Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/725/2025 du 10.09.2025 ( RECUSE ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE PS/70/2025 ACPR/725/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 10 septembre 2025 |
Entre
A______, actuellement détenu à la prison de Champ-Dollon, représenté par Me Nicola MEIER, avocat, HAYAT & MEIER, place du Bourg-de-Four 24, case postale 3504, 1211 Genève 3.
requérant,
et
B______, juge, p.a. Tribunal correctionnel, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3,
cité.
EN FAIT :
A. a. Par acte déposé le 29 août 2025 au greffe universel, A______ requiert, par l'intermédiaire de son conseil, la récusation du juge B______ dans la procédure pénale P/1______/2022, dans laquelle lui-même est prévenu.
b. Le 1er septembre 2025, le magistrat a fait parvenir la requête précitée à la Chambre de céans, accompagnée du dossier de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Dans le cadre de la procédure P/1______/2022, A______ est renvoyé en jugement, par acte d'accusation du 27 juin 2025, pour enlèvement de mineur
(art. 220 CP), séquestration et enlèvement (art. 183 ch. 2 CP), insoumission à une décision d'autorité (art. 292 CP), violation du devoir d'assistance ou d'éducation
(art. 219 CP), contrainte (art. 181 CP), mise en circulation et réclame en faveur d'appareils d'écoute, prise de son et de prise de vues (art. 179sexies CP), violation du domaine secret ou du domaine privé au moyen d'un appareil de prise de vues
(art. 179quater CP), tentative de meurtre par dol éventuel (art. 111 CP cum 22 CP), violation fondamentale des règles de la circulation routière (art. 90 al. 3 et 4 LCR), dommages à la propriété (art. 144 CP), violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 CP), injure (art. 177 CP), empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 CP), et enfin voies de fait (art. 126 CP).
b. A______ a été arrêté le 25 mai 2025, puis placé en détention provisoire, régulièrement prolongée jusqu'au 26 juillet 2025. Il a été mis en détention de sûreté par ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) du
1er juillet 2025, jusqu'au 26 septembre 2025. A______ n'a pas recouru contre cette ordonnance.
c. La direction de la procédure désormais pendante devant le Tribunal correctionnel a été attribuée à B______. L'audience de jugement est fixée au 15 octobre prochain.
d. Depuis son renvoi en jugement, A______ a formé deux demandes de mise en liberté.
d.a. Il a déposé une première demande le 2 juillet 2025, que le juge cité a refusée et transmise au TMC, lequel l'a rejetée, par ordonnance du 14 juillet 2025.
À teneur du dossier, l'intéressé n'a pas recouru contre cette ordonnance.
d.b.a. A______ a déposé une nouvelle demande de mise en liberté le
18 août 2025. Il concluait, principalement à sa mise en liberté immédiate, subsidiairement au prononcé de mesures de substitution (obligation de se présenter à toute convocation du pouvoir judiciaire, obligation de résider à Genève chez sa mère, avenue 2______ no. ______, [code postal] C______ [GE], obligation de continuer son suivi psychothérapeutique auprès de la Dre D______, avec un contrôle hebdomadaire, obligation de se présenter au Service de la réinsertion et du suivi pénal [ci-après : SRSP] dans un délai à définir, obligation de suivre les règles ordonnées par ce service, dans le cadre du suivi des mesures de substitution, obligation de fournir au même service des attestations régulières quant au suivi des mesures de substitution, subsidiairement port d'un bracelet électronique, en sus des autres mesures proposées).
d.b.b. Le 21 août 2025, le juge cité a refusé la mise en liberté de A______ et transmis sa demande au TMC. Dans son ordonnance, il a retenu qu'il ressortait des prononcés antérieurs du TMC et de la Chambre de céans que les risques de fuite et de réitération retenus au fil du temps allaient "plutôt dans le sens d'une aggravation". Les multiples prononcés, notamment de mise en détention, étaient motivés par le non-respect par l'intéressé des mesures de substitution qui lui avaient été imposées. Le seul fait nouveau invoqué, depuis le prononcé du 14 juillet 2025, résidait dans le transfert en France du domicile de E______ et de leurs enfants, fait qui était "sans incidence" sur le risque de fuite retenu par le TMC moins d'un mois plutôt. Il l'était également sur le risque de réitération retenu de longue date. Enfin, les mesures de substitution proposées étaient comparables à celle ordonnées, sans succès, par le passé.
d.b.c. Par email du 22 août 2025, le TMC a transmis à A______, soit à son conseil, la prise de position du juge cité et celle – également négative – du Ministère public.
d.b.d. Par ordonnance du 28 août 2025, le TMC a refusé la mise en liberté de A______, considérant en particulier qu'aucune mesure de substitution n'était susceptible d'atteindre le but de la détention, au vu des risques retenus, relevant que le prévenu avait déjà été mis au bénéfice de mesures de substitution depuis le début de la procédure, mais n'avait pas su les respecter. Les mesures proposées étaient comparables à celles ordonnées par le passé, lesquelles n'avaient pas empêché, par exemple, que A______ se rendît à l'étranger et y demandât l'asile. Aucune mesure d'interdiction de contacter ses enfants – qu'il ne proposait d'ailleurs pas – ne pouvait être envisagée pour pallier le risque de récidive puisque ceux-ci n'étaient plus sur le territoire suisse. Le port d'un bracelet électronique n'était pas de nature à pallier les risques de fuite ni de récidive, puisqu'il n'empêcherait pas le prévenu de quitter la Suisse mais permettrait tout au plus de constater sa fuite après coup. Enfin, le suivi psychothérapeutique auprès de la Dre D______ ne l'avait pas non plus empêché de s'en prendre verbalement et physiquement à E______ le 28 mai 2025, de surcroît en présence de leur fils F______.
C. a. Dans sa requête, A______ expose avoir eu, à la lecture de l'ordonnance de la direction de la procédure du 21 août 2025, le sentiment que ses arguments n'avaient pas été véritablement entendus. Le raisonnement exprimé lui était "apparu comme figé, presque mécanique", fondé sur des références générales aux décisions passées, sans analyse individualisée, donnant ainsi l'impression d'une conviction déjà établie. Il avait pourtant présenté un élément nouveau (le déménagement en France de ses enfants et de leur mère), lequel éteignait le risque de collusion fondé sur la crainte d'un maintien des contacts prohibés ainsi que le risque de fuite, lui-même aspirant à reconstruire un lien avec ses enfants dans un cadre suivi et institutionnel. Qualifier cet élément nouveau de "sans incidence" consacrait une minimisation de ses efforts et un désintérêt à l'égard d'un "bouleversement" objectif de la situation. Il en allait de même des mesures de substitution proposées, lesquelles introduisaient, par rapport à celles précédemment proposées, un dispositif plus exigeant et mieux ancré. En affirmant le contraire, le juge cité avait ignoré la réalité des garde-fous concrets et vérifiables offerts. Cette "accumulation" nourrissait son inquiétude. Clamant son innocence dans un dossier sensible, la moindre apparence de prévention de la part du juge qui allait présider les débats suffisait à ébranler sa confiance dans le procès à venir.
b. À réception de la requête, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. La Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), est l'autorité compétente pour statuer sur une requête de récusation visant un magistrat d'un tribunal de première instance (art. 59 al. 1 let. b CPP).
1.2. En sa qualité de prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant dispose de la qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP).
2. 2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c’est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance
(ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.1 et 1B_601/2011 du 22 décembre 2011 consid. 1.2.1).
2.2. En l'espèce, dans la mesure où la demande de récusation est motivée par le contenu de la prise de position du juge mis en cause du 21 août 2025, communiquée à son conseil le lendemain, dont il indique avoir pris connaissance le 26 suivant, elle a été formée à temps, au sens qui vient d'être rappelé.
3. Le requérant reproche au cité une apprence de partialité à son encontre.
3.1.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention.
La procédure de récusation a pour but d'écarter un magistrat partial, respectivement d'apparence partiale afin d'assurer un procès équitable à chaque partie (ATF 126 I 68 consid. 3a; arrêt du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.3.2). Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 p. 162; 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74; arrêt 1B_25/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.2). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011).
Il y a prévention lorsque le magistrat donne l'apparence que l'issue du litige est d'ores et déjà scellée, sans possibilité de revoir sa position et de reprendre la cause en faisant abstraction de l'opinion précédemment exprimée (arrêt du Tribunal fédéral 1C_425/2017 du 24 octobre 2017 consid. 3.4). Un seul comportement litigieux peut suffire à démontrer une apparence de prévention, ce qu'il faut apprécier en fonction des circonstances (cf. l'arrêt 1C_425/2017 précité, consid. 3.3).
3.1.2. La fonction judiciaire oblige à se déterminer rapidement sur des éléments souvent contestés et délicats. Il appartient en outre aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre. La procédure de récusation n'a donc pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises notamment par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_305/2019 et 1B_330/2019 du 26 novembre 2019 consid. 3.4.1).
3.2. En l'espèce, nonobstant les griefs exposés dans la requête en récusation, on ne discerne pas, à la lecture de la prise de position du juge mis en cause, les motifs qui devraient nourrir l'inquiétude du requérant.
Il appartenait en effet au juge cité, en tant que direction de la procédure, de se déterminer sur la demande de mise en liberté qui lui était soumise puis, compte tenu de son refus, de transmettre la demande au TMC, en application de l'art. 230 al. 3 CPP. Si cette disposition ne prescrit pas à la direction de la procédure du tribunal de première instance de motiver sa décision (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du Code de procédure pénale, 3ème éd., 2025, note 10 ad art. 230 CPP; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, note 10 ad art. 230 CPP), elle ne l'interdit pas non plus, étant précisé que, selon la pratique genevoise, le refus de mise en liberté est usuellement motivé.
Le sentiment du requérant, de n'avoir pas été véritablement entendu, que le raisonnement du cité aurait été "figé" ou "mécanique", voire "fondé sur des références générales aux décisions passées, sans analyse individualisée", ne suffit pas à fonder un motif de récusation. L'élément nouveau qu'il affirme avoir présenté a bien été pris en compte, tant en lien avec le risque de fuite que de collusion. Les mesures de substitution proposées l'ont également été et appréciées en relation avec les éléments du dossier, en particulier de précédentes décisions, définitives, rendues au sujet de sa détention.
Que la demande de mise en liberté n'ait pas été admise et que la direction de la procédure en ait exposé les motifs, ne suffit pas à retenir un motif de récusation. Le faire reviendrait, en fin de compte, à permettre à chaque prévenu détenu de choisir la direction de sa procédure en suscitant de cette dernière une prise de position par le dépôt d'une demande de mise en liberté.
Au demeurant, le raisonnement du cité a été, en substance, repris par le TMC dans son ordonnance du 28 août 2025, et il appartient au requérant de contester cette ordonnance par les voies de droit s'il l'estime justifié.
Partant, aucune apparence de prévention ne peut en l'espèce être retenue à l'encontre du juge cité.
4. Faute de motif de récusation, la requête est infondée et doit être rejetée.
5. En tant qu'elle devait être écartée d’emblée, il n’y avait pas à demander au juge cité de prendre préalablement position, non plus qu’aux autres parties (arrêt du Tribunal fédéral 7B_1/2024 du 28 février 2024 consid. 5.2).
6. Le requérant, qui succombe, sera condamné aux frais de l'instance (art. 59 al. 4 CPP), fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 13 al. 1 let. b du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale ; RTFMP - E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette la demande de récusation.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure, arrêtés à CHF 1'000.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au requérant, soit pour lui son conseil, et à B______.
Siégeant :
Madame Valérie LAUBER, présidente; Madame Catherine GAVIN, Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Valérie LAUBER |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
PS/70/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- demande sur récusation (let. b) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |