Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/12561/2024

ACPR/454/2025 du 13.06.2025 sur OCL/468/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;LÉSION CORPORELLE PAR NÉGLIGENCE;RÈGLE DE LA CIRCULATION;PIÉTON;CONDUCTEUR
Normes : CPP.319.al1.letb; CP.125.al1; LCR.26.al1; LCR.27.al1; LCR.31.al1; LCR.32.al1; LCR.33

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12561/2024 ACPR/454/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 13 juin 2025

 

Entre

A______ et B______, représentés par Me Yvan JEANNERET, avocat, KEPPELER Avocats, rue Ferdinand-Hodler 15, case postale 6090, 1211 Genève 6,

recourants,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 2 avril 2025 par le Ministère public,

et

C______, représenté par Me Marc OEDERLIN, avocat, NOMEA AVOCATS SA, avenue de la Roseraie 76A, case postale, 1211 Genève 12,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 14 avril 2025, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 2 avril 2025, notifiée le 4 suivant, par laquelle le Ministère public a classé la procédure ouverte à l'encontre de C______.

Ils concluent, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public afin, principalement, qu'il poursuive l'instruction et procède à divers actes d'enquête, qu'ils énumèrent ; subsidiairement, qu'il engage l'accusation à l'encontre de C______.

b. Les recourants ont versé les sûretés en CHF 1'200.- qui leur étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 10 novembre 2023, aux alentours de 14h00, C______ a percuté, au volant de son véhicule automobile de marque D______, accompagné de sa passagère, E______, les piétons A______ et B______, après qu’ils s'étaient engagés sur le passage pour piétons à la hauteur de l’intersection entre le no. ______, cours de Rive et le boulevard Helvétique, en direction de la rue Ferdinand-Hodler.

Ledit passage pour piétons est pourvu de signalisations lumineuses.

b. Il ressort des différents documents médicaux au dossier, qu'à la suite de cet accident, A______ a souffert d’une fracture du coude gauche, alors que B______ a souffert de deux fractures du pied droit et d’un traumatisme crânien simple occipital.

c. Selon le rapport de renseignements du 21 novembre 2023, à l'arrivée de la police sur les lieux, A______ et B______ recevaient les soins prodigués par les ambulanciers. C______, E______ et F______ – témoin – attendaient à proximité. Le véhicule de C______ se trouvait à son point d’arrêt après le heurt. Aucune trace de freinage ou de ripage n’était visible sur la chaussée.

La vitesse maximale autorisée sur ce tronçon – qui consistait en une ligne droite – était de 50 km/h. Ce jour-là, les conditions météorologiques étaient bonnes, la route était sèche et la visibilité normale.

D’après les éléments recueillis sur place et les déclarations des personnes présentes sur les lieux, C______ venait du parking de Rive. Il circulait sur la voie de droite du boulevard Helvétique en direction de la rue Ferdinand-Hodler. Les images des caméras de la Centrale de Vidéo Protection (ci-après : CVP) de la police indiquaient que la signalisation lumineuse était au vert pour lui. Il s’était avancé à la hauteur du cours de Rive. A______ et B______ avaient traversé le passage pour piétons de droite à gauche par rapport au sens de marche de C______. Ils n’avaient pas respecté la signalisation lumineuse qui était au rouge pour les piétons. Ils s’étaient "soudainement" retrouvés devant C______ qui n’avait pas pu éviter le heurt. L’avant-droit de son véhicule les avait percutés, provoquant leur chute et leurs blessures.

Sont joints au rapport les vidéos de la CVP, divers clichés pris le jour de l’accident et un croquis.

c.a. Il ressort en outre des images de vidéosurveillance n° 1______ et 2______ qu'un piéton s'était arrêté sur le côté droit de la chaussée du feu de signalisation que C______ avait ensuite franchi. Ce dernier était suivi par d'autres véhicules qui avaient également traversé ledit feu. Après l'accident, il s'était directement arrêté et avait rejoint les victimes.

c.b. Les divers clichés et le croquis montrent que le choc a eu lieu approximativement au milieu du passage pour piétons.

d. Le 22 décembre 2023, A______ et B______ ont déposé plainte contre C______ pour lésions corporelles par négligence (art. 125 CP). Ils avaient été renversés alors qu'ils traversaient le passage pour piétons, "la question de la couleur du feu à cet instant étant totalement ouverte".

e. Le 20 août 2024, le Ministère public a rendu une ordonnance de non-entrée en matière contre laquelle A______ et B______ ont recouru le 2 septembre 2024. Le 2 octobre 2024, le Ministère public a indiqué ouvrir une instruction au regard des arguments évoqués par les plaignants. Par arrêt ACPR/717/2024 du 8 octobre 2024, la Chambre de céans a en conséquence déclaré le recours sans objet.

f. Le 4 décembre 2024, la police a procédé à plusieurs auditions :

f.a. C______ a contesté les faits qui lui étaient reprochés. Il était sorti du parking de Rive pour s’engager sur la voie de circulation du milieu du boulevard Helvétique en direction de la rue Ferdinand-Hodler. Il n’avait pas marqué de temps d’arrêt avant de franchir l’intersection entre le boulevard Helvétique et le cours de Rive, son feu de signalisation étant au vert, ce qu'il avait bien vérifié. Il avait entamé sa présélection sur la voie de gauche afin de s’engager par la suite sur la rue Ami-Lullin. Le passage pour piétons situé après le carrefour avec le cours de Rive était régulé par un feu de signalisation. Sa phase était au rouge au moment de son passage, car une piétonne attendait sur l’îlot central. De façon inattendue, deux piétons avaient heurté le côté droit de son véhicule automobile. Il roulait lentement et il s’était arrêté sur une courte distance.

f.b. E______ a déclaré que C______, dont elle était la passagère, s’était engagé à la sortie du parking de Rive sur le boulevard Helvétique. Elle était certaine que le feu de signalisation était au vert pour l'automobiliste sinon elle "aurait crié pour l'avertir". Celui-ci avait franchi l’intersection du cours de Rive et s’était mis en ordre de présélection sur la voie de gauche. Une collision était alors survenue avec deux piétons. C______ avait circulé normalement, sa vitesse ne l’avait pas choquée. Il conduisait toujours prudemment. Elle n’avait pas vu la couleur du feu de signalisation pour les piétons mais elle avait remarqué que d’autres personnes attendaient sur le trottoir pour traverser.

f.c. F______ a déclaré avoir assisté à l’accident. Elle se trouvait sur le trottoir du boulevard Helvétique, à la hauteur du n°21, à l’angle avec le cours de Rive. Elle attendait pour traverser en direction de la rue Adrien-Lachenal. Le feu de signalisation pour les piétons était au rouge. Un homme et une femme étaient passés à côté d’elle et avaient traversé alors que le feu était rouge. Ils marchaient tranquillement. À la moitié du passage pour piétons, ils s’étaient faits heurter par un véhicule automobile arrivant de leur gauche. L’automobiliste ne circulait pas vite, sans qu'elle pût estimer sa vitesse. Tout cela s’était déroulé très vite.

g. Selon un rapport de renseignements du 4 décembre 2024, à la suite d’un « énième » visionnage des images issues de la caméra de vidéosurveillance n° 2______, la police était « catégorique » sur le fait que C______ avait franchi l’intersection entre le boulevard Helvétique et le cours de Rive à la phase lumineuse verte. A______ et B______ avaient donc traversé le passage pour piétons alors que leur feu de signalisation était au rouge.

h. Le 11 mars 2025, le Ministère public a tenu une audience de confrontation.

h.a. B______ a confirmé sa plainte pénale. Elle se rendait avec son époux au domicile de leur fils afin de voir leur petit-fils. Ils avaient beaucoup de bagages et leurs mains étaient occupées. Elle était passée chez l’opticien situé à l’angle entre le cours de Rive et le boulevard Helvétique. Elle était ensuite arrivée devant le passage pour piétons. Son époux la devançait. Ils étaient en première ligne et elle ne pensait donc pas avoir dépassé qui que ce soit. Ils avaient commencé à marcher calmement avant d'être heurtés mais elle ne se souvenait plus de grand-chose. Elle n'avait pas le souvenir d'avoir regardé le feu de signalisation. Elle avait suivi son époux en lui faisant confiance.

h.b. A______ a confirmé sa plainte pénale. Avant d’arriver à l’intersection entre le cours de Rive et le boulevard Helvétique, ils avaient traversé plusieurs passages pour piétons. Il avait trouvé les automobilistes polis car ils s’étaient systématiquement arrêtés pour les laisser passer. Pendant que son épouse était chez l’opticien, il avait observé les va-et-vient. Ils avaient ensuite commencé à traverser le passage pour piétons avant de se faire projeter en l'air au milieu de celui-ci. Il n’avait entendu ni klaxon ni freinage. Il n’avait pas vu la voiture. Il ne se souvenait pas avoir regardé le feu de signalisation, respectivement la couleur de celui-ci. Il avait pu être trompé par le fait que les autres passages pour piétons qu’il avait empruntés n’avaient pas de feux de signalisation. Ils connaissaient les lieux pour avoir emprunté ce chemin à de nombreuses reprises. Il pensait donc avoir automatiquement "scanné" les environs avant de traverser.

h.c. C______ a confirmé ses déclarations à la police. La couleur de son feu de signalisation était au vert et un motocycle l’avait franchi avant lui. Il était concentré sur la route. Il roulait à une vitesse d’environ 12km/h. Il avait vu, sur sa gauche, une personne qui attendait au passage pour piétons, et sur sa droite, quelques personnes qui remontaient la rue sans la traverser. A______ et B______ étaient arrivés très rapidement. Il les avait vu courir au maximum deux mètres avant l’impact, et il était trop tard pour faire une manœuvre d'évitement.

h.d. F______ a confirmé ses déclarations à la police. Une voiture était arrivée à faible allure. Deux piétons avaient été heurtés mais cela s’était passé très vite. Il n’y avait eu qu’une fraction de seconde entre le moment où les piétons s’étaient engagés sur la chaussée et celui où ils avaient été percutés.

Elle n’avait pas appelé la police, mais lorsque celle-ci avait demandé aux témoins de rester et aux curieux de partir, elle avait été la seule à demeurer sur place.

h.e. E______ a confirmé ses déclarations à la police. Avant le choc, C______ n’avait pas accéléré et elle n’avait pas vu A______ et B______. Elle avait remarqué, sur sa droite, des piétons attendre au passage pour piétons. C______ n’aurait pas pu éviter les piétons et il lui avait dit ne pas les avoir vus avant l’impact.

i. Dans son avis de prochaine clôture de l’instruction du 17 mars 2025, le Ministère public a informé les parties de son intention de classer la procédure, leur impartissant un délai pour formuler leurs éventuelles réquisitions de preuve et/ou demandes d’indemnité.

j. Par lettre du 31 mars 2025, C______, par l’intermédiaire de son conseil, a informé le Ministère public qu’il n’entendait pas demander d’acte d’instruction supplémentaire.

k. Par courrier du même jour, A______ et B______, par l’intermédiaire de leur conseil, ont sollicité la production du rapport de coordination des feux de circulation de la direction générale du trafic (ci-après : DGT), l’audition de la personne qui avait contacté les centrales d’urgence (117/144) et la réalisation d’une expertise technique de circulation.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public considère qu'il n'y a pas lieu d'ordonner un rapport de coordination des feux de circulation. La police avait visionné à plusieurs reprises les images de vidéosurveillance. Le feu de circulation de C______ était au vert. F______ – dont l'impartialité n'était pas remise en cause – avait indiqué que le feu des piétons était au rouge avant, pendant et après l'impact. Il n'avait jamais été question du fait que lesdits feux n'auraient pas fonctionné correctement. L'audition de la personne ayant appelé les secours – si tant était qu'elle existât, le dossier ne faisant état d'aucun appel – n'était d'aucune utilité. Cette personne n'avait pas obligatoirement vu l'accident et elle ne s'était pas manifestée auprès de la police. L'expertise technique de circulation permettrait de n'établir que des hypothèses fondées sur des suppositions de vitesse et de calculs, alors même qu'il était certain, à ce stade, que C______ était passé au vert et que A______ et B______ avaient traversé au rouge, sans prêter aucune attention à la circulation.

Sur le fond, les éléments constitutifs de l'infraction de lésions corporelles par négligence (art. 125 CP) n'étaient pas réunis (art. 319 al. 1 let. b CPP). C______ conduisait, aux dires des différentes personnes entendues et à la vue des images de vidéosurveillance, à une vitesse adaptée, en respectant la phase lumineuse du feu de circulation. F______ avait affirmé que les plaignants avaient traversé le passage pour piétons alors que leur feu de signalisation était au rouge. B______ n'avait pas prêté attention audit feu car elle faisait confiance à son mari. A______ n'avait pas remarqué que le passage pour piétons était muni d'un feu de signalisation, respectivement que F______ attendait sur le trottoir. Il s'était engagé sur ledit passage en étant confiant et très à l'aise. Il avait peut-être été trompé par le fait d'avoir préalablement traversé d'autres passages piétons qui n'étaient pas régulés et où les véhicules les avaient laissés passer. Dans ces circonstances, le comportement de B______ et A______ constituait un évènement imprévisible gravement fautif, qui s'imposait comme la cause la plus probable et immédiate de l'accident.

D. a. Dans leur recours, B______ et A______ reprochent au Ministère public d'avoir rejeté à tort leurs réquisitions de preuve. Ils persistaient à considérer que leur feu de signalisation était vert lorsqu'ils avaient traversé. Les images de la caméra n°2______ ne permettaient pas de déterminer la couleur dudit feu ni celui de C______. Les enregistrements de vidéosurveillance n° 1______ montraient que des piétons avaient emprunté le passage pour piétons situé devant la voie de circulation de C______ quelques secondes avant l'impact. Un rapport de coordination des feux permettrait ainsi de déterminer, de manière exacte, quelle était la couleur des signalisations lumineuses. F______ n’avait pas été entièrement attentive au moment des faits car elle était au téléphone avec son fils. Elle avait été profondément choquée par l’accident. Elle avait été confrontée par les policiers à des éléments de l’enquête avant son audition. La littérature scientifique démontrait que la mémoire était reconstructive et que des informations données à un stade précoce des investigations influençaient les déclarations ultérieures. E______ était la compagne de C______ et son témoignage était donc partial. Les personnes qui avaient contacté les centrales d’urgence devaient donc être auditionnées, respectivement les enregistrements desdites centrales versés à la procédure. L’instruction s’était cantonnée uniquement à la question de la couleur des feux de signalisation. Une expertise technique de circulation permettrait de fournir des éléments sur le niveau d’attention de C______ au moment des faits et le caractère potentiellement évitable de l’accident, en vue d’évaluer les possibilités d’évitement spatial et temporel de l’impact.

Le Ministère public avait également constaté les faits de manière incomplète et erronée. Ils n'avaient pas admis avoir traversé le passage pour piétons sans prêter attention à la circulation. F______ avait indiqué ne pas avoir vu le véhicule conduit par C______ avant le heurt et les images de vidéosurveillance démontraient que ce dernier avait accéléré avant l'accident. Le Ministère public n'avait pas relevé les incohérences dans le récit de C______ qui avait notamment indiqué – à la police – les avoir vus courir sur le passage pour piétons puis – au Ministère public – ne pas les avoir aperçus avant l'impact.

Le Ministère public avait finalement rendu une ordonnance de classement en violation du principe "in dubio pro duriore". L'instruction n'avait pas porté sur l'attention de C______ au moment du heurt, ni sur la possibilité pour lui d'éviter l'accident. Il se trouvait en première position sur sa voie. La météo était bonne. Il avait une pleine et entière visibilité. Malgré cela, il avait été incapable de les voir, alors qu'ils avaient déjà traversé les deux tiers du passage pour piétons lors de l'impact. Il avait donc été inattentif au moment de l'accident, puisqu'il aurait dû surveiller sa propre voie de circulation ainsi que les abords de la route. Le Ministère public tenait pour établi qu'il avait roulé à une vitesse de 12 km/h avant le heurt. Sur les bases de calculs issus d'arrêts du Tribunal fédéral, sa distance de freinage était de 3.71 mètres. Le carrefour où l'accident s'était produit faisait plus de 30 mètres. Il disposait donc d'une distance suffisante pour s'arrêter plusieurs fois ou entreprendre une quelconque manœuvre afin d'éviter l'impact, ce qu'il n'avait pas fait. Le comportement fautif de C______ apparaissait ainsi comme l'unique cause de l'accident.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des plaignants qui, parties à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), ont qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Les recourants se plaignent d'une constatation inexacte des faits.

Dès lors que la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP; ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), les éventuelles constatations incomplètes ou inexactes du Ministère public auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-devant.

Partant, ce grief sera rejeté.

4.             Les recourants contestent la réalisation des conditions du classement.

4.1.  En application de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, le Ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore", qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 1 CPP en relation avec les art. 309 al. 1, 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2) et signifie qu'en principe, un classement ne peut être prononcé que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1).

4.2.  L'art. 125 al. 1 CP réprime, sur plainte, le comportement de quiconque, par négligence, fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé. Elle suppose la réalisation de trois conditions : une négligence, une atteinte à l'intégrité physique et un lien de causalité naturelle et adéquate entre ces deux éléments.

4.3.  Agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L’imprévoyance est coupable quand l’auteur n’a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle (art. 12 al. 3 CP).

4.3.1. Deux conditions doivent être remplies pour qu'il y ait négligence.

En premier lieu, il faut que l'auteur viole les règles de la prudence, c'est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d'autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. Un comportement dépassant les limites du risque admissible viole le devoir de prudence s'il apparaît qu'au moment des faits, son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d'autrui. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut donc se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l'auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. L'attention et la diligence requises sont d'autant plus élevées que le degré de spécialisation de l'auteur est important (ATF 138 IV 124 consid. 4.4.5). Lorsque des prescriptions légales ou administratives imposent un comportement déterminé pour assurer la sécurité et prévenir les accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d'associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence. Dans le domaine du trafic routier, il convient de se référer aux règles de la circulation routière (ATF 122 IV 133 consid. 2a).

En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c'est-à-dire qu'il faut pouvoir reprocher à l'auteur une inattention ou un manque d'effort blâmable (ATF 145 IV 154 consid. 2.1).

4.3.2. Selon l'art. 26 al. 1 LCR, chacun doit se comporter, dans la circulation, de manière à ne pas gêner ni mettre en danger ceux qui utilisent la route conformément aux règles établies.

La jurisprudence a déduit de cette règle le principe de la confiance, selon lequel l'usager de la route qui se comporte réglementairement est en droit d'attendre des autres usagers, aussi longtemps que des circonstances particulières ne doivent pas l'en dissuader, qu'ils se comportent également de manière conforme aux règles de la circulation, c'est-à-dire ne le gênent pas ni ne le mettent en danger (ATF 143 IV 500 consid. 1.2.4). Seul celui qui s'est comporté réglementairement peut invoquer le principe de la confiance. Celui qui viole des règles de la circulation et crée ainsi une situation confuse ou dangereuse ne peut pas attendre des autres qu'ils parent à ce danger par une attention accrue (ATF 143 IV 500 consid. 1.2.4).

Le conducteur est fondé à croire que le piéton se conformera à son devoir de prudence qui commande d'observer et d'attendre. Cependant, en présence d'indices concrets d'un comportement incorrect du piéton, reconnaissables pour celui qui fait preuve de l'attention requise, le conducteur doit faire tout son possible pour éviter une collision (ATF 129 IV 39 consid. 2.2). Si le piéton commet une faute qui pourrait créer un risque d'accident, le conducteur devra faire tout son possible pour que le dommage ne se produise pas, que ce soit grâce au freinage, à une manœuvre d'évitement ou à un avertissement. Si la collision est inévitable, il doit réagir immédiatement en faisant en sorte que le danger pour la vie et l'intégrité corporelle soit, sinon exclu, à tout le moins diminué (ATF 115 II 283 consid. 1a).

4.3.3. Au sens de l'art. 27 al. 1 LCR, chacun se conformera aux signaux. L'art. 68 al. 2 de l'ordonnance sur la signalisation routière (OSR – RS 741.21) indique que le feu vert signifie route libre. Si les feux lumineux ne déchargent pas l'usager de toute obligation de prudence, celui-ci peut néanmoins accorder une confiance accrue à cet indicateur et, si le feu est vert, il ne doit en principe pas encore vérifier que la voie est effectivement libre (arrêt du Tribunal fédéral 6P_148/2006 du 24 novembre 2006 consid. 7.2.1). L'art. 68 al. 7 OSR prévoit que les piétons ne peuvent emprunter la chaussée que si le feu qui leur est réservé est vert. Si le feu rouge s'allume sans transition, les piétons se trouvant déjà sur la chaussée doivent la quitter sans délai.

4.3.4. Selon l'art. 31 al. 1 LCR, le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence. L'art. 3 al. 1 de l'ordonnance sur les règles de la circulation routière (OCR – RS 741.11) précise que le conducteur vouera son attention à la route et à la circulation. Le degré de ladite attention s'apprécie au regard des circonstances d'espèce, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l'heure, la visibilité et les sources de danger prévisibles (ATF 137 IV 290 consid. 3.6). Concernant la visibilité, le conducteur doit embrasser du regard toute la chaussée et non pas seulement ce qui se passe directement devant lui sur l'espace de route correspondant à la longueur de sa voiture (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. MIZEL / O. RISKE, Code suisse de la circulation routière commenté, 5ème éd. 2024, n. 2.4.1 ad art. 31 LCR).

4.3.5. À teneur de l'art. 32 al. 1 LCR, la vitesse doit toujours être adaptée aux circonstances, notamment aux particularités du véhicule et du chargement, ainsi qu'aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité. Une vitesse n'est pas nécessairement inadaptée parce qu'il n'a pas été possible de s'arrêter avant un obstacle. Ce qui compte, c'est de savoir si le conducteur a réglé sa vitesse de façon à pouvoir s'arrêter sur l'espace qu'il a reconnu libre, c'est-à-dire sur l'espace où il ne voit aucun obstacle et où il ne doit pas s'attendre à en voir surgir un (ATF 103 IV 41 consid. 4).

4.3.6. En vertu de l'art. 33 LCR, le conducteur facilitera aux piétons la traversée de la chaussée (al. 1). Avant les passages pour piétons, le conducteur circulera avec une prudence particulière et, au besoin, s'arrêtera pour laisser la priorité aux piétons qui se trouvent déjà sur le passage ou s'y engagent (al. 2).

L'art. 33 LCR ne concerne pas les passages commandés par des signaux lumineux à feux changeants (art. 1 al. 9 et 6 al. 2 OCR ; ATF 92 IV 210 consid. 2). Les signaux lumineux priment les règles générales de priorité, les signaux de priorité et les marques routières (art. 27 al. 1 LCR et 68 al. 1 OSR). Ainsi, le conducteur n'est pas tenu d'adopter une allure modérée compatible avec une priorité du piéton, tant que les feux sont verts pour le véhicule. Aussi longtemps que le feu demeure vert, il n'a pas à tenir compte des passages pour piétons – dont la sécurité est suffisamment garantie par les feux (ATF 92 IV 210 consid. 2). Si néanmoins le piéton entre dans le passage, tout ce que l'on peut demander au conducteur, c'est qu'il réagisse de façon adaptée aux circonstances pour chercher à éviter l'accident (ATF 95 II 184 consid. 4).

4.4.  Un rapport de causalité entre la violation fautive du devoir de prudence et les lésions de la victime doit également exister. Il y a rupture du lien de causalité adéquate, l'enchaînement des faits perdant sa portée juridique, si une autre cause concomitante – par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou celui d'un tiers – propre au cas d'espèce constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l'on ne pouvait pas s'y attendre. Cependant, cette imprévisibilité de l'acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu'il s'impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'événement considéré, reléguant à l'arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l'auteur (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2).

4.5.  En l'espèce, rien ne permet de conclure que le mis en cause aurait violé les règles de la prudence en matière de circulation routière.

La version du prévenu, selon laquelle il aurait circulé à l’intersection boulevard Helvétique – cours de Rive alors que le feu de signalisation était au vert, est corroborée par le témoignage de sa passagère, mais aussi par une piétonne qui s'apprêtait à emprunter le même passage pour piétons que les plaignants, les rapports de police ainsi que les images de vidéosurveillance. Il en ressort en particulier que d'autres véhicules ont franchi le feu à la suite du prévenu, et qu'un piéton attendait à cet endroit sur le côté droit de la chaussée du feu de signalisation franchi par le prévenu.

De plus, dans la mesure où le passage pour piétons était régulé par un feu de signalisation, il n'était pas attendu de lui qu'il ralentît ou s'arrêtât afin de céder la priorité aux plaignants, surtout car les conditions routières ne commandaient pas de telles mesures de précaution. Le prévenu semble au demeurant avoir été suffisamment attentif à l'approche dudit passage, alléguant, sans pouvoir être contredit, avoir regardé la route et aperçu, à gauche, une piétonne sur l'îlot central et, à droite, des personnes longeant la rue sans la traverser.

En outre, il n'apparaît pas que la vitesse du conducteur, limitée à 50km/h sur le tronçon en cause, aurait été excessive ou inadaptée avant le choc. Ce dernier a estimé sa vitesse à "12km/h environ". Ses dires sont corroborés par les auditions des deux témoins, qui ont estimé qu'il ne circulait pas vite, et par les images de vidéosurveillance, lesquelles le montrent roulant à faible allure.

En tout état, la question de la violation fautive d'une règle de prudence – au demeurant douteuse – par le conducteur peut être laissée indécise, dès lors qu'il apparait que le comportement des victimes a joué un rôle prépondérant dans l'accident qui s'est produit. Il est ainsi nécessaire de déterminer si un automobiliste se conformant aux règles de la prudence devait s'attendre à ce que les intéressés se trouvent soudainement sur le passage pour piétons, et qu'il eût pu de la sorte éviter la collision, sur un tronçon rectiligne, de jour, dans de bonnes conditions météorologiques et à proximité de locaux commerciaux.

En elle-même, la présence de piétons au bord de la chaussée, en ville, n'a rien de surprenant. Toutefois, F______ a déclaré que les recourants s'étaient engagés sur le passage pour piétons alors que leur feu de signalisation était au rouge. Aucun élément au dossier ne permet de mettre en doute sa crédibilité, étant relevé qu'elle n'avait aucun lien avec les protagonistes impliqués dans l'accident. Ses déclarations précises et circonstanciées sont corroborées par les allégations du prévenu selon lesquelles une piétonne attendait, sur sa gauche, sur l'îlot central.

De plus, l'absence de traces de freinage et de klaxon du véhicule en cause, selon le rapport de police du 21 novembre 2023, est de nature à corroborer la survenance inopinée des deux plaignants. Le prévenu ne semble ainsi pas avoir été en mesure d'effectuer une quelconque manœuvre d'évitement. La témoin-piéton a d'ailleurs indiqué qu'il n'y avait eu "qu'une fraction de seconde entre le moment où les piétons s’étaient engagés sur la chaussée et celui où ils avaient été percutés".

En outre, la recourante a admis avoir fait confiance à son époux au moment de traverser le passage pour piétons et le recourant a reconnu ne pas avoir regardé le feu de signalisation, respectivement la couleur du signal lumineux avant d'emprunter ledit passage, alors que tous deux connaissaient ce chemin pour l'avoir emprunté à de nombreuses reprises.

Ces comportements des plaignants sont constitutifs de violations des règles de prudence applicables en matière de circulation routière, de telle manière qu'ils ne sauraient exiger du mis en cause qu'il parât au danger ainsi créé.

Il s'ensuit que, même en présence d'une violation fautive d'une règle de prudence par le mis en cause, le comportement des recourants était non seulement fautif mais également prépondérant, de telle manière qu'il semble s'imposer comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l'évènement considéré.

Aucune des mesures d'instruction qu'ils sollicitent ne permettrait d'aboutir à un constat différent. Le rapport de coordination des feux de la DGT n'amènerait aucun élément supplémentaire quant à la couleur des signalisations lumineuses, cette dernière ayant déjà été suffisamment établie par d'autres éléments du dossier, tels que les versions concordantes de plusieurs personnes, les rapports de police et les images de vidéosurveillance. On ne voit pas en quoi l'audition d'autres témoins – pour peu qu'ils existent étant donné que le dossier ne fait état d'aucun appel téléphonique aux centrales d'urgence et que F______ a été la seule à demeurer sur place lorsque la police a demandé aux témoins de rester – serait utile à l'enquête, celle-là ayant été un témoin direct des faits en se trouvant à proximité de l'accident. Il en va de même pour l'expertise technique de circulation, le dossier comportant suffisamment d'éléments matériels établissant de manière satisfaisante les circonstances de l'accident, soit notamment les rapports de police, les clichés des lieux pris le jour même et le croquis de l'accident. Partant, les faits ont été suffisamment instruits pour exclure la réalisation des éléments constitutifs de l'infraction de lésions corporelles par négligence (art. 125 CP).

Le Ministère public était dès lors fondé à ne pas donner suite aux réquisitions de preuve et à classer la procédure sur la base de l'art. 319 al. 1 let. b CPP.

5.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

6.             Les recourants, qui succombent, supporteront les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

7.             Corrélativement, aucun dépens ne leur sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ et B______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'200.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ et B______, soit pour eux leur conseil, à C______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Madame Valérie LAUBER et Monsieur Vincent DELALOYE, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).


 

P/12561/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'105.00

Total

CHF

1'200.00