Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1235/2025 du 04.11.2025 sur JTAPI/1079/2025 ( MC ) , ADMIS
En droit
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3395/2025-MC ATA/1235/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 4 novembre 2025 2ème section |
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dans la cause
COMMISSAIRE DE POLICE recourant
contre
A______ intimé
représenté par Me Dina BAZARBACHI, avocate
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 octobre 2025 (JTAPI/1079/2025)
A. a. A______, né le ______ 1993 et originaire de Guinée, est titulaire d'un titre de séjour français.
b. Le 21 septembre 2025, il a été interpellé par les forces de l'ordre dans le quartier des Pâquis pour trafic de cocaïne.
Il ressort du rapport d'arrestation que la police avait voulu le contrôler et qu’il avait tenté de fuir et de s'opposer à son interpellation. Sa fouille avait révélé qu’il détenait quatorze boulettes de cocaïne d'un poids total de 10,3 g.
A______ a reconnu les faits, mais nié s'adonner au trafic de stupéfiants, tout en refusant d'expliquer à qui était destinée la cocaïne. Il résidait à Annemasse avec sa famille, travaillait dans la sécurité pour un salaire d’environ EUR 1'500.- par mois et n'avait aucun lien particulier avec la Suisse.
c. Prévenu de trafic de stupéfiants, d'empêchement d'accomplir un acte officiel et de séjour illégal, il a été mis à disposition du Ministère public. Une procédure pénale est en cours.
d. À teneur de son casier judiciaire, il a déjà fait l’objet d’une condamnation, en force, le 15 août 2025, pour vente d’une boulette de cocaïne, détention de quinze boulettes de cocaïne destinées à la vente et entrée illégale en Suisse.
B. a. Le 22 septembre 2025, en application de l'art. 74 de la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20), le commissaire de police a prononcé une mesure d'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de 18 mois.
b. Lors de l'audience, qui s’est tenue le 10 octobre 2025 devant le Tribunal administratif de première instance (ci‑après : TAPI), A______ a expliqué avoir fait opposition car il cherchait du travail à Genève. Il ne voulait pas rester éloigné de ce canton durant une aussi longue période. Il travaillait à Annemasse, dans le domaine de la sécurité. Il y vivait également avec sa famille, depuis deux ans. Depuis lors, il avait fait des recherches d’emploi afin de travailler à Genève, sans succès toutefois. Il n’avait pas de preuves de ses recherches d’emploi qu’il faisait via LinkedIn et Indeed, car elles étaient visibles uniquement sur le téléphone qui lui avait été confisqué par la police. Comme il était au bénéfice d’une carte de séjour pour réfugié valable dix ans, cela compliquait ses recherches d’emploi. Il souhaitait travailler à Genève, car les salaires étaient plus élevés qu’en France et il avait des difficultés à nourrir sa famille avec son salaire de EUR 1'500.- par mois. À terme, il souhaitait pouvoir s’installer en Suisse avec sa famille.
Il n’avait pas reçu d’ordonnance pénale à la suite de son arrestation du 21 septembre 2025.
Le représentant du commissaire de police a indiqué que si l’intéressé devait trouver du travail à Genève, il pourrait réexaminer sa situation, en vue éventuellement de délivrer un laissez-passer lui permettant de se rendre de son domicile à son lieu de travail exclusivement. Il allait se renseigner auprès du Ministère public à l’issue de l’audience afin de savoir ce qu’il en était de la condamnation de A______ en lien avec sa dernière arrestation et informerait immédiatement le TAPI.
A_____ a conclu à une réduction significative de la durée de la mesure.
c. Par jugement du 13 octobre 2025, le TAPI a admis partiellement le recours et réduit la durée de l’interdiction territoriale à douze mois.
Il s'agissait de la première mesure d'interdiction de périmètre prononcée à l'encontre de A______, qui ne faisait l’objet que d’une seule condamnation pénale. Bien que les infractions reprochées fussent très rapprochées et eussent mis en danger la santé publique, il était particulièrement rigoureux d'appliquer d'emblée une durée de 18 mois, le principe de proportionnalité supposant que l'on raisonne en termes d'adéquation entre les motifs de la décision et les conséquences qu'elle entraînait. Une durée de douze mois apparaissait ainsi tout aussi propre à dissuader A______ de continuer ses activités coupables.
Ce jugement a été notifié au commissaire de police par pli interne le 15 octobre 2025.
C. a. Par acte expédié le 27 octobre 2025 par courrier et courriel à la chambre administrative de la Cour de justice, le commissaire de police a recouru contre ce jugement, concluant à la confirmation de la durée de l’interdiction territoriale de 18 mois.
Dans sa jurisprudence, la chambre administrative fixait, en l’absence d’antécédents, la durée de telles interdictions d’emblée à douze mois en cas de trafic de drogues dures. En cas de récidive, comme en l’espèce, la durée de la mesure devait être plus longue.
b. L’intimé a conclu au rejet du recours, s’en rapportant à justice quant à sa recevabilité.
Son antécédent était mineur. Il ne constituait donc pas une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics.
c. Le greffe a fait parvenir au conseil de l’intimé copie de l’avis de réception du jugement par le recourant.
d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. Selon l'art. 10 al. 2 LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 27 octobre 2025 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.
3. Est litigieuse la durée de l’interdiction territoriale.
3.1 Aux termes de l'art. 74 al. 1 LEI, l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas pénétrer dans une région déterminée notamment lorsque l’étranger n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, d’une autorisation de séjour ou d’une autorisation d’établissement et trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants (let. a).
Si le législateur a expressément fait référence aux infractions en lien avec le trafic de stupéfiants (art. 74 al. 1 let. a LEI), cela n'exclut toutefois pas d'autres troubles ou menaces à la sécurité et l'ordre publics (ATF 142 II 1 consid. 2.2 et les références), telle par exemple la violation des dispositions de police des étrangers (arrêts du Tribunal fédéral 2C_123/2021 du 5 mars 2021 consid. 3.1 ; 2C_884/2021 du 5 août 2021 consid. 3.1.).
Une mesure basée sur l’art. 74 al. 1 let. a LEI ne présuppose pas une condamnation pénale de l’intéressé (arrêts du Tribunal fédéral 2C_884/2020 précité consid. 3.3 ; 2C_123/2021 du 5 mars 2021). Le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let.a LEI (arrêt du Tribunal fédéral 2C_762/2021 du 13 avril 2022 consid. 5.2) ; de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (arrêt du Tribunal fédéral 2C_123/2021 précité consid. 3.1 et l'arrêt cité).
3.2 L'art. 74 LEI ne précise ni la durée ni l'étendue de la mesure. Selon le Tribunal fédéral, celle-ci doit dans tous les cas répondre au principe de proportionnalité, soit être adéquate au but visé et rester dans un rapport raisonnable avec celui-ci (ATF 142 II 1 consid. 2.3). Elle ne peut donc pas être ordonnée pour une durée indéterminée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 4.1). Des durées inférieures à six mois ne sont guère efficaces (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 précité consid. 4.2) ; des mesures d'une durée d'une année (arrêt du Tribunal fédéral 2C_330/2015 du 26 novembre 2015 consid. 3.2), voire de deux ans (arrêt du Tribunal fédéral 2C_828/2017 du 14 juin 2018 consid. 4.5) ont été admises.
3.3 La mesure doit en outre respecter le principe de la proportionnalité. Tel que garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), il exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive. Il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2 ; 135 I 169 consid. 5.6).
3.4 La chambre administrative a confirmé une interdiction territoriale de douze mois dans le canton de Genève à l’encontre d’une personne sans antécédents, interpellée et condamnée par le Ministère public pour avoir vendu une boulette de cocaïne, l’intéressé n’ayant aucune ressource financière ni aucun intérêt à venir dans le canton (ATA/655/2021 du 23 juin 2021 ; ATA/802/2019 du 17 avril 2019).
Elle a aussi confirmé des interdictions territoriales pour une durée de 18 mois prononcées contre un étranger interpellé en flagrant délit de vente de deux boulettes de cocaïne et auparavant condamné deux fois et arrêté une fois pour trafic de stupéfiants (ATA/2577/2022 du 15 septembre 2022) ou un étranger sans travail ni titre ou lieu de séjour précis ni attaches à Genève, condamné plusieurs fois pour infractions à la LEI et la LStup (ATA/536/2022 du 20 mai 2022).
Elle a rétabli à 24 mois une interdiction territoriale réduite à 18 mois par le TAPI pour un étranger ne disposant d’aucun lieu de vie en Suisse, paraissant vivre chez sa sœur en France, ayant fait l’objet de multiples condamnations pénales notamment pour infractions à la LStup et n’ayant eu aucune considération pour la première décision d’interdiction territoriale prononcée à son encontre (ATA/609/2023 du 9 juin 2023).
3.5 En l’espèce, il n’est pas contesté que les conditions permettant le prononcé d’une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève sont remplies.
Seule est litigieuse la durée de cette mesure. À cet égard, il convient de tenir compte de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce.
Le recourant a été condamné en août 2025 pour vente d’une boulette de cocaïne, détention de 15 boulettes de cocaïne destinées à la vente et entrée illégale en Suisse. À peine un mois plus tard, il a, à nouveau, été appréhendé par les forces de l’ordre dans le quartier des Pâquis, en possession de quatorze boulettes de cocaïne d'un poids de 10,3 grammes. Il ressort du rapport d’arrestation que l’intimé a reconnu les faits, qui comportent, outre la possession de boulettes de cocaïne, le fait d’avoir empêché l’accomplissement d’un acte officiel et le séjour illégal. Ayant été, à deux reprises et malgré une condamnation pour ces faits, appréhendé en possession de boulettes de cocaïne, soit une drogue dure, dans des quantités non négligeables, l’intimé constitue une menace réelle pour la sécurité et l’ordre publics.
Il ne dispose pas d’un titre de séjour, ni d’attaches à Genève. Selon ses déclarations, il réalise un revenu de EUR 1'500.- en France et a des difficultés à nourrir sa famille.
Au vu de l’ensemble de ces circonstances, la réduction de la durée de la mesure d’éloignement à douze mois ne respecte plus le principe de la proportionnalité. En effet, elle tient insuffisamment compte du fait que l’intimé constitue une menace concrète et réelle pour la sécurité et l’ordre publics au vu de ses antécédents, de ses moyens financiers très modestes l’ayant conduit à commettre ces infractions ainsi que de l’absence de titre de séjour et d’attaches à Genève.
L’intérêt public à le tenir éloigné du territoire genevois pendant 18 mois est supérieur à celui de l’intimé, qui est faible, à pouvoir pénétrer dans le canton de Genève. La durée de la mesure est, en outre, comparable à des situations similaires pour lesquelles la même durée a été confirmée par la chambre administrative.
Pour le surplus, le commissaire de police s’est engagé, si l’intimé devait trouver un emploi à Genève, à examiner la possibilité de lui délivrer un laissez-passer pour se rendre à son travail.
Partant, le recours sera admis, le jugement annulé en tant qu’il réduit la durée de l’interdiction d’entrée à douze mois et la fixe à 18 mois.
4. La procédure étant gratuite, il n’est pas perçu d’émolument. Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 LPA).
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 27 octobre 2025 par le commissaire de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 13 octobre 2025 ;
au fond :
l'admet et annule le jugement précité en tant qu’il réduit la durée de l’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève à douze mois ;
dit que cette durée est arrêtée à 18 mois ;
confirme le jugement querellé pour le surplus ;
dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt au commissaire de police, à Me Dina BAZARBACHI, avocate de l’intimé, au Tribunal administratif de première instance, à l'office cantonal de la population et des migrations ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Florence KRAUSKOPF, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
| le greffier-juriste :
J. RAMADOO
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| le président siégeant :
J.-M. VERNIORY |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
| Genève, le
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| la greffière : |