Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/925/2024 du 06.08.2024 sur JTAPI/265/2024 ( ICCIFD ) , IRRECEVABLE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/4245/2023-ICCIFD ATA/925/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 6 août 2024 4ème section |
| ||
dans la cause
A______ recourante
représentée par Me Sajjad Heyrani Nobari, avocat
contre
ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE intimées
et
ADMINISTRATION FÉDÉRALES DES CONTRIBUTIONS
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 mars 2024 (JTAPI/265/2024)
A. a. Par décisions séparées du 16 novembre 2023, l’administration fiscale cantonale (ci-après: AFC-GE) a refusé de faire entièrement droit aux réclamations de A______ relatives aux années fiscales 2018 et 2019.
b. Par actes distincts du 20 décembre 2023 portant respectivement sur chacune des deux périodes fiscales, A______ a recouru contre ces décisions auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI). Ces recours ne comportaient pas sa signature olographe.
c. Par courrier recommandé du 30 janvier 2024, le TAPI a attiré l’attention de l’intéressée sur le fait que la recevabilité de son recours dépendait du fait que
celui-ci soit muni d'une signature olographe. Un délai au 9 février 2024 lui était imparti pour transmettre un recours muni de sa signature manuscrite, sous peine d'irrecevabilité.
d. Selon le système du suivi des envois (« Track & Trace ») mis en place par la Poste, A______ a prolongé au 28 février 2024 le délai de retrait du courrier du TAPI du 30 janvier 2024.
e. Par courrier du 1er mars 2024, l’intéressée a adressé au TAPI un exemplaire signé de chacun de ses recours. Elle ne se souvenait pas avoir adressé des actes non signés. Elle ne comprenait pas pour quelle raison le courrier du TAPI du 30 janvier 2024 ne lui était parvenu que le 28 février 2024.
f. Par jugement du 25 mars 2024, le TAPI a déclaré les recours irrecevables.
Le vice entachant les recours (absence de signature olographe) n'avait pas été réparé dans le délai imparti. Rien ne permettait par ailleurs de retenir que A______ avait été victime d'un empêchement non fautif de signer en temps utile ses écritures.
B. a. Par acte posté le 4 mai 2024, A______, nouvellement représentée par son conseil, a recouru devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et au renvoi de la cause au TAPI pour examen du fond.
Aucun intérêt public supérieur ne justifiait l’absence de suspension des délais en matière fiscale.
Elle avait été amenée à prolonger le délai de retrait de l’envoi du TAPI du 30 janvier 2024, ce que la législation lui permettait expressément, de sorte qu’on ne pouvait lui reprocher d’avoir agi hors délai. Cela valait d’autant plus qu’elle ne connaissait pas l’identité de l’expéditeur. Le TAPI aurait dû lui accorder un délai supplémentaire pour corriger le vice.
b. Par réponse du 30 mai 2024, l’AFC s’en est rapportée à justice s’agissant de la recevabilité du recours. Le jugement du TAPI, avisé pour retrait le 27 mars 2024, devait être réputé avoir été notifié à l’issue du délai de garde de sept jours, soit le 3 avril 2024. Posté le 4 mai 2024, il apparaissait que le recours était tardif. Rien ne permettait de retenir qu’elle aurait été victime d’un empêchement non fautif de recourir.
c. Par réplique du 2 juillet 2024, la recourante a relevé qu’elle avait obtenu la prolongation du délai de garde du pli recommandé et avait effectivement pris connaissance du jugement le 27 avril 2024. Dans la mesure où elle avait saisi le TAPI le 19 décembre 2023, elle ne pouvait s’attendre à la notification d’un jugement, ce d’autant plus qu’il s’agissant de la période de féries judiciaires. Elle ignorait qui était l’expéditeur de l’envoi, les avis postaux ne l’indiquant pas. L’art. 63 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985
(LPA-GE - E 5 10), qui excluait la suspension des délais durant les féries ordinaires pour les procédures soumises aux règles de la procédure fiscale, était contraire aux art. 5 al. 2, 8 et 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101). Elle se prévalait, enfin, de sa bonne foi, le jugement entrepris n’ayant pas mentionné l’absence de suspension des féries en matière fiscale.
d. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
Le courrier indiquant que la cause était gardée à juger, envoyé le 3 juillet 2024 par la chambre de céans au conseil de la recourante, a été retourné par la Poste le 9 juillet 2024 à la chambre administrative avec la mention « Le destinataire est introuvable à l’adresse indiquée ». La chambre de céans a alors procédé à un nouvel envoi de ce courrier, par pli recommandé, le 16 juillet 2024. Ce dernier a également été retourné le 19 juillet 2024 à l’expéditrice avec la mention « Le destinataire est introuvable à l’adresse indiquée ».
1. La chambre de céans examine d’office et librement la recevabilité des recours qui lui sont soumis (ATA/751/2020 du 12 août 2020 consid. 1 ; ATA/413/2020 du 30 avril 2020 consid. 2 ; ATA/1021/2016 du 6 décembre 2016 consid. 2).
2. Se pose la question du respect du délai de recours.
2.1 Selon l’art. 62 al. 1 let. a et b LPA, le délai de recours contre une décision finale est de 30 jours. Il court dès le lendemain de la notification de la décision
(art. 62 al. 3 1re phr. LPA).
Les délais en jours fixés par la loi ne courent pas du septième jour avant Pâques au septième jour après Pâques inclusivement (art. 63 al. 1 let. a LPA). Cette règle ne s’applique toutefois pas dans les procédures soumises aux règles de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17 ; art. 63 al. 2 let. e LPA), ce qui est le cas de l'impôt cantonal et communal sur le revenu et la fortune des personnes physiques (art. 1 let. a LPFisc).
La loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) ne prévoit pas non plus de suspension des délais (arrêt du Tribunal fédéral 9C_236/2023 du 31 mai 2023 consid. 4 et la jurisprudence citée).
2.2 La décision qui n'est remise que contre la signature du destinataire ou d'un tiers habilité est réputée reçue au plus tard sept jours après la première tentative infructueuse de distribution (art. 62 al. 4 LPA).
La notification d’un acte soumis à réception, comme une décision ou une communication de procédure, est réputée faite au moment où l'envoi entre dans la sphère de pouvoir de son destinataire (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3e éd., 2011, p. 302 s n. 2.2.8.3). Il suffit que celui-ci puisse en prendre connaissance (ATF 137 III 308 consid. 3.1.2 ; 118 II 42 consid. 3b ; 115 Ia 12 consid. 3b ; arrêts du Tribunal fédéral 2P.259/2006 du 18 avril 2007 consid. 3.1 ; 2A.54/2000 du 23 juin 2000 consid. 2a et les références citées). Celui qui, pendant une procédure, omet de prendre les dispositions nécessaires pour que les envois postaux lui soient transmis ne peut se prévaloir de son absence lors de la tentative de notification d’une communication officielle à son adresse habituelle s’il devait s’attendre, avec une certaine vraisemblance, à recevoir une telle communication (ATF 130 III 396 consid. 1.2.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_549/2009 du 1er mars 2010 consid. 3.2.1 et les références citées ; ATA/916/2015 du 8 septembre 2015 consid. 3).
2.3 Les délais de recours fixés par la loi sont des dispositions impératives de droit public. Ils ne sont, en principe, pas susceptibles d’être prolongés (art. 16 al. 1 1re phr. LPA), restitués ou suspendus, si ce n’est par le législateur lui-même. Celui qui n’agit pas dans le délai prescrit est forclos et la décision en cause acquiert force obligatoire (SJ 2000 I 22 ; ATA/436/2024 du 26 mars 2024 et les arrêts cités).
2.4 L'art. 29a Cst. prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire. Le droit au contrôle judiciaire garanti par cette disposition n'existe que dans le cadre des règles de procédure en vigueur, de sorte qu'il n'interdit pas de faire dépendre la question de l'entrée en matière sur un recours ou sur une action du respect des conditions habituelles de recevabilité. Ce n'est que lorsque ces conditions entravent excessivement l'accès effectif au juge que l'art. 29a Cst. s'avère être violé (cf. notamment ATF 143 I 344 consid. 8.3; arrêt 8D_5/2023 du 22 mars 2024 consid. 4.3.1 et les références).
Selon la jurisprudence, il y a formalisme excessif, constitutif d'un déni de justice formel prohibé par l'art. 29 al. 1 Cst., lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi et complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux. En tant que l'interdiction du formalisme excessif sanctionne un comportement répréhensible de l'autorité dans ses relations avec le justiciable, elle poursuit le même but que le principe de la bonne foi. Toutefois, l'application stricte des règles sur les délais de recours ne relève pas d'un formalisme excessif, mais se justifie dans l'intérêt d'un bon fonctionnement de la justice et de la sécurité du droit, ainsi que pour des motifs d'égalité de traitement (ATF 149 IV 97 consid. 2.1; arrêt 9C_304/2023 du 21 février 2024 consid. 6.2.2).
2.5 Les cas de force majeure sont réservés, conformément à l’art. 16 al. 1 2e phr. LPA. Tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d’activité de l’intéressé et qui s’imposent à lui de façon irrésistible (SJ 1999 I 119 ; ATA/871/2019 du 7 mai 2019 et les références citées).
2.6 En l’espèce, il ressort du suivi des envois de la Poste que la recourante a été avisée de l’envoi le 27 mars 2024. Dès lors, en vertu de l’art. 64 al. 2 LPA précité, le jugement attaqué est réputé avoir été notifié le 3 avril 2024, qui constitue le dies a quo du délai légal de recours de 30 jours. Dès lors que, comme expliqué ci-dessus, il n'y a pas lieu de tenir compte des suspensions de délais, le délai de recours est arrivé à échéance le vendredi 3 mai 2024. Le recours, expédié le 4 mai 2024, est ainsi tardif.
La recourante ne peut se prévaloir du fait qu’elle était absente de Genève durant la période de Pâques. En effet, conformément à la jurisprudence constante en la matière, lorsque le destinataire est partie à une procédure, il doit s'attendre en principe à une notification d'un acte judiciaire pendant toute la durée de celle-ci (arrêt du Tribunal fédéral 4A_660/2011 du 9 février 2012 consid. 2.4.1). Dans la mesure où elle avait recouru devant le TAPI en décembre 2023, elle devait s’attendre à ce qu’un jugement soit rendu. Il lui appartenait ainsi de prendre des dispositions pour que le jugement lui parvienne malgré son absence.
N’est pas non plus déterminant le fait que, dans l’indication des voies de droit du jugement entrepris, il n’y avait aucune information sur l’absence de suspension des délais en matière fiscale. Outre le fait que l’instance précédente n’était pas tenue de se prononcer sur la question de la suspension du délai (ATF 141 III 170 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_503/2020 du 22 septembre 2020 consid. 2), l'ignorance du droit – fût-il cantonal – ne saurait constituer un empêchement objectif d'agir en temps utile, respectivement ne permet pas de contester utilement l'irrecevabilité d'un recours pour cause de tardiveté, cela d’autant plus en l’occurrence que la recourante est représentée par un avocat (arrêt du Tribunal fédéral 9C_588/2021 du 27 juin 2022 consid. 6.1.2).
Enfin, contrairement à ce que soutient la recourante, l’absence de suspension de délais ne constitue pas une violation des art. 5 al. 2, 8 et 29a Cst. L’application stricte des règles en matière de délais, dont l’art. 63 al. 2 let. e LPA, se justifie en effet par le bon fonctionnement de la justice et pour des motifs d’égalité de traitement, dès lors que ces règles s’appliquent à toutes les personnes impliquées dans une procédure administrative, incluant celle de nature fiscale. C’est le lieu de rappeler que la LIFD ne prévoit pas non plus de suspension des délais pendant les féries et que le Tribunal fédéral a précisé qu’il n’y avait, en la matière, pas de place pour l’application de féries judiciaires de droit cantonal, que ce soit pour la procédure de réclamation ou pour celle de recours (arrêts du Tribunal fédéral 2C_948/2013 du 25 octobre 2013 consid. 2 ; 2C_416/2013 du 15 novembre 2013; in RDAF 2014 II 40 consid. 2.2 et les références citées).
La recourante n’invoque pas de cas de force majeure au sens de l’art. 16 LPA qui l’aurait empêchée de déposer son acte de recours en temps voulu. Il apparaît bien plutôt qu'elle a cru pouvoir bénéficier des suspensions de délai pascales, alors que tel n'était pas le cas.
Le recours sera ainsi déclaré irrecevable.
3. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 200.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare irrecevable le recours interjeté le 4 mai 2024 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 25 mars 2024 ;
met un émolument de CHF 200.- à la charge de A______ ;
dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession de la demanderesse, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Sajjad Heyrani Nobari, avocat de la recourante, à l'administration fiscale cantonale, à l'administration fédérale des contributions, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Florence KRAUSKOPF, présidente, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
F. SCHEFFRE
|
| la présidente siégeant :
F. KRAUSKOPF |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
|
| la greffière :
|