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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/4113/2024

ACPR/147/2024 du 27.02.2024 sur OTMC/420/2024 ( TMC ) , ADMIS

Descripteurs : RISQUE DE COLLUSION
Normes : CPP.221

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4113/2024 ACPR/147/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 27 février 2024

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de mise en détention rendue le 13 février 2024 par le Tribunal des mesures de contrainte

 

et

LE TRIBUNAL DES MESURES DE CONTRAINTE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3

intimés.

 


EN FAIT :

A.           Par acte reçu le 19 février 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 13 précédent, par laquelle le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après : TMC) a ordonné son placement en détention provisoire jusqu’au 11 avril 2024.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et à sa libération immédiate, le cas échéant sous interdiction de contacter son comparse et obligation de s’en détourner en cas de rencontre fortuite.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a.             A______, ressortissant portugais né en 2001, domicilié à Genève et titulaire d’un permis d’établissement, a été surpris le 10 février 2024 à D______ [VD], où il tentait – en compagnie d’un ami relâché sur ces entrefaites par le Ministère public – d’acquérir des téléphones portables sous de fausses identités. L’opérateur téléphonique concerné n’a pas déposé plainte pénale.

b.             En revanche, il est apparu que, à la fin du mois de janvier 2024, puis encore le 9 février 2024, A______, apparemment seul et sous d’autres fausses identités, avait conclu, à Genève, deux abonnements téléphoniques – dont l’un comprenait la remise d’un téléphone portable, qu’il n’obtiendra pas, et d’un haut-parleur d’une valeur d’environ CHF 150.-, qu’il obtiendra – et avait tenté d’en conclure deux autres. Les fausses identités exhibées sont des photographies, enregistrées dans son portable, de documents d’identité falsifiés, comportant sa photo.

c.              Prévenu d’escroqueries, tentée et achevée, ainsi que de faux dans les certificats, A______ admet les faits.

À la police, il a précisé avoir eu rendez-vous, la semaine précédant les faits, à E______ [VD], avec un inconnu surnommé « F______ ». Il avait remis des cartes SIM à un envoyé de celui-ci, à Genève.

Quelques jours plus tard, il rétractera cette version, affirmant n’avoir jamais rencontré le fournisseur de ses faux papiers d’identité et avoir acquis ceux-ci via une application informatique, après les avoir payés en crypto-monnaie ; son comparse de D______ n’était pas un ami, mais une relation qu’il n’avait jamais rencontrée auparavant et avec qui il avait voulu essayer de se procurer un téléphone portable par le subterfuge d’une fausse identité.

d.             A______ est en recherche de place d’apprentissage et suit deux cours en formation à la vente dans un collège et école de commerce. Il aurait « un peu » d’argent en banque (CHF 11'000.-, selon sa fiche de situation personnelle et financière ; les recherches bancaires sont en cours) et avait pu régler des poursuites pour dettes ; il gagnerait jusqu’à CHF 5'000.- par mois grâce à des paris sportifs, voire plus en livrant des plats à domicile, et serait débiteur de CHF 5'000.- envers un ami. Il a séjourné à G______ (USA) au mois de décembre 2023. Selon la correspondance interceptée par le Ministère public, il avertit des proches qu’il ne pourra pas séjourner à H______ [Italie] comme prévu et que l’appartement [de la plateforme de location] I______ « à J______/H______ » et son billet d’avion pour cette seconde destination pourraient servir à son « clippeur ». Son casier judiciaire montre deux condamnations à des peines pécuniaires, la première en 2022 (tentative d’escroquerie ; selon le Ministère public, il s’agit de faits analogues à ceux présentement poursuivis) et la seconde en 2024 (utilisation frauduleuse répétée d’un ordinateur et tentative de la même infraction), précédées respectivement d’un et deux jours de détention avant jugement.

C.           Dans l'ordonnance attaquée, le TMC écarte le risque de réitération, au motif d’une jurisprudence restrictive en la matière. Il retient en revanche le risque de collusion, que ni la saisie du téléphone portable de A______ ni la libération du comparse n’affaibliraient. Une confrontation s’imposait toutefois dans les meilleurs délais, ainsi que la prise au plus vite de mesures propres à identifier et interpeller les faussaires. Des interdictions de contact à ce sujet seraient insuffisantes et invérifiables.

D.           a. Dans son recours, A______ fait essentiellement valoir que les charges retenues contre lui ne justifiaient pas une privation de liberté. L’incarcération l’empêchait de poursuivre sa formation et passer des examens et s’avérait disproportionnée. Le faussaire n’avait qu’une existence virtuelle et ne pouvait plus être contacté, puisque le téléphone portable avec lequel ils s’entretenaient était en mains de la police. Son comparse avait été rencontré une seule fois ; une interdiction de le voir ou de communiquer avec lui suffirait à pallier toute collusion.

b. Le TMC déclare maintenir les termes de son ordonnance, et le Ministère public, renvoyant à celle-ci, propose de rejeter le recours.

c.A______ a répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 222 et 393 al. 1 let. c CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant admet les faits et ne s'exprime pas sur les charges retenues, sauf à contester que leur gravité puisse suffire à son placement en détention.

Il est vrai que l’astuce consistant à se légitimer non pas au moyen de documents d’identité, mais de photographies enregistrées dans un smartphone eût, peut-être, pu être déjouée en exigeant une pièce d’identité au format papier. Cela étant, un enregistrement sur un support-image peut constituer un titre (art. 110 al. 4, 2e phrase, CP). Pour le surplus, le recourant ne remet pas en cause les qualifications juridiques des préventions qui lui ont été notifiées.

Tout bien considéré, ces préventions, soit deux tentatives et deux commissions achevées – dont la première de celles-ci a tout au plus permis l’acquisition d’un haut-parleur d’une valeur inférieure au seuil de CHF 300.- visé à l’art. 172ter al. 1 CP (cf. ATF 142 IV 129 consid. 3.1) –, ne sont pas d’une grande gravité. C’est d’autant plus vrai que, même signé, le second contrat d’abonnement conclu ne devrait pas entraîner de perte financière pour l’opérateur téléphonique, puisque la supercherie y relative a été découverte sur-le-champ.

3.             Le recourant affirme que le risque de collusion ne peut pas être valablement invoqué.

3.1.       Conformément à l'art. 221 al. 1 let. b CPP, la détention provisoire ne peut être ordonnée que lorsque le prévenu est fortement soupçonné d'avoir commis un crime ou un délit et qu'il y a sérieusement lieu de craindre qu'il compromette la recherche de la vérité en exerçant une influence sur des personnes ou en altérant des moyens de preuve. Pour retenir l'existence d'un risque de collusion, l'autorité doit démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction doivent être encore effectués et en quoi la libération du prévenu en compromettrait l'accomplissement. Dans cet examen, entrent en ligne de compte les caractéristiques personnelles du détenu, son rôle dans l'infraction ainsi que ses relations avec les personnes qui l'accusent. Entrent aussi en considération la nature et l'importance des déclarations, respectivement des moyens de preuve susceptibles d'être menacés, la gravité des infractions en cause et le stade de la procédure. Plus l'instruction se trouve à un stade avancé et les faits sont établis avec précision, plus les exigences relatives à la preuve de l'existence d'un risque de collusion sont élevées (ATF 137 IV 122 consid. 4.2 ; 132 I 21 consid. 3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_464/2023 du 11 septembre 2023 consid. 4.1).

3.2.       En l'espèce, le risque de collusion ne peut pas être retenu envers le comparse, puisque non seulement sa version des faits a été recueillie par la police, mais aussi, voire surtout, parce que le Ministère public – qui l’a relâché sans l’entendre – n’a pas estimé que les explications des deux protagonistes imposeraient leur confrontation.

Par ailleurs, faute d’explication concrète du Ministère public sur ses espoirs d’identifier « F______ » – et susceptibles de se réaliser à brève échéance, par exemple avant le terme fixé dans la décision attaquée –, on ne discerne pas de perspective de démanteler, par exemple, une bande d’escrocs actifs sur internet, locaux ou internationaux, et au sein de laquelle le recourant jouerait un rôle de longue date. Si les condamnations de celui-ci tendent à montrer des similitudes avec les faits présentement poursuivis, on observera qu’elles n’ont été précédées que d’un ou deux jours de détention avant jugement et qu’elles n’ont donc pas nécessité d’investigations poussées en vue de mettre préalablement hors d’état de nuire tous les éventuels aigrefins.

Sous l'angle d’une mesure de substitution au sens de l'art. 237 al. 1 let. g CPP, on ne verrait pas comment prohiber efficacement tout contact du recourant avec ces inconnus (cf. ACPR/851/2021 du 8 décembre 2021 consid. 3.2.). D'ailleurs, il a déjà été jugé que l'interdiction d'entrer en contact au sens de la disposition précitée ne pouvait en principe porter que sur des personnes déterminées, car il est primordial que les mesures de substitution ordonnées soient suffisamment précises quant à leur contenu (arrêt du Tribunal fédéral 1B_485/2019 du 12 novembre 2019 consid. 3.4.2). L’interdiction, mieux ciblée, de contacter le comparse de D______ – qui ne semble avoir agi qu’à une reprise avec le recourant – paraît exister de facto grâce au téléphone portable saisi, sans que les actes les mettant en cause n’appellent de mesure plus incisive après l’élargissement du premier.

4.             Il n’y a rien à reprendre, en l’état, à l’analyse du premier juge sur le risque de réitération (que le Ministère public, du reste, ne remet pas en question dans ses observations).

En matière d’escroquerie, la jurisprudence exige, en effet, que les circonstances concrètes révèlent des victimes particulièrement durement atteintes dans leur patrimoine et/ou un prévenu menant un train de vie luxueux, sans avoir, cas échéant, été dissuadé de réitérer en dépit de nombreuses condamnations ; à défaut, la sécurité d’autrui n’est pas ou pas suffisamment menacée ; ainsi en va-t-il d’escrocs en série qui n’ont jamais gravement lésé le patrimoine d’autrui (ATF 146 IV 136 consid. 2.5 et 2.6).

Reste la question de l’origine des moyens financiers du recourant, suffisants semble-t-il – nonobstant CHF 5'000.- de dette – pour lui avoir permis de séjourner à G______ au mois de décembre 2023, puis de réserver un prochain voyage en Italie, alors qu’il est en recherche d’emploi, mais disposerait de quelque CHF 11'000.- d’épargne.

5.             Faute de risque étayé de collusion, le recours doit être admis.

6.             Le recourant, qui a gain de cause, ne supportera pas de frais.

7.             La procédure n'étant pas terminée, il n'y a pas lieu d'indemniser, à ce stade, son défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours, annule la décision attaquée et ordonne la mise en liberté immédiate de A______, s’il n'est retenu pour une autre cause.

Laisse les frais de l'instance à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour – préalablement par courriel –, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur), au Ministère public et au Tribunal des mesures de contrainte.

En communique le dispositif pour information à la prison de B______.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).