Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/62/2025 du 21.01.2025 sur ONMMP/5113/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/18095/2023 ACPR/62/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 21 janvier 2025 |
Entre
A______, domicilié ______ [VD], agissant en personne,
recourant,
contre l'ordonnance rendue le 18 novembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 27 novembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 18 novembre 2024, notifiée le 22 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 4 avril 2024 contre B______.
Le recourant conclut à ce que le précité soit condamné pour contrainte.
b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'200.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 23 mai 2023, B______, avocat, a déposé plainte contre A______ pour injures, menaces et harcèlement téléphonique après que ce dernier l'avait contacté par téléphone, plus d'une dizaine de fois en moins de trente minutes, déclaré qu'il était un "escroc", un "menteur", et menacé de se rendre à son étude et de déposer contre lui une plainte pénale pour escroquerie.
a.a. Cette plainte fait l'objet de la procédure P/1______/2023, dont des extraits ont été versés à la présente procédure par le Ministère public.
Il ressort de ceux-ci qu'à l'origine, dans le cadre d'une procédure civile impliquant une société cliente de B______ et la société de A______, celle-là avait été condamnée à verser à celui-ci un montant qui, auparavant, avait fait l'objet d'un commandement de payer.
a.b. À la suite de la plainte de B______, le Ministère public a, par ordonnance pénale du 9 novembre 2023, condamné A______ pour diffamation, contrainte et tentative de contrainte.
En raison de l'irrecevabilité de l'opposition formée par A______, le Tribunal de police a, par ordonnance du 7 février 2024, dit que l'ordonnance pénale précitée était assimilée à un jugement entré en force.
Par ordonnance du 29 février 2024, le Ministère public a refusé la restitution de délai sollicitée par A______.
b. Parallèlement, le 13 août 2023, A______ a déposé plainte contre B______ pour "diffamation, provocation, persécution, induction de la justice en erreur" pour avoir déposé une plainte injustifiée à son encontre, "par caprice". Il n'avait jamais été menaçant envers l'avocat ni ne l'avait jamais insulté ou menacé de quoique ce soit.
c. Le 9 novembre 2023, A______ a déposé une nouvelle plainte contre B______, pour contrainte.
Se référant à la procédure P/1______/2023, il a expliqué que l'avocat, par lettre du 10 juillet 2023, l'avait menacé et contraint à radier la poursuite qu'il avait introduite contre la cliente du précité. Il s'était exécuté selon "[s]on bon vouloir et pour la paix des ménages car rien ne [l]'y obligeait". Malgré cela, B______ avait porté plainte contre lui.
d. À une date indéterminée, A______ s'est vu notifier un commandement de payer [établi le 20 février 2024 par l'Office des poursuites du district de C______ [VD]] par B______ portant sur CHF 10'000.- et CHF 2'000.- à titre, respectivement, de dommages et intérêts et tort moral dus "selon l'ordonnance pénale du Ministère public de Genève du 9 novembre 2023".
e. Le 4 avril 2024, A______ a, à nouveau, déposé plainte contre B______, pour contrainte.
Il reproche à l'avocat de l'avoir "contraint à retirer [s]on opposition" à la poursuite susmentionnée, alors que cette opposition était selon lui justifiée, puisque l'ordonnance pénale le condamnant n'était pas encore entrée en force et que l'avocat aurait d'abord dû saisir la justice civile pour faire reconnaître un éventuel préjudice.
Il a produit le courrier du 21 mars 2024, à teneur duquel B______ lui expliquait que son comportement lui avait causé un préjudice considérable – perte d'une importante cliente –, qu'il ne pouvait en l'état pas encore chiffrer, mais qu'il lui avait fait notifier un commandement de payer aux fins d'interrompre la prescription. Il restait dans l'attente d'une proposition de règlement, cas échéant par acomptes. Sans réponse, il (l'avocat) l'informait qu'il n'aurait d'autre solution que de saisir le Tribunal d'une demande en dommages et intérêts, par suite de l'opposition formée au commandement de payer.
f. Par ordonnance de non-entrée en matière du 30 mai 2024, le Ministère public a retenu qu'aucune des plaintes déposées par A______ ne réalisait les éléments constitutifs de dénonciation calomnieuse ou contrainte. En particulier s'agissant de cette seconde infraction, A______ avait volontairement accepté de radier sa poursuite, "pour la paix des ménages".
g. Statuant sur le recours formé par A______ contre cette ordonnance, la Chambre de céans a, par arrêt du 22 août 2024 (ACPR/620/2024), d'une part, constaté que le précité ne critiquait pas la non-entrée en matière sur sa plainte du 13 août 2023, de sorte que la décision était définitive sur ce point, et, d'autre part, rejeté le recours en tant qu'il visait la plainte du 9 novembre 2023. En revanche, dans la mesure où l'ordonnance ne faisait pas mention de la plainte du 4 avril 2024, la cause a été renvoyée au Ministère public pour qu'il statue sur celle-ci.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public constate que A______ ne reprochait pas, à juste titre, à B______ de lui avoir fait notifier un commandement de payer, puisque le droit des poursuites n'exigeait pas du créancier qu'il soit d'emblée en mesure de prouver la réalité de sa créance. Ce n'était que dans des circonstances particulières, non réalisées en l'espèce, que la simple notification d'un tel acte de poursuite était susceptible d'être considérée comme un acte de contrainte. En outre, et contrairement à ce que soutenait le plaignant, rien n'obligeait un créancier à saisir d'abord un tribunal, il pouvait commencer par faire notifier un commandement de payer puis solliciter la mainlevée de l'éventuelle opposition, comme B______ l'envisageait dans sa lettre du 21 mars 2024. Au surplus, dans cette lettre, l'avocat se bornait à présenter à A______ la démarche qu'il entendait entreprendre si le précité ne lui formulait pas de proposition de règlement.
D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public une décision "arbitraire" et "complaisan[t]e" à l'égard de B______. Dans sa plainte, il reprochait clairement au précité, qui devait d'abord saisir un tribunal civil pour faire reconnaître un "soi-disant préjudice", de lui avoir fait notifier un commandement de payer. Il n'était d'ailleurs pas responsable de la perte du client de B______, qui l'avait "perdu tout seul suite à son insuffisance". La justice devait être "propre et intègre", et les avocats, qui faisaient partie du système, devaient montrer l'exemple. Or, ici, le Ministère public trouvait à B______ toutes les excuses pour ne pas le condamner. Il s'était renseigné auprès d'avocats et leurs réponses étaient unanimes ; s'il avait été condamné à verser CHF 10'000.- à B______ cela aurait été différent, mais en l'occurrence il n'avait jamais été condamné à payer quoi que ce soit au précité. Par conséquent, les agissements de l'avocat relevaient de facto de la contrainte, car le précité l'entravait dans sa liberté d'action en le menaçant d'un dommage sérieux s'il ne retirait pas son opposition au commandement de payer.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. 3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.
Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).
3.2. Se rend coupable de contrainte, au sens de l'art. 181 CP, quiconque, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'oblige à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte.
Selon cette disposition, les moyens de contrainte utilisés à l’endroit d’une personne doivent avoir obligé cette dernière à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte et ceci contre sa volonté (ATF 101 IV 167, c. 3, JdT 1976 IV 50; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 22 ad art. 181). Lorsque la victime ne se laisse pas intimider et n'adopte pas le comportement voulu par l'auteur, ce dernier est punissable de tentative de contrainte (art. 22 al. 1 CP; ATF 129 IV 262 consid. 2.7).
Selon la jurisprudence, la contrainte n'est contraire au droit que si elle est illicite, soit parce que le moyen utilisé ou le but poursuivi est illicite, soit parce que le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu'un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux mœurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1; 137 IV 326 consid. 3.3.1; 134 IV 216 consid. 4.1). Pour une personne de sensibilité moyenne, faire l'objet d'un commandement de payer pour une importante somme d'argent est, à l'instar d'une plainte pénale, une source de tourments et de poids psychologique, en raison des inconvénients découlant de la procédure de poursuite elle-même et de la perspective de devoir peut-être payer le montant en question. Un tel commandement de payer est ainsi propre à inciter une personne de sensibilité moyenne à céder à la pression subie, donc à l'entraver d'une manière substantielle dans sa liberté de décision ou d'action. Certes, faire notifier un commandement de payer lorsqu'on est fondé à réclamer une somme est licite. En revanche, utiliser un tel procédé comme moyen de pression est clairement abusif, donc illicite (ATF 115 III 18 consid. 3). Autrement dit, il y a une contrainte illicite lorsque la poursuite est abusive (arrêt du Tribunal fédéral 6B_271/2024, 6B_316/2024 du 17 septembre 2024 consid. 2.1.1).
3.3. En l'espèce, si le mis en cause n'était certes pas titulaire d'un titre de mainlevée lorsqu'il a fait notifier le commandement de payer au recourant, puisque les indemnités réclamées, en CHF 10'000.- et CHF 2'000.-, n'étaient alors constatées par aucune reconnaissance de dette ni jugement, la créance invoquée reposait sur la condamnation du recourant par ordonnance pénale. La réquisition de poursuite, en lien avec cette condamnation, reposait donc sur une base connue du recourant. Or, comme rappelé par le Ministère public, un créancier peut choisir de faire notifier un commandement de payer à son supposé débiteur, plutôt que de saisir en premier lieu le tribunal. La démarche choisie par le mis en cause, soit la mise en œuvre d'une poursuite pour dette, n'était ainsi pas illicite en soi.
On ne voit pas non plus que l'envoi d'un commandement de payer pour une somme de CHF 12'000.- aurait été de nature à effrayer le recourant en vue de le forcer à adopter un certain comportement, en l'occurrence payer une somme qui ne serait pas due. Le montant ne l'était pas non plus objectivement, étant relevé que le recourant gère une entreprise et paraît donc rompu aux affaires. L'intéressé n'allègue d'ailleurs pas avoir été impressionné, ni commercialement gêné, par la réception de cette poursuite. Il y a d'ailleurs, à réception, formé opposition, et a pris des renseignements pour déterminer l'existence ou non d'un titre de mainlevée. Il n'existe donc pas d'élément particulier permettant de soupçonner que l'envoi du commandement de payer aurait constitué un moyen de pression abusif.
Le recourant estime ensuite que la lettre de l'avocat, du 21 mars 2024, avait pour but de le pousser à retirer son opposition à ladite poursuite, dessein qu'il estime relever de la contrainte.
Il ne peut être suivi sur ce point.
D'une part, car l'avocat ne l'incitait nullement, dans cette lettre, à retirer son opposition au commandement de payer, mais l'invitait à lui communiquer une proposition de règlement des CHF 12'000.- qu'il estimait lui être dus. D'autre part, car le mis en cause l'informait que, à défaut de proposition de règlement, il saisirait le tribunal d'une demande en paiement ("dommages et intérêts"), puisque le commandement de payer qu'il lui avait fait notifier avait été frappé d'opposition. On ne voit pas, dans ces termes, l'utilisation d'un moyen de pression abusif. Le fait qu'une créance invoquée soit – ou se révèle – infondée ne rend pas d'emblée illicites les démarches entamées par le créancier pour la recouvrer. Que le recourant ait pu être heurté par la réception d'une poursuite pour des sommes dont le paiement n'avait pas été ordonné par un tribunal ne suffit pas à réaliser une infraction pénale.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'200.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêts à CHF 1'200.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).
P/18095/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 1'115.00 |
Total | CHF | 1'200.00 |