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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/38/2024

ACPR/417/2024 du 05.06.2024 ( RECUSE ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;MINISTÈRE PUBLIC
Normes : CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/38/2024 ACPR/417/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 5 juin 2024

Entre

A______, détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

requérant

et

D______, Procureur, p.a MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

cité

 


EN FAIT :

A.           a. Par acte posté le 21 mai 2024, A______ demande à la Chambre de céans de prononcer la récusation du Procureur D______, qui instruit la procédure pénale P/1______/2023 dirigée contre lui.

b. La demande de mesures provisionnelles qui assortit la requête a été refusée le 22 mai 2024 (OCPR/26/2024).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Le 20 novembre 2023, A______ a été interpellé par un policier pendant qu’il se déplaçait en tram. À un arrêt, hors du véhicule, des vérifications « simples » ont été immédiatement entreprises sur le téléphone mobile dont il était porteur. Selon le policier, deux conversations par la messagerie Whatsapp laissaient apparaître des « rencontres douteuses » possiblement en lien avec un trafic de cocaïne. A______ a été conduit au poste. Aucun stupéfiant n’a été découvert sur lui. L’appareil téléphonique a été saisi et inventorié.

b.             L’instruction a été confiée au Procureur D______.

c.              Les deux interlocutrices apparues sur WhatsApp, identifiées, ont affirmé à la police que A______ leur avait livré de la cocaïne, ou devait le faire, pour leur consommation personnelle, comme il l’avait fait à plusieurs reprises déjà par le passé. A______ l’a contesté, même s’il a admis avoir reçu de l’une d’elles de l’argent « à crédit » pour lui fournir de la cocaïne, « marchandise » qu’il n’avait pas sur lui, et avoir été contacté par l’autre pour lui en procurer.

d.             À la police, A______, assisté par avocat, a signé l’autorisation de fouiller le téléphone portable, l’a rétractée ultérieurement, puis a demandé, mais tardivement, la mise sous scellés de l’appareil. Son recours contre la perquisition et le séquestre de l’appareil, ordonnés le 28 novembre 2023, a été rejeté le 20 décembre 2023 (ACPR/988/2023). Les recours interjetés au Tribunal fédéral par A______ contre chacune des deux décisions qui précèdent ont été écartés le 29 avril 2024 (arrêt 7B_141/2024 - 7B_88/2024).

e.              En détention provisoire depuis le 22 novembre 2023, A______ a combattu toutes les décisions rendues à ce sujet. Son recours contre la dernière autorisation de prolongation de la détention, accordée le 16 février 2024, à l’occasion duquel il a vainement demandé la récusation d’un des juges de la Chambre de céans (AARP/112/2024 du 15 avril 2024), a été rejeté le 24 avril 2024 (ACPR/295/2024).

f.               Le 2 janvier 2024, D______ a prié la police d’aller de l’avant dans l’exploitation du contenu du téléphone (dont il l’avait chargée le 21 novembre 2023), les scellés ayant été levés dans l’entretemps.

g.             Le 9 janvier 2024, le policier qui a interpellé A______ a recensé de possibles acquéreurs supplémentaires de stupéfiants, dont les noms étaient apparus dans le téléphone portable de A______. À réception, D______ a chargé l’enquêteur d’interroger ces personnes.

h.             Le 9 février 2024, le Tribunal fédéral, dans la cause 7B_141/2024 (cf. let. d. supra) avait fait interdiction au Ministère public, à titre provisionnel, de verser au dossier et d’exploiter de quelque manière que ce soit le contenu du téléphone portable. Dans l’intervalle, soit le 10 janvier 2024, D______ avait déjà invité la police à ne pas procéder à l’audition des personnes mentionnées dans l’un des rapports du 9 janvier 2024.

i.               Le 24 avril 2024, la Chambre de céans a rejeté une première requête en récusation (ACPR/292/2024 ; cette décision a été déférée au Tribunal fédéral, cause pendante 7B_598/2024).

j.               Le 10 mai 2024, A______ a demandé que : les sept personnes dont les noms sont apparus dans un rapport de police à l’issue de l’analyse du contenu de son téléphone portable ne soient pas interrogées par le policier qui l’avait appréhendé ; que son défenseur soit présent à ces auditions, à organiser avec une célérité « absolue » ; que l’enregistrement du contact téléphonique dudit policier avec l’une des toxicomanes identifiées au mois de novembre 2023 lui soit transmis ; et que des informations lui soient fournies sur la perquisition et la saisie, opérées in absentia dans sa cellule, d’un carnet de notes personnelles. Il demandait aussi à savoir la date à laquelle le policier susvisé avait examiné le contenu de son téléphone.

k.             Le 13 mai 2024, D______ a rejeté ces demandes, sauf à autoriser la présence du défenseur aux auditions (dont il chargeait simultanément la police, sans autre précision d’enquêteur), et a démenti avoir jamais demandé une perquisition de cellule.

C. a. Dans sa requête, A______ affirme que « ses conseils » (sic) restaient stupéfaits devant la conduite de l’instruction menée par D______, « si différente » des autres instructions qu’il « leur » serait donné de connaître. Le magistrat rejetait d’emblée toute « discussion » des vices de procédure qui lui étaient signalés, et notamment une « impensable » tentative de « fraude » par la police. Seul, le départ du magistrat changerait « l’optique » de l’instruction, car D______ n’instruisait qu’à charge, constamment et avec acharnement. Il était à craindre que les auditions à venir soient confiées au même policier que celui mis en cause. « À la lecture du dossier complet (…) transmis le 7 février 2024 », il apparaissait que l’instruction était sortie de la légalité. Un seul manquement grave pouvait suffire, à cet égard. Or, il était établi que D______ avait tardé à mettre la main sur les images de vidéo-surveillance prises dans le tram. Par ailleurs, il était patent que celui qui avait à souffrir d’un magistrat prévenu ressentait cette partialité plus rapidement et plus objectivement qu’il ne pouvait la démontrer à l’autorité compétente pour prononcer la récusation.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Partie à la procédure, en tant que prévenu (art. 104 al. 1 let. a CPP), le requérant a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans est compétente pour connaître de sa requête, dirigée contre un membre du Ministère public (art. 59 al. 1 let. b CPP).

2.             2.1. Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance
(ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 p. 275). En matière pénale, n'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2 et les arrêts cités).

2.2. En l’occurrence, le requérant prend pour point de départ la date de réception de la lettre du cité du 13 mai 2024. Pour avoir posté sa requête le 21 mai 2024, il a donc agi dans les jours suivant la connaissance alléguée de la cause de récusation qu’il invoque, sans égard aux deux jours fériés survenus dans l’intervalle (un dimanche et le lundi de Pentecôte), qui n’influencent pas la détermination du délai de l’art. 58 al. 1 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_367/2021 du 29 novembre 2021 consid. 2.2.).

2.3.       Cela étant, dès lors que la décision ACPR/292/2024 du 24 avril 2024 a traité les critiques du requérant jusqu’à cette date, il ne saurait être question de porter à nouveau un regard sur elles, qui ont toutes été rejetées. C’est donc à tort que le requérant développe une nouvelle fois tous les vices de procédure qu’il aurait découverts à réception de la copie du dossier, en février 2024, puisque ce sont précisément ceux qu’il invoquait déjà dans sa précédente requête.

À vrai dire, par l’effet des multiples contestations qu’il a élevées, les investigations n’ont connu aucune évolution entre le 9 janvier 2024 et le 13 mai 2024.

Il importe donc d’examiner, exclusivement, si le refus d’actes d’instruction exprimé dans la lettre du 13 mai 2024 et si le mandat d’actes d’enquête décerné le même jour font naître une apparence de prévention du cité.

3.             Tel n’est pas le cas.

3.1.       La teneur de l’art. 56 let. f CPP et les principes applicables ont été rappelés dans la décision du 24 avril 2024, rendue sur la précédente demande du requérant visant le même Procureur. Il peut donc y être renvoyé sans inutile redite, sauf à rappeler – et souligner – que la récusation n'a pas pour finalité de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises par la direction de la procédure. En effet, il appartient aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre (ATF 143 IV 69 consid. 3.2).

3.2.       En l'espèce, autoriser, comme le fait le cité dans ses actes de procédure du 13 mai 2024, la présence de l’avocat du requérant aux auditions déléguées à la police n’est nullement une marque de partialité.

Le choix du policier qui mènera contradictoirement ces auditions ne ressort pas du mandat décerné à ces fins. Ce mandat ne comporte aucun nom d’enquêteur chargé de l’exécuter, et le requérant se borne à « craindre » – c’est-à-dire à conjecturer – que le policier à désigner pourrait être celui contre lequel il a déposé plainte pénale (cf. ACPR/292/2024 et ACPR/294/2024, précité). Au demeurant, dès lors qu’une telle plainte ne suffit pas à entraîner ipso facto la récusation de la personne visée (arrêt du Tribunal fédéral 1B_539/2022 du 16 janvier 2023 consid. 3.), a fortiori le cité n’encourrait-il pas non plus de récusation, s’il avait par hypothèse expressément désigné ce policier.

Quant au refus d’actes d’instruction, la règle de l’art. 394 let. b CPP, qui prévaut (cf. ACPR/783/2023 du 10 octobre 2023 consid. 3.2. ; ACPR/532/2022 du 5 août 2022 consid. 4.3. ; ACPR/539/2021 du 17 août 2021 consid. 5.4.), ne saurait être éludée par le dépôt d’une demande de récusation.

4.             Dans ces circonstances, la requête, dénuée de tout fondement, sera rejetée.

5.             Dès lors, il n’y avait pas à demander au cité de prendre préalablement position (arrêts du Tribunal fédéral 7B_1/2024 du 28 février 2024 consid. 5.2. et 1B_196/2023 du 27 avril 2023 consid. 4 et les références).

6.             Le requérant, qui succombe, supportera les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP), fixés à CHF 800.-. En effet, bien qu’il plaide dans la procédure principale sous le régime de la défense d’office, il ne l’a pas demandé pour la présente instance ; et ses griefs apparaissaient d’emblée dénués de chances de succès, de sorte qu’il n’eût de toute façon pas pu l’obtenir, faute d’erreurs de procédure à relever au sens de l’art. 56 let. f CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_507/2022 du 22 février 2023 consid. 4.4.). Par ailleurs, le montant de CHF 800.-, qui se situe dans la tranche inférieure du cadre légal (arrêt du Tribunal fédéral 7B_451/2024 du 8 mai 2024 consid. 6.2.), correspond en l’espèce à l’activité de l’autorité de recours pour examiner et traiter un mémoire de près de cinquante pages.

7.             Pour les mêmes motifs, le requérant, qui conclut à une indemnité valant participation aux honoraires de son avocat, n’a pas à être indemnisé.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette la requête.

Condamne A______ aux frais de la procédure, arrêtés à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ (soit, pour lui, son défenseur) et à D______.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Valérie LAUBER, juges ; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/38/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur récusation (let. b)

CHF

715.00

Total

CHF

800.00