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Décisions | Sommaires

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C/15600/2023

ACJC/444/2024 du 04.04.2024 sur JTPI/15148/2023 ( SML ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/15600/2023 ACJC/444/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 4 AVRIL 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______ (GE), recourante contre un jugement rendu par la 15ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 17 novembre 2023, représentée par Me Daniel MEYER, avocat, rue Ferdinand-Hodler 7, 1207 Genève,

et

Monsieur B______, domicilié ______ (GE), intimé, représenté par Me François CANONICA et Me Loïc PAREL, avocats, Canonica & Associés, rue François-Bellot 2, 1206 Genève.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/15148/2023 du 17 novembre 2023, expédié pour notification aux parties le 15 janvier 2024, le Tribunal de première instance a rejeté la requête de mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, formée par A______ (ch. 1), arrêté les frais judiciaires à 750 fr., compensés avec l'avance opérée et laissés à la charge de la précitée, condamnée en outre à verser à B______ 2'300 fr. à titre de dépens (ch. 2 à 4).

Il a retenu, en se référant à la jurisprudence du Tribunal fédéral, que la créance dérivant du contrat de prêt liant les parties depuis le 18 juin 2009 s'était prescrite dix ans après l'échéance du délai d'avertissement de six mois (18 décembre 2009), soit bien avant la demande de remboursement du montant du prêt (17 novembre 2022).

B.            Par acte du 26 janvier 2024 à la Cour de justice, A______ a formé recours contre le jugement précité. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait au prononcé de la mainlevée provisoire de l'opposition formée au commandement de payer, poursuite n° 1______, avec suite de frais et dépens.

B______ a conclu au rejet du recours, sous suite de frais et dépens. Dans le corps de son acte, il a requis le prononcé d'une amende pour téméraire plaideur de 2'000 fr.

Par avis du 8 mars 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C.           Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants :

a. Par lettre du 18 juin 2009, B______ s'est adressé en ces termes à A______: "Par le présent document je reconnais avoir reçu ce jour, en prêt de votre part, la somme de 300'000 francs suisses. Ce montant, mis à ma disposition en utilisation libre, ne portera pas d'intérêts. Il sera remboursable en tout temps sur simple demande de Madame A______ mais dans un délai qui pourra atteindre au maximum 6 mois après cette notification […]".

Selon un ordre de transfert de la [banque] C______, daté du 15 juin 2009, 300'000 fr. étaient à virer par le débit du compte de A______ sur le compte de B______.

b. Par courrier du 17 novembre 2022, A______ a dénoncé au remboursement le prêt de 300'000 fr. pour le 17 mai 2023 au plus tard.

Le 2 février 2023, B______ a répondu qu'il considérait que la créance n'avait "jamais réellement existé", et en tout état que cette créance était prescrite.

c. Le 1er juin 2023, l'Office cantonal des poursuites, à la requête de A______, a fait notifier à B______ un commandement de payer, poursuite n° 1______, portant sur 300'000 fr. avec intérêts moratoires à 5% l'an dès le 17 mai 2023.

Le poursuivi a formé opposition.

d. Le 25 juillet 2023, A______ a saisi le Tribunal de première instance d'une requête en mainlevée provisoire de l'opposition, dirigée contre B______, sous suite de frais et dépens.

Elle a notamment produit, en faveur de son conseil, une procuration (rédigée sur la formule mise à disposition par l'Ordre des avocats de Genève) dont la rubrique consacrée au cadre du mandat n'a pas été remplie.

A l'audience du Tribunal du 17 novembre 2023, A______ a persisté dans ses conclusions. B______ a conclu au rejet de la requête, avec suite de frais et dépens, la créance s'étant prescrite en décembre 2019, et étant contestée sur le fond.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1. 1.1 S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. b et 309 let. b ch. 3 CPC). La procédure sommaire s'applique
(art. 251 let. a CPC).

1.2 Aux termes de l'art. 321 al. 1 et 2 CPC, le recours, écrit et motivé, doit, en procédure sommaire, être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée.

Interjeté dans le délai prescrit et selon la forme requise, le recours est recevable. Contrairement à l'avis de l'intimé, l'acte de recours comporte une critique de la décision attaquée qui est suffisamment précise pour être intelligible; il n'y a pas non plus lieu de douter, en l'absence d'autres éléments, du pouvoir de représentation de l'avocat de la recourante, en dépit du libellé partiellement lacunaire de la procuration produite, relevé par l'intimé.

1.3 Dans le cadre d'un recours, l'autorité a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait (art. 320 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 2307). En particulier, s'agissant d'une procédure de mainlevée provisoire, la Cour doit vérifier d'office si la requête est fondée sur un titre de mainlevée valable (arrêt du Tribunal fédéral 5P.174/2005 du
7 octobre 2005 consid. 2.1).

1.4 Le contentieux de la mainlevée de l'opposition est un «Urkundenprozess», dont le but n'est pas de constater la réalité d'une créance, mais l'existence d'un titre exécutoire; le juge de la mainlevée examine uniquement la force probante du titre produit par le créancier poursuivant, sa nature formelle, et non pas la validité de la prétention déduite en poursuite (ATF 132 III 140 consid. 4.1.1). Le prononcé de mainlevée ne sortit que des effets de droit des poursuites (ATF 100 III 48
consid. 3) et ne fonde pas l'exception de chose jugée (res iudicata) quant à l'existence de la créance (ATF 136 III 583 consid. 2.3 p. 587). La décision du juge de la mainlevée ne prive donc pas les parties du droit de soumettre à nouveau la question litigieuse au juge ordinaire (art. 79 et 83 al. 2 LP; ATF 136 III 528 consid. 3.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_89/2019 du 1er mai 2019 consid. 5.1.2, publié in SJ 2019 I p. 400).

Si le sens ou l'interprétation du titre de mainlevée invoqué est source de doutes ou si la reconnaissance de dette ne ressort que d'actes concluants, la mainlevée provisoire doit être refusée. La volonté de payer du poursuivi doit ressortir clairement des pièces produites, à défaut de quoi elle ne peut être déterminée que par le juge du fond (arrêts du Tribunal fédéral 5A_39/2023 du 24 février 2023 consid. 5.2.4).

2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir retenu que sa créance en remboursement du prêt était prescrite. Elle ne conteste pas que les parties n'avaient pas convenu d'un terme de remboursement ni qu'un délai d'avertissement de six mois était stipulé. Elle soutient, en se fondant sur l'interprétation des termes de la reconnaissance de dette, que le point de départ de l'exigibilité de sa créance correspondrait à la date de dénonciation du prêt au remboursement, et non à celle à partir de laquelle le contrat de prêt pouvait être résilié en observant un délai d'avertissement.

2.1 L'art. 318 CO énonce que « [s]i le contrat ne fixe ni terme de restitution ni délai d'avertissement, et n'oblige pas l'emprunteur à rendre la chose à première réquisition, l'emprunteur a, pour la restituer, six semaines qui commencent à courir dès la première réclamation du prêteur. » La créance en remboursement du prêt se prescrit par dix ans dès que la créance est devenue exigible (art. 127 et
130 al. 1 CO). L'art. 130 al. 2 CO énonce que « [s]i l'exigibilité de la créance est subordonnée à un avertissement, la prescription court dès le jour pour lequel cet avertissement pouvait être donné. » Il s'agit d'éviter qu'une créance soit imprescriptible parce que le créancier détient seul la possibilité d'en provoquer l'exigibilité. Cette disposition suscite une controverse sur le point de départ de la prescription d'une créance en remboursement de prêt (Pichonnaz, in Commentaire romand, op. cit., nos 6 et 9 ad art. 130 CO; Tercier et ALII,
op. cit., n. 2535). Selon un premier point de vue, le dies a quo court à l'expiration du délai de six semaines dès la remise du prêt (arrêt du Tribunal fédéral 4A_699/2011 du 22 décembre 2011 consid. 3 et 4, cité dans des obiter dictum : arrêts du Tribunal fédéral 4A_181/2012 du 10 septembre 2012 consid. 2 et 5A_830/2021 du 17 février 2022 consid. 3.5; ATF 91 II 442 consid. 5b p. 451 i.f - 452; cf. aussi ATF 50 II 401 p. 405). Tandis que d'après une seconde conception, la prescription débute à l'échéance du délai de six semaines suivant la résiliation du contrat (Higi, Zürcher Kommentar, 3e éd. 2003, n° 22 ad art. 315 CO; Maurenbrecher, Das verzinsliche Darlehen im schweizerischen Recht [...], 1995, p. 260-263).

2.2 Ces principes ont été rappelés en particulier dans l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_311/2022 du 8 août 2023 (consid. 9); à cette occasion, le Tribunal fédéral a examiné la solution à donner au cas d'espèce qui lui était soumis à la lumière des deux points de vue exprimés ci-dessus; comme il est parvenu à la conclusion que la solution n'était en l'occurrence pas différente selon l'un ou l'autre examen, il apparaît que la jurisprudence demeure appuyée sur le premier de ces points de vue. Ainsi, le dies a quo court à compter de la fin du délai d'avertissement – en l'occurrence de six mois - après la remise du prêt.

C'est selon cette jurisprudence que le Tribunal a tranché en l'espèce.

A bien comprendre sa critique, la recourante fait valoir qu'une interprétation de la reconnaissance de dette conduirait à retenir l'exigibilité de sa créance au moment de la dénonciation du prêt au remboursement.

Ce faisant, outre qu'une interprétation ne trouve pas sa place dans le cadre d'une procédure de mainlevée d'opposition, la recourante oppose au raisonnement du premier juge, sans la nommer, la thèse alternative défendue par certains auteurs de doctrine. L'argument ne peut ainsi prospérer, compte tenu de ce qui précède.

Pour le surplus, l'intimé disposait certes de la possibilité de rembourser le prêt à tout moment; on ne discerne pas là, contrairement à ce qu'avance la recourante, en quoi cette circonstance influerait sur l'exigibilité provoquée par la créancière et aurait pour effet de rendre sa créance "pas de facto imprescriptible", et partant de la soustraire aux principes jurisprudentiels rappelés ci-dessus.

Il s'ensuit que le recours, infondé, sera rejeté.

3. La recourante, qui succombe, supportera les frais de son recours (art. 106
al. 1 CPC), arrêtés à 1'125 fr. (art. 48, 61 OELP), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Il n'y a pas lieu au prononcé d'une amende au sens de l'art. 128 al. 3 CPC, dont les conditions ne sont pas réalisées.

La recourante versera à l'intimé 1'200 fr. à titre de dépens (art. 84, 85, 88,
90 RTFMC), compte tenu notamment de la brève réponse déposée par celui-ci.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours formé le 26 janvier 2024 par A______ contre le jugement JTPI/15148/2023 rendu le 17 novembre 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/15600/2023-15 SML.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais du recours à 1'125 fr. compensés avec l'avance effectuée, acquise à l'Etat de Genève.

Les met à la charge de A______.

Condamne A______ à verser 1’200 fr. à B______ à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Marie-Pierre GROSJEAN, greffière.

 

La présidente :

Pauline ERARD

 

La greffière :

Marie-Pierre GROSJEAN

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.