Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/17/2025 du 08.01.2025 sur ONMMP/4538/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/16293/2020 ACPR/17/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mercredi 8 janvier 2025 |
Entre
A______, représenté par Me François MEMBREZ, avocat, WAEBER AVOCATS, rue Verdaine 12, case postale, 1211 Genève 3,
recourant,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 1er octobre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte déposé le 28 octobre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 1er précédent, notifiée le 16 suivant, par laquelle le Ministère public a décidé de ne pas entrer en matière sur les faits visés par la procédure.
Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette ordonnance et à la "reprise" de l'instruction, avec divers actes qu'il énumère.
b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le rapport de renseignements de la police du 11 juillet 2020 décrit en ces termes l'événement survenu le 3 précédent:
"Venant de la route de Cugny, A______ [né le ______ 1946], motocycliste, circulait route des Hospitaliers en direction de la route du Pont-de-la-Fin. Arrivé à la hauteur du n° ______ de la route des Hospitaliers, le motocycliste a aperçu une voiture de tourisme, conduite par B______, sortant d'un parking, et qui s'engageait sur la route des Hospitaliers en direction de la route du Pont-de-la-Fin. En voyant cela, le motocycliste a freiné énergiquement. Il n'y a pas eu de choc entre les deux véhicules. De plus, A______ n'a pas chuté. Néanmoins, il se serait fracturé le tibia gauche lors de sa manœuvre de freinage. […] À défaut d'éléments concrets en notre possession, en l'absence de témoin et d'images de surveillance, aucune faute n'a été retenue à l'encontre de B______ et de A______".
b. Par courriers des 24 août et 14 septembre 2020, A______ a sollicité du Ministère public copie du rapport de police.
c. Le 14 janvier 2021, il a requis – demande réitérée le 15 février suivant – la modification dudit rapport pour y faire ajouter qu'il avait mis le pied gauche au sol, lors du freinage, ce qui avait provoqué la fracture du tibia. Il convenait de supprimer la phrase selon laquelle le conducteur n'avait "commis aucune faute".
d. Le 26 mars 2021, le Ministère public a attiré l'attention de A______ sur le fait que, n'ayant pas déposé plainte ou déclaré vouloir participer à la procédure, il ne lui était pas possible de se prononcer sur la cause.
e. En réponse, A______ a expliqué, par courrier du 31 mars 2021, qu'à la suite des événements du 3 juillet 2020, il avait dû être opéré et hospitalisé jusqu'au "15 août" suivant. Malgré ses demandes, il n'avait pas pu obtenir copie du rapport de police, qu'il avait finalement reçu de l'assurance de B______, laquelle l'informait de son refus de prendre en charge le sinistre. À la lecture de ce rapport, il avait constaté que ce dernier ne correspondait pas à la réalité.
f. Le 21 juin 2021, A______ a déposé plainte contre B______.
g. Ce dernier a été entendu par la police le 3 juillet 2021.
h. Le 24 février 2022, A______ a écrit au Ministère public pour demander, derechef, la modification du rapport de police afin de lui permettre "de recevoir le remboursement de tous [s]es frais".
i. Le 12 juillet 2022, le Ministère public a invité A______ à lui transmettre un certificat médical décrivant de manière détaillée les lésions subies.
j. A______ a transmis au Ministère public un rapport médical du 3 août 2022.
Il en ressort qu'il avait subi une "fracture complexe intra-articulaire bicondylaire du plateau tibial gauche". Il avait dû être opéré une première fois et hospitalisé du 3 au 23 juillet 2020, avec une convalescence d'un mois. Une longue phase de rééducation s'était ensuivie, avec une évolution lentement favorable lui permettant de retrouver une marche sans béquille autour du 4ème à 6ème mois post-opératoire. En raison d'une gêne occasionnée par le matériel d'ostéosynthèse, il avait été opéré une seconde fois le 23 septembre 2021 pour le retirer. Une nouvelle phase de réadaptation s'était ensuivie. Il gardait un "handicap dans la vie de tous les jours, avec des douleurs liées à une gonarthrose post-traumatique à évolution rapide, ainsi qu'un déficit de force avec un périmètre de marche réduit, des difficultés à la montée et surtout à la descente, et des réveils nocturnes".
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que les lésions subies par A______ ne pouvaient pas être qualifiées de graves. Il s'ensuivait que, les lésions corporelles simples par négligence étant poursuivies sur plainte, celle de A______ était tardive, car déposée onze mois après les faits. Par ailleurs, aucun élément au dossier ne permettait de retenir que B______ avait violé les règles de prudence que les circonstances lui imposaient, de sorte qu'il n'existait pas de soupçon d'infraction à la LCR.
D. a. Dans son recours, A______ soutient, sur la base des constats médicaux, que ses lésions subies devaient être qualifiées de graves. L'atteinte était handicapante dans son quotidien et irrémédiable. En outre, en vertu du principe "in dubio pro duriore", il devait être considéré que B______ avait violé son devoir de prudence en ne lui accordant pas la priorité et qu'il s'était ainsi rendu coupable d'une violation de l'art. 90 al. 2 LCR. Il était nécessaire de les confronter et d'obtenir le rapport photographique de la police.
À l'appui, il produit un rapport médical du 1er septembre 2023. Ses douleurs à la montée et la descente d'escaliers étaient toujours présentes. Il marchait à l'aide d'une béquille pour les longues distances et présentait une boiterie antalgique, ainsi qu'une diminution de l'équilibre et de la mobilité. La flexion maximale de son genou était de 100° et l'évolution arthrosique post-traumatique était importante à la radiographie. Sans l'accident, le patient aurait une bonne qualité de vie.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
1.2. La pièce nouvelle produite devant la juridiction de céans est également recevable, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).
2. 2.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.
Tel est le cas d'un défaut de plainte dans le délai de trois mois prescrit par l'art. 31 CP, s'agissant d'une infraction poursuivie uniquement sur plainte (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 10a ad art. 310; L. MOREILLON/ A. PAREIN-REYMOND, Code de procédure pénale - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2016, n. 1a ad art. 310).
2.2. L'art. 125 al. 1 CP réprime, sur plainte, le comportement de quiconque, par négligence, fait subir à une personne une atteinte à l'intégrité corporelle ou à la santé.
Si la lésion est grave, l'auteur est poursuivi d'office (art. 125 al. 2 CP).
2.3.1. Selon l'art. 122 CP, dans sa teneur antérieure au 1er juillet 2023, des lésions corporelles sont qualifiées de graves si l'auteur a blessé une personne de façon à mettre sa vie en danger (al. 1), a mutilé le corps d'une personne, un de ses membres ou un de ses organes importants ou causé à une personne une incapacité de travail, une infirmité ou une maladie mentale permanentes, ou a défiguré une personne d'une façon grave et permanente (al. 2) ou encore a fait subir à une personne toute autre atteinte grave à l'intégrité corporelle ou à la santé physique ou mentale (al. 3).
L'art. 122 al. 3 CP représente une clause générale destinée à englober les lésions du corps humain ou les maladies qui ne sont pas prévues par les alinéas 1 et 2, mais qui revêtent une importance comparable et qui doivent être qualifiées de graves dans la mesure où elles impliquent plusieurs mois d'hospitalisation, de longues et graves souffrances ou de nombreux mois d'arrêt de travail. Il faut tenir compte d'une combinaison de critères liés à l'importance des souffrances endurées, à la complexité et la longueur du traitement (multiplicité d'interventions chirurgicales, etc.), à la durée de la guérison, respectivement de l'arrêt de travail, ou encore à l'impact sur la qualité de vie en général (ATF 124 IV 53 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_514/2019 du 8 août 2019 consid. 2).
2.3.2. Les lésions corporelles simples sont celles qui ne peuvent être qualifiées de graves au sens de l'art. 122 CP, mais qui vont au-delà de l'atteinte physique ne causant pas de dommage à la santé qui caractérise les voies de fait (art. 126 CP).
Sont concernées, outre les blessures ou les lésions internes (fractures sans complications, contusions, commotions cérébrales), la provocation ou l'aggravation d'un état maladif et les pathologies psychiques, lorsqu'elles revêtent une certaine importance. Sur ce dernier point, afin de déterminer ce qu'il en est, il y a lieu de tenir compte, d'une part, du genre et de l'intensité de l'atteinte et, d'autre part, de son impact sur le psychisme de la victime. S'agissant en particulier des effets de l'atteinte, ils ne doivent pas être évalués uniquement en fonction de la sensibilité personnelle de la victime; il faut bien plutôt se fonder sur les effets que l'atteinte peut avoir sur une personne de sensibilité moyenne placée dans la même situation. Les circonstances concrètes doivent néanmoins être prises en considération; l'impact de l'atteinte ne sera pas nécessairement le même suivant l'âge de la victime, son état de santé, le cadre social dans lequel elle vit ou travaille, etc. (ATF 134 IV 189 consid. 1.4).
2.3.3. Dans la casuistique, ont été retenues comme lésions corporelles simples:
- un accident de circulation entre un véhicule et un cycliste, ayant entrainé, pour ce dernier, une fracture de l'omoplate, une commotion cérébrale, une hospitalisation d'un jour et des séquelles sous la forme d'acouphènes et de douleurs à l'épaule nécessitant des séances d'ostéopathie (arrêt du Tribunal fédéral 6B_276/2019 du 15 mai 2019);
- un accident de même nature, ayant causé une fracture des cervicales, un traumatisme crânien, une hospitalisation de "quelques jours", le port d'une minerve pendant six semaines et une limitation, pour la victime, trois ans après les faits, des activités en raison d'une impossibilité de porter des charges de plus de cinq kilogrammes et de pertes de mémoire (AARP/110/2023 du 10 mars 2023);
- un choc entre un véhicule et un motocycle, entrainant, pour le conducteur du second, une fracture-luxation de la hanche droite, nécessitant une intervention chirurgicale puis une hospitalisation de huit jours, ainsi que l'usage de cannes anglaises durant deux mois (AARP/84/2023 du 10 mars 2023);
- un accident impliquant une nacelle élévatrice ayant renversé une piétonne, lui causant une "fracture intra-articulaire" de la malléole, avec une hospitalisation de dix jours et une convalescence impliquant six semaines avec une attelle jambière et des cannes anglaises et des douleurs persistantes sur la durée (ACPR/462/2023 du 16 juin 2023).
2.4. En l'espèce, point n'est besoin d'examiner les circonstances exactes de l'événement du 3 juillet 2020.
En effectuant sa manœuvre de freinage, le recourant a subi une fracture du tibia. Prise isolément, une lésion de cette nature ne saurait d'emblée être qualifiée de grave. Le suivi médical a nécessité une opération chirurgicale et vingt jours d'hospitalisation. L'intéressé a retrouvé la marche sans assistance au plus tard six mois après l'intervention. La rééducation présentait alors une amélioration lente mais favorable. La seconde opération, plus d'un an après les faits, a eu pour motif non pas des complications liées à la première ou un suivi obligatoire de celle-ci, mais des gênes évoquées par le recourant liées au matériel d'ostéosynthèse, qui a donc été retiré.
Si le recourant semble conserver des séquelles – sans qu'il ne soit possible de déterminer si elles découlent des événements du 3 juillet 2020 ou de la seconde intervention –, celles-ci se répercutent essentiellement, à teneur des documents médicaux, sur des gestes très spécifiques, soit utiliser les escaliers ou effectuer de longues marches. Même en tenant compte de la boiterie antalgique récurrente et des limitations de la flexion du genou, le recourant ne présente pas de séquelles de nature handicapante le laissant invalide, ou même grandement limité dans sa vie quotidienne. Si le médecin conclut que la vie du recourant serait de meilleure qualité sans l'accident, ce dernier n'allègue pas avoir dû cesser une activité – professionnelle ou récréative – en raison des douleurs persistantes.
En définitive, le cas d'espèce ne présente pas de particularité permettant de retenir une gravité accrue au regard des exemples jurisprudentiels susmentionnés.
Partant, c'est à raison que le Ministère public a considéré comme simples les lésions corporelles subies par le recourant. Il s'ensuit que la poursuite de l'infraction visée à l'art. 125 CP – sans égard pour la réalisation ou non de la condition de la négligence – nécessitait le dépôt d'une plainte et que celle déposée plus de onze mois après les faits dénoncés était tardive. La non-entrée en matière était donc justifiée.
Les actes d'instruction sollicités par le recourant, qui visent avant tout à faire la lumière sur le déroulement des faits, ne sont pas en mesure de renverser le constat qui précède.
3. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère infondé, pouvait être traité d'emblée, sans échange d'écritures, ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en intégralité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/16293/2020 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |