recourant présentait une capacité de travail de 70% dès le mois de septembre 2012 et de 0% dès le mois d'avril 2018.

Dans l’avis joint du 27 août 2024, le SMR a rappelé qu’il était en désaccord avec l’appréciation du Dr K______ s’agissant de l’incapacité de travail retenue sur le plan cardiologique, aucune incapacité de travail ne pouvant être retenue avant éventuellement 2019 (date annoncée de l'infarctus), soit postérieurement à la décision. Le SMR était d’accord avec l’évaluation de la capacité de travail par le Prof. N______ depuis septembre 2012. Il ne pouvait en revanche le suivre s’agissant de la période de mars 2010 à septembre 2012, durant laquelle l’expert retenait une capacité de travail nulle en lien avec un trouble de l'adaptation. Selon la classification internationale des maladies, un trouble de l’adaptation ne persistait guère plus de six mois. Au-delà, le diagnostic devait être modifié en faveur de facteurs de stress persistants non incapacitants (code Z). La CRR avait écarté toute pathologie psychiatrique majeure, et le Dr D______ ne retenait pas de symptomatologie dépressive significative. En résumé, le SMR estimait qu’il fallait retenir une capacité de travail de 70% dès le 1er septembre 2012, et nulle dès le 1er avril 2018.

e. Dans ses observations du 30 septembre 2024, le recourant a soutenu que sa capacité de travail était limitée de mars 2010 à septembre 2012. Il avait consulté en mars 2010 les urgences psychiatriques, ce qui avait conduit à la mise en place d'un suivi psychiatrique et psychothérapeutique régulier, et il a affirmé avoir bénéficié d’une prise en charge de crise du 21 au 28 février 2011 en raison d'une dégradation de sa symptomatologie anxio-dépressive, avec apparition d'idées suicidaires. Les rapports du docteur O______ et de la CRR soulignaient également l'impact des douleurs chroniques, combinées à un état d'anxiété et d'angoisse permanents. L’expertise du Prof. N______ confirmait cette évolution négative.

f. La chambre de céans a transmis copie de cette écriture à l’intimé le 1er octobre 2024.

g. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

h. Les autres faits et documents seront mentionnés, en tant que de besoin, dans la partie « En droit » du présent arrêt.

EN DROIT

 

1.             La compétence de la chambre de céans et la recevabilité du recours ont déjà été examinées par la chambre de céans dans son arrêt du 10 novembre 2022.

2.             S’agissant de l’objet du litige, on peut préciser ce qui suit.

2.1 En procédure juridictionnelle administrative, ne peuvent être examinés et jugés, en principe, que les rapports juridiques à propos desquels l'autorité administrative compétente s'est prononcée préalablement, d'une manière qui la lie sous la forme d'une décision. Dans cette mesure, la décision détermine l'objet de la contestation qui peut être déféré en justice par la voie d'un recours. Le juge n'entre donc pas en matière, sauf exception, sur des conclusions qui vont au-delà de l'objet de la contestation. L'objet du litige dans la procédure de recours est le rapport juridique réglé dans la décision attaquée, dans la mesure où - d'après les conclusions du recours - il est remis en question par la partie recourante (ATF 144 II 359 consid. 4.3 et les références citées).  

2.2 Selon une jurisprudence constante rendue dans le domaine des assurances sociales, la procédure juridictionnelle administrative peut être étendue pour des motifs d'économie de procédure à une question en état d'être jugée qui excède l'objet de la contestation, c'est-à-dire le rapport juridique visé par la décision, lorsque cette question est si étroitement liée à l'objet initial du litige que l'on peut parler d'un état de fait commun et à la condition que l'administration se soit exprimée à son sujet dans un acte de procédure au moins. Les conditions auxquelles un élargissement du procès au-delà de l'objet de la contestation est admissible sont donc les suivantes : la question (excédant l'objet de la contestation) doit être en état d'être jugée ; il doit exister un état de fait commun entre cette question et l'objet initial du litige ; l'administration doit s'être prononcée à son sujet dans un acte de procédure au moins ; le rapport juridique externe à l'objet de la contestation ne doit pas avoir fait l'objet d'une décision passée en force de chose jugée (arrêt du Tribunal fédéral 9C_678/2019 du 22 avril 2020 consid. 4.4.1 et les références).  

2.3 En l’espèce, l’intimé a dans un premier temps soutenu dans son écriture du 23 septembre 2022 qu’une aggravation postérieure à sa décision de novembre 2018 devrait faire l’objet d’une procédure distincte. Il a toutefois admis par la suite dans ses déterminations du 28 août 2024 une capacité de travail de 70% dès septembre 2012, et nulle dès le mois d’avril 2018, soit à une date antérieure à la décision attaquée. De plus, en toute hypothèse, les conditions dégagées par la jurisprudence pour l’extension temporelle de l’objet du litige seraient en l’espèce réalisées, dès lors notamment que les parties ont eu l’occasion de se déterminer sur ce point et que l’économie de procédure impose de trancher sur le droit aux prestations du recourant au-delà de novembre 2018, notamment au vu du temps écoulé depuis le dépôt de sa demande de prestations.

L’objet du litige porte ainsi sur le droit à une rente dès le 1er avril 2010, étant souligné que le recourant ne conteste pas le refus de mesures d’ordre professionnel.

3.             Il convient en préambule de rappeler ce qui suit au sujet du droit applicable.

3.1 En vertu de l’art. 28 de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - 831.20) dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, l’assuré a droit à une rente d’invalidité aux conditions suivantes : sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a) ; il a présenté une incapacité de travail (art. 6 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 [LPGA - RS 830.1]) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b) ; au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c) (al. 1). L’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à trois quarts de rente s’il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins (al. 2).

L’art. 29 LAI dispose que le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18e anniversaire de l’assuré (al. 1). Le droit ne prend pas naissance tant que l’assuré peut faire valoir son droit à une indemnité journalière au sens de l’art. 22 (al. 2).

3.2 La LAI a connu une novelle le 19 juin 2020, entrée en vigueur le 1er janvier 2022. Dans ce cadre, le système des quarts de rente jusque-là applicable a été remplacé par un système linéaire de rentes (Message concernant la modification de la loi fédérale sur l'assurance-invalidité [Développement continu de l'assurance-invalidité], FF 2017 2442).

L’art. 28b LAI en vigueur depuis le 1er janvier 2022 dispose que la quotité de la rente est fixée en pourcentage d’une rente entière (al. 1). Pour un taux d’invalidité compris entre 50 et 69%, la quotité de la rente correspond au taux d’invalidité (al. 2). Pour un taux d’invalidité supérieur ou égal à 70%, l’assuré a droit à une rente entière (al. 3). L’al. 4 détaille les taux de rente correspondant aux degrés d’invalidité entre 40% et 50%.

La let. b des dispositions transitoires relatives à cette modification prévoit notamment que pour les bénéficiaires de rente dont le droit à la rente est né avant l’entrée en vigueur de ladite modification et qui n’avaient pas encore 55 ans à cette date, la quotité de la rente ne change pas tant que leur taux d’invalidité ne subit pas de modification au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA (al. 1). La quotité de la rente reste également inchangée après une modification du taux d’invalidité au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA si l’application de l’art. 28b de la loi se traduit par une baisse de la rente en cas d’augmentation du taux d’invalidité ou par une augmentation de la rente en cas de réduction (al. 2). Le Message précise que la quotité de la rente est calculée conformément au nouveau système si son taux d’invalidité a subi une modification d’au moins 5 points de pourcentage (FF 2017 2504).

3.3 Selon l’art. 17 LPGA dans sa teneur depuis le 1er janvier 2022, la rente d’invalidité est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée, réduite ou supprimée, lorsque le taux d’invalidité de l’assuré subit une modification d’au moins 5 points de pourcentage (let. a), ou atteint 100% (let. b) (al. 1). De même, toute prestation durable accordée en vertu d’une décision entrée en force est, d’office ou sur demande, augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée si les circonstances dont dépendait son octroi changent notablement (al. 2).

Cette disposition s’applique également à la décision par laquelle une rente échelonnée dans le temps est accordée avec effet rétroactif (arrêt du Tribunal fédéral 9C_244/2020 du 5 janvier 2021 consid. 4.3.1).

3.4 Selon la jurisprudence, lorsque la décision dont est recours a été rendue après le 1er janvier 2022, il y a lieu conformément aux principes de droit intertemporel généralement applicables (cf. sur ce point ATF 144 V 210 consid. 4.3.1) de déterminer en vertu du droit applicable jusqu’au 31 décembre 2021 si un droit à la rente est né avant cette date. Lorsque le droit à la rente est né après cette date, le nouveau droit est applicable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2023 du 20 juillet 2023 consid. 2.2).

3.5 En l’espèce, le droit à la rente est né avant l’entrée en vigueur de la novelle de la LAI, de sorte que l’ancien droit reste applicable, sous réserve d’une modification du degré d’invalidité de 5 points de pourcentage au moins après le 1er janvier 2022 (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_55/2023 du 11 juillet 2023 consid. 2.2), dont la chambre de céans examinera, ci-après, si elle est survenue.

4.             Pour pouvoir trancher le droit aux prestations, l'administration ou l'instance de recours a besoin de documents que le médecin ou d'autres spécialistes doivent lui fournir. La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V 256 consid. 4 ; 115 V 133 consid. 2). Ces données médicales permettent généralement une appréciation objective du cas (arrêt du Tribunal fédéral 8C_713/2019 du 12 août 2020 consid. 5.2).

4.1 Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales, le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. À cet égard, il convient que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 125 V 351 consid. 3a, 122 V 157 consid. 1c).

4.2 Sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux. Le juge ne s'écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d'une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (arrêt du Tribunal fédéral 8C_612/2023 du 13 mars 2024 consid. 3.2).  

4.3 S'agissant de la valeur probante des rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc et les références). Au surplus, on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l'administration ou un juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu'un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contradictoire. Il n'en va différemment que si ces médecins font état d'éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l'expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l'expert (arrêt du Tribunal fédéral 9C_405/2008 du 29 septembre 2008 consid. 3.2).

5.             Dans un arrêt de principe concernant les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), le Tribunal fédéral a retenu que la capacité de travail réellement exigible doit être évaluée dans le cadre d'une procédure d'établissement des faits structurée et sans résultat prédéfini, permettant de mettre en regard les facteurs extérieurs incapacitants d'une part et les ressources de compensation de la personne d'autre part. Il y a désormais lieu de se fonder sur une grille d'analyse comportant divers indicateurs qui rassemblent les éléments essentiels propres aux troubles de nature psychosomatique (consid. 3.6). Ces indicateurs concernent deux catégories, à savoir celle du degré de gravité fonctionnelle et celle de la cohérence.

I. Catégorie « degré de gravité fonctionnelle »

Les indicateurs relevant de cette catégorie représentent l'instrument de base de l'analyse. Les déductions qui en sont tirées devront, dans un second temps, résister à un examen de la cohérence (ATF 141 V 281 consid. 4.3).

A. Axe « atteinte à la santé »

1. Expression des éléments pertinents pour le diagnostic et des symptômes

Les constatations relatives aux manifestations concrètes de l'atteinte à la santé diagnostiquée permettent de distinguer les limitations fonctionnelles causées par cette atteinte de celles dues à des facteurs non assurés. Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic. Il doit être rendu vraisemblable compte tenu de l'étiologie et de la pathogenèse de la pathologie déterminante pour le diagnostic. Par exemple, sur le plan étiologique, la caractéristique du syndrome somatoforme douloureux persistant est, selon la CIM-10 (F 45.5), qu'il survient dans un contexte de conflits émotionnels ou de problèmes psycho-sociaux. En revanche, la notion de bénéfice primaire de la maladie ne doit plus être utilisée (consid. 4.3.1.1).

2. Succès du traitement et de la réadaptation ou résistance à ces derniers

Ce critère est un indicateur important pour apprécier le degré de gravité. L'échec définitif d'un traitement indiqué, réalisé lege artis sur un assuré qui coopère de manière optimale, permet de conclure à un pronostic négatif. Si le traitement ne correspond pas ou plus aux connaissances médicales actuelles ou paraît inapproprié dans le cas d'espèce, on ne peut rien en déduire s'agissant du degré de gravité de la pathologie. Les troubles psychiques sont invalidants lorsqu'ils sont graves et ne peuvent pas ou plus être traités médicalement. Des déductions sur le degré de gravité d'une atteinte à la santé peuvent être tirées non seulement du traitement médical mais aussi de la réadaptation. Si des mesures de réadaptation entrent en considération après une évaluation médicale, l'attitude de l'assuré est déterminante pour juger du caractère invalidant ou non de l'atteinte à la santé. Le refus de l'assuré d'y participer est un indice sérieux d'une atteinte non invalidante. À l'inverse, une réadaptation qui se conclut par un échec en dépit d'une coopération optimale de la personne assurée peut être significative dans le cadre d'un examen global tenant compte des circonstances du cas particulier (consid. 4.3.1.2).

3. Comorbidités

La comorbidité psychique ne joue plus un rôle prépondérant de manière générale, mais ne doit être prise en considération qu'en fonction de son importance concrète dans le cas d'espèce, par exemple pour juger si elle prive l'assuré de ressources. Il est nécessaire de procéder à une approche globale de l'influence du trouble somatoforme douloureux avec l'ensemble des pathologies concomitantes (consid. 4.3.1.3). Un trouble qui, selon la jurisprudence, ne peut pas être invalidant en tant que tel (arrêt du Tribunal fédéral 9C_98/2010 du 28 avril 2010 consid. 2.2.2) n'est pas une comorbidité (arrêt du Tribunal fédéral 9C_1040/2010 du 6 juin 2011 consid. 3.4.2.1) mais doit à la rigueur être pris en considération dans le cadre du diagnostic de la personnalité. Ainsi, un trouble dépressif réactionnel au trouble somatoforme ne perd pas toute signification en tant que facteur d'affaiblissement potentiel des ressources, mais doit être pris en considération dans l'approche globale (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.3).

B. Axe « personnalité » (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles)

Il s'agit d'accorder une importance accrue au complexe de personnalité de l'assuré (développement et structure de la personnalité, fonctions psychiques fondamentales). Le concept de ce qu'on appelle les « fonctions complexes du Moi » (conscience de soi et de l'autre, appréhension de la réalité et formation du jugement, contrôle des affects et des impulsions, intentionnalité et motivation) entre aussi en considération. Comme les diagnostics relevant des troubles de la personnalité sont, plus que d'autres indicateurs, dépendants du médecin examinateur, les exigences de motivation sont particulièrement élevées (consid. 4.3.2).

C. Axe « contexte social »

Si des difficultés sociales ont directement des conséquences fonctionnelles négatives, elles continuent à ne pas être prises en considération. En revanche, le contexte de vie de l'assuré peut lui procurer des ressources mobilisables, par exemple par le biais de son réseau social. Il faut toujours s'assurer qu'une incapacité de travail pour des raisons de santé ne se confond pas avec le chômage non assuré ou avec d'autres difficultés de vie (consid. 4.3.3).

II. Catégorie « cohérence »

Cette seconde catégorie comprend les indicateurs liés au comportement de l'assuré (consid. 4.4).

 

 

A. Limitation uniforme du niveau des activités dans tous les domaines comparables de la vie

Il s'agit ici de se demander si l'atteinte à la santé limite l'assuré de manière semblable dans son activité professionnelle ou dans l'exécution de ses travaux habituels et dans les autres activités (par exemple ses loisirs). Le critère du retrait social utilisé jusqu'ici doit désormais être interprété de telle sorte qu'il se réfère non seulement aux limitations mais également aux ressources de l'assuré et à sa capacité à les mobiliser. Dans la mesure du possible, il convient de comparer le niveau d'activité sociale de l'assuré avant et après la survenance de l'atteinte à la santé (consid. 4.4.1).

B. Poids de la souffrance révélé par l'anamnèse établie en vue du traitement et de la réadaptation

La prise en compte d'options thérapeutiques, autrement dit la mesure dans laquelle les traitements sont mis à profit ou alors négligés, permet d'évaluer le poids effectif des souffrances. Tel n'est toutefois pas le cas lorsque le comportement est influencé par la procédure assécurologique en cours. Il ne faut pas conclure à l'absence de lourdes souffrances lorsque le refus ou la mauvaise acceptation du traitement recommandé est la conséquence d'une incapacité (inévitable) de l'assuré à reconnaître sa maladie (anosognosie). Les mêmes principes s'appliquent pour les mesures de réadaptation. Un comportement incohérent de l'assuré est là aussi un indice que la limitation fonctionnelle est due à d'autres raisons que l'atteinte à la santé assurée (consid. 4.4.2).

Le juge vérifie librement si l'expert médical a exclusivement tenu compte des déficits fonctionnels résultant de l'atteinte à la santé et si son évaluation de l'exigibilité repose sur une base objective (ATF 137 V 64 consid. 1.2 in fine).

Dans un arrêt de 2017, le Tribunal fédéral a étendu la jurisprudence précitée à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409 consid. 4.5).

6.             L’art. 16 LPGA prévoit que, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation. Il s'agit là de la méthode dite de comparaison des revenus, qu'il convient d'appliquer aux assurés exerçant une activité lucrative (ATF 128 V 29 consid. 1). Pour procéder à la comparaison des revenus, il convient en principe de se placer au moment de la naissance du droit à la rente (ATF 128 V 174 consid. 4a).

6.1 Le revenu sans invalidité se détermine en établissant au degré de la vraisemblance prépondérante ce que l’intéressé aurait effectivement pu réaliser au moment déterminant s’il était en bonne santé (ATF 129 V 222 consid. 4.3.1). Ce revenu doit être évalué de manière aussi concrète que possible si bien qu’il convient, en règle générale, de se référer au dernier salaire que l’assuré a obtenu avant l’atteinte à sa santé, en tenant compte de l’évolution des salaires. En effet, selon l’expérience générale, la dernière activité aurait été poursuivie sans atteinte à la santé. Les exceptions à ce principe doivent être établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_934/2015 du 9 mai 2016 consid. 2.2). La prise en compte d'un revenu accessoire suppose un lien entre l'atteinte à la santé et la cessation de l'activité s'y rapportant (arrêt du Tribunal fédéral 8C_274/2009 du 3 décembre 2009 consid. 6 et les références).

6.2 Pour déterminer le revenu d'invalide de l'assuré, il faut en l'absence d'un revenu effectivement réalisé se référer aux données salariales, telles qu'elles résultent de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ci-après : ESS) (ATF 126 V 75 consid. 3b,). Le revenu tiré d'activités simples et répétitives (niveau 4 jusqu'à l'ESS 2010 et niveau 1 dès l'ESS 2012) est une valeur statistique qui s'applique à tous les assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne activité parce qu'elle est physiquement trop astreignante pour leur état de santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans des travaux légers (arrêt du Tribunal fédéral 9C_692/2015 du 23 février 2016 consid. 3.1). La notion de marché équilibré du travail est une notion théorique et abstraite qui sert de critère de distinction entre les cas tombant sous le coup de l'assurance-chômage et ceux qui relèvent de l'assurance-invalidité. Elle implique, d'une part, un certain équilibre entre l'offre et la demande de main d'œuvre et, d'autre part, un marché du travail structuré de telle sorte qu'il offre un éventail d'emplois diversifiés, tant au regard des exigences professionnelles et intellectuelles qu'au niveau des sollicitations physiques. Il n'y a donc pas lieu d'examiner la question de savoir si un assuré peut être placé eu égard aux conditions concrètes du marché du travail, mais uniquement de se demander s'il pourrait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de travail sur un marché où les places de travail disponibles correspondent à l'offre de main d'œuvre (arrêt du Tribunal fédéral 9C_326/2018 du 5 octobre 2018 consid. 6.2 et les références).

6.3 Selon la jurisprudence, il y a lieu de procéder à une réduction des salaires statistiques lorsqu'il résulte de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité ou catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation) que le revenu que pourrait réaliser l'assuré en mettant en valeur sa capacité résiduelle de travail est inférieur à la moyenne. Un abattement global maximal de 25% permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d'une activité lucrative (ATF 148 V 174 consid. 6.3). Savoir s'il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des circonstances du cas particulier constitue une question de droit, tandis que l'étendue de l'abattement justifié dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d'appréciation (ATF 146 V 16 consid. 4.2). 

7.             La chambre de céans s’est déjà prononcée sur la valeur probante des volets rhumatologique et orthopédique de l’expertise judiciaire, sur laquelle il n’y a pas lieu de revenir, étant souligné que le Tribunal fédéral n’a pas remis en cause son analyse à ce sujet.

7.1 La chambre de céans rappellera qu’elle avait exprimé certains doutes quant à la validité des conclusions du Dr K______ fondées sur l’incidence des troubles cardiaques, dès lors que ceux-ci ne relevaient pas de son domaine de compétence. Cela étant, il apparaît que le Dr K______ est revenu sur son appréciation de la capacité de travail au plan cardiologique, qu’il avait, dans un premier temps évaluée à 50%. En effet, il ressort des résultats du consilium communiqués par le Prof. N______ que les experts somatiques se sont ralliés aux conclusions de cet expert, quant à la capacité de travail du recourant, selon lesquelles le recourant avait une capacité de travail nulle d’avril 2010 à septembre 2012, de 70% de septembre 2012 à mars 2018, puis nulle dès avril 2018. Au vu de cet élément, la chambre de céans peut renoncer à investiguer plus avant la répercussion sur la capacité de travail des troubles cardiaques du recourant.

7.2 Il convient d’examiner si l’expertise rédigée par le Prof. N______ satisfait aux réquisits jurisprudentiels rappelés ci-dessus.

Cette expertise contient formellement tous les éléments nécessaires pour se voir reconnaître valeur probante, dès lors qu’elle repose sur une étude du dossier complet, qu’elle comprend une anamnèse détaillée, mentionne les plaintes du recourant et relate les observations cliniques des experts. Ses diagnostics sont précis, et l’expert a pour l’essentiel pris soin d’exposer sur quels éléments cliniques il les fondait. Elle analyse en outre la gravité des troubles psychiques à l’aune des critères développés par la jurisprudence rappelés ci-dessus. Ses conclusions quant à la capacité de travail sont bien motivées s’agissant de la période postérieure à septembre 2012, le Prof. N______ ayant décrit précisément les limitations induites par les différentes atteintes, notamment le trouble somatoforme douloureux.

Partant, cette expertise doit se voir reconnaître une pleine valeur probante en tant qu’elle porte sur la capacité de travail du recourant dès septembre 2012. On notera, du reste, que l’intimé s’est rallié à l’appréciation du Prof. N______ s’agissant de la capacité de travail dès cette date.

En ce qui concerne l’argumentation du recourant, qui se contente de soutenir que l’évaluation de la Dre M______ devrait être préférée à celle du Prof. N______ au motif qu’elle lui est plus favorable, elle perd de vue le fait qu’il n’existe pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (arrêts du Tribunal fédéral 9C_298/2020 du 28 septembre 2020 consid. 2.2 et 8C_549/2018 du 22 janvier 2019 consid. 3). En effet, le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (arrêt du Tribunal fédéral 8C_832/2017 du 13 février 2018 consid. 3.1). Par ailleurs, les conclusions de la Dre M______ ont été invalidées par le Tribunal fédéral, de sorte qu’il est exclu de se fonder sur l’appréciation de cette psychiatre.

7.3 En revanche, l’incapacité de travail totale que le Prof. N______ retient en lien avec le trouble de l’adaptation de mars 2010 à septembre 2012 n’emporte pas la conviction. On observe que, contrairement aux autres atteintes diagnostiquées par cet expert, l’incidence concrète de ce trouble et ses manifestations ne sont guère décrites, de sorte que l’incapacité de travail totale qu’il est censé entraîner n’est pas suffisamment motivée. On relèvera, par ailleurs, que le dossier ne contient aucun élément permettant d’étayer cette appréciation rétrospective de la capacité de travail, qui contraste singulièrement avec les avis des psychiatres qui ont examiné le recourant entre 2010 et 2012. On ne peut ici faire abstraction du fait que le Dr D______ a écarté toute répercussion sur la capacité de travail des troubles psychiques du recourant dans son rapport de juin 2011, et que le psychiatre qui a examiné le recourant durant cette période lors de son séjour à la CRR a également exclu toute pathologie psychique significative. Dans ces circonstances, si l’on peut concevoir que la situation personnelle difficile du recourant était source de préoccupations et qu’elle a entraîné une demande de prise en charge psychiatrique, cela ne suffit pas à considérer qu’elle entraînait une incapacité de travail totale entre 2010 et 2012. La mention par le Dr O______ dans son rapport de novembre 2010 que le recourant « s'enfonçait dans un état de désespoir de plus en plus profond, car il ne voyait pas d'issue à sa vie professionnelle » s’inscrit dans le cadre de ces difficultés, et ne suffit pas à établir une incapacité de travail d’ordre psychique, a fortiori dès lors que ce médecin a uniquement fait état dans ce rapport de diagnostics ayant une incidence sur la capacité de travail d’ordre somatique.

7.4 Compte tenu de ce qui précède, la chambre de céans s’écartera de la conclusion du Prof. N______ admettant une incapacité de travail totale d’avril 2010 à septembre 2012, celle-ci n’étant pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante. Elle se ralliera pour la période postérieure aux conclusions établies de concert par les experts judiciaires, selon lesquelles le recourant présentait une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée dès septembre 2012 – date à laquelle le trouble somatoforme douloureux a été formellement diagnostiqué par le Dr F______ – et nulle dès avril 2018.

8.             Il reste à examiner le droit à la rente de l’assuré.

8.1 Il faut en préambule souligner que la décision de l’intimé de novembre 2018 semble entachée d’une erreur de plume, laquelle entraîne des conséquences matérielles sur le droit aux prestations. L’intimé a, en effet, indiqué que le droit à la rente était supprimé trois mois après la date à laquelle le recourant avait recouvré une capacité de travail dans une activité adaptée, soit en décembre 2010. L’intimé a néanmoins indiqué que cela reportait la fin du droit à la rente au 1er avril 2010, alors que le délai trimestriel après l’amélioration de la capacité de gain expire fin mars 2011.

Quoi qu’il en soit, au plan orthopédique, selon l’expertise du Dr L______, la capacité de travail dans une activité adaptée existait dès le 4 mai 2010. Le recourant conserve ainsi le droit à une rente entière durant trois mois après cette amélioration, conformément à l’art. 88a du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 (RAI - RS 831.201). Cela porte la fin du droit à la rente au 31 août 2010, et non au 31 mars 2010 seulement.

8.2 S’agissant du calcul d’invalidité, l’intimé a retenu à titre de revenu sans invalidité le salaire réalisé par le recourant selon les informations de son employeur, soit CHF 69'160.- en 2010, ce qui correspond au revenu communiqué à la SUVA le 1er février 2011 par l’ancien employeur (treize salaires de CHF 5'320.-). Il a établi le revenu après invalidité sur la base du salaire tiré d’activités simples et répétitives selon l’ESS (TA1, ligne Total, niveau 4, pour un homme), qu’il a adapté à la durée normale de travail et indexé, et sur lequel il a appliqué un abattement de 10%.

La chambre de céans a d’ores et déjà confirmé le bien-fondé de la prise en compte de ces données et de l’abattement dans son arrêt du 10 novembre 2022, et il n’y a aucun motif de revenir sur ces points. On relèvera ici que le recourant ne soutient pas que les gains accessoires réalisés ponctuellement avant l’accident en 2007 et pris en compte par la SUVA devraient être intégrés dans le revenu avant invalidité.

8.3 Il convient, sur ces bases, de déterminer le degré d’invalidité découlant de la capacité de travail de 70% dès septembre 2012.

En 2012, le revenu avant invalidité s’élevait à CHF 70'410.- après indexation. Quant au revenu sans invalidité, il était de CHF 4'901.- par mois en 2010 selon les ESS, soit CHF 62'420.- après indexation et adaptation à la durée normale de travail de 41.7 heures en 2012. Compte tenu d’une capacité de travail de 70%, et d’un abattement supplémentaire de 10%, le revenu d’invalide était ainsi de CHF 39'325.-. La comparaison de ces revenus aboutit à un degré d’invalidité de 43.14%, arrondi à 43% selon les règles mathématiques (ATF 130 V 121 consid. 3.2), ouvrant le droit à un quart de rente selon l’art. 28 aLAI.

Par souci de complétude, il convient de relever ici que, même si le calcul du degré d’invalidité était établi en fonction d’un salaire sans invalidité incluant les gains accessoires, en se calquant sur le gain assuré de CHF 72'234.- retenu par la SUVA, qui indexé à 2012 s’élèverait à CHF 73'540.-, la perte de gain serait de 46.53% et ne modifierait ainsi pas le droit à un quart de rente.

Le droit à la rente prend naissance trois mois après l’aggravation constatée en septembre 2012, soit dès le 1er janvier 2013.

8.4 Dès avril 2018, la capacité de gain nulle entraîne un degré d’invalidité total. Cette aggravation déploie ses effets trois mois plus tard, soit dès le 1er juillet 2018. Dès cette date, le recourant a droit à une rente entière.

La décision de l’intimé doit ainsi être modifiée en ce sens que le recourant a droit à une rente entière, du 1er avril 2010 au 31 août 2010, à un quart de rente du 1er janvier 2013 au 30 juin 2018, et à une rente entière dès le lendemain.

9.              

9.1 À l’aune de ce qui précède, le recours est partiellement admis.

9.2 Le recourant a droit à des dépens, qui seront fixés à CHF 4'000.- (art. 61 let. g LPGA).

9.3 L’intimé supporte l’émolument de procédure de CHF 200.- (art. 69 al. 1bis LAI).

 

 

 

 

 

 

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement.

3.        Annule la décision du 21 novembre 2018 en tant qu’elle porte sur la période postérieure au 31 mars 2010.

4.        Dit que le recourant a droit à une rente entière du 1er avril 2010 au 31 août 2010, à un quart de rente du 1er janvier 2013 au 30 juin 2018, et à une rente entière dès le 1er juillet 2018.

5.        Condamne l’intimé à verser au recourant une indemnité de dépens de CHF 4'000.-.

6.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Véronique SERAIN

 

Le président

 

 

 

 

Philippe KNUPFER

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le