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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/32/2024

ACPR/427/2024 du 10.06.2024 ( RECUSE ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;LIBERTÉ DE CONSCIENCE ET DE CROYANCE
Normes : CPP.58; CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/32/2024 ACPR/427/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 10 juin 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Nicola MEIER, avocat, Hayat & Meier, place du Bourg-de-Four 24, case postale 3504, 1211 Genève 3,

requérant,

et

B______, Procureur, p.a LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3

cité.


EN FAIT :

A. Par courrier du 15 avril 2024, A______ a demandé la récusation du Procureur B______, qui instruit la procédure P/1______/2024 dirigée contre lui.

Le Procureur a transmis, le 17 suivant, cette requête à la Chambre de céans.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, né le ______ 1988, de nationalité suisse, a été interpellé le 8 avril 2024.

b. En substance, il lui est reproché d'avoir, depuis de nombreuse années, loué, sous-loué ou mis à disposition des appartements destinés à l'exercice de la prostitution par des personnes démunies de toute autorisation de séjour et non déclarées à la police, d'en avoir tiré des revenus en disproportion évidente avec les biens loués et d'avoir dissimulé ses gains aux autorités fiscales et administratives.

A______ est ainsi prévenu de violation des art. 116 al. 1 et 3 LEI, d'usure par métier (art. 157 al. 1 et 2 CP) et de violation des article 96 et 97 LTVA, de soustraction d'impôt au sens de l'art. 175 LIFD cum 186 LIFD, de fraude fiscale au sens de l'art. 59 LHID et de blanchiment d'argent au sens de l'art. 305bis CP.

c. La procédure a initialement été ouverte contre un autre prévenu, pour des faits similaires. Celui-ci les a contestés ou alors a refusé de répondre aux questions du Ministère public.

d. Le 8 avril 2024, B______ a adressé au Tribunal des mesures de contrainte une demande de mise en détention provisoire concernant A______.

L'acte comprend le passage suivant:

"Qu'il existe un risque de fuite (art. 221 al. 1 let. a CPP). Qu'en effet, le prévenu a vécu à une adresse clandestine à Genève même pour échapper à tout contrôle inopiné et donner l'apparence d'un train de vie modeste. Qu'il pourrait sans difficulté faire de même à l'étranger, à Monaco où vit son frère ou dans les nombreux lieux où ce dernier aurait investi dans l'immobilier. Que les personnes de religion israélite disposent par ailleurs d'un droit au retour en Israël, un pays dans lequel l'entraide est difficile".

e. Cette demande a été transmise au conseil de A______ par courriel dans la matinée du 10 avril 2024, en prévision de l'audience de l'après-midi.

f. Selon le procès-verbal, A______ a déclaré à cette occasion n'avoir aucune attache particulière avec Israël, ni de raison de s'y rendre pour échapper à la justice.

g. À l'issue de cette audience, le Tribunal des mesures de contrainte a ordonné la mise en détention provisoire de A______ jusqu'au 8 mai 2024, retenant un risque de collusion (OTMC/1103/2024).

Le précité n'a pas recouru contre cette ordonnance.

C. a. Dans sa requête, A______ reproche à B______ d'avoir "érigé sournoisement un risque de fuite au seul motif de sa religion", établissant ainsi un "axiome" selon lequel "tout prévenu Juif de nationalité suisse [était] susceptible de fuir parce qu'il [était] Juif". Cela était "consternant", "inepte", "stigmatis[ant]" et consacrait un "antisémitisme" d'apparence, "inacceptable" de l'homme, à tout le moins du représentant du Ministère public. Ces propos ne pouvaient pas cohabiter avec les exigences découlant du serment prêté par les magistrats. Ils signifiaient qu'étant "Juif", il "serait par essence fuyant". Le traitement réservé à l'autre prévenu à la procédure, qui avait refusé de collaborer, renforçait "cette apparence". À propos de celui-ci, dont la confession n'avait pas été évoquée, sa mise en liberté avait été ordonnée par le Ministère public. Ce constat d'un "traitement différencié" lui était "insupportable".

b. Dans ses observations, B______ soutient n'avoir pas fait preuve d'inimitié envers A______ en se limitant à dresser une liste d'éléments étayant un risque de fuite dans une demande de mise en détention provisoire. Le précité avait sorti les propos litigieux de leur contexte pour les transformer "en un prétendu axiome", se voulant ainsi généralisant et absolutisant. Le choix pour un État d'accueillir des personnes sur la base d'un critère de confession permettait de retenir que celles-ci pouvaient, au besoin, s'installer dans l'État en question mais ne les qualifiait pas pour autant de "fuyantes". Il ne serait pas question de "xénophobie" ni "d'inimitié" face à un prévenu suisse binational que de retenir contre ce dernier un risque de fuite. Il n'y avait donc aucune raison de traiter différemment une personne qui, de par sa religion, disposerait d'un État prêt à le recevoir. Enfin, le sort réservé au co-prévenu, libéré, ne consacrait pas une "injustice", dans la mesure où les charges s'avéraient insuffisantes au moment d'examiner la détention provisoire.

c. Dans sa réplique, A______ soutient que B______ était allé "chercher" le critère de la religion pour appuyer le risque de fuite. Concernant "l'inégalité de traitement", le précité avait requis à son encontre une prolongation de la détention provisoire alors que le co-prévenu, dont les charges ne s'étaient pas amoindries dans l'intervalle, demeurait libre. Avec du recul, "maintenir pareille différence [était] d'autant plus criante et injustifiable". Enfin, il n'y avait pas lieu "d'excuser une erreur de langage pour justifier de l'axiome […] visant à retenir intrinsèquement un risque de fuite pour tout Juif de nationalité suisse", puisque cet élément était derechef repris par B______ dans sa demande de prolongation susmentionnée.

d. Le Ministère public duplique, assurant que la religion de A______ n'avait été prise en compte que pour, d'une part, assurer la protection de ce dernier en détention et, d'autre part, pour permettre une évaluation aussi complète que possible du risque de fuite.

e. Le requérant n'a pas dupliqué.

EN DROIT :

1.             Partie à la procédure, en tant que prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans est compétente pour connaître de ses requêtes, dirigées contre un membre du ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP et 128 al. 2 let. a LOJ).

2.             2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance
(ATF 140 I 271 consid. 8.4.3). En matière pénale, n'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2).

2.2. En l'occurrence, le requérant a vraisemblablement pris connaissance de la demande du Ministère public de mise en détention provisoire, laquelle contient les propos incriminés, le jour de l'audience par-devant le Tribunal des mesures de contrainte.

Déposée cinq jours plus tard, la requête l'a ainsi été en temps utile au regard de la jurisprudence.

3.             3.1. À teneur de l'art. 56 let. f CPP, toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est tenue de se récuser lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à la rendre suspecte de prévention.

La procédure de récusation a pour but d'écarter un magistrat partial, respectivement d'apparence partiale afin d'assurer un procès équitable à chaque partie (ATF 126 I 68 consid. 3a p. 73; arrêt du Tribunal fédéral 1B_430/2021 du 22 octobre 2021 consid. 2.3.2). Elle vise notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3; 143 IV 69 consid. 3.2; arrêt 1B_25/2022 du 18 mai 2022 consid. 2.2). L'impartialité subjective d'un magistrat se présume jusqu'à preuve du contraire (ATF 136 III 605 consid. 3.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_621/2011 du 19 décembre 2011).

3.2. En l'espèce, le requérant fait grief au cité d'avoir, dans sa demande de détention provisoire, "sournoisement" érigé un "axiome" énonçant que tout "Juif" serait susceptible de "fuir" en Israël parce qu'il est "Juif".

Ce reproche dérive d'une lecture manifestement erronée de l'acte en question.

À titre liminaire, même si la question ne lui a pas été directement posée, le requérant ne semble pas contester sa confession juive.

Par son raisonnement, le cité n'insinue pas que tous les "Juifs" seraient, par essence, "fuyants"; il constate uniquement que les personnes de cette confession peuvent – a priori – bénéficier de la Loi du retour, laquelle octroie à tout(e) Juif ou Juive le droit d'immigrer en Israël. Les implications inhérentes à une telle réflexion s'apparentent ainsi à celles concernant n'importe quel ressortissant étranger, prévenu en Suisse, disposant de papiers qui lui permettraient de retourner à tout moment dans son pays d'origine. Que l'argument ait pu paraître peu convaincant au requérant, en particulier dans la mesure où il nie toute attache avec l'État hébreux, il n'en demeure pas moins un critère pouvant, dans certaines circonstances, être pris en compte dans l'évaluation du risque de fuite.

Le cité ne consacre pas non plus ce constat en "axiome" puisqu'il a considéré d'autres éléments – éludés par le requérant –, sans faire primer l'un par rapport aux autres, pour étayer le risque de fuite retenu contre ce dernier, soit l'absence de domicile en Suisse et la possibilité d'un départ vers Monaco. C'est ainsi la combinaison de tous ces éléments qui a conduit le cité à soutenir un risque de fuite auprès du Tribunal des mesures de contrainte et non exclusivement la confession du requérant.

On ne décèle ainsi aucun "antisémitisme" latent de la part du cité, ni, plus généralement, une quelconque intention discriminatoire laissant supposer une inimitié à l'égard du requérant.

Le sort du co-prévenu ne saurait suffire à démontrer l'inverse. Hormis la nationalité suisse, les infractions retenues dans le cadre de la procédure – et non les charges qui pèsent concrètement sur eux, ni leur situation personnelle – consacrent la seule similarité partagée avec le requérant, ce qui exclut toute comparaison dans le traitement de l'instruction. Au demeurant, comme mentionné ci-dessus, le cité s'est fondé sur d'autres éléments pour retenir, au stade de la vraisemblance, un risque de fuite, dont il n'est nullement établi – ni même allégué – qu'ils s'appliqueraient également au co-prévenu. Il s'ensuit que le requérant plaide en vain une inégalité de traitement insoutenable pour nourrir une vraisemblance d'inimitié.

4.             La demande de récusation sera donc rejetée.

5.             Le requérant, qui succombe, supportera les frais de la procédure, fixées en totalité à CHF 1'000.- (art. 59 al. 4 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette la demande de récusation

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au requérant, soit pour lui son conseil, et à B______.

Le communique pour information au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/32/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- demande sur récusation (let. b)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00