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ACJC/867/2024 du 28.06.2024 sur OTPI/142/2024 ( SP ) , IRRECEVABLE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/24462/2023 ACJC/867/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU VENDREDI 28 JUIN 2024 |
Entre
PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______", sise ______, Ukraine, agissant pour le compte de SCIENTIFIC INDUSTRIAL CENTRE, B______, sise ______, Ukraine, appelante d'une ordonnance rendue par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 28 février 2024, représentée par Me Antonia MOTTIRONI, avocate, Ardenter Law, rue Verdaine 6, 1204 Genève,
et
Monsieur C______, domicilié ______ [GE],
et
D______ SA, sise ______ [GE],
intimés, représentés par Me Lionel HALPERIN, avocat, Ming Halpérin Burger Inaudi, avenue Léon-Gaud 5, case postale, 1211 Genève 12.
A. Par ordonnance du 28 février 2024, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures provisionnelles, a rejeté la requête de mesures provisionnelles formée par PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" (ch. 1 du dispositif), révoqué l'ordonnance du 23 novembre 2023 statuant sur mesures superprovisionnelles dans la cause n° C/24462/2023 (ch. 2), mis à charge de PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" les frais judiciaires, arrêtés à 3'000 fr. et compensés avec l'avance de frais fournie (ch. 3), condamné PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" à verser à titre de dépens un montant de 1'000 fr. TTC à D______ SA (ch. 4) et 1'000 fr. TTC à C______ (ch. 5) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6).
B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 15 mars 2024, PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" a formé appel, subsidiairement recours, contre cette ordonnance. Elle a conclu, principalement, à l'annulation de l'ordonnance attaquée et à sa réforme, au déboutement des intimés de toute autre ou contraire conclusion et à leur condamnation aux frais de la procédure.
PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" a requis l'octroi de l'effet suspensif, lequel lui a été refusé par arrêt de la Cour du 25 mars 2024.
b. C______ et D______ SA ont conclu à l'irrecevabilité de l'acte déposé, subsidiairement, s'il était recevable, à ce que les allégués nouveaux contenus aux quatre derniers paragraphes de la page 7 de l'acte déposé ainsi que la pièce 3 produite le 15 mars 2024 soient déclarés irrecevables et, au fond, au rejet de l'appel/recours et au déboutement de PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" de toutes ses conclusions, avec suite de frais.
c. PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" a répliqué le 22 avril 2024.
d. Le 13 mai 2024, les parties ont été informées par la Cour de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.
a.a PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" (ci-après : "A______ JSC") est une société de droit ukrainien, active dans la production de médicaments sur le marché ukrainien.
a.b. SCIENTIFIC INDUSTRIAL CENTRE "B______" PUBLIC JOINT STOCK COMPANY (ci-après : "B______ JSC") est une société de droit ukrainien, également active sur le marché de la production de médicaments.
a.c. A______ JSC est actionnaire de B______ JSC à hauteur de 31,8134 %.
Les autres actionnaires de B______ JSC sont E______ SA (21,2636 %), F______ GROUP (20,3169 %), G______ LTD (8,4630 %) ainsi que divers autres actionnaires minoritaires (18,1434 %).
b.a Le 22 mars 2021, A______ JSC, agissant au nom et pour le nom de B______ JSC, a déposé une demande en paiement par-devant la Cour commerciale de la ville de H______ (Ukraine) à l'encontre de I______, J______, K______, L______, M______, N______, O______, P______ (ci-après, pris ensemble, "les Défendeurs ukrainiens") tendant au versement d'un montant équivalent à 7'400'000 USD.
A______ JSC reproche en substance aux Défendeurs ukrainiens – en leurs qualités de dirigeants de B______ JSC et de membres de son conseil d'administration – d'avoir organisé et mis en œuvre le détournement illicite de fonds de la société par le biais d'un système dans lequel B______ JSC payait des prix surfaits à l'un de ses fournisseurs, la société allemande Q______ GMBH, laquelle reversait ensuite secrètement des commissions substantielles à la société britannique R______ LTD, laquelle serait elle-même ultimement détenue par l'une des défenderesses à la procédure ukrainienne, P______.
b.b Dans le cadre de cette procédure, A______ JSC a également sollicité – et obtenu – la participation de R______ LTD en qualité de tierce partie, soit un mécanisme de droit ukrainien similaire à l'intervention principale ou à l'appel en cause. La procédure a été notifiée au siège de R______ LTD le 10 mai 2023, par voie d'entraide internationale.
c. Le 23 avril 2021, A______ JSC a déposé une requête visant à ce que la Cour commerciale de H______ obtienne, par voie d'entraide, des documents et informations en lien avec les comptes bancaires détenus par certains Défendeurs ukrainiens auprès des banques S______, T______, U______ et V______. Cette requête a toutefois été rejetée pour des motifs procéduraux.
d.a Le 24 mars 2021, A______ JSC a requis du juge de district de W______ (TI), sur mesures superprovisionnelles et provisionnelles:
- Le blocage des avoirs se trouvant sur le compte bancaire n° 1______ détenu par R______ LTD auprès de la banque V______ sise à W______, ainsi que de tout autre compte bancaire détenu par R______ LTD ou par l'un de ses ayants droit économique (notamment P______), à hauteur de 4'263'840,54 USD, auquel devrait s'ajouter tout versement effectué par Q______ GMBH depuis le 1er janvier 2019;
- La transmission par R______ LTD et V______ de toutes les informations relatives aux relations bancaires existantes de R______ LTD auprès de V______, respectivement de ses ayants droit économiques ou des personnes exerçant un pouvoir de contrôle sur elle, ayant leur siège en Suisse, même si lesdites relations bancaires ont été formellement ouvertes auprès de succursales, filiales et/ou entités de groupe de V______ sises à l'étranger ou en Suisse, y compris les soldes et mouvements de comptes (en particulier ceux effectués avec Q______ GMBH et/ou en lien avec les ventes à B______ JSC) dès le 1er janvier 2014.
d.b Par ordonnance de mesures superprovisionnelles du 25 mars 2021, le Tribunal de district de W______ a partiellement admis la requête et, ce faisant, il a:
- (1) ordonné le blocage immédiat des avoirs se trouvant sur le compte bancaire n° 1______ détenu par R______ LTD auprès de V______, ainsi que de tout autre avoir détenu par la société ou par ses ayants droit économiques (notamment P______), à hauteur de 4'263'840,54 USD, auquel devrait s'ajouter tout versement effectué par Q______ GMBH depuis le 1er janvier 2019
- (2) fait interdiction à R______ LTD ainsi qu'à ses organes de fait et de droit de disposer ou de diminuer de toute autre manière les soldes des comptes bancaires détenus auprès de V______ à concurrence du montant de 4'263'840,54 USD, ce sous la menace des sanctions pénales prévues à l'art. 292 CP.
d.c Par ordonnance de mesures provisionnelles du 4 novembre 2021, après audition des parties, le Tribunal de district de W______ [TI] a, en substance, confirmé les mesures prononcées à titre superprovisionnel et ordonné la production par R______ LTD et V______ des informations relatives aux relations bancaires existantes de R______ LTD auprès de [la banque] V______, respectivement de ses ayants droit économiques ou des personnes exerçant un pouvoir de contrôle sur la société, ayant leur siège en Suisse, même si lesdites relations bancaires ont été formellement ouvertes auprès de succursales, filiales et/ou entités de groupe de V______ sis à l'étranger ou en Suisse, y compris les soldes et mouvements de comptes (en particulier ceux effectués avec Q______ GMBH et/ou pour les ventes faites à B______ JSC) dès le 1er janvier 2014, ce sous la menace des sanctions pénales prévues à l'art. 292 CP.
Selon le dispositif de l'ordonnance rendue par le Tribunal de district de W______, ces mesures seront maintenues jusqu'à ce qu'un jugement définitif soit rendu par les juridictions ukrainiennes saisies du fond de l'affaire.
d.d Cette ordonnance a été confirmée par la Cour d'appel du canton du Tessin par arrêt du 7 février 2022.
e.a Le 17 mars 2021, A______ JSC a requis le gel mondial des actifs de R______ LTD (ci-après: le "World Freezing Order") par-devant la Haute Cour de justice de Londres (Angleterre).
e.b Un premier World Freezing Order a été prononcé par la Haute Cour, avant audition des parties, le 19 mars 2021.
e.c Le 28 mai 2021, à l'issue de la procédure contradictoire, la Haute Cour a, en substance, confirmé le World Freezing Order prononcé à l'encontre de R______ LTD. Elle a ainsi fait interdiction à cette dernière de:
- déplacer ses actifs sis en Angleterre et au Pays de Galle jusqu'à concurrence de 6'850'447,13 USD;
- disposer, vendre, ou diminuer la valeur de ses actifs, qu'ils se trouvent en Angleterre, au Pays de Galles ou à l'étranger, à concurrence de ce même montant.
Le World Freezing Order prononcé par la Haute Cour s'applique à l'ensemble des actifs de R______ LTD, qu'ils soient détenus en son propre nom ou non, individuellement ou collectivement, de même qu'aux actifs sur lesquels R______ LTD a le pouvoir, direct ou indirect, de disposer.
Le World Freezing Order fait par ailleurs injonction à R______ LTD ainsi qu'aux directeurs, administrateurs, partenaires, employés ou agents de R______ LTD, de transmettre à A______ JSC:
- La liste de l'ensemble de ses actifs mondiaux excédant 1'000 GBP, qu'ils soient détenus en son nom ou non, individuellement ou collectivement ainsi que d'en préciser la valeur, l'emplacement et le détail;
- L'ensemble de ses relevés bancaires en lien avec les comptes détenus auprès de V______ et de toute autre banque auprès de laquelle R______ LTD a ou a eu des comptes, depuis le 1er janvier 2014, ou toute information relative au nom et au siège des banques concernées;
- Tout document faisant état des commissions et/ou autres paiements effectués par Q______ GMBH et/ou versés à R______ LTD ou à toute autre personne, mais qui ont profités ou devaient profiter à R______ LTD en lien avec les ventes à l'entreprise B______ JSC, depuis le 1er janvier 2014.
f.a Le 1er février 2022, A______ JSC a requis le prononcé d'une ordonnance ex parte avec injonction de garder le silence par-devant la Haute Cour des Iles Vierges Britanniques, à l'encontre des sociétés X______ (BVI) TRUST LTD
(ci-après : "X______ LTD"), Y______ TRUST (BVI) CORP (ci-après : "Y______ TRUST") et Z______ TRUST COMPANY (BVI) LTD (ci-après : "Z______ TRUST") visant à la production de documents et informations relatifs aux autres actionnaires de B______ JSC, soit E______ SA et F______ GROUP, ainsi qu'à l'actionnaire de R______ LTD, AA______ LTD.
Cette requête visait, en substance, à déterminer si certains Défendeurs ukrainiens étaient également les ayants droit économiques de E______ SA, F______ GROUP et AA______ LTD. A______ JSC sollicitait ainsi de X______ LTD, Y______ TRUST et Z______, soit les agents enregistrés de E______ SA, F______ GROUP et R______ LTD, la transmission d'informations en lien avec les ayants droit économiques, actionnaires, dirigeants, comptes bancaires et autres actifs de ces sociétés.
f.b Le 1er mars 2022, la Haute Cour des Iles Vierges Britanniques a ordonné à X______ LTD, Y______ TRUST et Z______ TRUST la production des informations requises.
Elle a également prononcé un "seal and gag order" à l'encontre de X______ LTD, Y______ TRUST et Z______ TRUST, faisant ainsi injonction à celles-ci de garder le silence sur la procédure en cours.
g.a Le 14 mars 2022, X______ LTD a transmis à A______ JSC les informations requises en lien avec E______ SA et F______ GROUP.
Il ressort de la lettre d'accompagnement de X______ LTD du 14 mars 2022 que certains documents – en particulier les originaux du registre des actionnaires, des documents comptables et des pièces justificatives de ces sociétés – sont conservés au no. ______, rue 2______, [code postal] AB______ [GE], sous le contrôle de C______.
g.b De son côté, Y______ TRUST a indiqué que l'ayant droit économique et administrateur de la société AA______ LTD était C______ et que les archives et la comptabilité de la société étaient conservées par celui-ci, auprès du siège de D______ SA, sis no. ______, rue 3______, [code postal] Genève.
h. Le 28 septembre 2023, la Cour commerciale de H______ a clos la procédure préliminaire et la phase probatoire.
i. Par acte déposé au greffe du Tribunal de première instance le 17 novembre 2023, A______ JSC a formé une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles à l'encontre de C______ et D______ SA.
i.a Sur mesures superprovisionnelles, elle a conclu à ce à ce que le Tribunal :
- Fasse interdiction à D______ SA ainsi qu'à C______ de détruire ou de disposer d'une toute autre manière des archives et de la comptabilité de E______ SA, notamment mais non exhaustivement, les grands livres, les pièces comptables justificatives, les états financiers, les contrats passés ou en vigueur conclus avec E______ SA, le profil client, les documents d'ouverture de la relation contractuelle entre D______ SA et E______ SA, tous relevés et mouvements de compte en possession de D______ SA ou de C______ et la correspondance échangée entre D______ SA et les représentants et organes, de fait ou de droit, de E______ SA ;
- Fasse interdiction à D______ SA ainsi qu'à C______ de détruire ou de disposer d'une toute autre manière des archives et de la comptabilité de F______ GROUP, notamment mais non exhaustivement, les grands livres, les pièces comptables justificatives, les états financiers, les contrats passés ou en vigueur conclus avec F______ GROUP, le profil client, les documents d'ouverture de la relation contractuelle entre D______ SA et F______ GROUP, tous relevés et mouvements de compte en possession de D______ SA ou de C______ et la correspondance échangée entre D______ SA et les représentants et organes, de fait ou de droit, de F______ GROUP ;
- Fasse interdiction à D______ SA de détruire ou de disposer d'une toute autre manière des archives et de la comptabilité de R______ LTD, notamment mais non exhaustivement, les grands livres, les pièces comptables justificatives, les états financiers, les contrats passés ou en vigueur conclus avec R______ LTD, le profil client, les documents d'ouverture de la relation contractuelle entre D______ SA et R______ LTD, tous relevés et mouvements de compte en possession de D______ SA et la correspondance échangée entre D______ SA et les représentants et organes, de fait ou de droit, de R______ LTD ;
- Fasse interdiction à C______ de détruire ou de disposer d'une toute autre manière des archives et de la comptabilité de R______ LTD, notamment mais non exhaustivement, les grands livres, les pièces comptables justificatives, les états financiers, les contrats passés ou en vigueur conclus avec R______ LTD, le profil client, les documents d'ouverture de la relation contractuelle entre C______ et/ou AA______ LTD et R______ LTD, tous relevés et mouvements de compte en sa possession et la correspondance échangée entre C______ et/ou AA______ LTD et les représentants et organes, de fait ou de droit, de R______ LTD ;
- Enjoigne à D______ SA et C______ de garder le silence jusqu'à décision provisionnelle ou superprovisionnelle contraire, respectivement jusqu'au prononcé d'un jugement définitif en Ukraine ;
- Prononce les interdictions et injonctions susvisées sous la menace des sanctions pénales prévues à l'art. 292 CP.
i.b Sur mesures provisionnelles, A______ JSC a conclu à ce que les interdictions et injonctions requises sur mesures superprovisionnelles soient confirmées et, au surplus, à ce que le Tribunal :
- Ordonne à D______ SA et à C______ de lui remettre l'intégralité des archives et de la comptabilité de E______ SA, notamment mais non exhaustivement, les grands livres, les pièces comptables justificatives, les états financiers, les contrats passés ou en vigueur conclus avec E______ SA, le profil client, les documents d'ouverture de la relation contractuelle entre D______ SA et E______ SA, tous relevés et mouvements de compte en possession de D______ SA ou de C______ et la correspondance échangée entre D______ SA et les représentants et organes, de fait ou de droit, de E______ SA ;
- Ordonne à D______ SA et à C______ de lui remettre l'intégralité des archives et de la comptabilité de F______ GROUP, notamment mais non exhaustivement, les grands livres, les pièces comptables justificatives, les états financiers, les contrats passés ou en vigueur conclus avec F______ GROUP, le profil client, les documents d'ouverture de la relation contractuelle entre D______ SA et F______ GROUP, tous relevés et mouvements de compte en possession de D______ SA ou de C______ et la correspondance échangée entre D______ SA et les représentants et organes, de fait ou de droit, de F______ GROUP ;
- Ordonne à D______ SA de lui remettre l'intégralité des archives et de la comptabilité de F______ GROUP, notamment mais non exhaustivement, les grands livres, les pièces comptables justificatives, les états financiers, les contrats passés ou en vigueur conclus avec R______ LTD, le profil client, les documents d'ouverture de la relation contractuelle entre D______ SA et F______ GROUP, tous relevés et mouvements de compte en possession de D______ SA et la correspondance échangée entre D______ SA et les représentants et organes, de fait ou de droit, de R______ LTD ;
- Ordonne à C______ de lui remettre l'intégralité des archives et de la comptabilité de R______ LTD, notamment mais non exhaustivement, les grands livres, les pièces comptables justificatives, les états financiers, les contrats passés ou en vigueur conclus avec R______ LTD, le profil client, les documents d'ouverture de la relation contractuelle entre C______ et/ou AA______ LTD et R______ LTD, tous relevés et mouvements de compte en sa possession et la correspondance échangée entre C______ et/ou AA______ LTD et les représentants et organes, de fait ou de droit, de R______ LTD ;
- Assortisse les mesures susvisées de la menace d'une amende d'ordre de 1'000 fr. pour chaque jour d'inexécution.
i.c A______ JSC a exposé que, dans la mesure où la phase probatoire était close en Ukraine, sa requête n'était pas formulée aux fins de la collecte de preuves pour le procès civil, mais visait avant tout à permettre, à titre conservatoire, l'identification d'actifs visant à garantir l'exécution future d'un jugement favorable.
j. Par ordonnance du 23 novembre 2023, le Tribunal a partiellement admis la requête, à titre superprovisionnel, s'agissant de l'interdiction faite à D______ SA et C______ de détruire ou de disposer de toute autre manière des archives et de la comptabilité de E______ SA, F______ GROUP et R______ LTD, sous la menace de la peine prévue à l'art. 292 CP s'agissant de C______.
k. Dans le cadre de leurs déterminations du 8 janvier 2024, C______ et D______ SA ont conclu au rejet de la requête, au motif que A______ JSC ne disposerait pas de la légitimation active, qu'aucune base légale ne fonderait les prétentions de la requérante et que les conditions nécessaires au prononcé de mesures provisionnelles ne seraient pas remplies.
l. Lors de l'audience du 29 janvier 2024, la requérante a déposé des déterminations écrites ainsi qu'un chargé de pièces complémentaire.
Les cités se sont opposés à la recevabilité des pièces déposées lors de l'audience.
Pour le surplus, les parties ont persisté dans leurs conclusions respectives.
La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.
m. Dans son ordonnance du 28 février 2024, le Tribunal a relevé qu'aucune des parties citées n'était partie à la procédure pendante en Ukraine. En effet, dans le cadre de cette procédure, la requérante avait conclu au versement par les Défendeurs ukrainiens d'un montant équivalent à 7,4 millions USD et elle avait également attrait R______ LTD, en qualité de tiers intéressé. Ainsi, la situation différait de celle qui prévalait devant les tribunaux tessinois et britanniques, dès lors que la requérante sollicitait alors le prononcé de mesures conservatoires à l'encontre de R______ LTD, laquelle était elle-même partie à la procédure ukrainienne. En l'absence de conclusions au fond à l'encontre des cités, les mesures requises étaient nécessairement incompatibles avec ce que pourrait ordonner le jugement au fond et ne visaient pas à préserver l'existence ou l'objet du droit auquel la requérante pouvait prétendre à ce jour.
Même à admettre que les mesures requises n'étaient pas prises dans le cadre de la litispendance créée par la procédure ukrainienne, mais étaient destinées à faire l'objet d'une validation ultérieure, la requérante ne rendait pas vraisemblable l'existence d'une prétention au fond à l'encontre des cités, laquelle lui permettrait cas échéant de valider les mesures requises. Il n'existait notamment aucun rapport contractuel entre la requérante et les cités pouvant fonder une éventuelle action en reddition de compte. L'on concevait ainsi mal quel droit la requérante pourrait invoquer à l'encontre des seuls cités dans le cadre d'une action au fond en validation des mesures provisionnelles qu'elle requérait.
Au surplus, la requérante n'alléguait ni ne rendait vraisemblable que les mesures conservatoires d'ores et déjà obtenues auprès des autorités anglaises et suisses – en particulier le World Freezing Order obtenu en lien avec les avoirs bancaires détenus par R______ LTD au Royaume-Uni ainsi que le blocage des avoirs bancaires détenus par R______ LTD auprès de la banque V______ par-devant les juridictions de W______ – ne suffiraient pas à garantir l'exécution du jugement ukrainien dans l'hypothèse où celui-ci lui serait favorable. L'existence d'un préjudice difficilement réparable n'était donc pas non plus rendue vraisemblable.
1. 1.1 L’appel est recevable contre les décisions de première instance sur les mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC); dans les affaires patrimoniales, l’appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).
En l'espèce, au vu de contexte général dans lequel la requête de mesures provisionnelles a été formée, la valeur litigieuse est vraisemblablement supérieure à 10'000 fr., de sorte que la voie de l'appel est ouverte.
1.2 L'irrecevabilité de l'appel a été soulevée par les intimés au motif que celui-ci ne contient pas de conclusions au fond.
1.2.1 L’appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l’instance d’appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 311 al. 1 CPC).
Doctrine et jurisprudence en déduisent la nécessité d'énoncer des conclusions, sous peine d'irrecevabilité (ATF 137 III 617 consid. 4.2.2). Celles-ci seront prises en principe sur le fond, l'appel étant en premier lieu une voie réformatoire (art. 318 al. 1 let. b CPC; Bastons Bulletti, in Code de procédure civile, Petit commentaire, 2020, n. 3 ad art. 311 CPC).
Les conclusions doivent pouvoir être reprises telles quelles dans le dispositif, respectivement doivent pouvoir être exécutées sans qu'une clarification soit nécessaire. Des conclusions pécuniaires doivent être chiffrées (ATF 137 III 617 consid. 4.3).
Lorsque le principe de disposition (art. 58 al. 1 CPC) est applicable, le juge est lié par les conclusions des parties: il ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qu'elle demande, ni moins que ce que l'autre partie reconnaît lui devoir.
Il n'existe pas de présomption selon laquelle le recourant qui ne précise pas ses conclusions serait censé reprendre celles formulées devant l'instance précédente (arrêts du Tribunal fédéral 5D_43/2019 du 24 mai 2019 consid. 3.2.2.1; 4A_402/2011 du 19 décembre 2011 consid. 1.2).
Selon la jurisprudence, le devoir d'interpellation par le tribunal selon l'art. 56 CPC ne dispense pas la partie de motiver dûment le recours (arrêts du Tribunal fédéral 4A_207/2022 du 17 octobre 2022 consid. 3.3.1; 5A_483/2018 du 23 octobre 2018 consid. 3.2; 4A_618/2017 du 11 janvier 2018 consid. 4.3.1). L'autorité d'appel n'est pas tenue de renvoyer l'appel pour amélioration si les conclusions ou la motivation sont insuffisantes (arrêts du Tribunal fédéral 4A_207/2022 du 17 octobre 2022 consid. 3.3.1).
En règle générale, il ne contrevient pas au principe de l'interdiction du déni de justice formel d'exiger que l'acte d'appel contienne des conclusions précises sur le fond du litige.
L'application du principe de la confiance impose toutefois d'interpréter les conclusions à la lumière de la motivation; l'interdiction du formalisme excessif (art. 29 al. 1 Cst.) commande, pour sa part, de ne pas se montrer trop strict dans la formulation des conclusions si, à la lecture du mémoire, on comprend clairement ce que veut le recourant (arrêts du Tribunal fédéral 5A_496/2020 du 23 octobre 2020 consid. 1.3; 5A_1023/2018 du 8 juillet 2019 consid. 1.2 et la référence).
Cela étant, ne peut pas se prévaloir de cette pratique celui qui, en tant que partie représentée par un avocat, a, par exemple, délibérément - et compte tenu de la jurisprudence publiée du Tribunal fédéral - renoncé à chiffrer une demande et se fie simplement au fait que les tribunaux recherchent dans les écritures les données chiffrées nécessaires pour chiffrer la demande éventuelle (arrêt du Tribunal fédéral 5A_466/2016 du 17 avril 2017 consid. 4.2).
1.2.2 En l'espèce, l'appelante s'est limitée à conclure à la réforme de l'ordonnance attaquée, mais elle n'a pris aucune conclusion au fond. Elle n'explique ainsi pas dans quel sens l'ordonnance attaquée devrait être réformée.
Exiger d'une partie qu'elle prenne des conclusions au fond ne constitue pas, en soi, du formalisme excessif. Au contraire, les conclusions constituent l'élément essentiel du litige puisqu'en application du principe de disposition, le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qu'elle demande et que les conclusions doivent pouvoir être reprises telles quelles dans le dispositif de la décision rendue.
Les conclusions prises devant la Cour par l'appelante sont dès lors déficientes.
L'appelante soutient dans sa réplique qu'il ressort clairement de ses actes de procédure qu'en concluant à la réforme de l'ordonnance entreprise, elle demande à la Cour qu'elle prononce les mesures provisoires "rejetées" par la décision entreprise. Les mesures provisionnelles requises devant le Tribunal ne sont cependant pas mentionnées dans l'acte d'appel. Dans son argumentation développée devant la Cour, l'appelante conteste, conformément à son obligation, les motifs sur lesquels le Tribunal a fondé sa décision, mais son argumentation ne permet pas en elle-même de déterminer ce qu'elle demande (nature des mesures provisionnelles requises [interdiction, cessation, …], objet sur lequel celles-ci portent, étendue des mesures requises).
En outre, il peut, la plupart du temps, être déduit du simple dépôt d'un appel que la partie entend obtenir de l'instance supérieure qu'elle lui accorde ce que le premier juge lui a refusé. Cela étant, il n'y a pas de présomption selon laquelle l'appelant qui ne précise pas ses conclusions serait censé reprendre celles formulées devant l'instance précédente, ce qui reviendrait, si tel était le cas, à ne rendre nécessaires des conclusions que lorsque la partie appelante entend exceptionnellement obtenir autre chose que ce qu'elle demandait en première instance, en réduisant par exemple ses conclusions, et donc, dans la majorité des cas, à abandonner l'exigence que des conclusions soient énoncées. Or, les procédures judicaires nécessitent un certain formalisme auquel il ne doit pas être renoncé, ce d'autant que l'appelante est représentée par une avocate et que prendre des conclusions au fond constitue une exigence qui a été maintes fois répétée par le Tribunal fédéral et qui ne présentait pas une difficulté particulière.
En définitive, il doit dès lors être considéré que l'appel qui ne comporte que des conclusions tendant à la réforme de la décision attaquée ne répond pas aux exigences de forme posées par le Code de procédure civile et la jurisprudence constante du Tribunal fédéral en la matière.
L'appel sera dès lors déclaré irrecevable.
2. En tout état de cause, même recevable, l'appel aurait dû être rejeté.
2.1
2.1.1 Selon l'art. 10 let. b LDIP, sont compétents pour prononcer des mesures provisoires les tribunaux ou les autorités suisses du lieu de l’exécution de la mesure. Le but de l'art. 10 LDIP est d'assurer, dans certaines circonstances particulières, une protection immédiate et sans lacune, alors même que le juge suisse ne serait pas compétent sur le fond du litige. Cette disposition ne s'applique toutefois que si les mesures requises sont urgentes et nécessaires, ce qu'il appartient au requérant de démontrer (arrêts du Tribunal fédéral 5A_942/2018 précité consid. 6.3; 5A_910/2017 du 6 mars 2018 consid. 4.2 et les références citées).
2.1.2 Pour choisir la mesure appropriée et savoir comment elle peut être ordonnée, il convient de déterminer d’abord le droit applicable. L’art. 10 LDIP laisse la question ouverte. La réponse est difficile et controversée, en raison de la nature très variée des mesures provisoires. Destinées à régler temporairement une situation dans l’attente d’une décision au fond, ces mesures dépendent à la fois du droit qui régit le fond (lex causae) et de la procédure, qui relève de la loi du for, sans qu’il soit possible de tracer clairement, de manière générale, la frontière entre ces deux domaines (Bucher, Commentaire romand, LDIP, 2011, n. 7 ad art. 10 LDIP). Les exigences de rapidité peuvent empêcher l’autorité d’obtenir une connaissance suffisante du droit étranger et conduire à l’application supplétive du droit suisse (Bucher, op. cit., n. 11 ad art. 10 LDIP).
2.1.3 Selon l'art. 261 CPC, le tribunal ordonne les mesures provisionnelles nécessaires lorsque le requérant rend vraisemblable qu’une prétention dont il est titulaire est l’objet d’une atteinte ou risque de l’être (let. a) et que cette atteinte risque de lui causer un préjudice difficilement réparable (let. b).
Les mesures provisionnelles ont notamment pour fonction d'assurer le succès d’une exécution forcée ultérieure (mesures de sûreté, conservatoires ou de protection). En effet, compte tenu du laps de temps qui sépare le dépôt d’une demande du prononcé du jugement, le Code de procédure civile prévoit notamment la possibilité d’ordonner des mesures provisionnelles visant à sauvegarder l’état de fait et assurer l’exécution forcée du jugement à venir. Il faut éviter que les droits allégués au fond ne puissent plus être reconnus en raison de la lenteur de la procédure, en sauvegardant sur le champ l’existence ou l’objet du droit (Bohnet, Commentaire romand, Code de procédure civile, 2ème éd. 2019, n. 6 ad art. 262 CPC). Les mesures conservatoires requises doivent être compatibles avec ce que pourra ordonner le jugement au fond (Bohnet, op. cit., n. 7 ad art. 262 CPC).
Le requérant doit rendre vraisemblable tant l'existence de sa prétention matérielle de nature civile que sa mise en danger ou atteinte par un préjudice difficilement réparable, ainsi que l'urgence (Huber, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2016, n. 23 ad art. 261 CPC). Ainsi, le requérant doit rendre vraisemblable que le droit matériel invoqué existe et que le procès a des chances de succès, la mesure provisionnelle ne pouvant être accordée que dans la perspective de l'action au fond qui doit la valider (cf. art. 263 et 268 al. 2 CPC; ATF 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1016/2015 du 15 septembre 2016 consid. 5.3). Il doit en outre rendre vraisemblable une atteinte au droit ou son imminence, sur la base d'éléments objectifs (Bohnet, op. cit., n. 10 ad art. 261 CPC).
Doit également être rendue vraisemblable l'existence d'un préjudice difficilement réparable, qui peut être de nature patrimoniale ou immatérielle (Message relatif au CPC, FF 2006 p. 6961; Bohnet, op. cit., n. 11 ad art. 261 CPC; Huber, op. cit., n. 20 ad art. 261 CPC). Le requérant doit rendre vraisemblable qu'il s'expose, en raison de la durée nécessaire pour rendre une décision définitive, à un préjudice qui ne pourrait pas être entièrement supprimé même si le jugement à intervenir devait lui donner gain de cause. En d'autres termes, il s'agit d'éviter d'être mis devant un fait accompli dont le jugement ne pourrait pas complètement supprimer les effets (arrêt du Tribunal fédéral 4A_611/2011 du 3 janvier 2012 consid. 4.1).
2.2 En l'espèce, l'appelante conteste que les mesures déjà obtenues à l'étranger et au Tessin soient suffisantes puisque le World freezing order ne constitue qu'une interdiction de disposer et non une mesure in rem sur des actifs et que la procédure tessinoise avait permis le gel d'une somme de 121'706 USD seulement. Cela étant, les mesures requises ne permettront pas de garantir l'exécution future du jugement ukrainien et le paiement du montant qu'elle pourrait, le cas échéant, se voir octroyer puisque lesdites mesures ne tendent pas au séquestre de sommes d'argent, mais visent uniquement la remise de documents comptables ou contractuels, détenus par des tiers à la procédure, qui n'empêcherait pas, le cas échéant, la disparition d'actifs.
En outre, les chances de succès de l'appelante dans la procédure ukrainienne sont très difficiles à évaluer et il ne peut être retenu sur la base des éléments figurant à la présente procédure, qui résultent des allégations de la seule appelante et non des parties défenderesses dans ladite procédure, qu'il est vraisemblable qu'elle obtiendra gain de cause. Le fait que l'appelante ait obtenu des mesures conservatoires devant d'autres juridictions n'est, à cet égard, pas déterminant en lui-même. Il n'est dès lors pas rendu vraisemblable que l'appelante dispose d'un droit à obtenir les documents dont elle réclame la remise.
Enfin, la condition de l'urgence n'est pas rendue vraisemblable. L'appelante n'a en effet allégué aucun élément permettant de rendre vraisemblable que les intimés auraient l'intention ou seraient sur le point de faire disparaître des documents, lesquels sont pour certains soumis à une obligation légale de conservation. Elle a d'ailleurs attendu plusieurs mois avant de requérir, en novembre 2023, des mesures provisionnelles après avoir appris l'existence des intimés, en mars 2022.
Ainsi, en admettant que l'appelante sollicite devant la Cour les mêmes mesures que celles qu'elle avait requises devant le Tribunal, la requête ne serait pas fondée.
3. L'appelante, qui succombe, sera condamnée aux frais judicaires d'appel (art. 106 al. 1 CPC), arrêtés à 2'640 fr. (art. 13, 26 et 35 RTFMC) et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.
L'appelante sera par ailleurs condamnée aux dépens d'appel des intimés, arrêtés à 1'000 fr. chacun (art. 85, 88 et 90 RTFMC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :
Déclare irrecevable l'appel interjeté le 15 mars 2024 par PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" contre l'ordonnance OTPI/142/2024 rendue le 28 février 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/24462/2023.
Arrête à 2'640 fr. les frais judiciaires d'appel, les met à la charge de PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" et les compense avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.
Condamne PRIVATE JOINT STOCK COMPANY "A______" à verser 1'000 fr. à C______ et 1'000 fr. à D______ SA à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Madame Nathalie RAPP, juges; Madame Laura SESSA, greffière.
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.