Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/21/2025 du 09.01.2025 sur OMP/25253/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/20229/2021 ACPR/21/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 9 janvier 2025 |
Entre
A______, représentée par Me B______, avocate,
recourante,
contre l'ordonnance de refus de nomination d'un défenseur d'office et d'octroi de l'assistance judiciaire rendue le 25 novembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 6 décembre 2024, A______, prévenue et partie plaignante, recourt contre l'ordonnance du 25 novembre précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public a refusé de lui désigner un défenseur d'office (art. 132 CPP), respectivement un conseil juridique gratuit (art. 136 CPP).
Elle conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision, l'assistance judiciaire devant lui être octroyée et son actuelle avocate de choix, nommée pour l'assister dans la présente cause.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a.a. À la suite de plaintes pénales réciproques déposées par A______ et C______, le Ministère public a ouvert une instruction contre :
· le prénommé pour contrainte sexuelle (art. 189 CP), viol (art. 190 CP), voire actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de résistance (art. 191 CP), violation du domaine secret/privé au moyen d'un appareil de prise de vues (art. 179quater CP), violation de secrets privés (art. 179 CP), contrainte (art. 181 CP) et/ou infraction à la LStup (art. 19 al. 1 let. c/art. 19c), abus de confiance (art. 138 CP), vol (art. 139 CP), utilisation frauduleuse d'un ordinateur (art. 147 CP) ainsi qu'escroquerie (art. 146 CP);
· la précitée des chefs de calomnie (art. 174 CP), diffamation (art. 173 CP), dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) et/ou injures (art. 177 CP), faux dans les titres (art. 251 CP) ainsi qu'appropriation illégitime (art. 137 CP).
a.b. Chacun des prévenus s'est constitué partie plaignante pour les faits dénoncés par ses soins.
a.c. Ils sont tous deux assistés d'avocats de choix depuis l'automne 2021.
b.a. Le 29 octobre 2024, A______, invoquant son indigence, a requis du Procureur qu'il désigne son actuelle mandataire en qualité aussi bien de défenseur d'office que de conseil juridique gratuit.
b.b. Il résulte des explications et pièces fournies par ses soins que :
i. Elle est la mère de deux enfants, D______, né en 2017 de son union avec E______, enfant sur lequel elle exerce, avec le prénommé, dont elle est séparée, une garde alternée, et F______, née en 2020 de sa relation avec G______, laquelle vit auprès d'elle.
ii. Elle a obtenu, en janvier et mars 2024, l'assistance judiciaire dans le cadre de deux procédures civiles (divorce l'opposant à E______ et action alimentaire intentée, au nom de sa fille, contre G______), subordonnée au versement d'une contribution mensuelle de CHF 100.-. Les décisions y relatives ne détaillent pas ses revenus et charges.
iii. Ses ressources consistent en des rentes d'invalidité (AI et LPP) pour elle-même et les mineurs, en des allocations familiales ainsi qu'en des prestations complémentaires. Elle ne bénéficie, en l'état, d'aucune contribution d'entretien pour ses enfants.
iv. Ses primes d'assurance-maladie obligatoire ainsi que celles des mineurs sont intégralement couvertes par des subsides cantonaux.
v. D'après l'extrait de son compte bancaire pour la période allant du 1er août au 31 octobre 2024, elle s'est acquittée, entre autres sommes, de : CHF 607.15 pour des primes d'assurances-maladie complémentaires (CHF 193.75 x 3 mois et CHF 12.95 x 2 mois); CHF 885.65 en faveur de son assureur LAMal, au titre, semble-t-il, de ses franchises et quotes-parts; CHF 52.40 au profit d'un médecin français; CHF 238.- d'honoraires d'ostéopathe; CHF 147.70 apparemment pour l'achat de médicaments dans diverses pharmacies.
vi. Ses impôts pour l'année 2023 s'élèvent à CHF 2'714.70, montant qui, selon elle, deviendra exigible, et partant sera payé, en 2025.
vii. Au 31 octobre 2024, elle bénéficiait d'économies de CHF 2'526.-.
b.c. Invité par le Procureur à établir le budget de A______, le Greffe de l'assistance juridique a attesté, le 22 novembre 2024, que :
· ses revenus totalisaient CHF 6'388.- par mois (CHF 3'236.- de rentes AI; 2'479.- de rentes LPP; CHF 311.- d'allocations familiales pour F______ et CHF 204.- pour D______; CHF 158.- de prestations complémentaires);
· ses charges mensuelles ascendaient à CHF 5'724.50 (CHF 2'150.- de loyer; CHF 920.50 au titre de frais scolaires et de crèche pour les enfants; CHF 16.50 d'abonnement de bus; CHF 100.- pour le remboursement d'arriérés de loyer; CHF 100.- de contribution versée en faveur de l'assistance juridique civile; CHF 2'437.50 au titre d'entretien pour la famille selon les barèmes de l'Office des poursuites [minimum vital de CHF 1'950.-, majoré de 25 %, soit de CHF 487.50]).
Le disponible de l'intéressée s'élevant à CHF 663.50 par mois, elle bénéficiait de moyens suffisants pour assumer, fût-ce par mensualités, les honoraires de son avocate.
C. Dans sa décision déférée, le Ministère public a considéré que faute, pour A______, d'être indigente, son actuelle mandataire ne pouvait être désignée en qualité de défenseur d'office, respectivement de conseil juridique gratuit.
D. a. À l'appui de son recours, la prénommée fait valoir que le prononcé susvisé viole l'art. 132 CPP à un double titre. Tout d'abord, elle se trouvait dans un cas de défense obligatoire, motif qui justifiait, à lui seul, d'ordonner la nomination refusée (art. 132 al. 1 let. a CPP). Ensuite, l'assistance d'un avocat s'imposait pour défendre ses intérêts, mandataire que son impécuniosité ne lui permettait pas de rétribuer (art. 132 al. 1 let. b CPP). À ce dernier égard, le Greffe de l'assistance juridique, et après lui le Procureur, avaient erré en omettant d'intégrer, dans ses charges, aussi bien ses impôts, dont elle s'acquitterait une fois qu'ils seraient exigibles, que les divers frais [énumérés à la lettre B.b.b.v ci-dessus]. L'assistance judiciaire lui ayant été octroyée en matière civile, il devait en aller de même sur le plan pénal.
Les conditions de l'art. 136 CPP étaient réunies, dès lors que ses conclusions civiles n'étaient pas vouées à l'échec, que la désignation d'un conseil juridique gratuit se justifiait, eu égard à la gravité des actes dénoncés par ses soins, et qu'elle était, comme déjà dit, indigente.
b.a. Par missive du 10 décembre 2024, A______ a informé la Chambre de céans qu'elle-même et son époux étaient parvenus à un accord s'agissant des modalités de leur divorce, lors d'une audience tenue le 2 précédent devant le Tribunal de première instance.
Elle verserait à E______ la somme de CHF 2'825.65 au titre de liquidation du régime matrimonial, à raison de CHF 150.- par mois, la première fois d'ici le 1er janvier 2025. Par ailleurs, les frais judiciaires seraient fixés à CHF 600.- d'après les indications que lui avait fournies la juridiction précitée, somme qui devrait, censément, être répartie entre les époux. Ses charges mensuelles allaient donc augmenter de CHF 175.- dès 2025 (CHF 150.- + CHF 25.- [i.e. 50% x CHF 600.- de frais judiciaires/12 mois]).
Ils avaient également convenu de partager par moitié les allocations familiales ainsi que les rentes AI et LPP perçues pour D______. Cela entraînerait une diminution de ses revenus mensuels de CHF 576.60.
Les éléments sus-évoqués, postérieurs à la décision du Procureur, démontraient davantage encore son indigence.
b.b. Elle a joint à son pli le procès-verbal établi lors de l'audience du 2 décembre 2024 [pièce à laquelle il manque une page].
Il en ressort que : A______ devra effectivement verser CHF 150.- par mois à son époux dès janvier 2025; les frais judiciaires seront bien arrêtés à CHF 600.-, sans précision quant à leur répartition/imputation; les allocations et rentes relatives à D______ seront partagées entre les conjoints, sans indication des montants concernés.
c. À réception de ces acte et missive, la cause a été gardée à juger.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand du Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 15, 19ème tiret, ad art. 393), et émaner de la prévenue/partie plaignante (art. 104 al. 1 let. a et b CPP) qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à se prévaloir d'une violation des art. 132 ainsi que 136 CPP (art. 382 al. 1 CPP).
1.2. L'on peut se dispenser d'examiner si les faits nouveaux décrits dans la missive du 10 décembre 2024, et le procès-verbal d'audience qui y est annexé, sont recevables, au vu de l'issue du recours sur ces aspects (cf. à cet égard consid. 3.5.2 infra).
2. La Chambre de céans est habilitée à traiter sans échange d'écritures ni débats les actes manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des motifs qui suivent.
3. La recourante sollicite la nomination de son avocate de choix en qualité de défenseur d'office, respectivement de conseil juridique gratuit.
3.1.1. En cas de défense obligatoire (cf. art. 130 CPP), le prévenu est tenu d'avoir un avocat, que celui-ci soit mandaté par ses soins (cf. art. 129 CPP) ou désigné d'office (cf. art. 132 CPP). Dans la première configuration, il choisit librement son conseil et le rémunère lui-même. Dans la seconde, la direction de la procédure lui nomme un défenseur, rétribué par l'État – à tout le moins provisoirement –; l'autorité intervient quand le mis en cause, malgré son invitation, ne désigne pas d'avocat à titre privé (art. 132 al. 1 let. a ch. 1 CPP), respectivement quand le mandat est retiré au conseil de choix ou que ce dernier a décliné ledit mandat (art. 132 al. 1 let. a ch. 2 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 7B_356/2024 du 8 mai 2024 consid. 2.2.2).
3.1.2. Une défense d'office doit également être ordonnée lorsque le prévenu est indigent et que l'assistance d'un avocat est nécessaire pour sauvegarder ses intérêts (art. 132 al. 1 let. b CPP). Tel peut être le cas quand le mis en cause disposait, jusqu'alors, d'un conseil de choix, mais qu'il voit sa situation financière évoluer au point de ne plus être en mesure de le rémunérer (arrêt du Tribunal fédéral 7B_356/2024 précité).
3.2. Un conseil juridique gratuit est désigné à la partie plaignante/victime pour autant qu'elle ne dispose pas de ressources suffisantes, que l’action civile/pénale ne paraisse pas vouée à l’échec et que la défense de ses intérêts le justifie (art. 136 al. 1 et al. 2 let. c CPP).
3.3.1. Statuer sur l'indigence d'une partie implique de déterminer ses revenus, charges et fortune (arrêt du Tribunal fédéral 7B_846/2023 du 9 janvier 2024 consid. 2.2).
Il incombe au requérant de prouver les faits qui permettent de constater son impécuniosité. À défaut, sa demande doit être rejetée (arrêt du Tribunal fédéral 7B_356/2024 précité, consid. 2.2.3).
3.3.2. Pour établir les charges de cette partie, il convient de se fonder sur son minimum vital du droit des poursuites, augmenté d'un certain pourcentage, auquel il sied d'ajouter son loyer, ses impôts, à la condition qu'ils soient effectivement payés, sa prime d'assurance maladie obligatoire et ses frais de transport (arrêt du Tribunal fédéral 7B_846/2023 précité).
Ledit minimum vital comprend les coûts résultant d'assurances privées (point I des Normes d'insaisissabilité genevoises pour l'année 2024 [E 3 60.04]), tels que les primes versées au titre de l'assurance-maladie complémentaire (ACPR/917/2021 du 22 décembre 2021, consid. 2.4).
Les bénéficiaires de prestations complémentaires à l'AI peuvent obtenir, sur demande, de la part de l'autorité cantonale compétente, le remboursement de leurs franchise et participation (quote-part) à l'assurance-maladie obligatoire (art. 14 de la Loi fédérale sur les prestations complémentaires [RS 831.30]; art. 3 al. 4 de la Loi genevoise sur les prestations complémentaires cantonales [J 4 25]).
3.4. En l'espèce, la recourante, qui est prévenue de diverses infractions, est assistée d'un conseil de choix depuis l'automne 2021.
Ainsi, à supposer qu'elle se trouve, comme elle le soutient, dans une situation de défense obligatoire – point que l'on peut se dispenser de trancher ici –, son avocate ne pourrait être commise d'office en application de l'art. 132 al. 1 let. a CPP.
3.5. Les art. 132 al. 1 let. b et 136 CPP posent, comme condition commune à la désignation d'un défenseur par l'État, l'indigence de la partie requérante.
3.5.1. Il sied tout d'abord d'établir la situation économique de la recourante entre le 29 octobre (jour du dépôt de ses deux requêtes) et le 31 décembre 2024.
L'intéressée ne remet pas en cause, dans son acte, la quotité des revenus et charges listés dans le rapport du Greffe de l'assistance juridique. Ces points ne seront donc pas examinés (cf. en ce sens ACPR/711/2024 du 4 octobre 2024, consid. 4.3.2; A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 9 ad art. 385).
Elle soutient, en revanche, que des frais supplémentaires devraient être intégrés dans ses dépenses.
Ses impôts (2'714.70 pour l'année 2023) n'ont pas à être pris en compte, dès lors qu'elle ne s'en est point acquittée durant la période objet du présent examen.
Il en va de même de ses primes d'assurance-maladie complémentaire, incluses dans le montant de base mensuel du droit des poursuites (soit CHF 2'437.50 pour elle-même et ses enfants).
Tel est également le cas des sommes acquittées en faveur de sa caisse d'assurance-maladie obligatoire, correspondant, semble-t-il, à ses franchises et quotes-parts, ces prestations pouvant lui être remboursées, sur demande, par le service cantonal idoine.
Le montant de CHF 52.40 versé à un médecin français est a priori susceptible d'être pris en charge par son assureur LAMal (art. 25 al. 2 cum 34 al. 2 let. a LAMal [RS 832.10] et art. 36 OAMal [RS 832.102]), de sorte qu'il n'a pas non plus à figurer dans son budget.
S'agissant des frais d'ostéopathe (CHF 238.-) et de pharmacie (CHF 147.70), ils devraient, censément, lui être remboursés, en tout ou partie, par ses assurances-maladie complémentaire ou obligatoire. Aussi n'y a-t-il pas lieu de les comptabiliser dans ses charges.
En tout état, ces derniers frais eussent-il été pris en considération que la recourante aurait néanmoins disposé d'un solde suffisant (CHF 534.90 par mois) pour rétribuer, le cas échéant par mensualités, l'activité de son avocate entre fin octobre et décembre 2024 (solde de CHF 663.50 retenu par le Greffe de l'assistance juridique – CHF 128.60 [i.e. CHF 238.- + CHF 147.70/3 mois, lesdits frais ayant été encourus entre août et octobre 2024] = CHF 534.90).
À cette aune, les réquisits des art. 132 al. 1 let. b et 136 CPP ne sont pas réalisés.
Que la recourante ait été mise au bénéfice de l'assistance juridique en matière civile (moyennant le versement d'une participation mensuelle) n'y change rien.
3.5.2. Aux dires de la recourante, sa situation financière se péjorera sensiblement en 2025, sous l'angle de ses revenus et charges.
En pareille hypothèse, il lui appartiendra de saisir le Ministère public de nouvelles demandes, actualisées.
En effet, la Chambre de céans ne saurait statuer, pour la première fois, au stade d'un recours, sur une situation notablement différente de celle soumise au Procureur, faute de décision préalable rendue sur ce point (cf. art. 393 al. 1 let. a CPP).
3.6. En conclusion, le recours se révèle infondé et doit être rejeté.
4. 4.1. Les frais de la procédure seront laissés à la charge de l'État (art. 20 RAJ).
4.2. La recourante, qui succombe, ne se verra point allouer de dépens (art. 436 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).