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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/12640/2023

ACPR/379/2024 du 23.05.2024 sur ONMMP/4925/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;INFRACTIONS CONTRE L'HONNEUR
Normes : CPP.310; CP.173

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/12640/2023 ACPR/379/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 23 mai 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, France, agissant en personne,

recourant,

 

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 8 décembre 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 18 décembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 décembre 2023, expédiée par pli recommandé le jour-même – sans que l'on connaisse la date de la notification –, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

Le recourant ne prend pas de conclusions formelles.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 28 avril 2023, A______, enseignant, a déposé plainte contre son collègue, B______, pour diffamation.

Il reprochait à ce dernier d'avoir, le 10 février 2023, dit au groupe d'élèves dont il [B______] était le maître principal, "M. A______ est un homme malsain" et "le directeur ne se déplace pas pour rien. S'il est venu le voir, c'est qu'il [A______] a fait quelque chose de grave". Or, si le directeur était venu le voir, c'était parce qu'il était en deuil à la suite du décès d'un membre de sa famille. Depuis, la relation avec les élèves était très compliquée. Après en avoir parlé avec le directeur de l'établissement scolaire, C______, ce dernier avait convoqué B______, qui avait reconnu les faits. Par la suite, celui-ci avait abordé, une seconde fois, le sujet avec les élèves.

b. Entendu par la police, le 25 mai 2023, B______ a expliqué avoir rapporté à une élève, dans le cadre du cours dédié à la vie du groupe de classe, absente lors du cours précédent, les propos de ses camarades, soit : "M. A______ est un homme malsain" et "c'est un manipulateur". Les élèves remettaient en question la pédagogie du prénommé. Par ailleurs, selon les élèves, depuis qu'ils avaient aperçu A______ discuter avec le directeur, leur professeur semblait agacé durant les cours. Dans le but de rassurer ses élèves, il leur avait expliqué que, sans courrier de leur part, le directeur ne pouvait prendre contact avec l'enseignant concernant leurs reproches. Il avait alors dit que le "directeur ne se déplace pas pour rien", sans suspecter A______ d'avoir fait quelque chose de grave. Il avait donné les mêmes explications à sa direction. Avec l'accord du directeur, il en avait, à nouveau, parlé à ses élèves. Il leur avait dit que dorénavant ils devaient s'adresser à la direction en cas de problème avec le professeur en question et s'était excusé d'avoir rapporté des propos, qui avaient été mal perçus par certains.

c. Le Ministère public a proposé la mise en œuvre d'une médiation qui a été acceptée par B______ mais refusée par A______, lequel a produit des certificats médicaux attestant d'une incapacité de travail jusqu'au 18 octobre 2023.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a constaté que les éléments constitutifs d'une infraction n'étaient manifestement pas réunis. B______, en se limitant à informer une élève absente des propos tenus précédemment par ses camarades, ne s'était pas rendu coupable de diffamation. En outre, l'atteinte à l'honneur du recourant n'était pas établie par les propos "le directeur ne se déplace pas pour rien", faute d'intensité suffisante pour le faire passer pour une personne méprisable.

D. a. Dans son recours, A______ expose que B______ avait menti aux autorités pénales. Il sollicite l'audition du directeur de l'établissement scolaire de l'époque, des élèves concernés, ainsi que de leurs parents.

Il produit plusieurs documents à l'appui de son recours. Il ressort du compte rendu de l'entretien qu'il a eu avec le directeur le 8 mars 2023, que B______ avait reconnu auprès du directeur avoir utilisé l'adjectif "malsain" et avait été rappelé à l'ordre pour ce fait. Le directeur avait précisé avoir délibérément évité de demander au prénommé pourquoi il avait utilisé cet adjectif, ne souhaitant "pas entrer dans des considérations qui consisteraient à évaluer la nature des rapports interpersonnels" entre ses collaborateurs, car cela n'était pas de son ressort. Quant à la seconde fois où le sujet avait été abordé par B______ avec les élèves, ce dernier avait simplement précisé qu'il n'aurait pas dû tenir ces propos.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – faute d'information quant à la date de notification –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310).

3.2. Se rend coupable de diffamation au sens de l'art. 173 ch. 1 CP, quiconque, en s'adressant à un tiers, aura accusé une personne ou jeté sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, de même que celui qui aura propagé une telle accusation ou un tel soupçon.

3.3. La diffamation suppose une allégation de fait, et non un simple jugement de valeur (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.2 ; ATF 117 IV 27 consid. 2c).

Une communication à caractère mixte, soit un jugement de valeur porté en relation avec des faits, est considérée comme une allégation de faits. Une critique, une appréciation ou une évaluation négative, ne saurait être constitutive de diffamation, pas plus qu’un pur jugement de valeur (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 6 ad art. 173).

Pour distinguer l'allégation de fait du jugement de valeur, il faut se demander, en fonction des circonstances, si les termes litigieux ont un rapport reconnaissable avec un fait ou sont employés pour exprimer le mépris. La notion de jugement de valeur doit être comprise dans un sens large. Il s'agit d'une manifestation directe de mésestime ou de mépris, au moyen de mots blessants, de gestes ou de voies de fait (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.2).

Certains termes doivent être analysés en fonction du cas d’espèce, car il peut s’agir, selon les circonstances, d’une allégation de fait ou d’un jugement de valeur (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI (éds), Code pénal - Petit commentaire, 2e éd., Bâle 2017, n. 10 ad art. 173).

Ainsi, en présence d’exclamations telles que "escroc" ou "putain", on doit se demander, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, s’il leur est donné un sens propre, et s’ils constituent ainsi l’allégation d’un fait, ou s’ils ne sont employés que pour exprimer le mépris, auquel cas seul l'art. 177 CP pourrait être applicable (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 7 ad art. 173).

3.4. Le simple fait de répéter un propos attentatoire à l’honneur et en citer la source est punissable. Il ne suffit pas d’attribuer des propos à un tiers ou de le reproduire pour échapper à une condamnation (ATF 118 IV 153 consid. 4a JdT 1994 IV 109; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 56 ad art. 173).

3.5. En l'espèce, qu'elles qu'aient été les circonstances et les raisons pour lesquelles le mis en cause a qualifié le recourant d'"homme malsain", ces termes, prononcés sans autre contexte, en particulier en l'absence de lien avec un comportement reproché au recourant, doivent être considérés comme la manifestation d'une simple mésestime.

Partant, il s'agit d'un jugement de valeur, lequel n'est pas constitutif de diffamation. A fortiori, sa répétition non plus.

3.6. Le recourant reproche encore au mis en cause d'avoir dit à ses élèves : "le directeur ne se déplace pas pour rien. S'il est venu le voir, c'est qu'il [A______] a fait quelque chose de grave". Le mis en cause explique, quant à lui, avoir tout au plus dit "le directeur ne se déplace pas pour rien". Les versions sont ainsi contradictoires.

Aucun acte d'enquête n'est toutefois susceptible d'éclairer les propos réellement tenus, y compris les auditions sollicitées. En effet, ni le directeur ni les parents d'élèves n'étaient présents au moment du prononcé des paroles querellées, de sorte que leur témoignage ne serait pas probant. Quant aux élèves, la ressemblance des deux phrases et l'ancienneté des propos tenus – la discussion ayant eu lieu il y a plus d'une année – rendraient leur souvenir très aléatoire.

De toute manière, qu'elle qu'ait été la phrase prononcée, le fait de laisser entendre que le recourant aurait "fait quelque chose de grave" au point que le directeur serait "venu le voir" n'est nullement attentatoire à l'honneur. Sans autre détail, soit en particulier en lien avec un comportement répréhensible, voire déshonorant de la part du recourant, ces propos émis de manière générale, ne sauraient exposer l'intéressé au mépris en sa qualité d'homme. Tout propos perçu comme désagréable ne constitue en effet pas une atteinte à l'honneur.

Partant, en l'absence des éléments constitutifs de l'art. 173 CP, l'infraction de diffamation n'est pas réalisée.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/12640/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

915.00

Total

CHF

1'000.00