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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6291/2022

ACPR/190/2024 du 14.03.2024 sur ONMMP/1127/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DÉCISION DE RENVOI;COMPLÉMENT;ENQUÊTE PÉNALE
Normes : CPP.310

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6291/2022 ACPR/190/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 14 mars 2024

 

Entre

A______ SA, ayant son siège social sis ______ [VD], représentée par Me Cyrille PIGUET, avocat, rue du Grand-Chêne 8, case postale 5463, 1002 Lausanne,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 11 avril 2022 par le Ministère public,

(par suite de l'arrêt du Tribunal fédéral 7B_11/2023)

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


Vu :

-        la plainte pénale déposée le 1er octobre 2020 par A______ SA (anciennement B______ SA) contre inconnu, pour le vol de la [voiture de marque] C______/1______, immatriculée VD 2______, commis, à Genève, entre le 17 août à 17h00 et le 30 septembre 2020 à 9h00. Le véhicule – en leasing – avait été mis à la disposition d’un client l'ayant garé dans un parking souterrain, accessible par une clé ou un badge, étant souligné que la voiture ne disposait pas de dispositif de traçage ni de carte SIM intégrée;

-        le complément de plainte du 22 juin 2021 faisant état de soupçons contre D______, laquelle était l'ex-compagne de E______ [dont il faut comprendre qu'il est le client évoqué dans la plainte] et conduisait régulièrement le véhicule jusqu'à leur séparation en octobre 2019. La précitée avait présenté E______ à F______, un ami garagiste, lequel s'était ensuite occupé de l'entretien de la voiture. F______ avait dit à E______ avoir entendu des rumeurs, selon lesquelles D______ aurait dérobé les clés de la voiture avant leur séparation, contacté des tiers en vue de la livrer en France contre paiement et volé la voiture dans le garage, étant précisé qu'il avait reçu des messages sur son téléphone, qu'il était disposé à révéler;

-        l'audition de D______ [en tant que prévenue] effectuée à la police, lors de laquelle elle a contesté les faits, affirmant ne jamais avoir eu le double des clés de la C______ et mettant en cause F______ pour lui avoir proposé de l'aider à voler le véhicule en vue de le vendre au Portugal, ce qu'elle avait refusé;

-        les deux auditions à la police de F______ [comme personne appelée à donner des renseignements], lequel a déclaré avoir dit à E______ que D______ avait "sûrement" le double des clés et que, selon des rumeurs, elle aurait "sûrement" dérobé le véhicule pour se faire de l'argent. Il n'avait rien dit de plus, ne possédait aucun message sur son téléphone concernant cette affaire et n'avait nullement proposé à D______ de voler la voiture;

-        l'ordonnance du 11 avril 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur la plainte;

-        le recours expédié le 22 avril 2022 par A______ SA;

-        les sûretés en CHF 900.- versées par la recourante;

-        l'arrêt de la Chambre de céans du 5 décembre 2022 (ACPR/850/2022), déclarant irrecevable le recours, au motif que A______ SA ne disposait pas de la qualité pour recourir;

-        l'arrêt du Tribunal fédéral du 27 septembre 2023 (7B_11/2023) admettant le recours, annulant l'arrêt susvisé et renvoyant la cause à la Chambre de céans pour nouvelle décision, en particulier pour déterminer si, au moment de l'infraction dénoncée, A______ SA était preneuse de leasing, auquel cas la qualité pour recourir devait lui être reconnue;

-        la détermination de A______ SA du 1er mars 2024 et les pièces produites;

-        la lettre du Ministère public du 4 suivant, s'en rapportant à l'appréciation de la Chambre de céans et renonçant à formuler des observations.

Attendu que :

-        dans son arrêt de renvoi, le Tribunal fédéral a considéré que la qualité pour recourir devait être admise si, au moment de l'infraction dénoncée, A______ SA était preneuse du leasing. Le cas échéant, elle disposerait à l'évidence d'un intérêt à la conservation de l'objet du leasing et, en cas de vol du véhicule, la qualité de lésée devrait lui être reconnue;

-        à l'appui de sa détermination, A______ SA a produit le contrat de leasing du véhicule déclaré volé et la facture du 25 mars 2021 par laquelle le bailleur de leasing lui réclamait le solde dû (loyers, intérêts et frais), pour un montant total de CHF 118'954.40 (TVA incluse);

-        dans l'ordonnance querellée, le Ministère public avait retenu que les soupçons n'étaient pas suffisants pour retenir une prévention pénale à l'encontre de D______, au vu des déclarations contradictoires des parties et celles de F______ se fondant seulement sur des rumeurs. En l'absence d'autres éléments de preuve, il n'était pas possible de privilégier une version plutôt qu'une autre;

-        à l'appui de son recours, A______ SA sollicite divers actes d'enquête parmi lesquels des commissions rogatoires internationales. Compte tenu des auditions effectuées à la police, le Ministère public avait ouvert une instruction et n'était, dès lors, plus en mesure de rendre une décision de non-entrée en matière. En agissant ainsi, l'autorité précédente l'avait empêchée de faire valoir son droit d'être entendue;

-        dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours, relevant que les actes d'enquête sollicités étaient inutiles et qu'une demande d'entraide internationale – même si elle permettrait éventuellement de faire avancer les investigations – était disproportionnée;

-        A______ SA persiste dans ses conclusions.

Considérant en droit que :

-        le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP);

-        à teneur des pièces produites, la recourante est preneuse du leasing, de sorte que la qualité pour recourir (art. 382 al. 1 CPP) doit lui être reconnue;

-        selon l'art. 310 al. 1 let. a. CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis;

-        le terme "immédiatement" indique que l'ordonnance de non-entrée en matière doit être rendue à réception de la dénonciation, de la plainte ou du rapport de police avant qu'il ne soit procédé à de plus amples actes d'enquête et qu'une instruction ne soit ouverte selon l'art. 309 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_89/2022 du 2 juin 2022 consid. 2.2). Selon la jurisprudence, le ministère public peut néanmoins procéder à certaines vérifications. Il peut notamment donner des directives et confier des mandats à la police dans le cadre des investigations policières (art. 307 al. 2 CPP; arrêts du Tribunal fédéral 6B_89/2022 précité consid. 2.2 et 6B_290/2020 du 17 juillet 2020 consid. 2.2);

-        avant l'ouverture d'une instruction, le droit de participer à l'administration des preuves ne s'applique en principe pas (art. 147 al. 1 CPP a contrario; ATF 143 IV 397 consid. 3.3.2 i. f. et 140 IV 172 consid. 1.2.2). En outre, avant de rendre une ordonnance de non-entrée en matière, le ministère public n'a pas à informer les parties ni n'a l'obligation de leur fixer un délai pour présenter d'éventuelles réquisitions de preuve, l'art. 318 CPP n'étant pas applicable dans ce cas. Le droit d'être entendu des parties est en effet assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière (cf. art. 310 al. 2, 322 al. 2 et 393 ss CPP). Cette procédure permet aux parties de faire valoir tous leurs griefs – formels et matériels – auprès d'une autorité disposant d'une pleine cognition en fait et en droit (arrêt du Tribunal fédéral 6B_866/2021 consid. 2.2.2);

-        en l'espèce, le Ministère public était fondé, au sens de la jurisprudence précitée, à charger la police de procéder aux auditions effectuées sans ouvrir d'instruction. En outre, la recourante ayant pu faire valoir ses griefs devant la Chambre de céans, son droit d'être entendue a été pleinement respecté;

-        au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310);

-        en l'occurrence, le Ministère public s'est fondé sur les seules allégations de la mise en cause et de son ami garagiste, sans procéder à d'autres actes d'instruction, en particulier à l'audition de l'utilisateur du véhicule, avant de confronter les intéressés entre eux. En outre, comme suggéré par le Ministère public, des démarches visant à localiser le véhicule pourraient faire avancer l'enquête, celles-ci paraissant raisonnables et restant proportionnées à la valeur de la voiture;

-        partant, l'ordonnance querellée, en ce qu'elle est à tout le moins prématurée, sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour complément d'enquête, voire l'ouverture d'une instruction;

-        la recourante qui a gain de cause, ne supportera aucun frais, de sorte que les sûretés versées lui seront restituées;

-        elle n'a pas conclu à l'octroi de dépens devant la Chambre de céans ni ne les a – a fortiori – chiffrés, de sorte qu'il ne lui en sera pas alloué (art. 433 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Admet le recours.

Annule l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 11 avril 2022 et renvoie la cause au Ministère public pour complément d'enquête.

Laisse les frais de la procédure de recours à charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA l'avance de frais qu'elle a effectuée en CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).