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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/351/2016

ACPR/124/2024 du 19.02.2024 sur OCL/1379/2023 ( MP ) , REJETE

Recours TF déposé le 21.03.2024, 7B_351/2024
Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;TRAITE D'ÊTRES HUMAINS;FAUX TÉMOIGNAGE;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ
Normes : CPP.382; CPP.319; CPP.5; CP.307; CP.182

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/351/2016 ACPR/124/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 19 février 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre les ordonnances de classement rendues le 9 octobre 2023 par le Ministère public, ainsi que pour déni de justice et retard injustifié,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 20 octobre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 9 octobre 2023, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé la procédure à l'égard de C______ pour faux témoignage.

Le recourant conclut, préalablement, à la jonction de son recours avec celui qu'il avait l'intention de déposer le 23 octobre suivant (cf. let. A. b. infra) ; principalement, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il engage l'accusation contre le prénommé.

b. Par un second acte, expédié le 23 octobre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 9 octobre 2023, notifiée le 12 suivant, aux termes de laquelle le Ministère public a classé la procédure dirigée contre D______, en tant qu'elle concernait les faits constitutifs de traite d'êtres humains.

Il conclut, préalablement, à la jonction de son acte avec ses autres recours des 4 et 20 octobre précédents, formés pour déni de justice et retard injustifié, respectivement contre la décision de classement précitée. Principalement, il conclut, sous suite de frais et dépens, au constat d'une violation des art. 4 et 6 CEDH ; cela fait, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi en jugement de D______ du chef d'infraction à l'art. 182 CP. Subsidiairement, il conclut à l'octroi d'une indemnité de CHF 20'000.- à titre de réparation de son tort moral et à la "rectification du montant de l'indemnisation due" à son conseil juridique gratuit.

c. Au bénéfice de l'assistance judiciaire, le recourant a été dispensé du versement des sûretés pour ses deux recours (art. 383 al. 1 CPP).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Par courrier du 6 janvier 2016, A______, ressortissant indien né en 1982, a déposé plainte contre D______, de nationalités suisse et indienne, domicilié à Genève, pour traite d'êtres humains (art. 182 CP), contrainte (art. 181 CP), menaces (art. 180 CP), usure (art. 157 CP), escroquerie (art. 146 CP), abus de confiance (art. 138 CP), voies de fait (art. 126 CP) et infractions aux assurances sociales (art. 76 LPP, 87 LAVS et 112 LAA).

En substance, il a exposé avoir quitté son pays d'origine en 2011 pour s'établir en Italie, où il avait d'abord œuvré dans le domaine agricole, puis la restauration.

Lors d'un voyage en Inde, en 2014, D______ – qu'il connaissait sous l'identité de E______ et qui entretenait des liens étroits avec sa famille – avait rendu visite à son père, F______. Informé par celui-ci de sa présence [à lui] en Italie, D______, qui gérait plusieurs commerces à Genève, l'avait appelé pour lui proposer de le rejoindre en Suisse, lui promettant de lui obtenir un permis de travail et de lui verser un salaire mensuel entre CHF 2'500.- et CHF 4'000.-.

Il avait accepté l'offre, et, faisant confiance au prénommé – qu'il considérait comme son oncle –, avait réuni ses économies (EUR 7'000.-) et pris un vol à destination de Genève depuis G______ [Italie] le 26 novembre 2014. À son arrivée en Suisse, il n'était pas parvenu à localiser l'intéressé – qui n'avait pas donné suite à ses appels –, ignorant alors qu'il avait changé de nom.

Après avoir passé plusieurs nuits dans un appartement, loué par des vendeurs de fleurs, il avait finalement emménagé chez D______, après que ce dernier l'eut appelé le 21 décembre 2014. Il disposait d'une petite chambre individuelle, étant précisé que l'appartement était également occupé par H______, ex-épouse de D______.

Par ailleurs, lors de son emménagement, il avait demandé au prénommé de conserver ses économies "en lieu sûr". "Quelques temps après", ce dernier lui avait néanmoins indiqué en avoir utilisé une partie pour payer les démarches en vue de l'obtention de son permis de travail [à lui]. De plus, D______ lui avait pris son passeport indien, lequel lui avait été temporairement restitué, lorsqu'il s'était rendu à G______ pour renouveler son titre de séjour italien.

Dès le 6 janvier 2015, il avait été tenu d'effectuer les tâches domestiques, notamment les repas et lessives, au sein du domicile de D______. Durant la journée, il devait en outre travailler dans le magasin de tabac de ce dernier, ainsi que dans d'autres établissements commerciaux. Deux fois par mois, il était notamment chargé du nettoyage d'un bureau de change, géré par une société, dont I______ et D______ étaient respectivement administrateur et ancien administrateur-président. Chargé en outre des courses, il devait également préparer du riz "cinq à quinze fois par mois" au sein du restaurant "J______" à Genève, dont les deux prénommés étaient associés ; et confectionner "cinquante samosas" deux à trois fois par semaine. Il travaillait entre 16 et 18 heures par jour, tous les jours de la semaine, sans congé ni rémunération, D______ s'étant uniquement acquitté de ses frais de repas, de logement, de téléphone (des cartes téléphoniques prépayées ayant été mise à sa disposition) et de voyage à G______, où il s'était rendu à trois reprises en avion.

De plus, entre avril et mi-juin 2015, sur instructions du prénommé, il avait travaillé dans le restaurant dont C______ était propriétaire à K______ [France], sans percevoir de salaire. Ses journées de travail commençaient à 8h00 et se terminaient à 23h30. Pendant les heures de fermeture, il était parfois autorisé à se reposer. Si l'établissement était fermé le dimanche, il devait néanmoins s'y rendre le matin pour le nettoyer. Durant cette période, une chambre dans un appartement à K______ avait été mise à sa disposition par C______, lequel l'y emmenait en voiture, après la fermeture du restaurant.

Lorsqu'il avait repris son travail pour D______, à la mi-juin 2015, il lui avait réclamé à plusieurs reprises le paiement de son salaire, mais l'intéressé était devenu "violent verbalement", lui expliquant notamment que sa demande de permis de travail était toujours en cours de traitement et qu'il [D______] remettrait l'argent à son père, lors d'un voyage en Inde, en décembre 2015.

Dans le courant du mois de septembre ou octobre 2015, toujours sur instructions de son employeur, il avait travaillé pendant deux semaines dans une grande villa à proximité de W______ [VD], pour une somme de CHF 2'000.-, qu'il avait confiée à D______, qui lui avait promis de la remettre à son père en fin d'année.

Le 24 octobre 2015, il avait finalement été licencié par son employeur, qui lui avait demandé de partir de son appartement, ce qu'il avait fait. L'intéressé lui avait également recommandé de quitter la Suisse, afin d'éviter tout "problème".

Le lendemain, après avoir passé la nuit dans la rue, il s'était présenté dans le bureau de tabac de D______ pour contester son licenciement, réclamer ses salaires, économies et passeport, mais en vain. En échange "d'argent", ce dernier lui avait demandé de signer un document rédigé en français, ce qu'il avait refusé de faire, n'en comprenant pas la teneur. Par ailleurs, afin de le dissuader de déposer plainte contre lui, l'intéressé lui avait indiqué avoir un avocat, des amis au sein de la police ainsi que des connaissances au sein de l'ambassade indienne et de l'Organisation des Nations Unies. Enfin, D______ lui avait expliqué qu'il lui procurerait un billet d'avion et que son passeport lui serait restitué à l'aéroport de Genève, mais il avait refusé de céder "à ce chantage".

Dans les jours qui suivirent, il avait été hébergé successivement par deux connaissances, L______ et M______, puis assisté par [les associations] N______ et O______.

En définitive, D______ avait profité de sa situation de précarité, de même que de ses problèmes de santé, pour l'inciter, sur la base d'une tromperie, à venir en Suisse, où il avait travaillé dans des "conditions illicites et intolérables". C'était en raison de son état de vulnérabilité et de la relation entretenue par sa famille avec D______, qu'il avait cru aux promesses de celui-ci. L'intéressé s'était ainsi rendu coupable de traite d'êtres humains, subsidiairement d'usure, voire d'escroquerie.

D______, qui l'avait menacé à plusieurs reprises, s'était en outre rendu coupable de contrainte, subsidiairement de tentative de contrainte, voire de menaces et d'instigation de voies de fait. De plus, il avait commis un abus de confiance, en s'appropriant les EUR 7'000.- qu'il lui avait confiés ; et l'avait employé sans le déclarer et sans s'être acquitté des cotisations sociales le concernant, se rendant coupable d'infractions aux assurances sociales.

Partant, il demandait l'ouverture d'une instruction et à bénéficier de l'assistance judiciaire. Il sera, par ordonnance du 5 avril 2016, mis au bénéfice de l'assistance juridique gratuite et Me B______, nommé à la défense de ses intérêts.

a.b. À l'appui de sa plainte, A______ a produit un bordereau de seize pièces, comprenant notamment :

- une copie de son passeport indien ;

- des extraits du Registre du commerce de Genève relatifs à plusieurs sociétés, dont P______ SÀRL, ayant D______ pour associé-gérant avec signature individuelle ; et

- une photographie – non datée – supposément prise dans le restaurant de K______, montrant neuf personnes attablées, dont C______, D______ et I______.

b. Entendu le 22 suivant par la police, A______ a confirmé sa plainte, précisant s'être rendu en Suisse sur insistance de D______. Avant les faits dénoncés, il exerçait une activité lucrative en Italie, où il était au bénéfice des autorisations nécessaires et "vivait bien". "Par souci de sécurité", il avait confié au prénommé ses économies, passeport et effets personnels, qu'il n'avait pas pu récupérer depuis. Interrogé sur la raison pour laquelle il n'avait pas effectué de démarches en vue d'obtenir un nouveau passeport sur la base de son ancien – dont il était en possession –, il a expliqué ne pas avoir signalé son document d'identité comme étant perdu.

c. Il ressort de l'instruction de la cause que A______ a voyagé en avion le 26 novembre 2014 (au départ de G______ à destination de Genève) et à trois autres reprises entre janvier et mars 2015 (vols aller-retour Genève-G______).

Le vol du 26 novembre 2014 avait été réservé par un dénommé Q______ ; ceux des 5, 9, 26 et 30 janvier 2015 par une certaine R______, tandis que ceux des 22 et 26 mars suivants par A______ lui-même.

Selon le rapport de renseignements de la police du 29 février 2016, R______, ressortissante indienne, domiciliée à Genève, était la fille de S______, épouse de D______. Quant à Q______, il résidait à G______ et disposait d'un numéro de téléphone italien.

Il ressort par ailleurs de la documentation bancaire recueillie que D______ était titulaire d'une relation auprès de [de la banque] T______. Deux transferts (EUR 4'908.29 et EUR 3'979.40) ont été effectués depuis celle-ci en faveur de C______, les 24 novembre 2014 et 23 mars 2015.

d. Sur présentation d'une planche photographique, A______ a reconnu U______ et V______, précisant que cette dernière résidait dans la propriété à proximité de W______ [VD] où il avait travaillé en 2015, sur instructions de D______. Ses journées de travail au sein de la villa débutaient à 6h30 et se terminaient vers 22h00. Il disposait d'un jour et demi de congé par semaine et de deux heures de pause par jour, ajoutant n'avoir pas été "maltraité" par ses employés. Il s'occupait des tâches ménagères, des repas, de promener et de nourrir les chiens. Deux autres personnes, d'origines philippine, respectivement népalaise, avaient travaillé avec lui. Selon lui, les membres de la famille U______/V______ avait un arrangement avec D______, lequel se chargeait de leur trouver des employés domestiques, en échange d'une somme d'argent. En effet, lorsqu'il avait lui-même été présenté à U______, cette dernière avait remis CHF 400.- en espèces au prénommé.

e. Interpellé le 5 décembre 2016, D______ a contesté les faits reprochés. Né en Inde, sous le nom de E______, il était arrivé en Suisse en 1984, après avoir officiellement changé d'identité dans son pays d'origine. Gérant d'un magasin de tabac depuis 1994, il y travaillait seul. Il était également propriétaire de la société P______ SÀRL, exploitant ce magasin depuis 2010. En 2013, il avait investi dans le bureau de change exploité par une société dont il était administrateur pendant environ six mois, avant de revendre ses parts. Depuis 2006, il mettait par ailleurs sa patente à disposition de I______, qui gérait le restaurant "J______".

Cinq mois avant son interpellation, il avait subi une opération de l'épaule, puis de la cataracte, l'ayant conduit à engager un couple d'origines indienne, respectivement équatorienne – au bénéfice des autorisations nécessaires – pour l'aider dans son magasin de tabac. Il avait également employé un réfugié, titulaire d'un permis N, durant un mois et demi. En revanche, A______ n'avait jamais travaillé pour lui. Il connaissait les père et grand-père de ce dernier, originaires du même village indien que lui. Lors d'un entretien téléphonique, en septembre ou octobre 2014, F______ avait sollicité son aide, en lui expliquant que le plaignant était à Genève et vivait dans un appartement occupé par des vendeurs de roses. Etant un ami de la famille, il avait accepté de venir en aide à A______, qui avait emménagé chez lui en novembre 2014. Ce dernier avait occupé la chambre de sa fille, X______, qui résidait temporairement à Y______ [France].

Dans la mesure où A______ avait émis le souhait d'apprendre le français, H______, son ex-épouse [à lui], l'avait inscrit dans une école de langue, où les cours étaient dispensés gratuitement. En revanche, aucune démarche administrative n'avait été effectuée pour le compte du plaignant. Pour le surplus, ce dernier, qui ne savait pas cuisiner, ne s'était pas occupé des tâches domestiques ou ménagères au sein de son domicile. Ses passeport et économies ne lui avaient pas non plus été confisqués, étant précisé que l'intéressé n'avait pas d'argent sur lui.

Il avait demandé à C______ s'il pouvait apprendre la cuisine indienne à A______, mais ce dernier était seulement resté dix jours dans le restaurant, en raison de son comportement agressif.

Pour le surplus, il n'avait pas demandé au plaignant de travailler dans une villa à proximité de W______ [VD]. Enfin, il n'avait jamais fait preuve de violence physique ou verbale à son égard, ni n'avait envoyé des individus pour l'intimider. Il était convaincu que son frère, Z______ – avec lequel il était en conflit – était à l'origine des accusations portées contre lui.

Devant le Ministère public, D______ a confirmé ses déclarations, précisant que son magasin de tabac était ouvert de 13h30 à 22h00, tous les jours de la semaine. Il y travaillait, seul, depuis vingt-trois ans et n'avait pas besoin d'assistance, sous réserve de la période durant laquelle il avait employé deux ou trois personnes pour l'aider en raison de ses problèmes de santé. Il a nié connaître U______ et les filles de cette dernière.

f. Selon le rapport de renseignements du 12 décembre 2016, la police s'est rendue au domicile de AA______ et AB______, à AC______ [VD], où A______ affirmait avoir travaillé sur instructions de D______. Sur place, les agents ont été mis en présence de U______, mère de AA______. Ils ont également aperçu AD______, employée de maison, de nationalité indienne, ainsi qu'un jardinier, ressortissant suisse. Un autre employé, ayant pris la fuite, n'a pas pu être identifié.

g. Plusieurs personnes ont été auditionnées par la police et/ou par le Ministère public.

g.a. Z______, entendu en qualité de personne appelée à donner des renseignements, a expliqué que son frère, D______, employait souvent des étudiants et migrants sans les déclarer.

g.b. C______, auditionné comme personne appelée à donner des renseignements, a expliqué avoir fait la connaissance du plaignant par l'intermédiaire de D______, son ami depuis plus de vingt-cinq ans, qui lui avait demandé d'apprendre à l'intéressé à travailler dans la restauration, ce qu'il avait accepté. Durant l'été 2015, A______ s'était donc rendu dans son restaurant de K______, afin de l'observer, sans travailler, l'intéressé étant démuni des autorisations nécessaires. Pour le surplus, il connaissait peu de choses à son sujet. Il savait qu'il avait un problème au genou et avait constaté qu'il était colérique, agressif et souvent ivre. Par ailleurs, A______ s'était déplacé, seul, en car depuis Genève et dormait chez une connaissance prénommée "AE______" à K______. Enfin, il ne l'avait jamais vu travailler dans le magasin de tabac de D______.

Entendu par le Ministère public en qualité de témoin, à l'audience du 28 septembre 2017, C______ a déclaré avoir aperçu, à deux ou trois reprises, A______, qui mangeait ou buvait un verre, dans le magasin de tabac de D______.

Il ne pouvait expliquer les raisons pour lesquelles ce dernier lui avait versé EUR 4'908.29, le 24 novembre 2014, et EUR 3'979.40, le 23 mars 2015 dès lors qu'il n'avait aucune relation financière avec lui, précisant lui avoir une fois demandé d'envoyer de l'argent aux Etats-Unis.

Sur présentation d'une attestation datée du 12 mai 2016 – dans laquelle il indiquait que le plaignant s'était présenté dans son restaurant au motif qu'il "cherchait du travail", mais qu'il ne l'avait pas engagé, puisque ce dernier était démuni des autorisations nécessaires –, C______ a déclaré avoir signé ce document – dont le contenu était conforme à la réalité –, à la demande de D______. Cette attestation, rédigée par une amie à lui de K______, soit une certaine "Madame AF______", avait ensuite été envoyée à D______.

g.c. Sur présentation d'une planche photographique, U______, entendue en qualité de prévenue, n'a pas reconnu A______, précisant que celui-ci avait peut-être été employé durant quelques jours dans la villa de sa famille, à AC______ [VD], mais qu'il n'y serait pas resté longtemps. Depuis environ un an, elle publiait des annonces dans les journaux pour trouver des employés domestiques pour AA______, sa fille, car cette dernière voyageait beaucoup et souffrait de problèmes de santé. Dix ou vingt personnes avaient été employées par ce biais-là.

Résidant elle-même à Genève, elle avait, le 9 novembre 2016, emménagé dans la propriété de AC______ [VD] pour s'occuper de l'intendance. Elle rémunérait les employés, qui disposaient d'une chambre et travaillaient entre 7 et 8 heures par jour, environ CHF 4'800.- par mois. Elle n'avait pas remis d'espèces à D______, qu'elle ne connaissait pas. Il lui était arrivé de demander à des vendeurs ou à des caissières s'ils connaissaient des personnes cherchant du travail, mais ne leur avait jamais remis d'argent pour qu'ils servent d'intermédiaires.

Lors de son audition par le Ministère public, U______ a maintenu n'avoir jamais rencontré D______ ni n'avoir conclu un arrangement avec lui. Pour le surplus, elle n'avait pas engagé elle-même A______.

g.d. V______, autre fille de U______, auditionnée comme prévenue, n'a pas reconnu A______ et D______ sur planche photographique, précisant résider à Genève, avec sa mère, et non dans la villa à AC______.

g.e. AA______, entendue en qualité de prévenue, a déclaré avoir demandé à sa mère, U______, de publier des annonces d'emploi dans les journaux. Le nom de A______ ne lui évoquait rien. Sur présentation d'une planche photographique, elle a indiqué que l'intéressé lui était peut-être familier et qu'il était possible qu'il eût fait partie des quatre personnes qu'elle avait employées en 2015, mais qui étaient restées environ quatre jours chez elle. Actuellement, deux personnes et un jardinier travaillaient dans sa propriété. Elle ne connaissait pas D______.

g.f. H______, entendue en qualité de témoin, a déclaré que A______ s'était présenté, courant 2014, dans le magasin de tabac de son ex-époux, en expliquant être le fils de l'un de ses camarades de classe. Après que D______, surpris, lui eut demandé plus de détails, le plaignant avait précisé venir d'Italie, vouloir étudier ou travailler à Genève et chercher un logement. D______ avait accepté de l'héberger, puisqu'il était un ami de sa famille. A______, qui buvait de l'alcool chez eux en leur absence, ne fut chargé d'aucune tâche domestique ni des repas. Considéré comme un invité, il dormait dans la chambre de leur fille. Malgré le fait que son ex-époux et elle-même n'étaient "pas très contents" de la situation, ils avaient accepté de l'aider et l'avaient bien traité. Elle ne l'avait jamais vu travailler dans le magasin de tabac. En revanche, il venait y manger ou regarder des films avec son époux, lorsqu'il n'y avait pas de clients présents. Personne ne lui avait confisqué son passeport, avec lequel il avait d'ailleurs voyagé à trois reprises en 2015. Lorsque son ex-époux et elle-même lui avaient expliqué qu'il ne pouvait plus dormir chez eux, A______, qui n'avait pas compris leur décision, était parti en colère. Selon elle, ce dernier avait été incité par un tiers à déposer plainte.

g.g. S______, entendue en qualité de témoin, a déclaré être mariée à D______, dont elle était séparée depuis 2011. Durant leur vie commune, il lui était arrivé d'aider quelques heures par semaine dans le bureau de tabac, sans être rémunérée. Elle ne servait pas les clients mais aidait volontiers D______, qui n'avait pas d'employé, à ranger les produits dans les rayons. Sa fille, R______, avait également apporté son aide dans le magasin, durant une ou deux heures le dimanche. En 2015, elle avait rencontré A______, lorsque celui-ci était venu chez elle, en compagnie de D______, pour dîner et prier. Elle l'avait ensuite recroisé à quelques reprises dans la rue.

g.h. R______, auditionnée comme témoin, a déclaré avoir vécu avec D______, époux de sa mère, de 2005 à 2013 environ. En 2015, elle avait rencontré A______, lorsque celui-ci était venu au domicile de sa famille pour la prière. Elle ignorait s'il travaillait pour son beau-père. Elle ne savait pas non plus si des billets d'avion avaient été réservés sous son nom à elle, étant précisé qu'il lui était arrivé de rendre service à une personne ne possédant pas de carte de crédit, de sorte qu'il pouvait s'agir du plaignant.

g.i. I______, a déclaré avoir aperçu A______ manger, boire ou regarder des films dans le bureau de tabac. D______ le lui avait présenté comme le fils d'un camarade de classe. Il ne l'avait jamais vu servir des clients derrière le comptoir, ajoutant suspecter Z______ d'être à l'origine de la procédure pénale.

g.j. L______, auditionné comme témoin, a déclaré avoir aperçu A______ dans le magasin de tabac de D______ – qu'il connaissait depuis environ vingt ans –, il y avait de cela un an, voire un an et demi. Le 24 octobre 2015, A______ l'avait appelé pour lui dire qu'il n'avait pas d'endroit où dormir, de sorte qu'il l'avait hébergé chez lui durant une semaine. Il ignorait si ce dernier avait travaillé pour D______, étant précisé qu'il n'avait jamais vu d'employé dans le magasin de tabac concerné, où il passait tous les dix à quinze jours. Il avait été convié à l'anniversaire de H______, qui avait eu lieu dans le restaurant de K______, lors duquel A______ était présent.

Réentendu à sa demande, L______ a déclaré vouloir revenir sur certaines de ses déclarations, précisant que A______ lui avait une fois vendu un paquet de cigarettes, alors qu'il se trouvait seul dans le magasin de tabac. Le plaignant, qui ne l'avait pas encaissé, lui avait demandé de remettre l'argent directement à D______. Par ailleurs, durant l'anniversaire de H______ au restaurant, il avait vu le plaignant préparer à manger, s'occuper des boissons et faire le service avec C______. A______, qui était "content", lui avait indiqué que le prénommé lui apprenait à cuisiner et que l'épouse de ce dernier le traitait comme son fils. Il lui avait également expliqué avoir travaillé dans le restaurant durant deux mois.

g.k. AG______, auditionnée comme témoin, a déclaré être une amie de D______, qu'elle connaissait depuis environ dix ou douze ans. Sur présentation d'une planche photographique, elle a reconnu A______, expliquant l'avoir aperçu, à une ou deux reprises, dans le magasin de tabac de son ami, mais sans pouvoir en dire plus. D______ lui avait présenté l'intéressé comme étant le fils d'un ami. Lors de ses visites, qui avaient lieu toutes les six semaines, elle n'avait pas vu le plaignant travailler.

g.l. AH______, épouse de C______, entendue en qualité de témoin, a déclaré se rendre deux à trois fois par année dans le magasin de tabac, où D______ travaillait seul. Durant l'été 2015, A______ était venu pendant trois semaines dans le restaurant de son époux pour apprendre le métier de la restauration. Il les avait observés, elle et son mari, préparer les plats, tout en prenant des notes. L'intéressé arrivait entre 11h00 et 11h30 pour l'ouverture du restaurant. À sa fermeture, à 14h00, il venait parfois se promener avec eux. Son époux et elle-même reprenaient leur service vers 18h00-19h00, jusqu'à la fermeture de l'établissement, aux alentours de 21h30-22h00. Lors de l'anniversaire de H______, le plaignant, présent, s'était occupé avec eux du service, tout comme d'autres personnes l'avaient fait et comme il était de coutume "à la maison". Il avait mangé à table avec eux, assis aux côtés de C______, en tant qu'invité, précisant s'en être elle-même occupée comme son fils.

h. Entendu par le Ministère public A______ a confirmé sa plainte, précisant que lorsqu'il s'était décidé à venir à Genève, il n'avait pas eu le temps d'avertir D______. Cependant, son père lui avait indiqué que l'intéressé, qui gérait plusieurs restaurants à Genève, était "très connu", de sorte qu'il le trouverait sans difficulté. Une connaissance à lui d'origine indienne était venue le chercher à l'aéroport et lui avait dit qu'ils parviendraient à localiser D______ sans trop de problème. Il ne souhaitait pas divulguer le nom de cette personne, par peur de représailles.

Contrairement à ce qu'il avait indiqué à la police, il n'avait pas reçu d'appel téléphonique de D______ le 21 décembre 2014. En réalité, il était parvenu à le localiser avec l'aide d'un serveur de la même caste que lui, qui lui avait donné l'adresse du magasin de tabac exploité par le prénommé.

En 2015, il s'était rendu à deux, voire trois reprises, à G______ pour renouveler son titre de séjour italien, étant précisé que D______ lui avait acheté les billets d'avion. Interrogé sur la raison pour laquelle certains billets avaient été réservés sous le nom de R______, il a expliqué que son père [à lui] avait téléphoné à Z______, afin que celui-ci demande à sa fille, soit R______, d'acheter les billets. Il était titulaire d'un compte bancaire en Italie, sur lequel figurait encore de l'argent, avec lequel il avait pu s'acquitter de ses frais de repas et de logement durant ses séjours, étant précisé qu'il était "facile" de trouver un hébergement auprès de personnes de sa communauté, en échange "d'un peu d'argent".

Avant d'être employé dans le restaurant de C______, il n'avait jamais travaillé dans le bureau de tabac. Après son retour de K______, il avait été chargé de l'ouverture dudit magasin, entre 8h30 et 9h00, étant précisé qu'il lui arrivait de vendre des cigarettes ou des cartes téléphoniques à des clients. Il travaillait jusqu'à l'arrivée de D______, vers 12h00-12h30, tous les jours de la semaine.

Lorsqu'il avait indiqué à ce dernier qu'il ne souhaitait plus travailler pour lui, l'intéressé lui avait rétorqué : "Tu es venu de ton plein gré, mais maintenant que tu es là, c'est moi qui vais décider quand tu pourras partir". Par la suite, D______ lui avait demandé d'aller dormir chez une connaissance, au motif qu'il avait besoin de la chambre. Il n'avait pas pu récupérer ses affaires, dont le sac contenant son passeport indien.

i. Par pli de son conseil du 12 janvier 2017 au Ministère public, A______ a notamment produit des photographies – non datées – de lui en compagnie d'autres individus, dont D______, au sein du magasin de tabac de celui-ci ; ainsi que de lui-même dans le restaurant de K______.

j. Le 28 septembre 2017, A______ a déposé plainte contre C______ pour faux témoignage lors de l'audience du même jour par-devant le Ministère public, dès lors qu'il avait bel et bien travaillé pour ce dernier. De plus, l'attestation du 12 mai 2016 (cf. let. B. g.b. supra) avait été rédigée et retrouvée dans l'ordinateur de H______.

Le même jour, le Ministère public a ordonné l'ouverture d'une instruction pénale contre C______ du chef d'infraction à l'art. 307 CP.

k. Entendue le 20 janvier 2021 par le Ministère public en qualité de témoin, AD______ (cf. let. B. f. supra) a déclaré ne pas connaître personnellement A______, mais l'avoir vu "aux cours de français" et à deux reprises dans le bureau de tabac de D______, où elle s'était rendue pour acheter des cartes téléphoniques. La première fois, A______ lui avait remis la carte mais D______ était derrière le comptoir. La seconde fois, elle avait été servie par ce dernier. Elle ignorait si le plaignant travaillait alors dans le magasin, précisant y être à chaque fois restée cinq minutes.

Pour le surplus, elle travaillait pour le compte de la famille U______/V______ ; elle n'avait pas trouvé cet emploi par le biais de D______, mais par son ancienne colocataire, originaire de Mongolie. Elle ignorait si le prénommé était chargé de trouver du personnel domestique pour ses employeurs et elle n'avait jamais vu A______ chez ces derniers.

l. A______, réentendu par le Ministère public les 20 janvier 2021 et 16 juin 2022, a déclaré avoir "bien vécu" en Italie, pays dans lequel il n'avait "pas de problème". À la question de savoir de quelle façon il avait subvenu à ses besoins, s'il n'avait pas de salaire, il a expliqué que D______ lui avait payé un abonnement de bus. De plus, il mangeait et logeait chez ce dernier. Il avait en outre de l'argent liquide sur lui, pouvait boire au magasin de tabac et faire des courses.

Il ne se souvenait pas combien de temps il avait été employé par la famille U______/V______, mais il était prévu que son travail soit de courte durée. Le dernier jour de son emploi, U______ lui avait remis un peu moins de CHF 3'000.-, en espèces, puis un taxi l'avait emmené à la gare de AI______. Il s'était rendu dans le magasin de D______ et lui avait remis l'argent. Il ne se souvenait pas si ce dernier le lui avait demandé, mais, dans tous les cas, il le lui avait donné.

Enfin, il a reconnu avoir lui-même réservé et payé son billet d'avion pour venir la première fois en Suisse le 26 novembre 2014.

m. Par avis de prochaine clôture du 24 mars 2023, le Ministère public a informé les parties qu'il entendait rendre une ordonnance de classement à l'encontre, notamment, de D______ et de C______. Un délai leur a été imparti pour présenter leurs éventuelles réquisitions de preuve et requérir une indemnité.

n. Par missive de son conseil du 17 mai 2023, reçue par le Ministère public le 19 suivant, A______ s'est opposé au classement de la procédure à l'égard de D______, considérant que les trois éléments constitutifs de l'infraction de traite d'êtres humains (art. 182 CP) étaient réunis.

Il demandait l'audition de la psychologue auprès du Centre LAVI, qui l'avait pris en charge après les faits litigieux ; et celle de AJ______, qui l'avait hébergé et avait recueilli ses confidences. Il sollicitait également l'établissement d'un rapport d'expertise sur son état psychique, par le Centre universitaire romand de médecine légale, afin de démontrer l'existence d'un stress post-traumatique, potentiellement lié aux évènements dénoncés.

o. Le 4 octobre 2023, il a formé recours auprès de la Chambre de céans pour déni de justice et retard injustifié, reprochant, en substance, au Ministère public son inaction dans la procédure.

Par arrêt du 13 novembre 2023 (ACPR/887/2023), la Chambre de recours déclarera le recours sans objet.

p. Le 9 octobre 2013, le Ministère public a rendu trois ordonnances de classement à l'égard, respectivement, de U______, V______ et AA______.

C. a. Dans sa décision querellée, du même jour, relative à la plainte de A______ contre D______ pour traite d'êtres humains (art. 182 CP) – seul point encore litigieux – le Ministère public considère que les circonstances ne permettaient pas de retenir que les éléments constitutifs de cette infraction seraient réalisés.

Rien ne permettait de conclure que le plaignant se trouvait dans une situation de précarité administrative ou économique en Italie. Ses problèmes de santé, nullement objectivés, n'étaient pas non plus suffisants pour retenir une situation de vulnérabilité.

Il n'était pas établi non plus que le plaignant se fût rendu en Suisse sur proposition et insistance du prévenu. Leurs familles entretenaient certes des liens en Inde, mais aucun élément ne permettait de corroborer les promesses prétendument formulées par D______. Au contraire, il ressortait des déclarations du plaignant et du dossier qu'il avait lui-même payé et réservé son billet d'avion pour venir à Genève.

Il avait en outre varié dans ses déclarations au sujet de ses premiers contacts avec D______. Rien ne permettait non plus d'établir que le prévenu lui aurait confisqué son passeport. Au contraire, le plaignant s'était rendu à G______ [Italie], en avion, à trois reprises.

Quant à D______, il avait déclaré, de manière constante, n'avoir jamais employé le plaignant. Les nombreux témoins directs, ayant côtoyé les parties, avaient tous confirmé n'avoir jamais vu l'intéressé travailler dans le magasin de tabac en question. Les séjours de A______ à G______ contredisaient par ailleurs le fait qu'il n'aurait bénéficié d'aucun jour de congé.

Même s'il était établi que le plaignant s'était rendu dans le restaurant de C______, à K______, en particulier pour un anniversaire, rien ne permettait de retenir qu'il y aurait travaillé, qui plus est dans les conditions décrites dans sa plainte.

Enfin, aucun élément ne permettait de relier U______ et ses filles au plaignant, ni de conclure que ce dernier aurait travaillé pour leur compte, par l'intermédiaire de D______.

En définitive, même si le plaignant avait décidé de venir en Suisse dans l'espoir d'y trouver un travail et des conditions de vie plus favorables, aucun élément du dossier ne permettait de conclure qu'il se serait trouvé dans une situation de vulnérabilité. Une fois arrivé à Genève, il était en outre capable de se déterminer librement. Rien ne démontrait non plus qu'il avait travaillé pour le compte du prévenu, qui aurait exploité son travail. Ainsi, l'art. 182 CP ne pouvait trouver application.

Les auditions, sollicitées, de témoins indirects n'étaient pas susceptibles d'apporter des indices supplémentaires permettant d'envisager une responsabilité pénale du prévenu, étant rappelé que de nombreux témoins directs avaient été entendus. Une expertise ne permettrait pas non plus d'apporter des éléments inédits et décisifs lui permettant de modifier sa conviction.

b. Dans sa décision querellée concernant C______, le Ministère public constate que les déclarations des parties étaient contradictoires concernant le travail fourni par A______ au prénommé.

Si le plaignant s'était effectivement rendu dans le restaurant "AK______", notamment pour un anniversaire, aucun élément objectif ne permettait d'établir qu'il y aurait été employé, étant précisé qu'aucun des témoins entendus n'avait confirmé l'y avoir vu travailler. Rien ne laissait donc soupçonner une fausse déclaration (art. 307 CP). Ainsi, en l'absence de soupçon justifiant une mise en accusation de C______, le classement de la procédure était ordonné pour ces faits également (art. 319 al. 1 let. a CPP).

D. a. Dans son recours concernant D______, A______ estime avoir démontré son voyage d'Italie à Genève, dans le but d'exercer une activité professionnelle pour le compte du prévenu, qui lui avait offert des "conditions salariales et de travail séduisantes", mais "très éloignées" de la réalité.

Ce dernier et son épouse l'avaient accueilli, hébergé durant plusieurs mois et "transporté", puisque D______ l'avait "emmené puis ramené" depuis le restaurant de C______ à K______.

Il avait été contraint de rester en Suisse, dans l'espoir de percevoir un salaire et de récupérer ses économies et passeport, qui avaient été confisqués par le prévenu, lequel avait abusé de sa vulnérabilité, ce dernier sachant qu'il se trouvait en Suisse, sans attaches ni ressources, démuni des autorisations nécessaires.

Exerçant une activité lucrative lui assurant un revenu et "vivant bien" en Italie, il n'avait aucune raison de venir à Genève, hormis celle mentionnée dans sa plainte. Il était ainsi arbitraire de retenir qu'il s'y serait rendu pour réaliser des stages d'observation non rémunérés dans un restaurant à K______, ou pour "passer ses journées à ne rien faire" dans le bureau de tabac du prévenu. Il était par ailleurs peu plausible que ce dernier – qui soutenait ne lui avoir jamais demandé de le rejoindre – ait accepté de l'héberger et de le nourrir gracieusement.

Ses économies et son passeport avaient été confisqués par l'intéressé, qui avait ensuite accepté de lui restituer sa pièce d'identité, mais à la condition qu'il quitte la Suisse. Certes, la perquisition menée au domicile du prévenu n'avait pas permis de retrouver ces documents et espèces. Cela étant, lorsqu'il avait été pris en charge par le CSP, puis auditionné par la police, il n'était pas en possession de son passeport. Aucun élément ne permettait ainsi d'établir qu'il aurait menti à ce sujet.

"Mis à la rue" par le prévenu, il avait sollicité l'aide de connaissances, puis avait bénéficié de l'aide sociale, ce qui démontrait l'absence de ressources financières et sa situation de vulnérabilité.

Il avait en outre expliqué, de façon circonstanciée, avoir été exploité au domicile du prévenu, dans divers commerces et dans une villa à AC______ [VD]. À l'exception des établissements commerciaux gérés par I______, sa présence dans l'ensemble des lieux précités était établie.

Toutes les personnes liées à D______ l'avaient aperçu dans le magasin de tabac. À cet égard, certains témoignages devaient être "contextualisés". En effet, lorsqu'une personne déposait plainte dans la culture indienne, toute la communauté de la personne visée par celle-ci "faisait bloc derrière elle", ce que les témoignages recueillis tendaient à confirmer. De plus, D______ et/ou H______ avaient entretenu des contacts avec une "grande partie" des témoins, de sorte que les déclarations de ces derniers étaient sujettes à caution. Seul L______ avait eu le courage de revenir sur ses propos, ayant finalement admis lui avoir acheté un paquet de cigarettes, sans lui remettre de l'argent. Par ailleurs, et quand bien même D______ et Z______ étaient en conflit, ce dernier avait déclaré que son frère employait du personnel, en général des étudiants et des migrants, sans les déclarer.

L'ensemble de ces éléments tendaient à démontrer la véracité de ses allégations, étant précisé qu'il n'avait aucun mobile pour accuser faussement le prévenu.

D______, quant à lui, s'était contenté de nier les faits. Or, il était peu crédible que celui-ci eût accepté de l'héberger et le nourrir gracieusement durant plusieurs mois.

Il avait ainsi été recruté, accueilli, hébergé et transporté par le prénommé, sur la base d'une tromperie et de la contrainte, dans le but d'exploiter sa force de travail. Les éléments constitutifs de l'infraction de traite d'êtres humains étaient donc bel et bien réalisés (art. 182 CP).

Partant, le prononcé d'une ordonnance de classement ne se justifiait pas. Au demeurant, l'abandon des charges le privait "de la possibilité de faire examiner ses prétentions par un Tribunal", de voir reconnaître son statut de victime et de voir les "responsables du crime sanctionnés". L'ordonnance querellée consacrait ainsi une violation des art. 4 et 6 CEDH.

Le recourant se plaint en outre de la durée de la procédure – qui avait duré plus de sept ans, le maintenant dans une situation d'angoisse, d'incompréhension et d'attente –, et des "graves manquements du Ministère public", qui auraient abouti à une violation de l'obligation de procéder à une enquête effective (art. 4 CEDH), lui ayant causé un "dommage significatif". De ce fait, il y avait lieu de lui octroyer une indemnité pour tort moral d'un montant de CHF 20'000.-. Il requiert au surplus la jonction de ce volet avec le recours déposé le 4 octobre 2023.

Finalement, l'autorité précédente avait violé son droit à l'assistance juridique, en refusant d'indemniser plusieurs activités – énumérées dans son acte de recours – qui n'étaient ni superflues ni excessives.

Pour l'ensemble de ces motifs, la décision querellée devait être annulée.

b. Dans son recours concernant C______, A______ rappelle que ce dernier avait – lors de son audition du 28 septembre 2017 – affirmé l'avoir accueilli dans son restaurant pour lui apprendre la cuisine indienne et ne jamais l'avoir employé. L'intéressé avait également allégué n'avoir aucune relation financière avec D______ et que l'attestation du 12 mai 2016 avait été rédigée par une certaine "Madame AF______", sur instructions de D______, puis envoyée à celui-ci.

Or, les éléments figurant au dossier démontraient que C______ avait reçu plusieurs milliers d'euros de la part du prénommé les 24 novembre 2014 et 23 mars 2015. C______ avait ainsi menti sur la nature de leurs relations.

Par ailleurs, le prénommé avait fourni un faux témoignage concernant l'attestation du 12 mai 2016, "tant s'agissant de son établissement que de son contenu". En effet, deux versions de ce document avaient été retrouvées dans l'ordinateur de H______, démontrant que cette dernière en était la véritable auteure. Pour le surplus, cette pièce entrait en contradiction avec les déclarations de C______, puisque ce dernier avait indiqué par écrit qu'il [le recourant] se serait présenté dans son restaurant pour y trouver du travail, alors qu'il avait déclaré oralement l'avoir accueilli afin de lui apprendre le métier de la restauration.

"L'autorité pénale" devait dès lors déterminer si, comme le prétendait le prévenu, sa venue répondait à un geste de solidarité ou si, comme il l'alléguait lui-même, cet acte "s'inscrivait dans le cadre de l'exploitation de son travail par D______ aux fins de traite d'êtres humains".

Dans la mesure où le prévenu avait menti sur certains points, ses déclarations devaient être appréciées avec retenue, étant précisé qu'il avait tout intérêt à mentir pour protéger D______, la culpabilité de ce dernier pouvant "entraîner une extension de l'instruction à son encontre".

"L'appréciation de la sincérité de ses propos" était "directement liée à l'éventuelle culpabilité" de D______. En effet, dans l'hypothèse où ce dernier était reconnu coupable d'infraction à l'art. 182 CP, il était manifeste que C______ avait menti sur les raisons de sa présence [à lui] dans le restaurant de K______.

Dans ces circonstances, il était arbitraire, ou à tout le moins contraire au principe in dubio pro duriore, de classer la procédure à l'égard de C______ pour faux témoignage, avant même de connaître l'issue de la procédure initiée contre D______ pour traite d'êtres humains.

c. À réception des recours, ceux-ci ont été gardés à juger sans échange d'écritures ni débats.


 

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             Le recourant a déposé deux recours, dirigés contre deux décisions distinctes, mais concernant le même complexe de faits. Il se justifie ainsi, par économie de procédure, de les joindre et de les traiter par un seul arrêt.

3.             3.1. Ces actes ont été déposés selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concernent des ordonnances sujettes à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émanent du plaignant, qui est partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

3.2. Il sied toutefois d'examiner la qualité pour agir du recourant, en lien avec ses divers griefs.

3.2.1. Seule la partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l’annulation d’un prononcé est habilitée à quereller celui-ci (art. 382 al. 1 CPP).

Selon l'art. 118 al. 1 CPP, on entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale. La notion de lésé est définie à l'art. 115 CPP; il s'agit de toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction, c’est-à-dire le titulaire du bien juridique protégé par la disposition pénale qui a été enfreinte (ATF 147 IV 269 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 1B_669/2021 du 8 mars 2022 consid. 3.1).

3.2.2. L'art. 307 CP protège en première ligne l'intérêt collectif, à savoir l'administration de la justice, et seulement de manière secondaire les intérêts de particuliers, lesquels doivent exposer en quoi leurs intérêts privés ont été effectivement touchés par le faux témoignage – leur préjudice devant apparaître comme étant la conséquence de cette infraction. À défaut, leur acte est irrecevable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_92/2018 du 17 mai 2018 consid. 2.1 et 2.2).

3.2.3. En l'espèce, le recourant reproche à C______ d'avoir menti lors de son audition du 28 septembre 2017 par-devant le Ministère public, en affirmant n'avoir aucune relation financière avec D______ ; que l'attestation qu'il avait signée le 12 mai 2016 avait été rédigée par une "amie à lui de K______" et à la demande de D______, puis envoyée à celui-ci ; et que le recourant s'était présenté dans son restaurant durant l'été 2015 pour y chercher du travail ou apprendre le métier de la restauration.

Cela étant, le recourant – qui ne consacre aucune ligne de son acte à la question de sa qualité pour recourir – n'explique pas en quoi ses intérêts privés seraient touchés par l'infraction de faux témoignage, si celle-ci devait être avérée.

En effet, les déclarations litigieuses n'ont pas, à elles seules, conduit au classement de la procédure à l'égard de D______ du chef de traite d'êtres humains. Il sied au demeurant de relever que les propos de C______, notamment en lien avec les versements opérés par le prénommé en sa faveur les 24 novembre 2014 et 23 mars 2015 – soit à des périodes antérieures à celle durant laquelle le recourant soutient avoir travaillé dans le restaurant du prévenu – et l'attestation du 12 mai 2016 ne sont pas mentionnés dans l'argumentation juridique développée par le Ministère public. Ce dernier s'est avant tout fondé sur l'absence de preuve objective, sur les déclarations contradictoires des parties et sur les différents témoignages recueillis durant la procédure, et pas seulement sur celui de C______. Il apparaît ainsi que D______ aurait été acquitté indépendamment des déclarations du témoin, de sorte que le recourant n'aurait dans tous les cas pas subi de préjudice en lien avec l'éventuel faux témoignage.

Sa qualité pour recourir ne peut donc lui être reconnue et son recours concernant C______ doit être déclaré irrecevable.

3.2.4. S'agissant du recours en lien avec le volet relatif à D______, le recourant n'a pas d'intérêt juridiquement protégé à obtenir l'augmentation de l'indemnisation fixée en faveur de son conseil juridique gratuit (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1395/2017 du 30 mai 2018 consid. 4.1; 6B_429/2017 du 14 février 2018 consid. 4.1 et les références citées). Seul ce dernier eût été habilité à recourir (art. 135 al. 3 CPP, applicable par analogie à l'indemnisation du conseil juridique gratuit (art. 138 al. 1 CPP)). Partant, sa conclusion visant à la "rectification" de l'indemnité due à son avocat – jugée trop basse – est également irrecevable.

3.3. Par ailleurs, il n'y a pas de place pour des conclusions constatatoires là où, comme en l'espèce, des conclusions formatrices sont possibles (ATF 135 I 119 consid. 4 p. 122). Il n’y a donc pas à "constater" une violation des art. 4 et 6 CEDH.

3.4. Enfin, la conclusion tendant à la jonction de la cause avec le recours formé le 4 octobre 2023 pour déni de justice et retard injustifié est devenue sans objet, ce dernier acte ayant été traité par la Chambre de céans dans un arrêt (ACPR/887/2023) du 13 novembre 2023, aujourd'hui définitif.

4.             La Chambre de céans constate que le recourant ne remet pas en cause le classement des infractions aux art. 126, 138, 146, 157, 180, 181 CP et aux assurances sociales (art. 76 LPP, 87 LAVS et 112 LAA), dès lors qu'aucun argument visant à démontrer la réalisation de ces infractions n'est développé. Ces points n'apparaissant plus litigieux, ils ne seront pas examinés plus avant dans le présent arrêt (art. 385 al. 1 let. a CPP).

5.             Le recourant estime que les conditions d'un classement n'étaient pas réunies, s'agissant de l'infraction de traite d'êtres humains.

5.1.  Conformément à l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

En principe, un classement ne peut être prononcé que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave (ATF 146 IV 68 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_516/2021 du 20 décembre 2022 consid. 2.4.1).

5.2.  L'art. 182 al. 1 CP punit quiconque, en qualité d'offreur, d'intermédiaire ou d'acquéreur, se livre à la traite d'un être humain à des fins d'exploitation sexuelle, d'exploitation de son travail ou en vue du prélèvement d'un organe. Le fait de recruter une personne à ces fins est assimilé à la traite.

La traite des êtres humains est définie à l'art. 4 let. a de la Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005 (CETH). Selon cette disposition, l'expression "traite des êtres humains" désigne le recrutement, le transport, le transfert, l'hébergement ou l'accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou par l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation. L'exploitation comprend, au minimum, l'exploitation de la prostitution d'autrui ou d'autres formes d'exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l'esclavage ou les pratiques analogues à l'esclavage, la servitude ou le prélèvement d'organes. Cette définition correspond à celle de l'art. 3 let. a du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (arrêt du Tribunal fédéral 2C.483/2021 du 14 décembre 2021 consid. 7.1.1).

Il y a exploitation du travail, au sens de l'art. 182 CP, en cas d’activité forcée, d'esclavage ou de prestations accomplies dans des conditions analogues à l'esclavage. Il en va de même quand une personne est continuellement empêchée d'exercer ses droits fondamentaux, en violation de la réglementation du travail ou des dispositions relatives à la rémunération, la santé et la sécurité; concrètement, il peut s'agir notamment de privation de nourriture, de maltraitance psychique, de chantage, d'isolement, de lésions corporelles, de violences sexuelles ou de menaces de mort (arrêts du Tribunal fédéral 2C.483/2021 du 14 décembre 2021 consid. 7.1.2 et 1B_450/2017 du 29 mars 2018 consid. 4.3.1).

Le recrutement et l'engagement d'une personne sans autorisation de séjour et/ou de travail – même à des conditions défavorables ou violant manifestement la législation sur le travail et/ou les assurances sociales – ne viole pas en soi l'art. 182 CP, même si l'intéressée n'est pas dénuée de toute pression, en particulier quant à ses choix en matière d'activité lucrative. Cela vaut en particulier si cette personne continue à disposer de la capacité de refuser l'emploi proposé ou de le quitter (arrêt du Tribunal fédéral 1B_450/2017 du 29 mars 2018 consid. 4.3.3).

5.3.  En l'espèce, les déclarations des parties ne concordent pas s'agissant du rôle joué par D______ dans le cadre de la venue du recourant à Genève et du traitement qui aurait, par la suite, été réservé à celui-ci.

Le recourant affirme avoir été attiré en Suisse par des promesses mensongères, le prévenu lui ayant, selon ses dires, garanti des conditions salariales et de travail "séduisantes". Or, il soutient avoir été employé au service de ce dernier – qui aurait abusé de sa situation de précarité – jusqu'à 18 heures par jour, tous les jours de la semaine, sans congé ni rémunération, ce que le prévenu conteste fermement. Le recourant soutient également avoir, sur instructions du prévenu, été contraint à travailler dans d'autres établissements exploités par des tiers et au sein d'une propriété occupée par une famille à AC______ [VD]. Enfin, il allègue s'être vu confisquer ses passeport et économies, faits également contestés par l'intéressé.

Force est cependant de constater qu'aucun élément du dossier ne vient, après instruction, étayer de manière probante les faits dénoncés. Quoi qu'il en soit, ces allégations, à supposer qu'elles soient vraies, ne permettent pas de fonder une infraction à l'art. 182 CP.

Aucun indice concret ne permet de supposer l'existence de graves actes de maltraitance ou d'agissements relevant de la traite d'êtres humains. Le fait que le recourant soit en situation illégale en Suisse et que ses horaires de travail, – respectivement le salaire y relatif – n'aient, le cas échéant, pas été conformes ni à ce qui avait été convenu, ni à la législation en vigueur, ne suffit pas à retenir, à lui seul, l'existence de l'infraction reprochée au prévenu.

En effet, la condition de la traite fait défaut, rien ne démontrant que le recourant aurait été entravé dans son droit à l'autodétermination. Il ne soutient pas avoir souhaité quitter son (prétendu) travail, ni en avoir été réellement empêché, alléguant même avoir contesté son licenciement. Par ailleurs, il reconnaît être venu en Suisse de son plein gré, ayant lui-même pris l'initiative de se procurer un billet d'avion, sans avoir, selon ses dires, averti le prévenu de son arrivée.

À cela s'ajoute qu'il s'est, durant la période des faits litigieux, rendu à trois reprises à G______, dans le but d'y renouveler son permis de séjour italien. Il ressort en outre du dossier qu'il s'est lui-même procuré ses billets d'avion ou que ceux-ci ont, à sa demande, été réservés par des tiers, de sorte qu'il était libre de s'éloigner, voire de fuir. De plus, il était, à ces occasions, en possession de son passeport indien et titulaire d'un compte bancaire italien, lui permettant, selon ses dires, de couvrir ses frais sur place. Il pouvait ainsi rentrer librement en Italie, où il était au bénéfice des autorisations nécessaires, et admet avoir vécu dans des conditions favorables avant les faits dénoncés. Pour le surplus, rien ne permet de retenir que le prévenu lui aurait confisqué ses économies et son passeport indien, ces faits n'étant objectivés par aucun élément du dossier, étant précisé que le recourant est en possession de son ancien passeport, lui permettant de se procurer une nouvelle pièce d'identité.

Par ailleurs, bien que dépourvu d'autorisation de séjour et de travail en Suisse, le recourant n'était nullement isolé. Il ressort de ses propres déclarations que l'une de ses connaissances serait venue le chercher à l'aéroport de Genève, le 26 novembre 2014, tandis que d'autres, dont L______, l'auraient hébergé, à la suite de son départ définitif de l'appartement du prévenu. Par ailleurs, plusieurs témoins, dont les époux C______/AH______, H______, AD______, L______, I______ et AG______, ont déclaré l'avoir vu dans le magasin de tabac du prévenu, en compagnie de celui-ci, qui le leur aurait notamment présenté comme un ami de sa famille. R______ et S______ ont également indiqué avoir fait sa connaissance en 2015, lors d'un dîner chez elles. Quant à AD______, elle a déclaré l'avoir vu assister à des cours de français. Le recourant a également participé à l'anniversaire de H______, en 2015, lors duquel plusieurs personnes ont été conviées. Pour le surplus, il a lui-même produit des photographies de lui en compagnie de plusieurs individus. Enfin, en possession d'un téléphone portable – avec lequel il a notamment contacté son père –, il a eu libre accès à des cartes téléphoniques prépayées, dont le coût a été, selon ses dires, pris en charge par le prévenu.

La condition de l'exploitation n'est pas non plus réalisée, puisqu'aucun élément du dossier ne permet d'établir qu'il aurait été assujetti à des conditions assimilables à de l'esclavage, ni traité comme une marchandise. En particulier, il disposait de sa propre chambre chez le prévenu, mangeait et buvait ce qu'il souhaitait, partageait ses repas avec ce dernier, et était libre de ses mouvements. À cet égard, il détenait un abonnement TPG, pouvait effectuer, seul, des courses, fréquenter une école pour y apprendre le français et se rendre à l'étranger, en particulier en France (K______) et en Italie.

Au surplus, à supposer qu'il eût – sur instructions du prévenu – travaillé pour le compte de C______, I______ et de la famille U______/V______, rien ne permet d'établir qu'il aurait fait l'objet de maltraitances de la part de ces derniers ou de conditions de travail indignes. Au contraire, il ressort de ses propres déclarations que la famille précitée l'aurait notamment bien traité et rémunéré près de CHF 3'000.- pour deux semaines de travail. Il allègue également avoir, durant la période de son prétendu emploi au sein du restaurant de K______, disposé d'une chambre et bénéficié d'heures de repos. Quant à AH______, elle a déclaré s'être occupée de lui comme d'un fils, ce qui est corroboré par les dires du témoin L______, qui a expliqué que le recourant, satisfait, lui aurait confié, lors de l'anniversaire de H______, avoir notamment appris à cuisiner dans le restaurant de C______ et y avoir été traité par l'épouse de ce dernier comme "un fils".

Enfin, rien ne permet de retenir qu'il aurait été victime de violences physiques et/ou verbales de la part de D______, ce qui est d'ailleurs fermement contesté par ce dernier.

En définitive, il n'existe aucun élément tangible permettant d'admettre que le recourant était sous l'emprise du prévenu, assujetti à des conditions assimilables à de l'esclavage ou considéré comme une marchandise. L'infraction de traite d'êtres humains n'apparaît dès lors pas réalisée et le classement de la procédure pour ces faits ne prête pas le flanc à la critique.

Aucun acte d'instruction ne paraît susceptible de modifier cette appréciation et le recourant n'en dit mot d'ailleurs, n'ayant formulé aucune réquisition de preuve dans le cadre de son recours.

6.             Le recourant se plaint d'une violation du principe de la célérité, faisant valoir que près de huit années se seraient écoulées depuis le dépôt de sa plainte, en raison d'une inaction du Ministère public. Cependant, il n'établit pas en quoi il aurait encore un intérêt à faire constater un éventuel retard à statuer maintenant que les ordonnances de classement ont été rendues et confirmées. Il sied de rappeler que le justiciable perd tout intérêt juridique à faire constater un éventuel retard à statuer, aussitôt que l'autorité intimée rend une décision (arrêts du Tribunal fédéral 6B_161/2018 du 2 août 2018 consid. 5 et 1B_87/2021 du 29 avril 2021 consid. 1.4 et les références citées), le motif d'ordre psychologique (état d'angoisse et d'incompréhension) invoqué par le recourant n'étant ni étayé ni juridique. Aussi, l'acte est-il sans objet sur cet aspect.

7.             Justifiées, les ordonnances querellées seront donc confirmées.

8.             Le recourant, au bénéfice de l'assistance juridique gratuite, est exonéré des frais de la procédure de recours (art. 136 al. 2 let. b CPP).

9.             La procédure étant close (art. 135 al. 2 CPP), il convient de fixer l'indemnisation du conseil juridique gratuit en deuxième instance.

9.1.  À teneur de l'art. 135 al. 1 CPP, applicable par le renvoi de l'art. 138 CPP, le conseil juridique gratuit est indemnisé conformément au tarif des avocats de la Confédération ou du canton du for du procès. À Genève, le tarif est édicté à l'art. 16 RAJ (E 2 05 04); il prévoit une indemnisation sur la base d'un tarif horaire de CHF 200.- pour un chef d'étude (art. 16 al. 1 let. c RAJ). Seules les heures nécessaires sont retenues; elles sont appréciées en fonction, notamment, de la nature, de l'importance, et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (art. 16 al. 2 RAJ).

9.2.  En l'occurrence, le conseil du recourant n'a pas chiffré ni justifié son activité. Eu égard au travail accompli, soit deux recours de 18, respectivement 5 pages (pages de garde et conclusions comprises), ainsi que de la pertinence des arguments développés compte tenu de l'issue des recours, un montant de CHF 1'077.- lui sera alloué, correspondant à 5 heures d'activité au tarif horaire de CHF 200.-, TVA à 7.7 % incluse (taux applicable jusqu'au 31 décembre 2023).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Joint les recours.

Déclare le recours contre l'ordonnance de classement rendue à l'égard de C______ irrecevable.

Rejette le recours contre l'ordonnance de classement visant D______, dans la mesure de sa recevabilité.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1'077.- TTC pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).