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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9596/2025

ACPR/628/2025 du 11.08.2025 sur OMP/11013/2025 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : PROFIL D'ADN
Normes : CPP.255.al1bis

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9596/2025 ACPR/628/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 11 août 2025

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance d'établissement d'un profil d'ADN rendue le 7 mai 2025 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 19 mai 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 7 mai 2025, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil d'ADN.

Le recourant conclut, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif au recours et au bénéficie de l'assistance juridique, et, principalement, avec suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance précitée ainsi qu'à la destruction du prélèvement d'échantillon d'ADN.

b. Par ordonnance du 20 mai 2025 (OCPR/20/2025), la demande d'effet suspensif a été refusée.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, ressortissant suisse né en 1990, est prévenu de brigandage (art. 140 CP), menaces (art. 180 CP), contrainte (art. 181 CP), séquestration et enlèvement (art. 183 CP) et conduite sans autorisation (art. 95 LCR).

b. Il est soupçonné d'avoir, à Genève, le 27 avril 2025, aux environs de 22h00, à la hauteur du parking du cimetière de C______ [GE], no. ______ chemin 1______, de concert avec D______ et E______ :

- hélé F______ (ci-après, aussi, la victime), qui se rendait à un arrêt de tram, et forcé le précité à pénétrer, avec son chien, dans un véhicule de marque G______, immatriculé à Neuchâtel, en lui faisant une clé de bras;

- fouillé ses poches dans le but d'y trouver des objets ou valeurs à dérober;

- de l'avoir frappé à coups de poing au visage en lui disant qu'il avait intérêt à collaborer, faute de quoi ils allaient l'abandonner et le tuer, l'effrayant de la sorte;

- de lui avoir dérobé son téléphone portable, une casquette et EUR 10.-;

- demandé à F______ ses codes de cartes bancaires, de téléphone et l'endroit où se trouvaient ses valeurs, faute de quoi ils allaient tuer son chien, l'effrayant de la sorte;

- de l'avoir, pendant deux heures, entravé dans sa liberté de mouvement, en le menaçant et en le frappant pour l'empêcher de sortir du véhicule;

- conduit le véhicule susmentionné, sans autorisation, entre 22h00 et 23h50, alors qu'il n'était pas titulaire du permis de conduire requis.

c. A______ admet avoir conduit le véhicule – qui appartient à son père –, dans la soirée du 27 avril 2025. D______ et E______ avaient forcé la victime à entrer dans la voiture. Lui-même n'avait appris ce qui allait se passer que deux minutes avant que la victime arrive sur le parking. D______ lui avait dit de rouler et c'est ce qu'il avait fait. Lui-même n'avait pas touché la victime ni ne lui avait fouillé les poches. D______ avait crié sur la victime, lui réclamant l'argent que celle-ci lui devait. E______ et D______ avaient frappé la victime, et le second avait dit à celle-ci qu'il allait la tuer. Ils avaient réclamé à la victime le code de son téléphone portable et lui avaient demandé où se trouvait son argent. Lui-même avait commencé à avoir peur et avait continué à conduire en regardant devant lui. Il avait été menacé par D______ et E______.

d. Dans le cadre de l'enquête, la Brigade de police technique et scientifique a procédé à divers prélèvements dans l'habitacle du véhicule [cf. rapport d'arrestation du 29 avril 2025, page 6].

e. À teneur de l'extrait du casier judiciaire suisse, A______ a été condamné à six reprises : pour conduite d'un véhicule automobile sans permis de conduire (28 février 2017), incendie intentionnel, commission répétée (16 mars 2017), conduite d'un véhicule automobile malgré le retrait ou l'interdiction de l'usage (16 juillet 2019), diverses infractions à la LCR (24 octobre 2022, 20 novembre 2023 et 19 novembre 2024).

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a ordonné l'établissement du profil d'ADN de A______ sur la base de l'art. 255 al. 1bis CPP, au motif que "la prévenue [sic] a déjà été soupçonnée par la police d'avoir commis une infraction susceptible d'être élucidée au moyen de l'ADN (cf. liste des infractions mentionnées dans la directive A.5, art. 4) délit à la LStup (19 LStup), vol (139 CP), dommages à la propriété (144 CP), violation de domicile (186 CP)".

D. a. Dans son recours, A______ souligne que la motivation de l'ordonnance querellée faisait référence à une "prévenue", alors qu'il était un prévenu. Par ailleurs, il n'avait jamais été condamné pour les infractions listées dans l'ordonnance querellée [LStup, dommages à la propriété et violation de domicile], de sorte que l'établissement de son profil d'ADN ne pouvait être fondé sur de telles infractions. Aucun élément du dossier ne permettait de lui imputer le soupçon de tels actes. Or, les infractions qui lui étaient reprochées [brigandage, menaces, contrainte, séquestration et enlèvement] ne justifiaient pas l'établissement d'un profil d'ADN. En effet, il avait largement collaboré et admis les faits, en particulier d'avoir conduit le véhicule qui avait servi à l'enlèvement de F______, lequel avait confirmé qu'il [le recourant] n'avait pas directement participé au brigandage. Partant, les infractions objet de la présente procédure pouvaient être élucidées par d'autres moyens, notamment ses déclarations constantes et cohérentes confrontées à celles de la victime.

b. Dans ses observations sur le recours, le Ministère public admet une erreur dans la motivation de l'ordonnance litigieuse, dans la mesure où elle retenait des infractions ne figurant pas au casier judiciaire du prévenu. Toutefois, les faits reprochés à A______ étaient d'une gravité certaine. L'instruction étant en cours, l'établissement du profil d'ADN pourrait permettre d'élucider le crime ou le délit sur lequel portait la procédure (art. 255 al. 1 CPP), en particulier les art. 183 et 140 CP. Le prévenu ayant admis les faits, les charges étaient suffisantes, étant relevé que des mesures de substitution à la détention avaient été ordonnées [et levées dans l'intervalle] par le Tribunal des mesures de contrainte. Du reste, selon les renseignements de police, le prévenu avait été impliqué dans deux cas d'incendie intentionnels, en 2015 et 2016, justifiant également le prélèvement et l'établissement de l'ADN selon l'art. 255 al. 1bis CPP.

c. Le recourant réplique. Le Ministère public reconnaissait que la motivation de l'ordonnance querellée reposait sur une appréciation inexacte des faits, ce qui constituait une erreur. Or, une décision fondée sur une erreur de fait manifeste devait être qualifiée d'arbitraire. Le Ministère public procédait ensuite à une substitution de motifs, au stade de la réponse, procédé qui n'était pas possible. L'autorité aurait dû annuler sa décision, puis, éventuellement, en rendre une nouvelle. Au demeurant, le Ministère public alléguait désormais deux nouveaux arguments pour fonder sa décision : 1) l'utilité de la mesure et 2) les indices sérieux. S'agissant du premier, seul un prélèvement génétique avait été effectué, à l'intérieur du véhicule, de sorte qu'une comparaison d'ADN était inutile puisque la voiture appartenait à son père et qu'il ne contestait pas l'avoir conduite au moment des faits. Quant au second argument, son "implication" dans des incendies intentionnels remontait à plus de neuf ans et l'autorité n'avait pas jugé utile d'établir son profil d'ADN à l'époque. Les faits retenus contre lui dans la présente procédure n'avaient rien à voir avec un incendie. Partant, le Ministère public avait failli à démontrer l'existence d'indices sérieux et concrets de la commission d'autres crimes ou délits.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).


 

2.             Le recourant s'oppose à l'établissement de son profil d'ADN dans le cadre de la présente procédure.

2.1. Comme toute mesure de contrainte, le prélèvement d'un échantillon d'ADN et l'établissement d'un profil d'ADN sont de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst.) et à la protection contre l'emploi abusif de données personnelles (art. 13 al. 2 Cst. et 8 CEDH; ATF 147 I 372 consid. 2.2; 145 IV 263 consid. 3.4). Ces mesures doivent ainsi être fondées sur une base légale suffisamment claire et précise, être justifiées par un intérêt public et être proportionnées au but visé (cf. art. 36 al. 1 à 3 Cst., art. 197 al. 1 CPP; ATF 147 I 372 consid. 2.3.3).

2.2. Selon l'art. 255 CPP, l'établissement d'un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 7B_152/2023 du 2 juillet 2024 consid. 2.1.2).

De manière générale, le recours à l'analyse ADN se justifie notamment dans le cas de délits particulièrement graves contre la vie et l'intégrité corporelle, délits au cours desquels les auteurs et les victimes se heurtent avec violence, à strictement parler, et laissent ainsi des traces sur l'autre partie et sur l'environnement (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale - Petit commentaire, 3ème éd., Bâle 2025, N. 4 ad remarques préliminaires aux art. 255 à 25 CPP).

L'établissement d'un profil d'ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait être impliqué dans d'autres infractions, mêmes futures. Il doit toutefois s'agir d'infractions d'une certaine gravité (ATF 147 I 372 consid. 4.2; 145 IV 263 consid. 3.4; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_217/2022 du 15 mai 2023 consid. 3.1). Il convient à cet égard également de prendre en considération les éventuels antécédents du prévenu; l'absence d'antécédents n'empêche pas encore de prélever un échantillon et d'établir le profil d'ADN de celui-ci, mais il faudra tenir compte de cet élément dans la pesée d'intérêts à réaliser (ATF 145 IV 263 consid. 3.4 et les références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_259/2022 du 23 juin 2023 consid. 4.3; 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid. 2.2).

2.3. En l'espèce, selon l'ordonnance querellée, le Ministère public a ordonné l'établissement du profil d'ADN du recourant car des indices concrets laissaient selon lui penser que le précité pourrait avoir commis d'autres crimes et délits que ceux dont il est soupçonné dans la présente procédure (art. 255 al. 1bis CPP). Toutefois, la motivation de l'ordonnance querellée fait référence à "une prévenue" et à des antécédents d'infractions qui ne concernent pas le prévenu.

Devant la Chambre de céans, le Ministère public, tout en admettant que cette motivation procédait d'une erreur, estime que le recourant remplirait les conditions pour un établissement de son profil d'ADN tant sur la base de l'art. 255 al. 1bis CPP que pour permettre d'élucider les infractions qui lui sont actuellement reprochées (art. 255 al. 1 CPP), soit la séquestration et enlèvement, et le brigandage (art. 255 al. 1 CPP).

Dans ce contexte, c'est-à-dire en présence, premièrement, d'une ordonnance dont la motivation, à la suite d'une erreur, ne correspond pas à la situation du prévenu et, deuxièmement, d'une motivation du Ministère public, en réponse au recours, qui s'éloigne de celle qui semble avoir motivé l'ordonnance querellée, la Chambre de céans n'est pas à même de statuer sur le bien-fondé de l'ordonnance querellée. Il ne lui appartient pas non plus de trouver a posteriori, une justification pour des décisions prises par l'instance précédente (cf. ACPR/1000/2023 du 22 décembre 2023 consid. 4.4), à plus forte raison lorsque la motivation de la décision querellée est erronée.

3.             Compte tenu de ce qui précède, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il rende, le cas échéant, une nouvelle décision motivée (cf. ACPR/581/2025 du 31 juillet 2025).

4.             Au vu de l'issue du litige, les frais de la cause seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 1 CPP).

5.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade (cf. art. 135 al. 2 CPP) le défenseur d'office.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).