Décisions | Sommaires
ACJC/1295/2023 du 26.09.2023 sur JTPI/4875/2023 ( SML ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||
POUVOIR JUDICIAIRE C/12568/2022 ACJC/1295/2023 ARRÊT DE LA COUR DE JUSTICE Chambre civile DU MARDI 26 SEPTEMBRE 2023 |
Entre
A______, sise ______ [VD], recourante contre un jugement rendu par la 18ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 25 avril 2023,
et
Madame B______, domiciliée ______ [GE], intimée, représentée par
Me Olivier CRAMER, avocat, Cramer Avocats, place du Bourg-de-Four 24, case postale 3171, 1211 Genève 3.
A. Par jugement JTPI/4875/2023 du 25 avril 2023, expédié pour notification aux parties le 5 mai 2023, le Tribunal de première instance a rejeté la requête de mainlevée formée par la A______ (ch. 1), arrêté les frais judiciaires à 1'500 fr. compensés avec l'avance effectuée, et mis à la charge de celle-ci (ch. 2), condamnée à verser à B______ 6'900 fr. à titre de dépens (ch. 3), et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).![endif]>![if>
B. Par acte du 19 mai 2023 à la Cour de justice, [la banque] A______ a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu à l'annulation de celui-ci, cela fait à ce que la mainlevée provisoire des oppositions formées aux commandements de payer, poursuite n° 1______, dirigé contre B______ en sa qualité de débitrice et n° 2______ en sa qualité de tiers propriétaire, soit prononcée, avec suite de frais et dépens.![endif]>![if>
B______ a conclu au rejet du recours, avec suite de frais et dépens. Elle a déposé des pièces nouvelles.
Par avis du 29 juin 2023, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.
C. Il résulte de la procédure de première instance les faits pertinents suivants:![endif]>![if>
a. Par acte du 9 novembre 2010, signé le 1er décembre 2010, [la banque] A______ (ci-après la A______) a accordé aux époux B______ et C______ un crédit de 1'250'000. fr., sous forme d'un prêt hypothécaire à taux fixe (n° 3______) visant à financer l'acquisition d'un appartement en PPE au lieu-dit D______ à E______ [GE] sur la parcelle 4______ de la commune; le taux a été fixé à 2.53% sur 10 ans, lors de la concrétisation du financement en date du 10 janvier 2011. Les conditions générales (édition janvier 2010) et les tarifs de la A______ faisaient partie intégrante du contrat; selon l'art. 11 desdites conditions générales, la banque était en droit de dénoncer en tout temps les relations d'affaires.
Le prêt était notamment garanti par la cession en propriété des cédules hypothécaires de 490'000 fr. (n° 2004/5______) et 760'000 fr. (n° 2005/6______) grevant en 1er et en 2ème rangs respectivement la parcelle n° 4______/7______ de la commune de E______, propriété de B______ et C______.
Un amortissement de 2% l'an était prévu, exigible la première fois le 31 décembre 2011, puis, sauf variation du taux hypothécaire, par montant constant aux échéances suivantes, l'amortissement augmentant graduellement de la somme dont les intérêts diminuaient.
La facturation des échéances intervenait semestriellement, la première fois le 30 juin 2011, puis, à partir du 30 septembre 2014, trimestriellement, le montant de l'amortissement direct devenant fixe à partir de cette date, soit 6'670 fr. par trimestre.
b. Par jugement du 15 février 2013, le Tribunal, statuant sur mesures protectrices de l'union conjugale, a notamment attribué à B______ la jouissance du domicile conjugal et condamné C______ à payer les intérêts et amortissements hypothécaires de celui-ci. Ce jugement a été transmis à la A______.
Par jugement du 29 juin 2018, le Tribunal a prononcé le divorce des époux C______/B______, le sort des effets accessoires étant réservé.
c. Par courrier du 23 décembre 2019, B______ a requis de la A______ qu'elle respecte "scrupuleusement ses devoirs d'information et de diligence" à son égard, motif pris de ce que la banque considérait C______ "comme son unique client et interlocuteur" alors qu'elle disposait des mêmes droits que ce dernier.
Elle a rappelé notamment qu'elle avait interpellé la banque au sujet du non-paiement de tranches d'intérêts et d'amortissement au 30 septembre 2019, à quoi il lui avait été répondu qu'il lui revenait de prendre contact avec C______, ce qui était, à son sens, contraire aux obligations de la A______ qui était seule débitrice de l'information envers elle.
d. Au 30 décembre 2020, le solde du prêt hypothécaire était de 1'012'415 fr. 20, les amortissements ayant été suspendus pendant la pandémie liée au COVID-19 entre le 31 mars et le 30 juin 2020.
e. En vue du renouvellement du taux hypothécaire prévu en janvier 2021, B______, C______ et la A______ ont conduit des discussions. B______, par courriers de son conseil des 11 mars et 7 mai 2021, a requis de la banque la remise de divers documents contractuels.
Par lettre du 11 juin 2021 de son avocat, elle a notamment relevé "le traitement différencié inacceptable" qui lui était réservé, et invité la banque à lui faire parvenir l'intégralité des courriers et courriels que lui envoyait C______ s'agissant des relations dans lesquelles elle était co-contractante de ce dernier. Elle a remis, munie de sa signature, l'offre de renouvellement de crédit qu'elle avait reçue.
Par courrier du 5 juin [recte juillet] 2021, la A______ a retiré son offre, respectivement l'a annulée avec effet immédiat, motif pris de ce que le retour des documents avait été effectué "trop tardivement" et que ceux-ci comportaient des annotations et modifications manuscrites qu'elle n'acceptait pas.
A partir du 11 janvier 2021, soit dès l'échéance du taux fixe, la A______ a appliqué un taux variable de 3.4% en application des conditions applicables aux prêts hypothécaires à taux fixe faisant partie intégrante du contrat.
f. Le montant de 8'388 fr. 95 relatif à l'échéance du 31 mars 2021 est demeuré impayé malgré l'envoi de plusieurs rappels par poste à C______ et accessibles sur le portail A______-net. Le montant de 18'369 fr. 95 correspondant à l'arriéré au 30 juin 2021 n'a pas été réglé.
g. Par lettre recommandée du 12 juillet 2021 adressée à C______ et à B______, la A______ a résilié le prêt et a dénoncé au remboursement les cédules hypothécaires de 490'000 fr. et de 760'000 fr.; B______ et C______ ont été mis en demeure de lui faire parvenir d'ici au 31 janvier 2022 les montants de 8'448 fr. 95 avec intérêts à 5% dès le 1er avril 2021 à titre de l'échéance trimestrielle du 31 mars 2021, 9'931 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 2021 à titre d'échéance trimestrielle du 30 juin 2021 et 1'012'415 fr. 20 avec intérêts à 3.4% dès le 1er juillet 2021 à titre de remboursement du capital prêté.
Après que B______ avait manifesté son opposition à la résiliation des contrats hypothécaires, faute d'avoir reçu des rappels ou mise en demeure de régler des arriérés ou de défaut de paiement des intérêts, la A______ lui a répondu, par lettre du 27 septembre 2021, qu'elle lui avait toujours transmis les informations utiles, par le truchement du "service A______-net" qui était à sa disposition, et qu'elle maintenait sa position.
h. Le 28 et 29 avril 2022, deux commandements de payer, poursuite en réalisation d’un gage immobilier n° 1______ et n° 2______ ont été notifiés à B______ portant sur les sommes de 8'448 fr. 95 avec intérêts à 5% dès le 1er avril 2021 à titre d'échéance impayée au 31 mars 2021, 9'931 fr. avec intérêts à 5% dès le 1er juillet 2021 à titre d'échéance impayée au 30 juin 2021 et 1'012'415 fr. 20 avec intérêts à 3.4% dès le 1er juillet 2021 à titre de remboursement du capital du prêt hypothécaire.
A la rubrique "titre et date de la créance ou cause de l'obligation" il était mentionné : "Poste 1" : Capitaux dus sur les cédules hypothécaires de CHF 490'000.- no RF 2005/5______, et de CHF 760'000.-, no RF 2005/6______, grevant respectivement en 1er et 2ème rangs la parcelle PPE no 4______ de la commune de E______, dénoncées au remboursement selon lettre recommandée avec avis de réception du 12 juillet 2021. Poste 2: Echéance impayée au 30 juin 2021 sur le prêt hypothécaire 3______. Poste 3: Capital du prêt hypothécaire n° 3______ au 30 juin 2021.
Les commandements de payer, poursuite n° 1______ et poursuite n° 2______, adressés à B______ respectivement en sa qualité de débitrice et en sa qualité de tiers propriétaire, ont été frappés d'opposition par cette dernière.
i. Par requête du 1er juillet 2022 adressée au Tribunal, la A______ a conclu à la mainlevée provisoire des oppositions formées par B______, sous suite de frais et dépens.
Elle a notamment produit des avis d'échéance du prêt, dont ceux au 30 juin et au 31 décembre 2011 adressés à "C______ et B______", tandis que les suivants ont été adressés à "C______".
B______ a conclu au rejet de la requête, avec suite de frais et dépens. Elle s'est prévalue d'un abus de droit que la A______ aurait commis, détaillant sept circonstances à ce sujet: les intérêts hypothécaires avaient été régulièrement payés par C______ qui n'était pas en situation d'incapacité de régulariser la situation, aucun risque de crédit n'existait compte tenu de la situation financière favorable des G______, la valeur du gage n'avait pas diminué, la banque connaissait le conflit des G______ lié à leurs copropriétés immobilières et la condamnation de C______ à s'acquitter des intérêts amortissements et charges d'entretien de l'objet, l'existence d'un lien de connivence entre la banque et C______, et l'absence d'une mise en demeure avant la dénonciation des prêts hypothécaires en raison du défaut de paiement des échéances des 30 mars et 30 juin 2021.
Par avis du 8 novembre 2022, les parties ont été informées de ce que la cause serait gardée à juger sous vingt jours dès réception de la communication.
Par acte du 21 novembre 2022, la A______ a formé des allégués supplémentaires, en particulier celui selon lequel B______, qui était au bénéfice d'un accès au "service A______-net", avait reçu notification des avis, rappels et sommation qu'elle avait établis, a produit deux pièces nouvelles (affiliation au "service A______-net signé le 19 juillet 2005 par B______ et conditions d'utilisation de ce service) et persisté dans ses conclusions.
1. S'agissant d'une procédure de mainlevée, seule la voie du recours est ouverte (art. 319 let. a et 309 let. b ch. 3 CPC).
1.1.1 Le recours, écrit et motivé, doit être introduit auprès de l'instance de recours dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 251 let. a CPC et 321 al. 1 et 2 CPC).
La décision - rendue par voie de procédure sommaire (art. 251 let. a CPC) - doit être attaquée dans un délai de dix jours dès sa notification (art. 321 al. 2 CPC) par un recours écrit et motivé (art. 130 et 131 CPC), adressé à la Cour de justice.
1.1.2 En l'espèce, le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prévus par la loi. Il est ainsi recevable.
2. Dans le cadre d'un recours, l'autorité a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait (art. 320 CPC; Hohl, Procédure civile, Tome II, 2ème éd., 2010, n. 2307). En particulier, s'agissant d'une procédure de mainlevée provisoire, la Cour doit vérifier d'office si la requête est fondée sur un titre de mainlevée valable (arrêt du Tribunal fédéral 5P.174/2005 du 7 octobre 2005 consid. 2.1).
Le recours étant instruit en procédure sommaire, la preuve des faits allégués doit être apportée par titre (art. 254 CPC). Les maximes des débats et de disposition s'appliquent (art. 55 al. 1, 225 lit. a a contrario et 58 al. 1 CPC).
3. La recourante reproche au premier juge d'avoir retenu l'existence d'un abus de droit.
3.1 Selon l'art. 82 al. 1 LP, le créancier dont la poursuite se fonde sur une reconnaissance de dette constatée par acte authentique ou sous seing privé peut requérir la mainlevée provisoire.
Constitue une reconnaissance de dette au sens de cette disposition, en particulier, l'acte sous seing privé, signé par le poursuivi - ou son représentant (ATF
132 III 140 consid. 4.1.1 et les arrêts cités) -, d'où ressort sa volonté de payer au poursuivant, sans réserve ni condition, une somme d'argent déterminée, ou aisément déterminable, et exigible (ATF 145 III 20 consid. 4.1.1; 139 III 297 consid. 2.3.1 et la jurisprudence mentionnée).
Le poursuivi peut faire échec à la mainlevée en rendant immédiatement vraisemblable sa libération (art. 82 al. 2 LP). Il peut se prévaloir de tous les moyens de droit civil - exceptions ou objections - qui infirment la reconnaissance de dette (ATF 145 III 20 consid. 4.1.1 et la référence; 131 III 268 consid. 3.2).
L'abus de droit peut aussi être invoqué dans la procédure de mainlevée provisoire; ce moyen demeure toutefois exceptionnel dès lors que l'instruction des questions factuelles correspondantes est généralement incompatible avec la nature documentaire de la procédure de mainlevée (arrêt du Tribunal fédéral 5A_490/2019 du 19 août 2019 consid. 3.1).
Dans un rapport de crédit qui peut être dénoncé en tout temps, la dénonciation sans préavis par le prêteur peut être considérée comme un abus de droit, que le poursuivi doit rendre vraisemblable (Veuillet/Abbet, La mainlevée de l'opposition, 2ème éd. 2022 ad art. 82 n. 134).
3.2. En l'espèce, le Tribunal a retenu que la cédule produite avec l'acte de cession constituait un titre de mainlevée provisoire à l'égard de l'intimée, ce qui n'est à raison pas contesté.
L'unique argument opposé par l'intimée au prononcé de la mainlevée tient à l'exercice d'un abus de droit par la recourante.
Le premier juge a fait droit à cet argument, en retenant, parmi les sept circonstances invoquées par l'intimée, que la recourante avait entretenu des "contacts privilégiés" avec C______ et renvoyé l'intimée à s'informer par elle-même via son accès électronique au dossier bancaire, alors même que le conseil de celle-ci était intervenu auprès d'elle et qu'elle avait connaissance du "contentieux" existant entre les ex-époux en particulier s'agissant de la vente du domaine de F______ [commune de E______], enfin que les montants non réglés étaient faibles et qu'aucune sommation n'avait été adressée directement à l'intimée.
Il apparaît en effet que les avis d'échéance d'intérêts hypothécaires que la recourante a versés avec sa requête de mainlevée, hormis ceux de 2011, ne sont pas adressés à l'intimée. Le courrier de résiliation des crédits, qui a certes été dûment notifié à celle-ci ainsi qu'à C______, fait référence à divers entretiens entre ce dernier et la banque dont rien à la procédure n'indique qu'ils auraient été connus de l'intimée. S'il ne peut être affirmé que des "contacts privilégiés" auraient été entretenus par la banque avec le débiteur, il résulte des pièces susmentionnées à tout le moins une différence de traitement entre celui-ci et l'intimée, dont la justification n'a pas été exposée. Cette différence de traitement s'imposait d'autant moins que l'intimée avait à de multiples reprises requis de l'appelante qu'elle respecte à son endroit le devoir d'information qui lui incombait.
Pour le surplus, le motif de l'absence de sommation retenu par le Tribunal est incontesté; ce motif se révèle pertinent, dans l'appréciation de l'existence d'un abus de droit, comme l'enseigne la doctrine citée ci-dessus.
En définitive, au vu des circonstances particulières du cas d'espèce rappelées ci-dessus, le Tribunal était fondé à retenir l'existence d'un abus de droit commis par la recourante.
Il s'ensuit que le recours sera rejeté.
4. La recourante, qui succombe, supportera les frais de son recours, arrêtés à 2'250 fr. (art. 48, 61 OELP), compensés avec l'avance opérée, acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).
Elle versera en outre des dépens qui, quoi qu'il en soit de la valeur litigieuse, seront arrêtés à 2'500 fr. (art. 84, 85, 88, 89 RTFMC), l'intimée s'étant limitée à déposer une brève écriture de réponse, ne comportant pas de développements différents de ceux exposés en première instance.
* * * * *
La Chambre civile :
A la forme :
Déclare recevable le recours formé le 19 mai 2023 par A______ contre le jugement JTPI/4875/2023 rendu le 25 avril 2023 par le Tribunal de première instance dans la cause C/12568/2022-18 SML.
Au fond :
Rejette ce recours.
Déboute les parties de toutes autres conclusions.
Sur les frais :
Arrête les frais du recours à 2'250 fr., compensés avec l'avance opérée, acquise à l'ETAT DE GENEVE, et les met à la charge de A______.
Condamne A______ à verser à B______ 2'500 fr. à titre de dépens de recours.
Siégeant :
Madame Pauline ERARD, présidente; Madame Sylvie DROIN, Madame
Nathalie LANDRY-BARTHE, juges; Madame Mélanie DE RESENDE PEREIRA, greffière.
La présidente : Pauline ERARD |
| La greffière : Mélanie DE RESENDE PEREIRA |
Indication des voies de recours :
Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.
Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.