Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/3848/2022

ACPR/349/2024 du 08.05.2024 sur OCL/435/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;FRAIS DE LA PROCÉDURE;INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL);MOTIVATION DE LA DÉCISION;DROIT D'ÊTRE ENTENDU
Normes : CPP.421; CPP.423; CPP.426; CPP.429; CPP.430; Cst.29

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3848/2022 ACPR/349/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 8 mai 2024

 

 

Entre

 

A______, domicilié ______ [GE], agissant en personne,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement partiel rendue le 4 avril 2024 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. Par acte déposé le 15 avril 2024, A______, prévenu, recourt contre l'ordonnance de classement partiel rendue le 4 précédent, notifiée le lendemain, à teneur de laquelle le Ministère public, après avoir imputé les frais de la procédure à l'État (ch. 3 du dispositif), a refusé de lui octroyer "une indemnité et/ou un montant à titre de réparation du tort moral (art. 430 al. 1 let. a CPP) en lien avec le volet" classé (ch. 4).

Il conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 1'594.50, à l'annulation du chiffre 4 précité, et, principalement, au paiement d'une somme de CHF 4'426.35, subsidiairement, au renvoi de la cause au Procureur pour nouvelle décision.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Une procédure pénale est ouverte, depuis 2022, contre A______ des chefs de gestion déloyale (art. 158 CP) et abus de confiance (art. 138 CP).

Il lui est reproché d'avoir, entre 2014 et 2018, en sa qualité d'ancien administrateur d'une société, porté atteinte aux intérêts pécuniaires de celle-ci, en :

·         ayant accordé des prêts, sans contrepartie, ni lien avec l'activité de ladite société, à six personnes physiques/morales – parmi lesquelles B______ –, emprunts qui n'ont pas été (intégralement) remboursés;

·         s'étant approprié des fonds appartenant à cette société.

b.a. Par avis de prochaine clôture du 5 février 2024, le Ministère public a informé le prévenu – représenté par un avocat – qu'il serait renvoyé en jugement pour l'ensemble des faits susmentionnés, à l'exception du prêt consenti à B______, aspect qui ferait l'objet d'une ordonnance de classement partiel.

A______ a été invité, à ce dernier égard, à présenter et justifier d'éventuelles conclusions en indemnisation dans un délai arrivant à échéance le 22 mars 2024.

b.b. À cette dernière date, le prénommé a requis le versement de CHF 4'436.25 au titre de dépens (art. 429 al. 1 let. a CPP), précisant que : aucun comportement illicite/fautif ne pouvait lui être reproché en lien avec l'occurrence classée; l'assistance d'un avocat avait été nécessaire pour assurer sa défense s’agissant de cette occurrence; la somme réclamée correspondait à un cinquième de l'ensemble des notes d'honoraires établies par son conseil, jointes à sa demande.

C. Dans son ordonnance déférée, le Procureur a considéré qu'il se justifiait d'imputer à l'État les frais de la procédure liés à l'aspect classé, "soit exclusivement le coût de [cette] ordonnance et [celui afférent aux] parties d'audiences dédiées" audit aspect (art. 423 CPP).

Après avoir rappelé la teneur des art. 421, 426 al. 2 et 429 al. 1 let. a CPP, il a dénié au prévenu le droit à une indemnité pour les motifs suivants : "A______ n'a[vait] allégué aucun préjudice lié à la poursuite pénale dont il a[vait] fait l'objet en lien avec les faits poursuivis[,] spécifiquement en lien avec le prêt accordé à B______[;] [o]r, il lui incombait de le faire dans le délai qui lui avait été imparti. En tout état, aucun préjudice n'apparai[ssai]t lié à la poursuite du prévenu en lien avec le volet objet de la présente décision de classement, étant relevé qu'un acte d'accusation [était] dressé à son encontre pour les autres faits qui lui [étaient] reprochés; une (…) indemnité pour les éventuels inconvénients subis en raison de sa participation à la procédure pourrait être octroyée, cas échéant en cas d'acquittement".

Le Ministère public se réfère à l'art. 430 al. 1 let. a CPP, dans le dispositif de cette décision, pour nier le droit du prévenu à une indemnisation.

D. a.a. À l'appui du recours rédigé par son avocat, A______ fait valoir que l’ordonnance susvisée est "difficilement compréhensible".

Quoi qu'il en soit, cette décision était erronée. En effet, il pouvait prétendre à l'octroi de dépens totalisant CHF 4'426.35, pour les raisons préalablement exposées par ses soins.

a.b. Par lettre du 29 avril 2024, ledit avocat a informé la Chambre de céans qu'il cessait d'assurer la défense des intérêts de A______.

b. À réception de ces acte et missive, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner les effets accessoires d’un classement partiel, sujets à contestation auprès de la Chambre de céans (art. 322 al. 2 CPP et 393 al. 1 let. a CPP), et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé (art. 382 CPP) à quereller le rejet de ses prétentions en indemnisation.

2. 2.1.1. En cas de classement, les frais de la cause sont généralement supportés par la Confédération ou le canton (art. 423 CPP).

L'art. 426 al. 2 CPP permet toutefois d'imputer au prévenu tout ou partie de ces frais, s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

2.1.2. Le prévenu au bénéfice d'un classement a droit à des dépens (art. 429 al. 1 let. a CPP), pour autant que l’assistance d’un avocat ait été nécessaire (arrêt du Tribunal fédéral 7B_35/2022 du 22 février 2024 consid. 5.2.1).

L'autorité pénale peut refuser l’octroi d’une telle indemnité, lorsque les conditions de l'art. 430 al. 1 let. a CPP, d'une teneur identique à celles de l'art. 426 al. 2 CPP, sont réalisées.

2.1.3. La question de l'indemnisation doit être traitée après celle des frais, la décision sur ceux-ci préjugeant du sort de celle-là (arrêt du Tribunal fédéral 7B_35/2022 précité, consid. 4.2).

Il en résulte que l'imputation des frais au prévenu (art. 426 al. 2 CPP) exclut le droit de ce dernier à une indemnité (art. 430 al. 1 let. a CPP). Inversement, si l'État supporte les frais (art. 423 CPP), l'intéressé doit être indemnisé (art. 429 CPP), principe auquel il ne peut être dérogé qu'à titre exceptionnel (arrêt du Tribunal fédéral 7B_35/2022 précité, consid. 4.2 in fine).

2.2. Lors d'un classement partiel, le ministère public peut, soit renvoyer la fixation des frais et indemnité(s) afférents à l'aspect classé au juge du fond (art. 421 al. 1 CPP), soit statuer lui-même sur ces effets accessoires (art. 421 al. 2 CPP; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1401/2020 du 6 septembre 2021 consid. 3.2.2).

La question desdits frais et indemnité(s) étant interdépendante, elle doit être tranchée par une seule et même autorité (ACPR/161/2022 du 7 mars 2022, consid. 2.4).

2.3. Le droit d'être entendu, garanti par les art. 3 al. 2 let. c CPP et 29 al. 2 Cst féd., impose au magistrat l'obligation de motiver sa décision afin, d’une part, que son destinataire puisse l'attaquer utilement et, d’autre part, que la juridiction de recours soit en mesure d’exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2; 138 I 232 consid. 5.1). Ce droit peut être violé lorsque l’acte attaqué n'est pas (suffisamment) intelligible (arrêt du Tribunal fédéral 5A_328/2023 du 15 février 2024 consid. 6.2.3 in fine).

La Chambre de céans est habilitée, quand l’absence de motivation d’une ordonnance l’empêche de statuer, à renvoyer d’office la cause au procureur (cf. ACPR/950/2023 du 7 décembre 2023, consid. 2.3; ACPR/177/2022 du 10 mars 2022, consid. 9.2 et 9.3).

2.4. In casu, il faut admettre, avec le recourant, que le prononcé litigieux est "difficilement compréhensible", cela sur plusieurs aspects.

Tout d’abord, le Ministère public semble considérer, en se référant aux "inconvénients subis en raison de la participation [du prévenu] à la procédure", que l'indemnité réclamée consisterait en la réparation d'un tort moral (art. 429 al. 1 let. c CPP) alors qu'elle concerne l'indemnité pour ses frais de représentation (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Ensuite, le Procureur renvoie, dans les motifs de sa décision, le sort d'un éventuel défraiement à l'autorité de jugement, tout en niant, en parallèle, au chiffre 4 du dispositif, le droit du recourant à une indemnisation, conclusion qu'il fonde, au demeurant, sur une base légale (art. 430 al. 1 let. a CPP) qu’il ne cite, à aucun moment, dans le corps de cette décision.

De plus, le Ministère public laisse les frais liés au classement partiel à la charge de l'État (art. 423 CPP), mais refuse, simultanément, d'indemniser le prévenu (art. 430 al. 1 let. a CPP), sans expliquer pourquoi il s'écarte, le cas échéant à titre exceptionnel, du principe selon lequel la décision sur les frais préjuge de l'application de l'art. 429 CPP.

Enfin, le Procureur relève que l'existence d'un préjudice lié à la poursuite pénale de l'occurrence classée ne serait ni alléguée, ni établie. Or, le recourant expose avoir encouru des frais d'avocat de ce chef (art. 429 al. 1 let. a CPP) et il résulte de l’ordonnance querellée que des "parties d'audiences" ont été consacrées à une telle occurrence.

À cette aune, la motivation du prononcé litigieux est trop confuse pour que la Chambre de céans – qui n'a pas à statuer, pour la première fois, au stade d'un recours, sur l'indemnité sollicitée par un prévenu – puisse la contrôler.

2.5. Il s'ensuit que le recours doit être admis, le chiffre 4 du dispositif de la décision attaquée, annulé, et la cause renvoyée au Ministère public pour qu'il se prononce à nouveau sur les (éventuels) dépens dus au prévenu.

Au regard de la nature procédurale du vice constaté, il n'était pas nécessaire d'inviter le Ministère public à se déterminer, la Chambre de céans n’ayant point traité la cause sur le fond (cf. par analogie arrêt du Tribunal fédéral 7B_271/2023 du 1er février 2024 consid. 4.1 et les références citées, notamment ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2).

3. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

4. Le prévenu, qui obtient gain de cause, peut prétendre à l'octroi de dépens (art. 436 al. 2 CPP), son acte de recours ayant été rédigé par un avocat.

Il réclame CHF 1'594.50 à ce titre, correspondant à 4 heures et 15 minutes d'activité de collaborateur ainsi qu'à 30 minutes de prestations de chef d'étude, facturées aux tarifs horaires respectifs de CHF 300.- et CHF 400.-, pour la rédaction d'un mémoire de 7 pages.

Compte tenu du motif d'admission du recours, le temps comptabilisé pour le premier de ces avocats sera ramené à 1 heure.

Une somme de CHF 540.50 sera donc allouée au prévenu (1 heure d'activité rétribuée à CHF 300.- + 30 minutes à CHF 400.- = CHF 500.-, majorés de la TVA à 8.1% [soit CHF 40.50]) et mise à la charge de l'État.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule, en conséquence, le chiffre 4 du dispositif de l'ordonnance attaquée.

Renvoie la cause au Ministère public pour nouvelle décision sur ce point, au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 540.50, TVA à 8.1% incluse, pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Valérie LAUBER, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).