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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3763/2021

ATA/1202/2025 du 28.10.2025 sur JTAPI/1157/2024 ( ICCIFD ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3763/2021-ICCIFD ATA/1202/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 octobre 2025

4ème section

 

dans la cause

 

A______ et B______ recourants
représentés par Me Antoine BERTHOUD, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS intimées

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 novembre 2024 (JTAPI/1157/2024)


EN FAIT

A. a. Le litige concerne la taxation 2016 de A______ et B______, alors liés par un partenariat enregistré.

b. En 2016, A______ exerçait la profession d’avocat au barreau de Genève sous la forme d’une entreprise individuelle. Dans sa déclaration fiscale de l’année en cause, il a indiqué que sa comptabilité était tenue selon la méthode de l’encaissement et décaissement. Son compte de résultat faisait état d’un montant de CHF 300’490.-, déduit des produits d’exploitation et libellé « ajustements débiteurs / pertes sur clients ». 

B. a. Donnant suite à une demande de renseignements de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC‑GE), A______ a expliqué qu’il y avait eu, les années précédentes, un report d’impayés par des clients dont les dettes auraient dû être enregistrées dans le compte de pertes et profits. Il n’existait aucun espoir de recouvrer ses créances à l’encontre de débiteurs insolvables, décédés, incarcérés, ou partis à l’étranger.

b. Par bordereaux du 18 septembre 2020, l’AFC-GE a taxé les contribuables pour l’année 2016 sans admettre en déduction la somme de CHF 300’490.-.

c. Les contribuables ont élevé réclamation, contestant le refus de l’AFC-GE d’admettre la charge en question.

d. Par décisions du 30 septembre 2021, l’AFC-GE a rejeté la réclamation.

Depuis 2008, A______ utilisait la méthode de l’encaissement et décaissement, de sorte qu’il ne pouvait ni comptabiliser des provisions, ni des pertes sur débiteurs, ni des ajustement débiteurs / pertes sur clients. En conséquence, la perte sur débiteurs de CHF 300’490.- ne pouvait être admise.

C. a. Par acte du 1er novembre 2021, les contribuables ont interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant principalement à l’annulation des décisions précitées.

Les honoraires déclarés correspondaient, non seulement aux encaissements, mais également à l’ajout, au moment du bouclement, des factures émises. Seul ce mode de faire expliquait la présence de débiteurs pour des montants substantiels, qui s’étaient accumulés au cours des exercices antérieurs. Dans une comptabilité tenue exclusivement sur la base des encaissements, les soldes débiteurs pouvant apparaître représentaient de menus frais liés aux dossiers (débours). La motivation des décisions querellées était erronée, puisque la comptabilité des périodes antérieures à 2016 avait été close en tenant compte des factures émises.

Par ailleurs, les contribuables disposaient chacun d’un domicile distinct, l’un à Genève et l’autre en Valais. Ce dernier canton avait taxé l’intégralité des éléments imposables, hormis le revenu de l’activité indépendante dont la moitié avait été attribuée au canton de Genève. En cas de domicile de conjoints ou de partenaires enregistrés dans deux cantons différents, il était rappelé que les éléments imposables devaient être répartis par moitié entre eux. En outre, une requête en fixation de for fiscal pour l’impôt fédéral direct (ci‑après : IFD) avait été déposée auprès de l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH).

b. Par décision du 25 novembre 2021, le TAPI a prononcé la suspension de l’instruction de la cause d’entente entre les parties.

c. Par décision du 24 janvier 2023, l’AFC-CH a attribué au canton de Genève le for fiscal des contribuables pour les années 2016 à 2017 concernant l’assujettissement illimité en matière d’IFD. Un assujettissement limité en Valais était réservé, compte tenu de l’exercice d’une activité indépendante dans ce canton.

d. Par courrier du 15 juin 2023, à la suite d’une demande de renseignements de l’AFC-GE, les contribuables ont produit un tableau détaillant les créances irrécouvrables pour un montant de CHF 299’006.-, au lieu des CHF 300’490.- initialement annoncés.

e. Au terme de la suspension, l’AFC-GE a conclu à l’admission partielle du recours.

Les comptes produits par les contribuables allaient dans le sens d’une comptabilité commerciale tenue selon le principe de la facturation. Afin de respecter le principe de périodicité, l’AFC‑GE avait admis une déduction de 5% de la créance si la facture était datée de 2016 ou exigible dès 2016, même si aucune démarche n’avait été entreprise. Par ailleurs, elle acceptait une déduction de l’intégralité du montant de la créance, si des démarches de recouvrement avaient été entreprises en 2016 pour une facture datée de 2016 ou antérieure à 2016, mais qui n’était pas prescrite en 2016. En revanche, n’était pas acceptée la déduction des créances prescrites en 2016 et celles exigibles antérieurement et pour lesquelles aucune démarche de recouvrement n’avait été entreprise en 2016.

Ainsi, le montant total de la déduction se chiffrait à CHF 68’235.-.

S’agissant de la question de la répartition intercantonale, il ne ressortait pas des comptes de A______ qu’une partie de son chiffre d’affaires aurait été réalisée en Valais, et l’AFC-CH avait laissé ouverte la question de savoir s’il existait un assujettissement limité dans ce canton.

Pour le surplus, la fixation du for fiscal était devenue sans objet, au vu de la décision de l’AFC-CH du 24 janvier 2023.

f. Les contribuables ont répliqué, persistant dans leurs conclusions.

Sur un total de CHF 299’006.-, l’autorité fiscale avait admis uniquement une perte définitive de CHF 61’618.- et une provision de CHF 6’617.-, sur un total de factures émises en 2016 s’élevant à CHF 132’334.-, écartant ainsi en totalité une perte résiduelle de CHF 105’054.-.

En raison des exigences accrues posées par la jurisprudence, les créances d’honoraires de l’intéressé, soit au total CHF 105’054.-, étaient devenues définitivement irrécouvrables, ce qui justifiait que bon nombre d’entre elles avaient dû être apurées dans sa comptabilité. Cette perte définitive devait être admise en déduction.

C’était à tort que l’AFC-GE avait limité à 5% la provision admissible pour les factures émises en 2016 contre les débiteurs réputés insolvables ou partis à l’étranger ou qui, pour d’autres raisons, devaient être considérés comme irrécouvrables. La perte ou la provision de CHF 132’334.- devait être admise en déduction en lieu et place du montant de CHF 6’617.-.

S’y ajoutait la perte non contestée de CHF 61’618.-.

Au total, l’intégralité du montant de CHF 299’006.- devait pouvoir être défalqué.

En outre, le contribuable avait déployé une activité considérable relative à des procédures en Valais. Il y disposait de ses propres locaux, qui devaient être qualifiés d’établissement stable. La solution adoptée par les autorités valaisannes, consistant à taxer dans chaque canton la moitié du revenu de son activité indépendante pourrait être retenue, même s’il affirmait avoir accompli plus de la moitié de son activité professionnelle en Valais au cours de l’année 2016.

g. L’AFC-GE a persisté dans ses conclusions.

h. Par jugement du 25 novembre 2024, le TAPI a admis partiellement le recours, donnant acte à l’AFC-GE de ce qu’elle acceptait de déduire un montant de CHF 68’235.- pour la période fiscale 2016. Le recours était rejeté pour le surplus.

L’AFC-CH avait attribué, pour l’année 2016, le for fiscal au canton de Genève concernant l’assujettissement illimité en matière d’IFD. Dès lors qu’il n’existait pas de différence essentielle entre la notion de domicile au sens de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) et celle prévue par la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11), cette solution devait également s’appliquer pour l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC).

S’agissant des bénéfices de l’activité indépendante de l’intéressé, il n’y avait pas lieu de procéder à une répartition intercantonale, dès lors que les contribuables ne produisaient aucune pièce comptable permettant de déterminer les éventuels éléments imposables d’actifs et de passifs, ainsi que de produits et de charges pouvant être attribués au canton du Valais.

D. a. Par acte du 23 décembre 2024, A______ et B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant à l’annulation des décisions querellées, de la reprise de CHF 299’006.- et à ce que la moitié des éléments imposables soit attribuée au canton du Valais.

Le TAPI avait sous-estimé les difficultés concrètes, pour un avocat, d’obtenir le recouvrement d’honoraires par voie d’exécution forcée. La majorité des factures impayées émises en 2016 concernait une affaire d’escroquerie dénommée « C______ » pour un montant total de CHF 111’261.85, pour lesquelles l’intéressé était intervenu comme conseil auprès d’une société hollandaise et d’un collectif de plaignants. S’agissant des plaignants, ceux-ci avaient perdu toutes leurs économies, de sorte que les CHF 4’034.35 devaient être considérés comme irrécouvrables en totalité. Quant à la société étrangère, elle était insolvable. Les perspectives d’obtenir réparation par l’auteur du dommage étaient nulles en raison de l’insolvabilité de ce dernier. Son mandat avait été révoqué, de sorte qu’il ne pouvait plus faire valoir au nom de ses clients des prétentions civiles permettant de couvrir une partie de ses honoraires. Dès lors, le montant de CHF 107’227.50 devait être considéré comme irrévocablement perdu. En tout état, la provision de 5% admise par l’AFC-GE était insuffisante.

En ce qui concernait l’assujettissement limité, le canton du Valais avait clairement indiqué qu’il maintenait ses prétentions à l’égard de l’intéressé en raison de l’exercice d’une activité lucrative indépendante sur le territoire cantonal. Le risque d’une double imposition était tangible et contraire à la Constitution fédérale.

b.  L’AFC-GE a conclu au rejet du recours, reprenant les arguments développés devant le TAPI.

c.  Le 28 mars 2025, A______ et B______ ont répliqué, maintenant leur position. S’agissant de la double imposition intercantonale, la position de l’autorité intimée était d’autant moins compréhensible que l’intéressé avait eu un entretien au cours duquel l’AFC-GE lui avait proposé une répartition 50/50 du résultat de son activité indépendante entre les cantons de Genève et du Valais.

d. L’AFC-GE a indiqué ne pas avoir de requêtes ni d’observations complémentaires à faire valoir.

e. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ ‑ E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 145 LIFD).

2.             Les recourants sollicitent une déduction de CHF 299’006.- représentant une perte sur débiteurs.

2.1 Les contribuables exerçant une activité lucrative indépendante peuvent déduire les pertes effectives sur des éléments de la fortune commerciale, à condition qu’elles aient été comptabilisées (art. 27 al. 2 let. b LIFD ; art. 10 al. 1 let. c LHID).

2.2  Aux termes de l’art. 27 al. 2 let. a LIFD, les contribuables exerçant une activité lucrative indépendante peuvent déduire les frais qui sont justifiés par l’usage commercial ou professionnel, dont font partie notamment d’éventuels amortissements et provisions.

2.3 Les déductions prévues par l’art. 27 LIFD sont soumises au principe de périodicité et ne sont admises que lorsqu’elles trouvent leur cause dans des événements ayant lieu durant la période de calcul (ATF 137 II 353 consid. 6.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_627/2014 et 2C_628/2014 du 8 janvier 2015 consid. 6.1 et les arrêts cités ; ATA/182/2024 du 6 février 2024 consid. 8.4). 

2.4 L’art. 31 al. 1 LIFD dispose que les pertes des sept exercices précédant la période fiscale peuvent être déduites, pour autant qu’elles n’aient pas pu être prises en considération lors du calcul du revenu imposable des années concernées. La période fiscale correspond à l’année civile (art. 40 al. 1 LIFD).

Cette disposition constitue une exception au principe de périodicité, qui doit être interprétée de manière plutôt restrictive, et ne peut être invoquée par le contribuable qu’aussi longtemps qu’il exerce une activité indépendante ou que si, ayant cessé une telle activité indépendante, il en commence ou en poursuit une autre à la suite de la précédente (arrêt du Tribunal fédéral 2C_627/2014 et 2C_628/2014 précité consid. 6.1 et les arrêts cités).  Il faut en outre que les pertes commerciales dont le report est demandé n’aient pas pu être prises en considération lors du calcul du revenu imposable des années précédentes, le contribuable ne pouvant pas choisir à son bon vouloir le moment du report de pertes. Finalement, pour être prises en considération, il faut que ces pertes aient été comptabilisées (ATF 144 II 352 consid. 4.3 ; ATA/373/2025 du 1er avril 2025 consid. 4.2).

2.5 S’agissant des provisions sur débiteurs, le risque de perte doit être évalué au regard de leur solvabilité, sur la base des faits passés ou présents, par exemple en fonction des retards intervenus dans les paiements, de l’évolution antérieure de la situation financière, de l’état des poursuites en cours ou de la qualité des éventuelles garanties (ATA/373/2025 précité consid. 3.3 ; ATA/1376/2015 du 21 décembre 2015 consid. 6c). Selon la jurisprudence constante, pour être admise en droit fiscal, la provision doit avoir été dûment comptabilisée (arrêts du Tribunal fédéral 9C_452/2024 du 15 juillet 2025 consid. 4.2.1 ; 9C_192/2024 du 3 juillet 2024 consid. 5.2.1 ; 2C_723/2021 du 16 août 2022 consid. 5.2 ; ATA/1026/2025 du 18 septembre 2025 consid. 7.9 ; ATA/1207/2024 du 15 octobre 2024 consid. 2.1), être justifiée par l’usage commercial et porter sur des faits dont l’origine se déroule durant la période de calcul.

Est justifiée par l’usage commercial toute provision portée au passif du bilan qui exprime le fait que le résultat de l’exercice ne peut pas être tenu pour définitif ; cette correction prévient le risque que le résultat ne soit pas conforme à la réalité et qu’une perte apparaisse ultérieurement, qui existait déjà au moment du bouclement des comptes. Encore faut-il que ce risque de perte soit réel, concret et imminent (arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 3.1 ; ATA/515/2023 du 16 mai 2023 consid. 4.2).

Deux conditions doivent être réunies pour que les provisions soient admises : les faits qui sont la cause du risque de perte doivent s’être produits au cours de l’exercice clos pendant la période de calcul ; le risque de perte doit être certain ou quasi certain, mais non nécessairement définitif. Par ailleurs, l’appréciation du risque doit être faite en tenant compte de tous les faits connus à la date du bouclement des comptes et non de faits ultérieurs qui viendraient confirmer ou infirmer le montant de la provision (arrêts du Tribunal fédéral 2C_581/2010 précité consid. 3 ; 2C_392/2009 du 23 août 2009 consid. 2.1 et les références citées ; ATA/515/2023 précité consid. 4.2 et les références citées).

2.6 Les critères posés par la jurisprudence pour juger de la difficulté de recouvrer une créance sont restrictifs. Il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable. La perte est certaine lorsque le contribuable démontre qu’il a mis en œuvre les procédures et démarches que l’on peut raisonnablement attendre d’un créancier ou d’un porteur de droit à l’égard de son bien. Une perte commerciale est définitive lorsque, à vues humaines, il n’apparaît pas possible d’attendre le retour à l’état antérieur, ni de compter sur une appréciation réelle de la valeur du bien en cause. Les pertes sur créances deviennent effectives au moment où l’insolvabilité est constatée officiellement par un acte de défaut de biens (ATA/373/2025 précité consid. 4. et les références citées).

L’insolvabilité est une notion de droit fédéral. Le débiteur est insolvable lorsqu’il ne dispose pas de moyens liquides suffisants pour acquitter ses dettes exigibles (ATA/103/2024 du 30 janvier 2024 consid. 3.2 et les références citées). L’insolvabilité suppose que le débiteur se trouve dans une incapacité durable de faire face à ses engagements (ATF 137 II 353 consid. 5.2.1 et les références citées). S’agissant de l’insolvabilité, la jurisprudence de la chambre administrative a posé des critères restrictifs : il faut que le débiteur apparaisse comme définitivement insolvable pour que la créance ne soit pas imposable (ATA/1351/2017 du 3 octobre 2017 consid. 5b ; ATA/508/2014 du 1er juillet 2014 consid. 6a).

2.7 Les créances ne doivent figurer au bilan que pour le montant qui est recouvrable, compte tenu du risque de perte. Ce risque de perte s’apprécie essentiellement au regard de la solvabilité du débiteur. Cette solvabilité sera évaluée sur la base des faits passés ou présents, par exemple en fonction des retards intervenus dans les paiements, de l’évolution antérieure de la situation financière, de l’état des poursuites en cours ou de la qualité des éventuelles garanties. Lorsqu’un risque de perte est constaté, une correction de valeur, c’est-à-dire une provision pour ducroire, doit être enregistrée dans les comptes (Robert DANON in Yves NOËL, Florence AUBRY GIRARDIN [éd.], Commentaire romand de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct, 2e éd., 2017, n. 30 ad art. 63).

La pratique admet, sans autre justification commerciale, un ducroire de 5% sur les débiteurs suisses et de 10% sur les débiteurs étrangers (Robert DANON, op cit., n. 31 ad art. 63 ; Xavier OBERSON, Droit fiscal Suisse, 5e éd., 2021, p. 204, n. 319 ; notice n°1/2004 de l’AFC-GE état au 22 septembre 2009, p. 5).

2.8 Selon la jurisprudence constante en matière fiscale, il appartient à l’autorité fiscale de démontrer l’existence d’éléments créant ou augmentant la charge fiscale, tandis que le contribuable doit supporter le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation fiscale. S’agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d’en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l’échec de cette preuve (ATF 133 II 153 consid. 4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_89/2014 du 26 novembre 2014 consid. 7.2 ; 2C_319/2014 du 9 septembre 2014 consid. 2.2 ; ATA/1309/2015 du 8 décembre 2015 ; ATA/234/2015 du 3 mars 2015). Ces règles s’appliquent également à la procédure devant les autorités de recours (arrêt du Tribunal fédéral 2C_47/2009 du 26 mai 2009 consid. 5.4 ; ATA/1309/2015 précité).

2.9 Pour saisir l’autorité compétente d’une requête en levée du secret professionnel, l’avocat ne doit pas être en mesure d’obtenir le consentement du client ou avoir essuyé un refus de ce dernier. L’intervention de l’autorité est subsidiaire (arrêt du Tribunal fédéral 2C_587/2012 du 24 octobre 2012 consid. 2.4 ; Benoît CHAPPUIS, La profession d’avocat, 2021, p. 243, n. 929).

Concernant une levée du secret ayant pour but l’introduction d’une procédure en recouvrement d’honoraires, le Tribunal fédéral a, dans un arrêt de principe, exigé de l’avocat qu’il démontre pourquoi il ne lui avait pas été possible de faire couvrir ses honoraires par le versement d’une provision (ATF 142 II 307 consid. 4.3.3 = JdT 2017 I 51). Cette exigence a toutefois été tempérée dès lors qu’il est attendu de l’avocat qu’il ait fait un effort pour tenter de percevoir ses honoraires pendant l’exécution du mandat (arrêt du Tribunal fédéral 2C_439/2017 du 16 mai 2018 consid. 3.4 ss ; Benoît CHAPPUIS, op cit., p. 231, n. 883).

2.10 En l’espèce, pour l’exercice 2016, le recourant a comptabilisé, après rectification, une perte sur créance de CHF 299’006.‑, dont l’intimée n’a admis qu’une partie.

Selon les explications des recourants, le TAPI aurait sous-estimé les difficultés concrètes pour un avocat d’obtenir le recouvrement de ses honoraires, notamment depuis les nouvelles exigences posées par le Tribunal fédéral. Celles-ci auraient rendu nécessaire l’apurement des comptes du recourant, ce qui justifiait d’admettre l’intégralité de la perte sur débiteurs enregistrée, soit CHF 105’054.- en sus du montant de CHF 61’618.- déjà admis par l’AFC‑GE.

Pour les recourants, il en va de même des factures datées de 2016 ou exigibles dès 2016, d’un montant total de CHF 132’334.-, et pour lesquelles aucune démarche de recouvrement n’a été entreprise. Au vu des circonstances, les montants litigieux devaient être considérés comme irrévocablement perdus. La déduction forfaitaire de 5% admise, notamment dans le cadre de l’affaire « C______ », serait dès lors insuffisante.

La thèse des recourants se heurte néanmoins aux éléments suivants, concernant autant la date de la comptabilisation que les critères posés par la jurisprudence pour apprécier la difficulté de recouvrer une créance.

Il est vrai que les créances d’honoraires d’avocat sont soumises à des exigences accrues, notamment en raison du respect du secret professionnel, imposé tant par le Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0 ; art. 321) que par la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61 ; art. 13). Ainsi, une procédure de recouvrement d’honoraires requiert une levée préalable du secret de la part du client et, en cas de refus de ce dernier, une levée de l’autorité compétente. L’avocat doit démontrer qu’il a fait un effort pour tenter de percevoir ses honoraires pendant l’exécution du mandat.

Or, comme l’a relevé à juste titre le TAPI, les contribuables ne font pas valoir que ces exigences auraient rendu vaines toutes poursuites à l’encontre des débiteurs concernés, ni que ceux-ci et/ou que l’autorité compétente auraient refusé de délier le recourant du secret professionnel. En outre, le recourant ne démontre pas que les montants dus par ses débiteurs, pour lesquels aucune démarche de recouvrement n’a été entreprise, apparaîtraient impossibles à récupérer. La production, par le recourant, d’extraits du registre des poursuites ne saurait être suffisante. Il n’existe dès lors pas de perte qui puisse être qualifiée de certaine ou définitive au regard du droit fiscal. Le refus de l’autorité intimée d’admettre en déduction l’intégralité de la somme de CHF 299’006.- se justifie donc déjà pour ce motif.

En ce qui concerne les factures dues antérieurement à 2016, prescrites ou non cette année-là, le recourant n’est pas fondé, selon le principe de périodicité, à constituer une provision forfaitaire, le risque lié à ces créances ayant pris naissance avant 2016. Un simple report des pertes commerciales ne serait, en toute hypothèse, pas non plus envisageable, dès lors que rien n’indique que celles-ci n’auraient pas déjà été prises en considération lors du calcul du revenu imposable des années précédentes – du moins les contribuables ne l’allèguent-ils pas. Partant, c’est à bon droit et sans violer son pouvoir d’appréciation que l’AFC-GE a écarté les créances concernées des déductions admissibles dans la taxation 2016.

S’agissant des factures datées de 2016 ou exigibles dès 2016 et pour lesquelles aucune démarche de recouvrement n’a été entreprise, l’autorité intimée a admis, sans autre pièce justificative, une provision « sur débiteurs douteux » de 5% du montant de la créance, conformément à la notice n°1/2004 intitulée « Activité exercée en la forme indépendante, nature des frais déductibles et calculs forfaitaires, avocats indépendants ». Ce taux a été appliqué sans distinction, aussi bien aux créances de débiteurs suisses que pour celles de débiteurs étrangers, alors que pour ces derniers, un taux de 10% est usuellement admis par l’AFC-GE.

Or, il ressort des pièces versées au dossier que les factures nos 1______, 2______ et 3______ portent sur des créances contre des débiteurs étrangers ou partis à l’étranger, pour lesquelles un taux forfaitaire de 10% aurait dû être appliqué. Ces déductions seront donc admises et l’AFC-GE se verra enjointe de modifier et de recalculer les bordereaux ICC et IFD 2016.

3.             Les recourants demandent une répartition intercantonale des bénéfices de l’activité indépendante.

3.1 Selon l’art. 4 al. 1 LHID, les personnes physiques qui, au regard du droit fiscal, ne sont ni domiciliées ni en séjour dans le canton sont assujetties à l’impôt à raison du rattachement économique lorsqu’elles y exploitent une entreprise ou un établissement stable, y possèdent des immeubles, en ont la jouissance ou font du commerce immobilier.

3.2 La LHID ne définit pas l’établissement stable. Selon la jurisprudence constante, on entend par établissement stable toute installation fixe et permanente d’affaires dans laquelle s’effectue une partie qualitativement et quantitativement importante de l’activité de l’entreprise (ATF 134 I 303 consid 2.2 = RDAF 2009 II 359).

3.3 Dans la mesure où l’activité indépendante du contribuable ou de l’entreprise de personnes se déploie dans plusieurs cantons, notamment auprès d’établissements stables, une répartition suivant les principes des entreprises intercantonales est nécessaire (Xavier OBERSON, op cit., p. 602, n. 24). Peuvent constituer des entreprises intercantonales aussi bien des raisons individuelles ou des sociétés de personnes que des sociétés de capitaux ou des coopératives. Les règles de répartition sont indépendantes de la forme juridique de l’entreprise (Peter LOCHER, Einführung in das interkantonale Steuerrecht, 3e éd., 2024, p. 101).

3.4 Le capital et le bénéfice imposables doit être répartis en quotes-parts entre le canton du siège (domicile primaire) et les cantons dans lesquels des établissements stables se trouvent (domicile secondaire). Chaque canton établit selon les règles de son propre droit le montant du capital et du bénéfice global. En revanche, l’établissement des quotes-parts doit se faire selon les règles fixées par la jurisprudence du Tribunal fédéral. La somme des quotes-parts attribuées à tous les cantons ne doit jamais dépasser 100% (ATA/643/2025 du 10 juin 2025 consid. 5.1 et les références citées).

3.5 Pour ce qui est de la répartition proprement dite entre les cantons, deux méthodes sont envisageables : la méthode directe, selon laquelle les quotes-parts sont établies en se fondant sur la comptabilité des établissements concernés, et la méthode indirecte, qui alloue les parts en se basant sur d’autres critères (chiffres d’affaires, salaires, etc.). Dans la pratique, cette seconde méthode est la plus fréquemment utilisée dès lors qu’il est souvent difficile de déterminer à quelle entité et pour quelle activité exactement doivent être rattachés les charges et/ou bénéfices (ATA/643/2025 précité consid. 5.2 et les références citées).

3.6 En l’espèce, le recourant allègue disposer d’un établissement stable en Valais et y avoir déployé une activité considérable liée à des procédures en 2016, ce qui justifierait de répartir par moitié, entre les cantons de Genève et du Valais, le bénéfice de son activité indépendante.

Or, le recourant ne produit aucune pièce comptable permettant de déterminer le montant des éventuels éléments imposables d’actifs et de passifs, ainsi que des produits et des charges, qui pourraient être attribués au canton du Valais. Les seuls états financiers produits se réfèrent expressément à son étude genevoise et il n’y est pas fait mention de quelconques revenus issus d’une activité déployée en Valais. Les premiers juges ont ainsi à juste titre considéré que le contrat de bail conclu le 6 octobre 2014, portant sur un bureau à D______, ne constituait pas un justificatif suffisant.

Le recourant soutient qu’une « répartition 50/50 » lui aurait été proposée lors d’un entretien dans les locaux de l’AFC-GE, sans fournir davantage d’informations. Toutefois, il ressort des pièces versées au dossier qu’aucune assurance ne lui a été donnée sur ce point lors de ses nombreux échanges avec l’intimée. En l’absence d’un comportement contradictoire de la part de l’autorité, un éventuel grief tiré de la violation du principe de la bonne foi serait ainsi sans fondement.

Dans cette mesure, c’est à bon droit et sans violer son pouvoir d’appréciation que l’AFC-GE a considéré qu’il n’était pas envisageable d’effectuer une répartition intercantonale.

Le grief sera dès lors écarté.

4.             Les recourants se plaignent de la violation du principe de l’interdiction de la double imposition intercantonale, dès lors qu’il est établi que le canton du Valais va taxer une partie du revenu de l’activité indépendante pour la période 2016.

4.1 Énoncé à l’art. 127 al. 3 Cst., le principe de l’interdiction de la double imposition intercantonale s’oppose à ce qu’un contribuable soit concrètement soumis, par deux ou plusieurs cantons, sur le même objet, pendant la même période, à des impôts analogues (double imposition effective) ou à ce qu’un canton excède les limites de sa souveraineté fiscale et, violant des règles de conflit jurisprudentielles, entende prélever un impôt dont la perception est de la seule compétence d’un autre canton (double imposition virtuelle). En d’autres termes, la notion de double imposition intercantonale prohibée par la disposition constitutionnelle précitée implique un conflit de souveraineté fiscale entre cantons et suppose la réunion des quatre conditions d’identité du sujet, de l’objet, du type d’impôt et de la période fiscale (ATF 150 I 31 consid. 4.1 ; 148 I 65 consid. 3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_974/2019 du 17 décembre 2020 consid. 13.1).

4.2 La personne touchée par une double imposition intercantonale peut déférer l’affaire au Tribunal fédéral dès qu’un canton a rendu une décision en dernière instance, sans qu’il soit nécessaire d’épuiser les instances dans les autres cantons concernés. Le délai commence à courir « au plus tard » le jour où chaque canton a rendu une décision (art. 100 al. 5 de loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110), ce qui signifie qu’il est possible soit de contester tout de suite la décision rendue par le canton qui statue le premier, soit d’attendre la décision d’un autre canton et, en recourant contre cette dernière, de remettre en cause également celle du premier (ATF 133 I 300 consid. 2 ; 133 I 308 consid. 2.3 ; ATA/1057/2024 du 3 septembre 2024 consid. 9.2).

Ainsi, le recours en matière de droit public au Tribunal fédéral peut être déposé contre les décisions de taxation déjà entrées en force d’un autre canton, même s’il ne s’agit pas de décisions au sens de l’art. 86 LTF. Les voies de recours ne doivent en effet être entièrement épuisées que dans un seul canton (ATF 139 II 373 consid. 1.4 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_216/2023 du 31 octobre 2023 consid. 1.5.1 ; 2C_401/2020 du 28 juillet 2021 consid. 1.2.1 non publié aux ATF 148 I 65).

4.3 En l’espèce, au vu de la jurisprudence précitée, même à considérer qu’une imposition du même substrat fiscal par le canton du Valais contreviendrait à l’interdiction de la double imposition intercantonale, il ne s’ensuivrait pas que la taxation genevoise doive être annulée par la chambre de céans. Il appartiendra au Tribunal fédéral de se prononcer, le cas échéant et en temps voulu, d’une manière permettant de respecter l’interdiction de la double imposition intercantonale.

La chambre de céans n’est donc pas compétente pour analyser cette question dans la mesure où elle ne peut pas, à la différence du Tribunal fédéral, annuler une décision ou un jugement valaisan.

Il résulte de ce qui précède que le recours sera (très) partiellement admis, le jugement attaqué annulé et la cause renvoyée à l’AFC-GE pour nouveau calcul des bordereaux ICC et IFD 2016 conformément aux considérants qui précèdent. Il sera précisé en tant que de besoin que ledit renvoi ne donne aucune marge d’appréciation aux intimées, dans la mesure où il ne porte que sur les calculs à effectuer en exécution du présent arrêt et sur l’édition de nouveaux bordereaux.

5.             En application de l’art. 87 al. 1 LPA, les recourants, qui succombent dans une très large mesure, seront condamnés solidairement au paiement d’un émolument réduit s’élevant à CHF 1’200.-.

Au vu de l’admission partielle du recours, une indemnité de procédure sera allouée aux recourants (art. 87 al. 2 LPA), à la charge de l’État de Genève. Toutefois, seul un montant de CHF 500.- sera alloué à ce titre, pour tenir compte du caractère très limité des griefs admis au regard de l’ensemble de la procédure.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 décembre 2024 par A______ et B______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 novembre 2024 ;

au fond :

l’admet partiellement  ;

renvoie la cause à l’AFC-GE pour nouveaux bordereaux ICC et IFD 2016 au sens des considérants ;

confirme le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 novembre 2024 pour le surplus ;

met à la charge solidaire de A______ et B______ un émolument de CHF 1’200.- ;

alloue à A______ et B______, solidairement entre eux, une indemnité de procédure de CHF 500.-, à la charge de l’État de Genève (administration fiscale cantonale) ;

dit que, conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Antoine BERTHOUD, avocat des recourants, à l’administration fiscale cantonale, à l’administration fédérale des contributions ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Florence KRAUSKOPF présidente, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. KRAUSKOPF

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :