Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/174/2025 du 28.02.2025 sur ONMMP/5671/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/23332/2023 ACPR/174/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 28 février 2025 |
Entre
A______, domiciliée ______ [GE], agissant en personne,
recourante,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 17 décembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 24 décembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 17 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.
La recourante conteste cette ordonnance.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier et de la P/1______/2023, versée à la procédure :
a. Le 14 août 2023, A______ a sollicité du Ministère public une "mesure d'instruction urgente: demande de conservation de vidéo-surveillances".
Le 9 précédent, alors qu'elle se trouvait sur un passage piéton au carrefour des Esserts, au Petit-Lancy, le conducteur d'une voiture avait accéléré, puis donné un coup de volant dans sa direction, passant "extrêmement près" d'elle. En raison de son "état de choc", elle n'avait pas noté le numéro de plaque, ni mémorisé la marque ou la couleur du véhicule. Par téléphone, la police lui avait conseillé de déposer une main courante, ce qu'elle avait fait au poste de "B______", le 13 août 2023. Elle n'avait "dû signer aucun document". Pour obtenir les images de vidéosurveillance du lieu, elle s'était ensuite rendue au poste de C______ dans le but de déposer une plainte mais, ayant été "très mal reçue", elle était repartie sans le faire.
b. Dans une note du Procureur du 6 septembre 2023, portant la référence P/1______/2023, il est stipulé que :
- A______ n'avait pas déposé de main courante;
- renseignements pris auprès du "CVP" (Centre Vidéo Police), aucune image du carrefour n'était disponible;
- des images des axes à proximité avaient été visionnées mais aucun véhicule correspondant à la description de A______ n'avait pu être identifié;
- le 13 août 2023, la précitée avait quitté le poste de police avant de déposer plainte.
c. Le 16 janvier 2024, le Ministère public a résumé le contenu de cette note à A______, expliquant que faute d'identification du véhicule concerné, il avait mis fin à la procédure.
d. Le 24 octobre 2023, A______ a déposé plainte contre "le policier portant le matricule 2______ ainsi que ses collègues lui ayant porté assistance" pour contrainte et entrave à l'action pénale.
En substance, lors de sa venue au poste de C______, ledit policer avait tenté, "de multiples façons", de la dissuader de porter plainte et avait "catégoriquement" refusé d'enregistrer celle-ci. Pour étayer ses dires, "n'ayant pas de témoin", elle sollicitait du Ministère public la conservation des images de vidéosurveillance du poste de police.
Cette plainte a été enregistrée sous le numéro de procédure P/23332/2023.
e. Selon un résumé établi par A______ de sa "tentative de dépôt de plainte" du 13 août 2023, les images de vidéosurveillance de "la scène" relative aux faits du
9 août 2023 avaient été visionnées par la police sur le moment mais elle avait été informée que celles-ci ne permettaient pas de voir l'incident litigieux. Face à ce constat, le policier au matricule 2______ lui avait expliqué que le dépôt d'une plainte s'avérerait vain, faute du moindre élément permettant d'identifier le véhicule. Pour la dissuader, il avait usé de "la culpabilisation" et "la déstabilisation". Des "ébauches" de plaintes avaient néanmoins été rédigées, mais elle les avait fait modifier pour corriger ou compléter certains points. Face à son insistance pour rajouter le lieu précis de l'incident, le policier avait "catégoriquement" refusé d'ajouter plus de détails que le carrefour des Esserts. Face à ce refus, elle avait demandé de l'aide aux autres policiers présents mais l'un d'eux lui avait déclaré qu'elle leur faisait "perdre un temps précieux". Le policier au matricule 2______ l'avait alors "défiée" de porter plainte contre lui.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'aucune infraction ne pouvait être reprochée aux policiers qui avaient reçu A______. Qu'ils eussent essayé de la dissuader de déposer plainte n'était "pas incongru": la précitée n'avait aucun élément pour identifier le véhicule mis en cause et il était acquis qu'il n'existait pas d'image de l'incident. Enfin, faute de toute autre conséquence que la "frayeur" éprouvée par A______, une enquête approfondie, avec appel à témoins, aurait été disproportionnée et la précitée avait, de son propre chef, décidé de quitter le poste de police sans parachever sa plainte, "en dépit du temps […] pris aux policiers à cet effet".
D. a. Dans son recours, A______ affirme que le policier ne s'était pas contenté de la dissuader de porter plainte. Il avait installé un "rapport de force en usant de méthodes telles que la culpabilisation, la déstabilisation psychologique par le gaslighting et la décrédibilisation". Faute de parvenir à la "faire abandonner", il avait refusé de "noter un élément crucial" de son témoignage, à savoir "le lieu exact de l'événement". Ce faisant, il l'avait "contrainte", soit à "signer un document non-conforme car incomplet", soit à "quitter les lieux sans que la plainte ne soit déposée". À défaut d'être poursuivi pénalement, le conducteur mis en cause (dans la procédure P/1______/2023) pouvait continuer à "conduire son véhicule en accélérant en direction des piétons sans être inquiété par la justice", restant ainsi "une menace pour notre sécurité à tous". Le policier avait ainsi compromis la recherche de témoins et de preuves.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane de la plaignante, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).
1.2. Seule la personne qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée dispose de la qualité pour recourir (art. 382 al. 1 CPP).
Tel est, en particulier, le cas du lésé qui s'est constitué demandeur au pénal (art. 104 al. 1 let. b cum art. 118 al. 1 CPP). La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP. Il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction. Est atteint directement dans ses droits le titulaire du bien juridique protégé par la norme, même si ce bien n'est pas unique. Il suffit, dans la règle, que le bien juridique individuel dont le lésé invoque l'atteinte soit protégé secondairement ou accessoirement, même si la disposition légale protège en première ligne des biens juridiques collectifs. En revanche, celui dont les intérêts privés ne sont atteints qu'indirectement par une infraction qui ne lèse que des intérêts publics, n'est pas lésé au sens du droit de procédure pénale (ATF 145 IV 491 consid. 2.3 et 2.3.1).
1.3. Dans le cas présent, l'entrave à l'action pénale (art. 305 CP) vise exclusivement la protection de la justice pénale (suisse), et non les intérêts privés de la recourante (ACPR/8/2025 du 7 janvier 2025 consid. 2.2.1; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 1 ad art. 305).
Partant, le recours est irrecevable en tant qu'il porte sur ce chef d'infraction.
Il est recevable pour le surplus.
2. La recourante soutient que les éléments constitutifs de la contrainte, à tout le moins sous la forme d'une tentative, seraient réalisés.
2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.
Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).
2.2. Se rend coupable de contrainte, au sens de l'art. 181 CP, quiconque, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'oblige à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte. Lorsque la victime ne se laisse pas intimider et n'adopte pas le comportement voulu par l'auteur, ce dernier est punissable de tentative de contrainte (art. 22 al. 1 CP; ATF 129 IV 262 consid. 2.7; 106 IV 125 consid. 2b).
Outre l'usage de la violence (hypothèse 1) ou de menaces laissant craindre la survenance d'un dommage sérieux (hypothèse 2), il peut également y avoir contrainte lorsque l'auteur entrave sa victime "de quelque autre manière" dans sa liberté d'action (hypothèse 3). Cette formule générale doit être interprétée de manière restrictive. N'importe quelle pression de peu d'importance ne suffit pas. Il faut que le moyen de contrainte utilisé soit, comme pour la violence ou la menace d'un dommage sérieux, propre à impressionner une personne de sensibilité moyenne et à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action. Il s'agit donc de moyens de contrainte qui, par leur intensité et leur effet, sont analogues à ceux qui sont cités expressément par la loi (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1; 137 IV 326 consid. 3.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_191/2022 du 21 septembre 2022 consid. 5.1.2).
2.3. En l'espèce, la recourante affirme que le policier mis en cause aurait tenté de la dissuader de déposer plainte.
Hormis ses propres allégations, aucun élément concret ne permet d'étayer sa version des événements du 13 août 2023. La seule information matérielle à ce sujet découle de la note du Procureur du 6 septembre 2023, à teneur de laquelle l'intéressée avait quitté les locaux sans déposer plainte.
Cette absence de la moindre preuve entérine déjà la décision du Ministère public de ne pas entrer en matière.
Par ailleurs, la recourante ne prétend pas que le(s) policier(s) auraient usé de violence à son égard, ni de menaces. Elle mentionne plusieurs "méthodes" prétendument adoptées pour tenter de la convaincre de ne pas déposer plainte, comme "la déstabilisation" ou "la culpabilisation". On pourrait toutefois douter que de telles manœuvres, qui ne sont pas établies au demeurant, présentent, in casu, une intensité analogue aux moyens de contrainte visés par la loi.
De toute manière, il ressort du résumé de la recourante qu'elle a été informée que les images de vidéosurveillance ne permettaient pas d'identifier le véhicule mis en cause. Ce nonobstant, au moins deux "ébauches" de plainte auraient été rédigées par la police. On voit ainsi mal en quoi la recourante aurait été dissuadée, par les "méthodes" qu'elle dénonce, d'agir selon sa volonté. Elle admet, de surcroît, avoir refusé ces projets, pour des détails qui n'apparaissent pas déterminants pour la validité d'une plainte.
À titre superfétatoire, qu'il lui fût finalement expliqué que sa démarche était vouée à l'échec n'avait rien d'inadéquat, ni de choquant. Les premières investigations menées sur le moment n'ont apporté aucun élément utile et la recourante était dans l'incapacité d'en fournir d'autres.
Compte tenu de ce qui précède, les éléments constitutifs de la contrainte ne sont pas réalisés.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait d'emblée être traité sans échange d'écritures ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours, dans la mesure de sa recevabilité.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/23332/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |