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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/5795/2024

ACPR/369/2024 du 17.05.2024 sur OMP/5279/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : INFRACTIONS CONTRE LE PATRIMOINE;PROFIL D'ADN;PESÉE DES INTÉRÊTS
Normes : CPP.255; Cst.10; Cst.13; CEDH.8

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5795/2024 ACPR/369/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 17 mai 2024

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, représenté par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance d'établissement d'un profil ADN rendue le 11 mars 2024 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 23 mars 2024, A______ recourt, sous la plume de son défenseur d'office, contre la décision du 11 précédent, notifiée le 13 du même mois, à teneur de laquelle le Ministère public a ordonné l'établissement de son profil ADN.

Il conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. À teneur de l'extrait de son casier judiciaire suisse (état au 2 mars 2024), A______ – ressortissant irakien, né le ______ 1992, célibataire, sans domicile fixe et démuni de papiers d'identité – a fait l'objet de sept condamnations pénales, aux dates et pour les motifs suivants :

·        le 23 décembre 2010 : vol par métier, dommages à la propriété et violation de domicile (infractions commises à réitérées reprises entre le 24 septembre 2009 et le 2 juin 2010);

·        les 21 septembre et 24 novembre 2011 : séjour illégal (au mois de juin 2011, puis le 5 octobre suivant);

·        le 8 août 2016 : vol par métier et en bande, dommages à la propriété ainsi que violation de domicile (délits perpétrés entre les 6 octobre et 16 novembre 2011);

·        le 28 février 2018 : vol "simple", dommages à la propriété, violation de domicile, séjour illégal et contravention à la loi fédérale sur les stupéfiants (infractions commises entre le 19 février et le 21 mars 2017);

cette condamnation a été assortie d'une expulsion judiciaire, valable jusqu'au 8 mars 2024;

·         les 20 mai 2019 et 12 mai 2023 : séjour illégal et rupture de ban (du 8 au 26 mars 2019, puis le 11 mai 2023).

a.b. Toujours selon cet extrait, le prénommé fait l'objet d'une procédure en cours (P/1______/2024) pour rupture de ban et délit contre la loi fédérale sur les stupéfiants.

b.a. Le 2 mars 2024, le Ministère public a ouvert une instruction contre A______, référencée sous la cote P/5795/2024, lui reprochant :

·        d’avoir, entre les 26 février et 1er mars 2024, séjourné sur le territoire genevois au mépris de l'expulsion judiciaire sus-évoquée (art. 291 CP);

·        de s'être, le 1er mars 2024, alors que des agents de police procédaient à son interpellation, à son menottage, puis à sa fouille, opposé à ces actes en usant de violence et de menaces (art. 285 CP);

·        d’avoir, à cette même date, troublé la tranquillité publique (art. 11D LPG), respectivement blessé (art. 123 CP) et insulté (art. 177 CP) lesdits agents.

b.b. Entendu en qualité de prévenu, A______ a contesté ces faits, à l’exception de la rupture de ban.

Il a notamment déclaré qu’après l'exécution de son expulsion judiciaire, intervenue en 2019, il s'était installé en Italie. Il était revenu en Suisse quinze jours plus tôt, pensant que "l'interdiction était terminée". Depuis sa dernière condamnation pour infractions contre le patrimoine, il n'avait plus commis de vol, ni de cambriolage, ayant décidé de changer de vie. Il dormait actuellement dans un foyer et "c'[étai]t le social qui [l']aid[ait] à manger".

b.c. Le 2 mars 2024, la police a prélevé, sur le prénommé, un échantillon d'ADN par frottis de sa muqueuse jugale.

A______ a refusé de signer l'ordre y relatif.

C. Dans sa décision déférée, le Procureur a considéré qu'il se justifiait d'établir le profil ADN du prénommé afin de déterminer s'il avait pu commettre d'autres infractions par le passé, non élucidées à ce jour, eu égard à ses précédentes condamnations, intervenues entre 2010 et 2023, notamment pour des actes perpétrés contre le patrimoine (art. 255 al. 1bis CPP).

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait grief au Ministère public d'avoir, d'une part, constaté certains faits de manière inexacte et, d'autre part, violé les art. 255 CPP, 10 et 13 Cst féd. ainsi que 8 CEDH. La mesure querellée était aussi bien illégale que disproportionnée. S'il avait été condamné, par le passé, pour des infractions contre le patrimoine, il avait toutefois mis un terme à ce type d’activité délictuelle depuis de nombreuses années. Il n’existait aucun indice permettant de retenir qu'il pourrait être impliqué dans d'autres actes récents du même genre.

b. Invité à se déterminer, le Ministère public conclut au rejet du recours, persistant, pour l'essentiel, dans les termes de sa décision.

c. A______ n'a pas répliqué.

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette contestation auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de cette décision (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant invoque une constatation inexacte de certains faits par l'autorité intimée.

Dès lors que la juridiction de recours jouit d'un plein pouvoir de cognition (art. 393 al. 2 let. b CPP), d'éventuelles inexactitudes entachant l'ordonnance entreprise auront été corrigées dans l’état de fait établi ci-avant.

Partant, le grief sera rejeté.

3. Le prévenu conteste la légalité et la proportionnalité de la mesure ordonnée par le Ministère public.

3.1. L'établissement d'un profil ADN est de nature à porter atteinte au droit à la liberté personnelle (art. 10 al. 2 Cst féd.) et à la protection contre l'emploi abusif de données privées (art. 13 al. 2 Cst féd. et 8 CEDH).

Cette mesure doit, en conséquence, se fonder sur une base légale, être justifiée par un intérêt public et être proportionnée au but visé (ATF 147 I 372 consid. 2.3.3; arrêt du Tribunal fédéral 1B_631/2022 du 14 février 2023 consid. 2).

3.1.1. Selon l'art. 255 CPP, l’établissement d’un tel profil peut être ordonné sur le prévenu pour élucider un crime ou un délit, qu'il s'agisse de celui pour lequel l'instruction est en cours (al. 1) ou d'autres infractions (al. 1bis), passées ou futures, qui sont encore inconnues des autorités (ATF 147 I 372 précité, consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_631/2022 précité).

3.1.2. Dite mesure tend à éviter que les policiers/magistrats se trompent sur l'identification d'une personne ou qu’un soupçon soit jeté sur des innocents; elle peut aussi avoir des effets préventifs et contribuer à la protection de tiers (ibidem).

3.1.3. L'établissement d'un profil ADN destiné à élucider des crimes ou délits passés/futurs n'est proportionné que s'il existe des indices sérieux et concrets que le prévenu pourrait/pourra être impliqué dans d'autres infractions. Celles-ci doivent revêtir une certaine gravité. L'on prendra en considération, dans la pesée des intérêts à réaliser, les éventuels antécédents de l'intéressé (ATF 145 IV 263 consid. 3.4; arrêt du Tribunal fédéral 1B_230/2022 du 7 septembre 2022 consid 2.2).

3.2. Une telle mesure peut être ordonnée, soit par le ministère public durant l’instruction (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.2), soit par le tribunal dans son jugement pour autant qu'il existe des indices concrets laissant présumer que la personne condamnée pourra commettre d'autres crimes ou délits (art. 257 CPP).

3.3. En l'espèce, il est constant que l'établissement du profil ADN du recourant a été ordonné pour élucider, non les infractions en cours d'instruction, mais d'autres actes répréhensibles qu’il aurait pu perpétrer par le passé, encore inconnus des autorités.

Il sied donc de déterminer s'il existe des indices sérieux et concrets de la commission, par le prévenu, d'infractions contre le patrimoine – seul type de délits visé (à tout le moins de manière suffisamment claire) par l'ordonnance attaquée –, non identifiées à ce jour.

Le recourant a été condamné pour nombre de vols, dommages à la propriété et violations de domicile, actes commis entre 2009 et 2011, puis en 2017.

Les magistrats chargés d'instruire, puis de juger, ces antécédents spécifiques ont (implicitement) considéré qu’il ne se justifiait pas, à l'époque de leur saisine (soit en 2010, 2016 et 2018), d'ordonner l'établissement du profil ADN de l'intéressé pour élucider d'autres éventuelles infractions similaires, passées ou futures.

Rien ne permet, aujourd'hui, en l’absence de découverte d'un élément nouveau qui aurait été inconnu à ces époques, de revenir sur leurs appréciations respectives. Il s’ensuit que la possible commission, par le prévenu, de crimes ou délits contre le patrimoine entre 2010 et 2018 est peu vraisemblable.

Reste à examiner ce qu'il en est pour la période allant de 2018 à 2024.

Au cours de celle-ci, le prévenu s’est vu reprocher plusieurs infractions, dont aucune ne visait le patrimoine (séjour illégal, délit contre la loi sur les stupéfiants, rupture de ban, violences ou menaces contre les autorités, lésions corporelles et injure). Ces agissements, avérés pour certains (condamnations en 2019 ainsi que 2023) et soupçonnés pour d’autres (cf. les deux procédures initiées en 2024), peuvent, certes, dénoter un ancrage dans la délinquance; ils ne permettent toutefois pas (encore) d'imputer à l'intéressé la commission, en parallèle, d’autres crimes ou délits contre le patrimoine.

Il résulte des condamnations/procédures en cours sus-évoquées que le recourant se trouvait en Suisse du 8 au 26 mars 2019, le 11 mai 2023, puis entre le 26 février et le 1er mars 2024 – étant relevé que la période pénale visée par la cause P/1______/2024 n'est pas connue –. Or, le dossier ne comporte aucun élément permettant de retenir que des vols, cambriolages, etc., non élucidés, auraient eu lieu à ces dates et qu'ils pourraient, éventuellement, être attribués au recourant si l’on était en mesure de comparer son profil ADN à des traces prélevées sur les lieux de leur commission.

À cette aune, les réquisits pour le prononcé de la mesure querellée ne sont pas réunis, du moins en l’état des éléments à la procédure.

Il s'ensuit que le recours doit être admis et la décision entreprise annulée.

4. 4.1. Vu l'issue du litige, les frais de la cause seront laissés à la charge de l'État (art. 428 al. 1 CPP).

4.2. Il n'y a pas lieu d'indemniser, à ce stade (art. 135 al. 2 CPP), l'avocat d'office du prévenu, qui ne l’a, du reste, pas demandé.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule, en conséquence, la décision attaquée.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).