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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/14536/2023

ACPR/396/2024 du 29.05.2024 sur OTMC/1172/2024 ( TMC ) , REFUS

Descripteurs : RISQUE DE FUITE;RISQUE DE RÉCIDIVE
Normes : CPP.221

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14536/2023 ACPR/396/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 29 mai 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocate,

recourant,

 

 

contre l’ordonnance rendue le 17 avril 2024 par le Tribunal des mesures de contrainte

 

 

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6b, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565 - 1211 Genève 3

intimés.

 


EN FAIT :

A.           Par acte expédié le 29 avril 2024, A______ recourt contre l’ordonnance du 17 précédent, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) a autorisé la prolongation de sa détention provisoire jusqu’au 18 juillet 2024.

Il conclut principalement à sa libération immédiate, subsidiairement sous mesures de substitution et, plus subsidiairement encore, à une prolongation de détention limitée à deux mois.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.        A______, ressortissant portugais né en 1966, titulaire d’une autorisation d’établissement, est en détention provisoire depuis le 20 juillet 2023, soupçonné d’avoir, au D______ [GE], dans la nuit du 5 au 6 juillet 2023, bouté le feu à quelques minutes d’intervalle à des déchets encombrants, puis à une cave, entraînant la mort de deux locataires dans la cage d’escalier de l’immeuble où lui-même résidait. D’importants moyens de secours ont été engagés, même si le feu de déchets a pu être combattu avec succès grâce à la présence d’esprit de deux « correspondants de nuit », qui se trouvaient dans les environs.

b.        A______ conteste les faits. Il avait, certes, débarrassé dans les jours précédents de menus objets ou du mobilier au pied de l’immeuble, mais il arrivait que des habitants les fissent brûler. Il s’était, certes, rendu dans les caves, y compris vers celles éloignées de la sienne, et notamment vers celle incendiée, mais il avait agi ainsi parce que la porte d’accès extérieure était ouverte, ce soir-là, et qu’il voulait vérifier si quelqu’un ne s’y trouvait pas. Il n’avait toutefois rencontré personne pendant sa déambulation dans les caves.

Il est sans emploi, vit de l’assistance publique et décrit ses journées entre tabagisme, boissons alcooliques et menues déambulations dans le quartier. Il souffrirait des séquelles invalidantes d’un ancien accident du travail.

c.         Selon une analyse d’images de vidéo-surveillance (pièces C-57 ss.) et un rapport établi le 14 septembre 2023 par la Brigade criminelle de la police (pièces C-225 ss.), A______ a été filmé le 5 juillet 2023 vers 23h.12 se dirigeant, avec une cigarette allumée, vers la cave – non équipée de l’électricité (pièce C-166) – où prendra le sinistre à l’origine du dégagement de fumée mortel. Après que A______ fut revenu sur ses pas, la lumière s’était éteinte, et le reflet des premières flammes était visible. Aucunes autres allées et venues n’ont été constatées. D’autres images, prises depuis l’entrée de la montée dans laquelle se trouve son appartement, révèlent que A______ était rentré dans l’immeuble sept minutes après la dernière image enregistrée dans la cave. La distance séparant les deux emplacements n’est que de quelques mètres, et le cheminement les reliant passe devant les déchets encombrants entreposés à l’extérieur, qui ont pris feu dès 23h.34, soit (selon l’ordonnance d’ouverture d’instruction) après le départ de l’incendie dans les caves (lequel sera décelé ultérieurement par le dégagement de fumée et combattu par des pompiers).

d.        Des voisins ont été entendus. Aucun n’incrimine A______.

e.         A______ a été condamné par ordonnance pénale pour incendie par négligence, en 2019 (l’appartement où il résidait encore en 2023 a été détruit).

f.          Le rapport de l’expertise psychiatrique ordonnée par le Ministère public a été rendu le 23 février 2024.

Le prévenu a confirmé aux experts la façon dont il occupait ses journées. Il n’avait pas souhaité combattre sa consommation chronique d’alcool (diagnostiquée médicalement en 2010 déjà), et une tentative de sevrage s’était rapidement soldée par un échec, en 2019 (p. 7), avant une « réhabilitation » en 2020 (p. 9) dont l’issue n’est pas précisée. Il avait fréquenté E______ [établissement public pour l'intégration] pendant deux ans et demi, à une date qu’il n’a pu donner, était devenu abstinent, mais avait rechuté deux mois après sa sortie (p. 10). Un placement à des fins d’assistance, ordonné en 2012 notamment dans un contexte d’intoxication alcoolique, avait été interrompu, parce que le prévenu n’avait pas regagné l’établissement après un congé (p. 11). Plus généralement, ses antécédents addictologiques sont détaillés aux pp. 9 à 11. En résumé, il présente un épisode de rupture de soins et deux démarches restées sans suite d’abstinence à l’alcool.

Sur les faits, il a réaffirmé s’être rendu dans les caves, pour vérifier que personne ne s’y trouvait, et avoir été en train de fumer une cigarette, tout en précisant spontanément n’avoir pas de briquet sur lui ; il n’a pas pu expliquer comment il se l’était allumée (p. 14).

Le diagnostic comprend la dépendance à l’alcool, mais non la pyromanie. Il est considéré comme sevré en raison de la détention, et lui-même s’estime en mesure de cesser sa consommation seul, sans aide extérieure.

Il ne formule pas d’objectif d’abstinence, sauf injonction de justice (p. 10), se montre peu motivé pour une thérapie au long cours (p. 25) et semble compter sur la reconnaissance de son innocence dans la commission des faits reprochés (p. 24).

Dans ces circonstances, une rechute dans l’alcool est à craindre à sa sortie (p. 25), et cette consommation constitue un facteur important du risque de récidive, lui-même qualifié de moyen (p. 26 s.) et relié à son impulsivité (p. 30).

Un traitement institutionnel n’est pas recommandé (p. 32).

g.        La représentante de la police scientifique a détaillé les faits et conclusions de son rapport en audience contradictoire, le 20 mars 2024. Les deux sinistres étaient séparés par moins de dix mètres. L’intervention humaine dans celui survenu à l’extérieur était privilégiée, en l’absence de source d’électricité et de l’emplacement, à 1m.50 du sol, du point de départ du feu ; le feu de cave, qui avait couvé assez longtemps et, en conséquence, dégagé d’épaisses fumées toxiques, relevait aussi d’un acte délibéré, que ne serait pas le simple geste de jeter, intentionnellement ou malencontreusement, une cigarette. La mise à feu de matelas était peut-être leur seul point commun, mais rien ne permettait de croire que les sinistres étaient dus au même auteur. Le matériel mis à feu, dans les deux cas, ne nécessitait pas d’adjuvant.

h.        Entendus le 6 mai 2024, les experts psychiatres ont confirmé les conclusions de leur rapport. Elles ont précisé ne pas disposer d’éléments démontrant que, la nuit des faits, A______ aurait consommé une quantité « importante et inhabituelle » d’alcool, et elles ont souligné que la dépendance à ce toxique était en elle-même un facteur de risque. Une thérapie cognitivo-comportementale pourrait entrer en considération. À partir du moment où ni un placement institutionnel ni un traitement addictologique n’étaient préconisés, l’hypothèse d’un séjour à E______ n’avait pas à être abordée. A______ n’avait pas manifesté de désir d’abstinence.

A______ a réagi en se disant désormais prêt à cesser sa consommation d’alcool.

C.           Dans l’ordonnance attaquée, rendue entretemps, le TMC retient que les charges relevées contre A______ sont suffisantes et graves, ne s’étant pas amoindries depuis leur dernier examen. La policière entendue le 20 mars 2024 avait expliqué que les deux incendies ne pouvaient être le fruit du hasard et que leur ignition, dans la configuration de chacun des lieux de sinistre, supposait une flamme ouverte due à « quelqu’un ». Les experts seraient entendus sous peu, puis l’instruction s’acheminerait vers sa clôture. Les risques de fuite et de réitération s’opposaient à une mise en liberté. Aucune mesure de substitution, et notamment pas un séjour addictologique à E______, ne les pallierait efficacement.

D. a. À l’appui de son recours, A______ tient les charges pour insuffisantes. Il n’était incriminé par aucun témoin. Des accusations proférées par son ex-femme sur une menace de bouter le feu n’étaient plus retenues. La police n’excluait pas qu’un accélérant de feu eût été utilisé et relevait qu’énormément de personnes avaient été interpellées, dont des jeunes, pour des feux de caves ou de poubelles, au D______. Il n’existait ni risque de fuite ni risque de réitération. S’agissant de ce dernier, il n’était ni imminent ni qualifié, au sens de l’art. 221 al. 1bis CPP, et les experts ne le qualifiaient de moyen que pour autant que la culpabilité fût retenue. À défaut, un placement et un suivi à E______ seraient une mesure de substitution adéquate.

b. Le TMC maintient sa décision.

c. Le Ministère public fait siens les termes de l’ordonnance querellée, estimant exclue la présence d’un tiers dans la cave, la nuit des faits.

d. A______ réplique en complétant la mesure de substitution à ordonner en E______, par l’astreinte à une thérapie cognitivo-comportementale et à un traitement médicamenteux, sous la supervision du Service de probation et d’insertion.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 384 let. b et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision attaquée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant conteste l'existence de charges suffisantes.

2.1.       À teneur de l'art. 221 al. 1 CPP, la détention provisoire suppose que le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit. Selon la jurisprudence, il n'appartient pas au juge de la détention de procéder à une pesée complète des éléments à charge et à décharge et d'apprécier la crédibilité des personnes qui mettent en cause le prévenu. Il doit uniquement examiner s'il existe des indices sérieux de culpabilité justifiant une telle mesure (ATF 143 IV 330 consid. 2.1 p. 333). L'intensité des charges propres à motiver un maintien en détention provisoire n'est pas la même aux divers stades de l'instruction pénale; si des soupçons, même encore peu précis, peuvent être suffisants dans les premiers temps de l'enquête, la perspective d'une condamnation doit apparaître avec une certaine vraisemblance après l'accomplissement des actes d'instruction envisageables (ATF 143 IV 316 consid. 3.2 p. 318). En d'autres termes, les soupçons doivent se renforcer plus l'instruction avance et plus l'issue du jugement au fond approche. Si des raisons plausibles de soupçonner une personne d'avoir commis une infraction suffisent au début de l'enquête, ces motifs objectifs doivent passer de plausibles à vraisemblables Il faut ainsi pour reprendre la jurisprudence relative au degré de preuve requis dans un procès, que des éléments parlent en faveur de la culpabilité du prévenu, et ce même si le juge envisage l'éventualité que tel ne soit pas le cas (ATF 140 III 610 consid. 4.1 p. 613; arrêt du Tribunal fédéral 1B_344/2017 du 20 septembre 2017 consid. 4.1).

2.2.       À la lumière de ces principes, les charges demeurent, quoi qu’en dise le recourant, suffisantes et graves. Elles ne se sont pas amoindries avec l’évolution de l’instruction depuis leur dernier examen par la Chambre de céans. Au contraire, l’évolution des investigations ne révèle pas de fait nouveau à décharge, qui aurait été méconnu ou ignoré par le premier juge. En particulier, on ne voit pas en quoi les explications de police scientifique fournies le 20 mars 2024 auraient changé quoi que ce soit aux conclusions du rapport écrit versé au dossier en septembre 2023 déjà, qu’elles explicitent et détaillent, mais n’infirment pas. Savoir si des aspects forensiques non totalement résolus confortent les explications (quand ce ne serait pas les supputations ou hypothèses) du recourant sera l’affaire du juge du fond, auquel la Chambre de céans n’a pas à se substituer.

Dans ces circonstances, il est possible de renvoyer à la motivation adoptée par le TMC (art. 82 al. 4 CPP ; ATF 123 I 31 consid. 2c ; arrêts du Tribunal fédéral 7B_577/2023 du 31 octobre 2023 consid. 5.2.2. et 1B_378/2019 du 19 août 2019 consid. 2).

3.             Le recourant estime ne présenter aucun risque de réitération.

3.1.       L'art. 221 al. 1 let. c CPP, relatif au risque de récidive, a été modifié au 1er janvier 2024 (RO 2023 468), soit avant le prononcé attaqué : il présuppose désormais que l'auteur compromette sérieusement et de manière imminente la sécurité d'autrui en commettant des crimes ou des délits graves après avoir déjà commis des infractions du même genre. Le nouvel art. 221 al. 1bis CPP prévoit pour sa part que la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté peut exceptionnellement être ordonnée si le prévenu est fortement soupçonné d'avoir porté gravement atteinte à l'intégrité physique, psychique ou sexuelle d'autrui en commettant un crime ou un délit grave et s'il y a un danger sérieux et imminent qu'il commette un crime grave du même genre (cf. arrêts du Tribunal fédéral 7B_155/2024 du 5 mars 2024, destiné à la publication, consid. 3.2 et 7B_1025/2023 du 23 janvier 2024 consid. 3.2).

3.2.       Selon la jurisprudence relative à l'art. 221 al. 1 let. c aCPP (dans sa teneur en vigueur jusqu'au 31 décembre 2023 [RO 2010 1881]) – transposable au nouveau droit (cf. arrêt du Tribunal fédéral 7B_155/2024, précité, consid. 3.1 s.) –, trois éléments doivent être réalisés pour admettre le risque de récidive : en premier lieu, le prévenu doit en principe déjà avoir commis des infractions du même genre, et il doit s'agir de crimes ou de délits graves ; deuxièmement, la sécurité d'autrui doit être sérieusement compromise ; troisièmement, une réitération doit, sur la base d'un pronostic, être sérieusement à craindre (ATF 146 IV 136 consid. 2.2 ; 143 IV 9 consid. 2.5).

3.3.       Bien qu'une application littérale de l'art. 221 al. 1 let. c CPP suppose l'existence d'antécédents, le risque de réitération peut être également admis dans des cas particuliers alors qu'il n'existe qu'un antécédent, voire aucun dans les cas les plus graves. La prévention du risque de récidive doit en effet permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du prévenu (ATF 137 IV 13 consid. 3 et 4).

3.4.       La gravité de l'infraction dépend, outre de la peine menace prévue par la loi, de la nature du bien juridique menacé et du contexte, notamment de la dangerosité présentée concrètement par le prévenu, respectivement de son potentiel de violence. La mise en danger sérieuse de la sécurité d'autrui par des crimes ou des délits graves peut en principe concerner tout type de biens juridiquement protégés. Ce sont en premier lieu les délits contre l'intégrité corporelle et sexuelle qui sont visés
(ATF 146 IV 326 consid. 3.1 ; 143 IV 9 consid. 2.7).

3.5.       Pour établir le pronostic de récidive, les critères déterminants sont la fréquence et l'intensité des infractions poursuivies. Cette évaluation doit prendre en compte une éventuelle tendance à l'aggravation telle qu'une intensification de l'activité délictuelle, une escalade de la violence ou une augmentation de la fréquence des agissements. Les caractéristiques personnelles du prévenu doivent en outre être évaluées (ATF 146 IV 326 consid. 3.1).

En général, la mise en danger de la sécurité d'autrui est d'autant plus grande que les actes redoutés sont graves. En revanche, le rapport entre gravité et danger de récidive est inversement proportionnel. Cela signifie que plus l'infraction et la mise en danger sont graves, moins les exigences seront élevées quant au risque de réitération. Lorsque la gravité des faits et leurs incidences sur la sécurité sont particulièrement élevées, on peut ainsi admettre un risque de réitération à un niveau inférieur. En principe, le risque de récidive ne doit être admis qu'avec retenue. Dès lors, un pronostic défavorable est nécessaire (et en principe également suffisant) pour admettre l'existence d'un tel risque (ATF 146 IV 136 consid. 2.2; 143 IV 9 consid. 2.9).

3.6.       En l’espèce, la prévention du risque de récidive doit sans conteste permettre de faire prévaloir l'intérêt à la sécurité publique sur la liberté personnelle du recourant.

Les faits sont d’une gravité toute particulière, puisque l’incendie de cave est à l’origine de deux morts et que, pour être survenu dans une cité densément peuplée, en sous-sol d’un immeuble de plusieurs étages, il a créé un sérieux danger collectif. La fin de la diffusion des émanations toxiques mortelles ne semble due qu’à la promptitude des secours, et encore leur intervention n’avait-elle pas été requise d’emblée pour ce sinistre-là, qui couvait en sous-sol, mais pour le feu de déchets encombrants, à l’extérieur. Il est donc sans importance que le recourant n’ait pas déjà été condamné pour incendie intentionnel.

Les conclusions de l’expertise psychiatrique vont aussi dans le sens d’un risque de réitération, certes qualifié de moyen, mais clairement corrélé à la dépendance du recourant à l’alcool, et sans avoir retenu de lien entre les actes poursuivis et une consommation « importante et inhabituelle » d’alcool, préalable à leur commission. Cette appréciation se réfère toutefois moins à la facilitation du passage à l’acte dans un tel état d’imbibition qu’à la détermination de la responsabilité du recourant lors des faits eux-mêmes, au sens de l’art. 20 CP.

Le recourant paraît contester l’imminence de ce risque. Il faut lui opposer à ce sujet que, niant les faits et escomptant en être acquitté, il ne paraît pas s’être livré à une sérieuse introspection devant les experts, fournissant après dix mois d’enquête une adhésion possiblement de façade à une thérapie d’abstinence ; par surcroit, il resterait oisif à domicile, s’il recouvrait la liberté, et présente une impulsivité avérée et non contestée.

Ces caractéristiques fondent un danger de réitération concret.

4.             Le recourant conteste présenter un risque de fuite.

4.1.       Selon l'art. 221 al. 1 let. a CPP, la détention provisoire ou pour des motifs de sûreté peut être ordonnée s'il y a sérieusement lieu de craindre que le prévenu se soustraie à la procédure pénale ou à la sanction prévisible en prenant la fuite. Selon la jurisprudence, le risque de fuite doit s'analyser en fonction d'un ensemble de critères tels que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'État qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, qui font apparaître le risque de fuite non seulement possible mais également probable. Le fait que le risque de fuite puisse se réaliser dans un pays qui pourrait donner suite à une requête d'extradition de la Suisse n'est pas déterminant pour nier le risque de fuite. La gravité de l'infraction ne peut pas, à elle seule, justifier la prolongation de la détention, même si elle permet souvent de présumer un danger de fuite en raison de l'importance de la peine dont le prévenu est menacé (ATF 145 IV 503 consid. 2.2; arrêts du Tribunal fédéral 7B_856/2023 du 21 novembre 2023 consid. 2.2.1 et 7B_706/2023 du 23 octobre 2023 consid. 4.2).

4.2.       En l’espèce, au TMC – qui a retenu, comme facteurs de fuite, la nationalité portugaise du recourant, sa pratique quasi-exclusive de la langue portugaise, le domicile au Portugal de membres de sa famille proche, ainsi que la peine menace et la perspective d’une expulsion obligatoire –, le recourant objecte vivre en Suisse depuis quarante ans, entretenir des liens très réguliers avec ses deux enfants et son petit-fils, domiciliés à Genève, s’être rendu épisodiquement au Portugal (« une ou deux reprises […] au cours des vingt dernières années ») et n’avoir ni l’état de santé ni les moyens financiers de pareil voyage. Il ajoute que le Tribunal fédéral aurait laissé entendre que la perspective d’une expulsion obligatoire ne vaudrait qu’en cas de détention à des fins de sûreté.

Le soutien allégué de ses enfants peut, certes, s’appuyer sur ce que l’un d’eux dit des liens paternels (pièces PP C-201, C-202, C-206), voire sur les permis de visiter en prison. Cela étant, au vu des faits les plus graves qui sont poursuivis, on n’a aucune garantie que le recourant conservera son logement, s’il est libéré. Une telle perspective de précarité, jointe à l’isolement social noté par les experts (rapport, p. 24), pourrait inciter le recourant, qui ne maîtrise pas le français (toutes ses auditions, y compris lors de l’expertise, se sont faites avec le concours d’un interprète) à choisir de se réfugier au Portugal, dont il ne serait alors pas extradable.

À l’arrêt 1B_534/2017 du 12 janvier 2018 sur lequel voudrait s’appuyer le recourant – et qui a été rendu en matière de détention provisoire –, le Tribunal fédéral a exprimé ses doutes, non pas sur la pertinence de la perspective d'une expulsion obligatoire du prévenu (art. 66a al. 1 CP) ou d'une révocation de son permis d'établissement (art. 63 LÉI ; RS 142.20) comme indices du risque de fuite, mais sur l’éventuelle prise en considération, par le juge de la détention, de l’art. 66a al. 2 CP (consid. 5.2., 2e §). Or, cette disposition légale traite des conditions dans lesquelles le juge du fond a la faculté de renoncer à l’expulsion obligatoire, et il n’appartient effectivement pas au juge de la détention d’empiéter sur ses compétences. Au demeurant, le Tribunal fédéral a récemment confirmé, toujours en matière de détention provisoire, que l’exposition cumulée à une importante peine menace et à une expulsion obligatoire accroissaient le risque de fuite (arrêt 1B_371/2024 du 23 avril 2024 consid. 5.3.).

5.             Aucune des mesures de substitution suggérées par le recourant (séjour à [l'établissement public pour l'intégration] E______; thérapie cognitivo-comportementale ; traitement médicamenteux) ne s’avérerait un palliatif efficace au danger de réitération. Ces suggestions ne sont ni précisées ni étayées ; les deux dernières ont surgi en réplique, après que les experts les ont évoquées en audience contradictoire, le 6 mai 2024.

Quoi qu’il en soit, le recourant, qui ne conteste pas être sans emploi, vivre de l’assistance publique et passer ses journées à domicile, entre consommation d’alcool, tabagisme et petites vacations, suggère un séjour en établissement spécialisé que les experts ne recommandent pas et qu’il avait lui-même quitté, par le passé, avant de retomber dans l’alcool.

Les experts soulignent que la mise en place d’un traitement anti-alcoolique serait difficile, longue et entravée par les caractéristiques personnelles du recourant, sans réelle perspective de succès avant l’écoulement de plusieurs années. Or, il est frappant de constater, à les lire, que le recourant a présenté, par le passé, un épisode de rupture de soins et deux démarches restées sans suite d’abstinence à l’alcool. Sa promesse sous forme de volte-face à ce sujet, en audience, le 6 mai 2024, prend donc une autre coloration et pourrait avoir été inspirée par le souhait d’obtenir avant tout sa libération.

Enfin, aucune des mesures examinées ci-dessous n’offrirait de garantie contre le risque de fuite. Parmi celles qui y auraient trait, ni l’assignation à résidence (avec interdiction de quitter la Suisse et/ou la présentation périodique à la police et/ou le port d’un bracelet électronique) ni le dépôt de pièces d’identité étrangères (considéré comme sans effet, dans la mesure où l’autorité étrangère peut toujours délivrer de nouveaux documents à l’intéressé, cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_145/2023 du 12 avril 2023 consid. 5.2 et la référence) n'empêcheraient le départ par voie terrestre à l'étranger ou le passage dans la clandestinité. Qui pis est, dans la mesure où un séjour à E______ ne pourrait avoir qu’un caractère temporaire, l’assignation à résidence dans l’immeuble même où il est reproché au recourant d’avoir causé deux incendies concomitants, dont l’un avec suites mortelles, est inconcevable, à supposer que son bail reste en vigueur.

6.             Le principe de proportionnalité (art. 212 al. 3 CPP) n’apparaît pas enfreint. Si le recourant devait être condamné pour toutes les préventions retenues contre lui, la durée, à ce jour, de sa détention avant jugement n’atteindrait pas encore la peine à laquelle il pourrait être concrètement exposé, et ce, quelle que soit l’infraction qui serait retenue contre lui en concours avec l’incendie intentionnel.

7.             Le recours sera par conséquent rejeté.

8.             Le recourant supportera les frais de l'instance, fixés, émolument compris, à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés en totalité à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son défenseur, au Tribunal des mesures de contrainte et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/14536/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10 03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00