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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/10/2024

ACPR/342/2024 du 08.05.2024 ( RECUSE ) , REJETE

Recours TF déposé le 12.06.2024, 7B_645/2024
Recours TF déposé le 13.06.2024, 7B_648/2024
Descripteurs : RÉCUSATION;EXPERT
Normes : CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/10/2024 ACPR/342/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 8 mai 2024

 

Entre

A______, représenté par Me Jean-Marc CARNICE, avocat, BIANCHISCHWALD SÀRL, rue Jacques-Balmat 5, case postale 1203, 1211 Genève 1,

B______, représentée par Me Guerric CANONICA, avocat, Canonica Valticos & Associés SA, rue Pierre Fatio 15, case postale, 1211 Genève 3,

requérants,

et

C______, expert, p.a. Université de D______, École des sciences criminelles, ______ [Suisse],

E______, représentée par Me F______, avocate,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

cités.


EN FAIT :

A. Par actes expédiés le 19 janvier 2024 au Ministère public, qui les a transmis le 22 suivant à la Chambre de céans, A______ et B______ demandent la récusation du Dr C______ dans la procédure P/1______/2020. Ils sollicitent aussi l'annulation des actes de procédure auxquels le prénommé a participé.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et B______ sont l'objet d'une procédure pénale pour abus de confiance (art. 138 CP) et escroquerie (art. 146 CP) ensuite d'une plainte déposée le 14 août 2020 par E______.

En substance, cette dernière leur reproche d'avoir, dans le cadre de la relation contractuelle qu'ils avaient établie par l'entremise de G______ SA, société [fiduciaire] sise à Genève dont A______ était l'administrateur avec signature individuelle, abusé du mandat de fiducie qui leur avait été confié pour prendre le contrôle de H______ LTD, maison d'édition sise à Chypre dont elle était l'animatrice et l'ayant droit économique, ainsi que de ses avoirs.

À l'appui de sa plainte, E______ se prévaut notamment des documents Agreement for services (pièce 1'000'455) et Fiduciary agreement and indemnity (pièce 1'000'481), datés du 25 juillet 2012, signés tant par elle-même que les précités.

E______ a déposé ces documents en original.

b. A______ et B______ contestent les faits reprochés.

À l'appui de ses déclarations, A______ se prévaut du document Nominee Agreement (pièce 6'007'498) du 1er juin 2017, signé par lui-même et E______.

c. Comme l'authenticité des signatures figurant sur les documents précités était contestée par les prévenus, s'agissant des documents déposés par E______, et par la partie plaignante, s'agissant du document dont se prévaut A______, le Ministère public a demandé, le 6 septembre 2022, la mise en œuvre d'une expertise graphologique à l'École des sciences criminelles de l'Université de D______.

d. Par pli du 7 septembre 2022, le Dr C______ a accepté ledit mandat et requis la transmission de divers documents sur lesquels figuraient les signatures des parties, à savoir notamment les documents contestés en originaux, à défaut de la copie de première génération, et des documents de références portant la signature authentique des parties "si possible en original ainsi que chronologiquement antérieurs, contemporains et postérieurs à la date que portent les documents contestés".

e. Par courrier du 2 juin 2023, le Ministère public a demandé au Dr C______ de se déterminer, au vu des documents que les parties avaient été en mesure de réunir, sur la faisabilité de l'expertise, laquelle consistait en l'examen de l'authenticité des signatures apposées sur les documents Agreement for services (pièce 1'000'455), Fiduciary agreement and indemnity (pièce 1'000'481) et Nominee Agreement (pièce 6'007'498) et en la datation desdites signatures ainsi que des caractères imprimés sur les documents susvisés.

f. Par lettre du 5 juin 2023, le précité a sollicité la transmission des documents originaux sur lesquels figuraient les signatures à expertiser de E______, A______ et B______, des documents comportant la signature originale de E______ et A______ datés de 2016 à 2018 ainsi que d'une photocopie couleur du document d'identité de ce dernier.

g. Par pli du 20 juillet 2023, le Ministère public a imparti aux parties un délai au 7 août 2023 pour se déterminer sur le choix de l'expert et formuler leurs propositions quant au mandat à lui confier, selon le pli du 2 juin 2023.

h.a. Par lettre du 7 août 2023, A______ a exposé ne pas avoir de remarque à formuler quant au choix de l'expert. Il s'est cependant opposé à l'examen de l'authenticité du Nominee Agreement dès lors que l'original de ce document n'avait pas été retrouvé.

h.b. E______ a informé le Ministère public ne pas avoir d'objection au choix du Dr C______. Comme elle contestait avoir signé le Nominee Agreement, il était nécessaire que l'expert se détermine sur ce document. Elle a en outre sollicité qu'un document supplémentaire soit soumis à l'expertise et a transmis au Ministère public des questions complémentaires.

h.c. B______ n'a pas formulé de remarques quant au choix de l'expert. Elle souhaitait que l'attention de ce dernier soit expressément attirée sur le fait que l'original du Nominee Agreement n'avait pas été retrouvé.

i. Par ordonnance et mandat d'expertise en comparaison des signatures du 19 octobre 2023, le Ministère public a désigné, au titre d'expert, le Dr C______, et lui a confié le mandat d'expertise suivant:

·         Prendre connaissance des pièces à analyser dans la procédure, soit l'Agreement for services, le Fiduciary agreement and indemnity, le Nominee Agreement ainsi que des documents transmis le 2 juin 2023;

·         S'entourer de tous renseignements utiles;

·         Comparer les signatures de E______, respectivement A______ et B______, sur les documents susvisés avec leurs signatures respectives figurant sur les documents envoyés le 2 juin 2023;

·         Prendre des informations sur tout élément utile à l'accomplissement de la mission, notamment la nécessité de recevoir des versions digitales de certains documents;

·         Établir un rapport dont les conclusions devaient répondre aux questions suivantes:

1.      Les signatures de E______, A______ et B______ apposées sur l'Agreement for services et le Fiduciary agreement and indemnity sont-elles authentiques?

2.      Les signatures visées sous chiffre 1 ont-elles été apposées manuellement ou par un mécanisme de reproduction?

3.      Est-il possible de dater le support, soit le papier sur lequel l'Agreement for services et le Fiduciary agreement and indemnity a été rédigé? Dans l'affirmative, veuillez dater ledit support.

4.      Est-il possible de dater les caractères imprimés sur l'Agreement for services, du Fiduciary agreement and indemnity? Dans l'affirmative, veuillez dater l'impression de ces contrats.

5.      Est-il possible, dans la mesure où le document est une copie, d'authentifier les signatures de E______ et de A______ sur le Nominee Agreement? Dans l'affirmative, veuillez indiquer votre raisonnement.

6.      Les signatures de E______, A______ et B______ apposées sur le Nominee Agreement sont-elles authentiques?

7.      Est-il possible, dans la mesure où il s'agit d'une copie, de dater les caractères imprimés sur le Nominee Agreement? Dans l'affirmative, veuillez dater l'impression de ce contrat.

8.      Est-il possible de dater les caractères imprimés sur le Nominee Agreement du 1er juin 2017? Dans l'affirmative, veuillez dater l'impression de ce contrat.

Un extrait des art. 56, 183 à 185 CPP étaient joints.

j. L'expert a rendu son rapport le 20 décembre 2023, lequel a été transmis par le Ministère public aux parties le 15 janvier 2024.

Il en ressort notamment, sous la rubrique correspondance (p. 2), que par courriel du 6 novembre 2023, l'expert avait demandé à Me F______ de solliciter sa cliente afin qu'elle produise des documents originaux présentant sa signature. En outre, selon l'entretien du 22 novembre 2023 avec l'avocate, E______ reconnaissait avoir signé les documents Agreement for services et Fiduciary agreement and indemnity mais contestait avoir signé le Nominee Agreement. Toujours selon l'avocate, il existait une meilleure copie, au format digital, du Nominee Agreement et "un document, en copie, dont la signature de E______ serait identique à celle figurant sur le Nominee Agreement". L'expert avait demandé à obtenir ces pièces.

Sous la rubrique conclusions (pp. 19 ss), en réponse à la première question, l'expert a précisé que, selon l'entretien du 22 novembre 2023 avec Me F______, E______ reconnaissait avoir signé l'Agreement for services et le Fiduciary agreement and indemnity. En outre, les résultats d'examen soutenaient fortement la position selon laquelle les signatures au nom de A______ et B______ apposées sur les documents précités étaient de leurs mains plutôt que des imitations réalisées par un tiers.

Les signatures visées sous chiffre 1 avaient été apposées manuellement (question 2). Il n'était toutefois pas possible de dater le support (question 3). Cela étant, les caractères imprimés sur les documents précités étaient disponibles sur le marché à la date que portaient ces documents, soit le 25 juillet 2012 (question 4).

Enfin, la mauvaise qualité de la copie du Nominee Agreement n'avait pas permis d'expertiser les signatures de E______ et A______ et donc de répondre aux questions 5 à 7.

C. a. Dans sa requête, A______ considère que rien ne justifiait les échanges "exclusifs" entre l'avocate de la partie plaignante et l'expert des 6 et 22 novembre 2023. Il était inadmissible que ce dernier ait sollicité directement de la précitée des documents originaux présentant la signature de sa cliente, alors que, selon l'art. 185 al. 3 CPP, l'expert aurait dû s'adresser au Ministère public s'il estimait qu'il ne disposait pas de suffisamment de documents de référence portant la signature authentique de E______. Cela était d'autant plus grave que ces échanges avaient eu lieu à l'insu du Ministère public et des autres parties. De tels échanges constituaient une violation des principes d'indépendance et d'impartialité (art. 29 al. 1 et 30 al. 1 Cst, 56 al. 1 let. f et 183 al. 3 CPP) et dénotaient une forte apparence de prévention de l'expert. Cela était d'autant plus préoccupant au regard de la forme du second échange, soit un entretien téléphonique, puisqu'il était impossible de restituer le contenu dudit échange et que les conclusions de son rapport se fondaient sur ledit entretien. Un tel comportement fondait une apparence de prévention de l'expert (art. 56 al. 1 let. f CPP) à son détriment, de sorte que l'expert devait être récusé. Partant, le rapport d'expertise du 20 décembre 2023 était vicié au regard de l'apparence de prévention de l'expert et cet acte de procédure devait être annulé.

b. Dans sa requête, B______ considère que les échanges entre l'expert et le conseil de la partie plaignante, à l'insu des parties et du Ministère public, s'inscrivaient en violation des principes élémentaires d'indépendance (art. 29 al. 1 et 30 al. 1 Cst, 56 al. 1 let. f et 183 al. 3 CPP) et traduisaient, à tout le moins, une apparence de prévention. Ce constat était renforcé par le fait que l'expert fondait notamment ses conclusions sur ces échanges individuels, que rien ne justifiait. Si l'expert entendait recueillir les positions des parties ou des documents complémentaires, il lui appartenait d'interpeller le Ministère public pour ce faire.

c. Dans ses observations, C______ expose que, à teneur du mandat confié, il pouvait "s'entourer de tous les renseignements utiles" et "prendre des informations sur tout élément utile à l'accomplissement de [sa] mission". C'est à ce titre qu'il avait contacté le conseil de E______. En effet, il était utile, pour répondre à sa mission, de savoir si la prénommée reconnaissait ou non avoir signé les documents incriminés.

Lors de l'entretien téléphonique du 22 novembre 2023, l'avocate l'avait informé qu'il existait une "meilleure copie" du Nominee Agreement et un autre document dont la signature de sa cliente était identique à celle figurant sur le document précité. Il avait donc demandé à l'avocate la production de ces pièces. Or, lesdits documents ne lui avaient jamais été transmis. Néanmoins, leur disponibilité aurait permis de répondre à la question 6 du mandat d'expertise, constituant ainsi une information utile à l'accomplissement de sa mission.

Le fait d'avoir contacté Me F______ n'avait eu aucun impact sur l'impartialité de ses conclusions.

d. A______ réplique et maintient sa requête. L'expert n'expliquait pas pourquoi il avait adressé un courriel au conseil de la partie plaignante à l'insu des autres parties et du Ministère public. De plus, la teneur de ce courriel, non annexé à ses observations, demeurait inconnu. Il en allait de même de la teneur de l'entretien téléphonique. De plus, il s'avérait que le conseil de la partie plaignante était chargée de cours à la faculté de droit de D______, à laquelle était rattachée l'école des sciences criminelles, où l'expert était chargé de recherches. Il était donc à craindre que cette situation ait incité l'expert à prendre contact avec sa collègue. Les intéressés n'avaient d'ailleurs pas informé les parties et le Ministère public de ce qui précède.

En faisant sienne une allégation de la partie plaignante, alors qu'il ne disposait d'aucune preuve, ni même d'un indice que sa signature a été apposée en juillet 2012 (et non pas en été 2020 lorsque le litige était survenu) et sans procéder à l'analyse de la signature, l'expert avait manifesté l'apparence d'une prévention en faveur de cette partie, au détriment des prévenus.

Enfin, comme les documents requis auraient été utiles à l'accomplissement de la mission, l'expert aurait d'autant plus dû les demander au Ministère public.

e. B______ réplique et maintient sa requête. La portée donnée par l'expert au contenu du mandat était erronée. Le manque de transparence de l'expert, qui n'expliquait pas la genèse des contacts, renforçait ses soupçons. Le courriel du 6 novembre 2023 n'avait pas été produit, de sorte que ses craintes étaient fondées. L'expert avait répondu à certaines questions sur la base de ses seules communications avec l'avocate de la partie plaignante. Un tel modus operandi s'inscrivait à rebours des exigences de prudence et d'objectivité. Enfin, comme les documents suggérés par l'avocate de la partie plaignante auraient été utiles à sa mission, l'expert devait les solliciter auprès du Ministère public.

f. E______ conclut au rejet des requêtes. Les requêtes étaient tardives, dès lors que les requérants disposaient de la qualité pour recourir contre l'ordonnance et mandat d'expertise du 19 octobre 2023, laquelle autorisait expressément l'expert à prendre contact avec les parties pour clarifier les faits utiles au mandat. Il en allait de même du grief tiré des prétendus rapports liant l'expert à l'avocate de la partie plaignante, qui, tout en étant faux et non prouvés, résultaient d'une information publique et connue au moment de la proposition de l'expert par le Ministère public.

L'ordonnance et mandat d'expertise autorisait l'expert à contacter les conseils des parties et plus particulièrement à requérir la production de documents supplémentaires et s'entourer de tous renseignements utiles à l'accomplissement de sa mission. Aucun échange n'avait eu lieu à l'insu du Ministère public. Le courriel du 6 novembre 2023, par lequel l'expert requérait la production d'échantillons de signature supplémentaires datés de 2016 à 2108, avait été adressé en copie au Ministère public. Par courriel du 8 novembre 2023, l'expert avait corrigé une erreur de frappe et demandé que ces documents soient datés de 2011 à 2018. Le même jour, par courriel, son avocate avait demandé au Ministère public si elle pouvait donner suite à la requête de l'expert, ce à quoi il lui avait répondu positivement par téléphone le 14 novembre 2023.

Durant l'entretien téléphonique du 22 novembre 2023, l'expert avait notamment indiqué à son avocate que l'utilité des échantillons de signature dépendait de la reconnaissance ou non, par elle-même (E______) de la signature sur les documents Agreement for services et Fiduciary agreement and indemnity. Dans l'affirmative, il n'était pas nécessaire de procéder à l'authentification de sa signature sur ces deux documents. Son avocate l'avait donc informé qu'elle-même reconnaissait avoir signé les deux documents précités. En outre, l'expert n'était pas en mesure de procéder à l'expertise du Nominee Agreement puisqu'il s'agissait d'une copie. Son avocate l'avait donc questionné sur l'opportunité de lui transmettre une copie de meilleure qualité du Nominee Agreement. L'expert lui avait répondu y être favorable, précisant toutefois qu'en présence d'une simple copie, il ne serait probablement pas en mesure d'effectuer l'expertise. L'avocate avait ensuite demandé s'il lui serait utile de disposer de copies de première générations et/ou simples de la signature de sa mandante, dont une copie dont la signature semblait identique à celle apposée sur le Nominee Agreement ainsi que des copies de première génération et/ou simples de la signature des parties adverses, étant précisé que celles-ci s'étaient opposées à la transmission de ces documents. L'expert avait expliqué que la transmission d'un document dont la signature était identique au Nominee Agreement lui serait utile. Toutefois, pour en tenir compte dans son analyse, ce document ne devrait pas être contesté par la partie adverse ou avoir été utilisé par cette dernière dans une procédure antérieure. Elle lui avait donc dit tenir à disposition ces documents, s'il souhaitait en faire la demande au Ministère public. En l'absence d'une telle demande, elle n'avait pas transmis ces documents.

Les échanges précités, connus et autorisés par le Ministère public, ne constituaient pas un motif de récusation. De plus, ils étaient utiles et nécessaires à l'accomplissement de l'expertise.

À l'appui, elle produit notamment les courriels dont elle fait mention.

g. A______ duplique. Il apprenait que le Ministère public avait été en copie des courriels adressés par l'expert au conseil de E______ mais aussi que le Ministère public avait eu un échange téléphonique avec cette dernière, étant relevé que ce dernier échange ne ressortait d'aucune note au dossier. L'expert n'avait pas non plus mentionné ses échanges avec le conseil précité. Si une clarification du Ministère public était nécessaire au sujet de certains documents, cela signifiait que le champ des documents soumis à expertise n'était pas clair. En outre, comme le conseil de E______ disait avoir été autorisé par le Ministère public à répondre à l'expert, l'entretien téléphonique subséquent avec l'expert n'était pas nécessaire. De plus, il ignorait ce qui avait été dit lors de cet échange et les explications dudit conseil et de l'expert quant à la non-transmission des documents divergeaient.

h. B______ duplique. L'autorisation du Ministère public de donner suite à la requête de l'expert n'était pas établie. Si le modus operandi de l'expert avait été conforme à la loi, le conseil de E______ n'aurait pas eu besoin de prendre contact avec le Ministère public. De plus, les éléments échangés lors de l'entretien téléphonique du 22 novembre 2023 dépassaient l'autorisation préalablement donnée par le Ministère public et la requête de l'expert. Enfin, l'expert avait passé sous silence la question de la date à laquelle E______ avait signé les documents qu'elle reconnaissait comme de sa main.

i. E______ duplique. La demande de l'expert du 6 novembre 2023 quant à l'obtention de documents supplémentaires, laquelle était identique à sa requête du 5 juin 2023 (documents datés de 2016 à 2018, portant la signature originale de la précitée), entrait dans le champ de l'expertise; d'ailleurs, le Ministère public, qui était en copie, n'avait pas réagi à ce courriel. Elle avait toutefois considéré qu'une clarification du Ministère public était nécessaire lorsque, deux jours plus tard, l'expert avait demandé la transmission de documents datés de 2011 à 2018. Pour le surplus, l'expert avait rempli sa mission.

j. Ces dernières écritures ont été transmises pour information aux autres parties, précisant que la cause serait gardée à juger au 30 avril 2024.

k. Dans le délai imparti, A______ a tripliqué. Cette dernière missive a été transmise aux autres parties.

EN DROIT :

1.             L’évidente connexité des requêtes, formées simultanément et pour les mêmes motifs, commande leur jonction. Aussi seront-elles tranchées dans un seul arrêt.

2.             2.1. Lorsqu’est en cause la récusation d’un expert nommé par le ministère public, il appartient à l’autorité de recours, au sens des art. 20 al. 1 et 59 al. 1 let. b CPP, de statuer (arrêts du Tribunal fédéral 1B_488/2011 du 2 décembre 2011 consid. 1.1 et 1B_243/2012 du 9 mai 2012 consid. 1.1), de sorte que la Chambre de céans est compétente à raison de la matière (ACPR/491/2012 du 14 novembre 2012).

2.2. En tant que prévenus, A______ et B______ ont qualité pour agir (art. 104 al. 1 let. a CPP et, par analogie, 58 al. 1 CPP).

2.3.1. La demande de récusation doit être présentée sans délai par les parties dès qu'elles ont connaissance d'un motif de récusation (art. 58 al. 1 CPP), soit dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_601/2011 du 22 décembre 2011 consid. 1.2.1), sous peine de déchéance (ATF 138 I 1 consid. 2.2).

La jurisprudence admet le dépôt d'une demande de récusation six à sept jours après la connaissance des motifs mais considère qu'une demande déposée deux à trois semaines après est tardive (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du code de procédure pénale, 2ème éd., Bâle 2016, N. 3 ad art. 58 CPP et références citées; arrêts du Tribunal fédéral 1B_14/2016 du 2 février 2016 consid. 2 et 1B_60/2014 du 1er mai 2014 consid. 2.2).

2.3.2. En l'occurrence, les requêtes ne sont pas tardives en tant qu'elles soutiennent que des échanges informels avaient eu lieu entre l'expert et la partie plaignante en novembre 2023 – ce dont ils avaient eu connaissance à la lecture du rapport d'expertise –, pour avoir été formées dans les trois jours après la réception dudit rapport, communiqué sous pli simple par le Ministère public 15 janvier 2024, que les parties disent avoir reçu le lendemain.

La requête de A______ l'est cependant en tant qu'il reproche à l'expert d'être rattaché à la même Université de D______ que le conseil de E______ pour leurs activités professionnelles respectives, dès lors qu'il n'a pas jugé utile, en temps voulu, de formuler une quelconque remarque s'agissant du choix de l'expert. Ce grief, de surcroit formé dans sa réplique, apparait ainsi doublement tardif.

3.             3.1. L'art. 56 let. f CPP – applicable aux experts en vertu du renvoi de l'art. 183 al. 3 CPP – prévoit que toute personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale est récusable "lorsque d'autres motifs, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention". Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes de l'art. 56 CPP (ATF 143 IV 69 consid. 3.2). Elle concrétise les droits déduits de l'art. 29 al. 1 Cst. garantissant l'équité du procès et assure au justiciable une protection équivalente à celle de l'art. 30 al. 1 Cst. s'agissant des exigences d'impartialité et d'indépendance requises d'un expert (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2.). Les parties à une procédure ont donc le droit d'exiger la récusation d'un expert dont la situation ou le comportement sont de nature à faire naître un doute sur son impartialité. Cette garantie tend notamment à éviter que des circonstances extérieures à la cause puissent influencer une appréciation en faveur ou au détriment d'une partie. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective de l'expert est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de sa part. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 143 IV 69 consid. 3.2; arrêts du Tribunal fédéral 1B_261/2018 du 24 octobre 2018 consid. 2.1 et 1B_110/2017 du 18 avril 2017 consid. 3.1).

La récusation revêt un caractère exceptionnel (ATF 131 I 24 consid. 1.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_123/2013 du 26 avril 2013 consid. 3.2 et la référence citée ; 1B_243/2012 du 9 mai 2012 consid. 2.1). Parmi les circonstances qui donnent l’apparence d’une prévention de l’expert figurent des situations où il existe une proximité particulière dans les relations entre l’expert d’une part et l’une des parties, respectivement la question à juger, d’autre part ; d’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, n’importe quelle relation entre ceux-ci ne suffit toutefois pas (ATF
125 II 541 consid. 4b; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung / Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 3e éd., Bâle 2023, n. 23 ad art. 183). La récusation s’impose encore, par exemple, en présence de contacts exclusifs et d’une certaine durée de l’expert avec l’une des parties et son conseil, si l’intéressé agit sans motif valable: ainsi, l’expert évitera de se déplacer à une inspection, par exemple, dans le véhicule privé et en compagnie de l’une des parties, ou de se faire héberger par l’une des parties pendant la procédure, ou d’échanger longuement au téléphone avec l’une des parties (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 23a ad art. 183).

3.2. Conformément à l'art. 184 al. 4 CPP, la direction de la procédure remet à l'expert avec le mandat les pièces et les objets nécessaires à l'établissement de l'expertise.

Si l'expert estime nécessaire d'obtenir des compléments au dossier, il en fait la demande à la direction de la procédure (art. 185 al. 3 CPP).

L'expert peut procéder lui-même à des investigations simples qui ont un rapport étroit avec le mandat qui lui a été confié et convoquer les personnes à cet effet (art. 185 al. 4, 1ère phrase, CPP).

3.3. Dans son message, le Conseil fédéral a précisé qu'en principe, l'expert ne peut procéder de son propre chef à des actes d’instruction mais doit se fonder sur les pièces et les objets qui ont été mis à sa disposition en vue de l’expertise. Cette règle générale est relativisée dans les deux cas suivants: premièrement par le droit qu’a l’expert de demander à la direction de la procédure s’il peut obtenir des "compléments au dossier" (art. 185 al. 3). Le droit de demander à obtenir des compléments au dossier ne porte pas uniquement sur des documents déjà versés au dossier et que le magistrat n’aurait pas estimé utile de transmettre à l’expert, mais également sur des documents ne figurant pas encore au dossier. Cela implique donc également le droit de demander à ce qu’il soit procédé à des actes d’instruction supplémentaires. Deuxièmement, l’expert peut, avec l’autorisation de la direction de la procédure, poser directement des questions aux personnes qui doivent être entendues (art. 185 al. 2). L’art 185 al. 4 CPP habilite même l’expert à procéder lui-même à des investigations simples, mais dans des limites étroites: d’une part, il ne peut procéder qu’à des investigations qui relèvent de sa spécialité et qui sont indispensables à l’exécution de son mandat (elles doivent avoir "un rapport étroit avec le mandat"). Il n'est, donc, pas habilité à élucider les faits dans leur ensemble. Par ailleurs, l’expert ne peut pas procéder lui-même à des investigations complémentaires sans y avoir été dûment autorisé par la direction de la procédure. Cette autorisation peut être donnée dans le cadre du mandat ou être octroyée au cours de l’expertise, si l’expert en fait la demande. L’autorisation donnée aux experts de procéder eux-mêmes à des investigations implique également celle de convoquer les personnes dont la présence est nécessaire à ces investigations (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1303, p. 1193; voir aussi Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 5 ss ad art. 185).

3.4. Dans l'ATF 144 IV 302 (c. 3.4.2), le Tribunal fédéral a retenu que, lorsqu’un expert a besoin d’obtenir des documents qui ne figurent pas à la procédure (en l'occurrence le rapport d’une clinique), il doit en faire la demande à la direction de la procédure, car il s’agit de compléter le dossier au sens de l'art. 185 al. 3 CPP, et non de procéder à des investigations simples au sens de l'art. 185 al. 4 CPP.

3.5. En l'espèce, la prise de contact par l'expert avec la partie plaignante, ainsi que leurs échanges, ne suffisent pas pour fonder une apparence de partialité.

Tout d'abord, il n'apparait pas que l'expert ait voulu cacher cette prise de contact, puisque le Ministère public était en copie du courriel du 6 novembre 2023 adressé au conseil de la partie plaignante. Quoiqu'il en soit, l'art. 185 al. 4 CPP autorise expressément l'expert à procéder lui-même à des investigations simples, en rapport avec le mandat qui lui est confié. À cela s'ajoute que l'autorisation de procéder à de telles investigations ressortait de l'ordonnance et mandat d'expertise du 19 octobre 2023, laquelle prévoyait que l'expert pouvait "s'entourer de tous renseignements utiles" et "prendre des informations sur tout élément utile à l'accomplissement de [sa] mission, notamment la nécessité de recevoir des versions digitales de certains documents". Ainsi, compte tenu des circonstances qui précèdent, l'expert était en droit de prendre contact avec la partie plaignante, respectivement son conseil, s'agissant d'investigations en rapport étroit avec le mandat, sans requérir préalablement l'autorisation du Ministère public. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'on ne se trouve pas dans un cas d'application de l'art. 185 al. 3 CPP, en particulier dans la mesure où l'expert a requis des informations de la partie plaignante, soit une personne concernée par l'expertise, et non d'un tiers, à l'instar de la jurisprudence précitée.

En tant que les demandes des 6 et 8 novembre 2023 visaient à obtenir des documents originaux portant la signature de la plaignante et datés de 2011 à 2018, ces requêtes étaient manifestement en rapport étroit avec le mandat confié, soit procéder à l'authentification des signatures sur les documents litigieux. D'ailleurs, par missives des 7 septembre 2022 et 5 juin 2023 (cf. B.d. documents "chronologiquement antérieurs, contemporains et postérieurs" à ceux contestés, et B.f.), l'expert avait déjà informé le Ministère public avoir besoin et/ou demandé la transmission de ces documents en vue de l'établissement de l'expertise. En tout état, le Ministère public, que ce soit à réception du courriel du 6 novembre 2023 ou du rapport d'expertise, n'a pas réagi, ce qui démontre que la démarche de l'expert s'inscrivait dans le cadre de sa mission.

S'agissant de l'obtention d'autres documents, en particulier de la transmission d'une copie de meilleure qualité du Nominee Agreement, cette éventualité a aussi été expressément prévue et autorisée par le Ministère public dans l'ordonnance et mandat d'expertise du 19 octobre 2023 de sorte que l'expert pouvait y procéder sans aval de ce dernier. Que le conseil de la partie plaignante n'ait toutefois pas donné suite à ladite requête n'y change rien, quel qu'en a été le motif.

Enfin, le fait que l'expert ait recueilli la détermination de E______ quant à l'authenticité de sa signature figurant sur les documents à expertiser qui la comportaient apparemment apparait aussi en rapport étroit avec le mandat confié, ce d'autant que ladite détermination aurait pu être obtenue par une audition de l'intéressée, à laquelle l'expert aurait pu valablement procéder. Au demeurant, cet élément ressortait implicitement de l'ordonnance et mandat d'expertise du 19 octobre 2023, dès lors qu'il y était précisé que E______ se prévalait desdits documents à l'appui de sa plainte. Cela étant, dans leurs écritures, les requérants reprochent davantage à l'expert de s'être basé sur cette seule reconnaissance pour fonder ses conclusions. Or, ce faisant, ils soulèvent un grief relevant d'un cas d'application de l'art. 189 CPP et non de l'art. 56 CPP, n'invoquant rien d'autre que des doutes quant à l'exactitude de l'expertise. Il leur appartenait dès lors, s'ils s'y estimaient fondés, d'agir en ce sens, la procédure de récusation n'ayant pas pour but de contester la manière dont une expertise a été établie. Il en allait de même si les requérants estimaient que l'expert n'avait pas réuni tous les documents utiles à l'établissement de sa mission ou répondu à toutes les questions.

Ainsi, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les démarches entreprises par l'expert entraient dans le cadre de la mission qui lui avait été confiée. Il n'a donc pas agi sans motif valable. Partant, ces faits ne constituent pas un motif de récusation ni même un indice en faveur d'une apparence de prévention de sa part.

4.             Les requêtes sont ainsi rejetées.

5.             Les requérants, qui succombent, assumeront, conjointement et solidairement les frais de la procédure (art. 428 al. 1 CPP), fixés en totalité à CHF 1'500.- (art. 13 al. 1 let. b du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

6.             La partie plaignante, citée, qui obtient gain de cause, n'a fait valoir aucune prétention en indemnité ni a fortiori ne l'a chiffrée ou justifiée au sens de l'art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours (art. 436 al. 1 CPP), de sorte que la Chambre pénale de recours ne peut pas entrer en matière sur ce point (art. 433 al. 2, 2e phrase, CPP).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les requêtes.

Cela fait, les rejette.

Condamne A______ et B______, conjointement et solidairement, aux frais de l’instance, arrêtés à CHF 1'500.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, aux requérants, soit pour eux leurs conseils respectifs, à E______, soit pour elle son conseil, au Dr C______ et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Selim AMMANN, greffier.

 

Le greffier :

Selim AMMANN

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/10/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

40.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- demande sur récusation (let. b)

CHF

1'385.00

Total

CHF

1'500.00