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ACJC/552/2024 du 02.05.2024 sur OTPI/812/2023 ( SCC ) , RENVOYE
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/14873/2023 ACJC/552/2024 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU JEUDI 2 MAI 2024 |
Entre
Madame A______, domiciliée ______ (GE), appelante d'une ordonnance rendue par la 6ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 15 décembre 2023, représentée par Me Yvan JEANNERET, avocat, Keppeler Avocats, rue Ferdinand-Hodler 15, case postale 6090, 1211 Genève 6,
et
B______, sise ______ [ZH], intimée, représentée par Me Michel BERGMANN, avocat, Poncet Turrettini, rue de Hesse 8, case postale , 1211 Genève 4.
A. Par ordonnance OTPI/812/2023 du 15 décembre 2023, reçue le 18 décembre 2023 par A______, le Tribunal de première instance a rejeté la requête de preuve à futur formée par cette dernière à l'encontre de [la compagnie d'assurances] B______ (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 800 fr., mis à la charge de A______ et compensés avec l'avance de frais fournie (ch. 2), condamné A______ à verser 1'000 fr. TTC à B______ à titre de dépens (ch. 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).
B. a. Par acte expédié le 22 décembre 2023 à la Cour de justice, A______ forme appel contre l'ordonnance précitée, dont elle requiert l'annulation. Elle conclut à ce que la Cour
- nomme un expert judiciaire au sein du Centre [d'expertise médicale] C______, sis ______ [GE] et le charge de la mission suivante: a) prendre connaissance de l'ensemble des pièces de la procédure et, cas échéant se faire remettre tout renseignement ou document qu'il jugera utile auprès des parties, b) dire si et dans quelle mesure l'état de santé actuel de A______ est la conséquence de l'accident du 15 février 2017 et fixer son taux de capacité de travail médico-théorique, c) faire toutes autres observations utiles,
- réserve le droit des parties de préciser et compléter leurs questions à l'expert,
- condamne B______, respectivement l'État, en tous les frais et dépens de première et seconde instance.
b. Dans sa réponse du 22 janvier 2024, B______ conclut, avec suite de frais, principalement, à la confirmation de l'ordonnance attaquée. Si par impossible le Tribunal devait donner droit aux conclusions de sa partie adverse, elle conclut, avec suite de frais, à ce que la Cour nomme un expert judiciaire spécialiste FMH en orthopédie, déboute A______ des conclusions qu'elle a prises sous chiffre 3, 4, 6, 7 et 8 de sa requête de preuve à futur (cf. ci-dessous, let. C.i), condamne celle-ci à faire l'avance des frais d'expertise et la déboute de toutes ses conclusions.
c. Les parties ont répliqué, respectivement dupliqué, en persistant dans leurs conclusions.
d. Elles ont été informées le 29 février 2024 de ce que la cause était gardée à juger.
C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour :
a. A______ a été en incapacité de travail totale dès le 16 septembre 2016 des suites d'une dépression, puis à 10% à partir du 1er février 2017.
b. Elle a été victime le 15 février 2017 d'un accident de la circulation, dont le responsable est assuré auprès de B______.
Suite à ses blessures, notamment une commotion cérébrale, des lombalgies basses et des vertiges, elle a été déclarée en incapacité de travail et a suivi des examens médicaux avec traitement médical.
c. Au cours de son séjour à la Clinique [de réadaptation] D______ à E______ [VS] du 4 au 6 décembre 2017, il a été procédé sur demande de la SUVA, assurance accidents obligatoire de A______, à une évaluation interdisciplinaire consignée dans un rapport daté du 6 décembre 2017.
Dans ce rapport, les médecins de la Clinique de E______ ont notamment déclaré que le pronostic paraissait découler principalement d'autres facteurs que lésionnels car l'accident du 15 février 2017 n'avait pas entraîné de lésion somatique grave.
Les médecins ont ainsi conclu à la mise en place de mesures de réassurance de A______ avec la poursuite de séances de physiothérapie active, ce qui devait permettre la reprise progressive des activités habituelles y compris professionnelles dans le courant du prochain trimestre, sous réserve de l'influence des mauvais facteurs pronostics d'évolution.
d. La SUVA a rendu le 21 décembre 2017 une décision, selon laquelle toutes les prestations d'assurance prendraient fin à partir du 1er janvier 2018, en raison de l'absence d'un lien de causalité pour le moins probable entre l'accident et les troubles persistants.
Le 3 janvier 2018, A______ a formé opposition contre cette décision et a produit ultérieurement un rapport du 9 avril 2018 rédigé par le Dr F______, un rapport de la Dre G______ ainsi qu'un rapport du 11 juin 2018 rédigé par le Dr H______.
Ces rapports ont été soumis au médecin d'arrondissement qui a demandé l'avis complémentaire de la Dre I______, ORL auprès de la SUVA, qui a elle-même requis un examen du Dr J______ officiant aux Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG).
e. Le 1er février 2019, A______ a été victime d'une chute à vélo lui causant une fracture de son poignet gauche et une déchirure du ligament triangulaire.
En raison de cet accident, elle a été opérée le 17 février 2020 et a à nouveau été déclarée en incapacité de travail.
f. Faisant suite à la demande de la Dre I______, le Dr J______ a rédigé un rapport le 20 mars 2019 dans lequel il a conclu à l'absence de signe d'atteinte de la fonction vestibulaire périphérique et centrale, ainsi qu'à l'absence d'élément en faveur d'un vertige positionnel paroxystique bénin (VPPB) ou d'une fluctuation de la fonction cochléo-vestibulaire.
En reprenant les précédents rapports médicaux ainsi que le rapport du Dr J______, la Dre I______ a déclaré dans son appréciation du 8 mai 2019 qu'il n'y avait aucun résultat systémique pathologique objectivable sur le plan purement ORL et que l'activité professionnelle de A______ était exigible à 100%.
Les nouveaux documents ont été soumis à A______, laquelle a maintenu son opposition le 2 octobre 2019, en soutenant que son incapacité de travail due à l'accident du 15 février 2017 était toujours présente.
g. Le 17 juillet 2020, la SUVA a décidé, sur opposition, que l'accident du 15 février 2017 n'était plus en relation de causalité adéquate avec les troubles dont se plaignait la requérante au-delà du 20 mars 2019.
h. Sur demande de l'assurance invalidité, le Dr K______ a établi un rapport médical SMR (Service médical régional) le 7 octobre 2020, lequel clarifiait l'évolution des interruptions de travail de A______ sans toutefois se prononcer sur les causes exactes.
i. Par requête de preuve à futur déposée le 17 juillet 2023, A______ a notamment demandé au Tribunal de 2) nommer un expert judiciaire, 3) ordonner à B______ de communiquer toutes les informations qui sembleraient utiles à l'expert, 4) confier le mandat d'expertise au Centre C______ sis ______, 5) charger l'expert de la mission suivante : a) prendre connaissance de l'ensemble des pièces de la procédure et, cas échéant, se faire remettre tout renseignement ou document qu'il jugera utile, b) dire si et dans quelle mesure l'état de santé actuel de A______ est la conséquence de l'accident du 15 février 2017 et fixer son taux de capacité de travail médico-théorique, c) faire toutes autres observations utiles, 6) réserver le droit des parties de préciser et compléter ultérieurement leurs questions à l'expert, 7) condamner B______ aux frais judiciaires et dépens et 8) débouter celle-ci de toutes autres ou contraires conclusions.
A______ a fait valoir que l'expertise visait à "établir si l'accident du 15 février 2017 se trouv[ait] en lien de causalité avec son état de santé actuel et l'incapacité de gain qui en découl[ait] et si oui, dans quelle proportion". La survenue de plusieurs maladies et accidents successifs avait rendu l'établissement du lien de causalité complexe et les parties, de même que les médecins, n'avaient pas pu s'entendre à ce sujet. Elle était ainsi légitimée à demander qu'une expertise judiciaire soit établie, laquelle lui permettrait d'évaluer les chances de succès d'une éventuelle action au fond à l'encontre de l'assurance responsabilité civile du détenteur responsable de l'accident du 15 février 2017, et cas échéant d'y renoncer ou d'en limiter les contours.
Elle a produit le rapport de police relatif à l'accident du 15 février 2017, le rapport médical SMR du 7 octobre 2020, ainsi qu'un rapport d'enquête pour activité professionnelle indépendante établi le 3 novembre 2021 par l'Office cantonal de l'assurance-invalidité.
j. Dans sa réponse du 11 octobre 2023, B______ a conclu, principalement, à l'irrecevabilité et au rejet de la requête (sic). Elle a fait valoir que l'expertise objet du rapport du 7 octobre 2020 et les rapports médicaux mis en œuvre dans le cadre de la procédure LAA devaient être considérés par le Tribunal comme des expertises judiciaires, si bien que A______ était totalement informée sur ses chances de succès et n'avait aucun intérêt digne de protection à solliciter une expertise par la voie de la procédure de preuve à futur.
Subsidiairement, B______ a conclu à ce que le Tribunal, sous suite de frais et avec avance des frais d'expertise à charge de A______, nomme un panel d'experts comprenant des spécialistes FMH en orthopédie, rhumatologie, psychiatrie, neurologie, otorhinolaryngologie ou uniquement un spécialiste en rhumatologie, à charge pour lui de s'entourer des spécialistes qu'il estimerait nécessaires pour mener à bien sa mission, déboute A______ de ses conclusions prises sous chiffre 2, 3, 4, 5c, 6, 7 et 8 et, à supposer que l'expert considère que A______ subit un taux d'incapacité médico-théorique des suites de l'accident du 15 février 2017, invite l'expert à dire dans quelle mesure ce taux était en relation de causalité certaine, hautement vraisemblable, vraisemblable ou possible avec l'accident, et à dire si des facteurs étrangers à l'accident jouaient un rôle dans la fixation de ce taux, et dans l'affirmative pour combien en pourcent.
B______ a produit notamment divers rapports médicaux de la SUVA, ainsi que l'évaluation interdisciplinaire établie le 6 décembre 2017 par la Clinique de E______.
k. Par ordonnance du 6 novembre 2023, le Tribunal a gardé la cause à juger dans un délai de dix jours dès sa réception par les parties.
l. Dans l'ordonnance attaquée, le Tribunal a considéré que A______ sollicitait la mise en œuvre d’une expertise judiciaire médicale afin de déterminer l’étendue du dommage subi et le lien de causalité avec l’accident de la circulation routière dont elle avait été victime en date du 15 février 2017 pour évaluer les chances de succès d’un procès au fond.
Elle faisait valoir que la survenue de plusieurs maladies et accidents successifs, notamment l'accident de vélo du 1er février 2019, auraient rendu l'établissement du lien de causalité complexe sans que le dossier médical ne permette d'y remédier.
Il découlait toutefois de l'évaluation interdisciplinaire de la Clinique de E______ du 6 décembre 2017 que l'accident du 15 février 2017 n'avait pas entraîné de lésion somatique grave et que la mise en place de mesures de réassurance devait permettre la reprise progressive des activités habituelles au cours du prochain trimestre.
D'après l'appréciation médicale du 8 mai 2019 basée sur le rapport médical du 20 mars 2019, l'activité professionnelle de A______ était exigible à 100% dès le 20 mars 2019.
Ces expertises, ordonnées par la SUVA et soumises à A______ pour prise de position dans le cadre de la procédure LAA ayant abouti à la décision du 17 juillet 2020, étaient à prendre en compte au titre d'expertises extérieures.
A______ ne contestait pas le caractère impartial de ces expertises extérieures, lesquelles apportaient des éléments concrets permettant de répondre à la question centrale du lien de causalité entre son accident du 15 février 2017 et son état de santé actuel.
Le rapport d'enquête AI du 3 novembre 2021 n'avait quant à lui pas pour finalité d'établir les causes successives d'invalidité mais simplement d'en définir les dates, durées et taux.
Sur la base des différents rapports médicaux faisant suite aux expertises de la SUVA, A______ disposait de suffisamment d'éléments lui permettant d'évaluer les chances d'un procès au fond, de sorte que l'expertise requise ne permettrait pas de l'éclairer davantage sur les chances d'un tel procès.
L'on pouvait donc attendre d'elle qu'elle prenne la décision d'ouvrir ou non action sur la base des informations d'ores et déjà en sa possession, lesquelles étaient suffisantes à cet effet.
En définitive, A______ ne disposait pas d'un intérêt digne de protection à obtenir la mise en œuvre d'une expertise médicale à ce stade.
1. 1.1 Dans une affaire de nature pécuniaire, les décisions sur mesures provisionnelles sont susceptibles d'appel si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions devant le Tribunal de première instance atteint 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).
Quand bien même la requête de preuve à futur constitue une procédure indépendante, elle s'inscrit néanmoins dans la perspective d'un procès ultérieur, voire est intentée parallèlement à l'existence d'un procès au fond déjà pendant. Pour déterminer la valeur litigieuse de la procédure de preuve à futur, il convient donc de se référer à l'enjeu que doit revêtir ou que revêt le procès au fond (arrêt du Tribunal fédéral 5A_832/2012 consid. 1.1; ACJC/1127/2022 du 23 août 2022 consid. 1.1 et ACJC/268/2017 du 10 mars 2017 consid.1.1).
En l'occurrence, le litige porte sur l'administration d'une preuve à futur et l'appelante entend faire valoir "une perte de gain de plusieurs dizaines de milliers de francs", un tort moral, ainsi qu'"un important dommage ménager".
Il s'ensuit que la voie de l'appel est ouverte contre l'ordonnance entreprise.
Interjeté dans les formes et dans le délai prévus par la loi (art. 130, 131, 248 let. d, et 314 al. 1 CPC), par une partie qui y a intérêt (art. 59 al. 2 let. a CPC), l'appel est recevable.
1.2 La Cour revoit le fond du litige avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC).
Dans le cadre de mesures provisionnelles, instruites selon la procédure sommaire (art. 248 let. d CPC), sa cognition est toutefois circonscrite à la vraisemblance des faits allégués ainsi qu'à un examen sommaire du droit (ATF 131 III 473 consid. 2.3; 127 III 474 consid. 2b/bb; arrêt du Tribunal fédéral 5A_442/2013 du 24 juillet 2013 consid. 2.1 et 5). Les moyens de preuve sont, en principe, limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (art. 254 CPC; HOHL, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, p. 283 n° 1556).
2. L'appelante fait grief au Tribunal d'avoir considéré qu'elle ne dispose pas d'un "intérêt digne de protection à l'établissement d'une expertise par le biais de la preuve à futur, au motif qu['elle] serait d'ores et déjà suffisamment orientée sur les chances de succès d'un procès au fond grâce à la présence au dossier d'une «expertise extérieure», soit l'évaluation médicale réalisée le 6 décembre 2017 par la Clinique de E______ dans le cadre de l'instruction du dossier LAA". Elle réitère qu'elle sollicite une expertise portant sur le lien de causalité naturelle entre l'accident du 15 février 2017 et son état de santé actuel.
2.1 L'art. 158 al. 1 CPC prévoit que le tribunal administre les preuves en tout temps dans les hypothèses alternatives suivantes : la loi en confère le droit (let. a); la preuve à administrer est mise en danger ou un intérêt digne de protection est rendu vraisemblable (let. b).
Dans le deuxième cas de la lettre b - cas invoqué en l'espèce -, la preuve à futur "hors procès" est destinée à permettre au requérant de clarifier les chances de succès d'un procès futur, de façon à lui éviter de devoir introduire un procès dénué de toute chance. Il ne lui suffit pas d'alléguer avoir besoin d'éclaircir des circonstances de fait mais il doit rendre vraisemblable l'existence d'une prétention matérielle concrète contre sa partie adverse, laquelle nécessite l'administration de la preuve à futur requise (ATF 142 III 40 consid. 3.1.1; 138 III 76 consid. 2.4.2).
La démonstration de l'existence d'un "intérêt digne de protection" n'est pas soumise à des exigences trop sévères. Cet intérêt doit en principe uniquement être nié lorsqu'il fait manifestement défaut, ce qui peut notamment être le cas lorsque le moyen de preuve n'est clairement pas approprié (arrêt du Tribunal fédéral 5A_832/2012 du 25 janvier 2013 consid. 7.1).
Tous les moyens de preuve prévus par les art. 168 ss CPC peuvent être administrés en preuve à futur hors procès, et ce conformément aux règles qui leur sont applicables. Lorsqu'il s'agit d'une expertise, les règles des art. 183 à 188 CPC s'appliquent. En particulier, le tribunal nomme un expert, préside au déroulement des opérations, instruit l'expert et lui soumet les questions soumises à expertise (art. 185 al. 1 CPC). Il donne aux parties l'occasion de s'exprimer sur ces questions et de proposer qu'elles soient modifiées ou complétées (art. 185 al. 2 CPC) et fixe à l'expert un délai pour déposer son rapport (art. 185 al. 3 CPC). Il communique ensuite celui-ci aux parties et leur offre la possibilité de demander des explications ou de poser des questions complémentaires à l'expert (art. 187 al. 4 CPC) (ATF 142 III 40 consid. 3.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 4D_57/2020 du 24 février 2021 consid. 3.1).
2.2 En droit des assurances sociales, sans remettre en cause le principe de la libre appréciation des preuves, le Tribunal fédéral des assurances a posé des lignes directrices en ce qui concerne la manière d'apprécier certains types d'expertises ou de rapports médicaux (ATF 125 V 351 consid. 3b).
Le juge peut accorder pleine valeur probante aux rapports et expertises établis par les médecins d'un assureur social aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee).
Lorsqu'un cas d'assurance est réglé sans avoir recours à une expertise dans une procédure au sens de l'art. 44 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales du 6 octobre 2000 (LPGA), l'appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères: s'il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations d'un médecin de l'assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 145 V 97 consid. 8.5 et les références; 142 V 58 consid. 5.1 et les références ; 139 V 225 consid. 5.2 et les références; 135 V 465 consid. 4.4 et les références). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu'ils n'avaient pas la même force probante qu'une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l'art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références).
Dans une procédure portant sur l'octroi ou le refus de prestations d'assurances sociales, lorsqu'une décision administrative s'appuie exclusivement sur l'appréciation d'un médecin interne à l'assureur social et que l'avis d'un médecin traitant ou d'un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l'un ou sur l'autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l'art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2 et les références ; 135 V 465 consid. 4; arrêt ATAS/148/2024 du 6 mars 2024 de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice consid. 7.7).
Dans la mesure où ils sont requis par la SUVA, les avis médicaux de la Clinique de réadaptation de Bellikon ne constituent pas des expertises de spécialistes indépendants, de sorte que l'art. 44 LPGA n'est pas applicable et une obligation d'accorder le droit d'être entendu ne peut pas résulter de cette disposition (ATF 136 V 117 consid. 3.4). Il en va de même des avis médicaux de la Clinique de E______, ces deux cliniques ayant été conçues par la SUVA, à teneur du site internet de cette dernière (arrêt ATAS/596/2018 du 27 juin 2018 de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice consid. 10).
2.3 La définition du lien de causalité naturelle est identique en droit de la responsabilité civile et en droit des assurances sociales (arrêt du Tribunal fédéral 4A_65/2009 du 17 février 2010 consid. 5.1).
2.4 Il n'y a pas d'intérêt digne de protection à l'administration d'une preuve à titre provisionnel lorsque la partie requérante souhaite uniquement remettre en question, par une nouvelle expertise, une expertise déjà disponible et susceptible de servir de preuve (ATF 140 III 16 consid. 2.2.2 - JdT 2016 II 299). A cet égard, le Tribunal fédéral considère que la partie qui demande l'établissement d'une expertise à titre provisionnel n'a pas d'intérêt digne de protection s'il existe déjà une expertise établie dans une autre procédure (ATF 140 III 24 consid. 3.3.1.3 – JdT 2016 II 308).
Le juge civil peut utiliser, à titre de preuve, une expertise mise en oeuvre par une autre autorité dans une autre procédure (par exemple, une expertise médicale ordonnée par un assureur social). Une telle expertise "extérieure" a valeur probante dans la mesure où le juge civil respecte le droit d'être entendu des parties. Celles-ci doivent pouvoir prendre position sur le contenu de l'expertise, s'exprimer sur la personne de l'expert et poser des questions complémentaires. L'expertise "extérieure" est alors dotée de la même valeur probatoire qu'une expertise ordonnée par le juge civil lui-même, étant entendu qu'il en apprécie librement la force probante et reste libre d'ordonner une nouvelle expertise sur les mêmes questions si l'expertise extérieure prête le flanc à la critique (ATF
140 III 24 consid. 3.3.1.3 précité; arrêt du Tribunal fédéral 4A_410/2021 du 13 décembre 2021 consid. 3.2 et les références citées).
Si l'expertise n'a pas été requise par une autre autorité dans une autre procédure, il s'agit d'une expertise privée. Celle-ci n'est pas un moyen de preuve au sens de l'art. 168 al. 1 CPC, mais doit être assimilée aux allégués de la partie qui la produit. Elle doit être prouvée si elle est contestée de manière motivée par la partie adverse. Dans la mesure où elle est corroborée par des indices qui, eux, sont établis par des preuves, elle peut constituer un moyen de preuve (ATF 141 III 433 consid. 2.6 et les références citées; arrêt du Tribunal fédéral 4A_82/2023 du 8 août 2023 consid. 4.2).
2.5 En l'espèce, contrairement à ce que soutient l'intimée et à teneur du dossier, ni l'assurance invalidité, ni l'assurance-accident n'ont recouru aux services d'un ou de plusieurs experts indépendants pour élucider les faits dans le cadre d'une expertise au sens de l'art. 44 LPGA. Les divers avis médicaux produits dans la présente procédure, et en particulier l'évaluation interdisciplinaire du 6 décembre 2017 de la Clinique de E______, doivent être traités, au regard du droit de la preuve, comme de simples expertises privées, qui n'équivalent qu'à des allégations de parties. Ils n'ont pas la même force probante qu'une expertise commandée par l'assureur sur la base de la disposition précitée, qui aurait garanti le respect du droit d'être entendue de l'assurée. C'est ainsi à bon droit que l'appelante requiert une expertise judiciaire au sens des art. 183 ss CPC, qui apparaît comme un moyen de preuve pertinent et même essentiel dans l'éventuel procès en responsabilité civile.
L'appelante a dès lors un intérêt digne de protection à ce que le Tribunal ordonne une expertise à titre de preuve à futur, laquelle lui permettra de clarifier ses chances de succès dans ledit procès.
L'ordonnance attaquée sera donc annulée. Conformément à l'art. 318 al. 1 let. c ch. 1 CPC et au principe du double degré de juridiction (art. 75 al. 2 LTF; JEANDIN, in Commentaire romand, Code de procédure civile, 2019, n. 8 ad introduction aux art. 308-334 CPC) la cause sera renvoyée au Tribunal afin qu'il ordonne une expertise à titre de preuve à futur. Il appartiendra au premier juge de nommer un (ou des) expert(s), de présider au déroulement des opérations, d'instruire le (ou les) expert(s) et lui (leur) soumettre les questions soumises à expertise, de donner aux parties l'occasion de s'exprimer sur ces questions et de proposer qu'elles soient modifiées ou complétées, de fixer à l'expert (ou aux experts) un délai pour déposer le rapport, de communiquer ensuite celui-ci aux parties et de leur offrir la possibilité de demander des explications ou de poser des questions complémentaires à l'expert (ou aux experts).
3. 3.1 Au vu de l'issue du litige, les frais judiciaires et dépens de première instance seront nouvellement arrêtés par le Tribunal dans la décision finale à rendre par celui-ci (art. 104 al. 1 CPC).
3.2 Les frais d'appel seront mis à charge de l'intimée qui succombe (art. 106 al. 1 CPC).
Les frais judiciaires d'appel seront arrêtés à 800 fr. (art. 26 et 37 RTFMC) et entièrement compensés avec l'avance versée par l'appelante, qui demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
L'intimée sera condamnée à verser à l'appelante 800 fr. à titre de frais judiciaires (art. 111 al. 2 CPC), ainsi que 1'000 fr., TVA et débours compris, à titre de dépens d'appel (art. 85, 88 et 90 RTFMC et art. 23 al. 1 LaCC).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable l'appel interjeté le 22 décembre 2023 par A______ contre l'ordonnance OTPI/812/2023 rendue le 15 décembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/14873/2023-6 SCC.
Au fond :
Annule l'ordonnance entreprise.
Renvoie la cause au Tribunal de première instance pour qu'il ordonne une expertise à titre de preuve à futur dans les sens des considérants.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais judiciaires d'appel à 800 fr., les met à la charge de B______ et les compense avec l'avance effectuée, laquelle demeure acquise à l'État de Genève.
Condamne B______ à verser à A______ 800 fr. à titre de frais judiciaires d'appel et 1'000 fr. à titre de dépens d'appel.
Siégeant :
Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.
Le président : Laurent RIEBEN |
| La greffière : Marie-Pierre GROSJEAN |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.