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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/16471/2023

ACPR/116/2024 du 15.02.2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : AUDITION OU INTERROGATOIRE;POLICE;PREUVE ILLICITE
Normes : CPP.141; CPP.142; CP.158; CPP.306

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/16471/2023 ACPR/116/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 15 février 2024

 

Entre

A______, domicilié c/o B______, ______ [GE], représenté par Me C______, avocat,

recourant,

 

contre "la décision" rendue le 18 septembre 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié par messagerie sécurisée le 28 septembre 2023, A______ recourt contre "la décision" du 18 précédent, communiquée par pli simple, de laquelle on comprend que le Ministère public rejette sa demande de retranchement de certaines pièces de la procédure.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et à ce qu'il soit ordonné le retranchement du dossier de procédure, pour cause d'inexploitabilité de plusieurs pièces contenant ses déclarations litigieuses selon lesquelles il aurait reconnu s'être fait prodiguer une fellation par D______.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 28 juillet 2023, les policiers sont intervenus à deux reprises (à 6h05 et à 6h42) pour un individu agressif qui se trouvait dans l'appartement loué par E______, sis rue 1______ no. ______ à F______ [GE]. Ils n'ont pas été en mesure d'identifier l'individu en question. Ils ont toutefois interpellé sur place A______.

Le rapport d'arrestation du 28 juillet 2023 mentionne ce qui suit : "Durant l'intervention, M. E______ a expliqué [aux policiers] que la nommée Mme D______ avait été contrainte sexuellement durant la nuit, par un prénommé "A______", identifié donc ultérieurement comme étant A______". Mme G______ s'est ensuite présentée aux policiers pour [les] informer que Mme D______ avait subi des actes sexuels, sans son consentement. Mme D______ s'est entretenue, à sa demande, avec une policière présente sur les lieux. Elle a expliqué oralement que […] peu avant l'intervention de la police, elle aurait subi une pénétration digitale, au niveau de son sexe, de la part de A______. Elle aurait ensuite été contrainte à lui prodiguer une fellation durant laquelle il a éjaculé dans sa bouche" (page 3).

Il est en outre indiqué que : "Forts de ces éléments, les policiers ont décidé d'interpeller M. A______ et de le conduire au poste de police de F______ […]. Questionné oralement, M. A______ a reconnu avoir eu une fellation "vite fait" de la part de la victime" (page 4) et qu'avant d'être entendu par la police, il a "d'emblée indiqué qu'il souhaitait la présence d'un conseil" (page 5).

b. Lors de son audition, A______, assisté d'un conseil, a été notamment interrogé comme suit: "Vous avez déclaré à un de mes collègues qui vous ont interpellé qu'elle [D______] vous avait juste "sucé". Qu'avez-vous à dire ?", ce à quoi l'intéressé a répondu n'avoir jamais dit cela.

c. D______ a également été entendue. Elle a confirmé ses déclarations orales, mettant en cause le prénommé. Son audition a dû être interrompue car ses propos étaient confus et elle s'était endormie.

d. Lors de l'audience du 29 juillet 2023, la Procureure a prévenu A______ des faits susmentionnés.

L'intéressé, mis au bénéfice de la défense d'office, a contesté avoir dit aux policiers, au moment de son interpellation, que la plaignante lui "aurait fait une fellation vite fait". Il ne l'avait jamais touchée et ne comprenait pas pourquoi elle disait cela.

e. Par lettre du 30 juillet 2023, le défenseur de A______ a demandé au Ministère public de retrancher de la procédure les passages du rapport de police du 28 juillet 2023 et des procès-verbaux d'audition faisant mention des propos prétendument tenus lors de l'interpellation de son client, recueillis en violation de ses droits, soit avant d'en avoir été informé.

f. Par ordonnance du 30 juillet 2023 (OTMC/2243/2023), le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après: TMC) a placé A______ en détention provisoire jusqu'au 28 octobre suivant.

g. Le précité a formé recours contre cette ordonnance, reprochant notamment au TMC de ne pas s'être prononcé sur sa demande, contenue dans ses observations préalables à la décision, de retrait de ses déclarations litigieuses, lesquelles étaient intervenues en violation de ses droits de la défense. En prenant en compte leur retranchement de la procédure, les risques de fuite, collusion et réitération auraient été analysés de manière plus clémente en sa faveur.

h. Saisie du recours de A______, la Chambre de céans a, dans un arrêt du 17 août 2023 (ACPR/651/2023), traité le grief des propos litigieux de la manière suivante:

"les policiers sont intervenus, sur appel de la CECAL, en raison d'un individu agressif et non pas pour les actes de contrainte sexuelle qui ont été dénoncés. Ces accusations étant portées à l'encontre du recourant, les policiers l'ont questionné oralement. Cette manière de faire ne sortait ainsi pas du cadre des discussions informelles autorisées au moment de l'interpellation d'un suspect, en vue notamment d'éclaircir les faits et décider s'il y avait lieu ou non de le conduire au poste en vue de son audition.

Le recourant reproche aux policiers d'avoir procédé à son "interrogatoire", sans lui avoir préalablement communiqué ses droits au sens de l'art. 158 CPP. Il ne ressort toutefois pas du rapport d'arrestation que les policiers se seraient livrés à une véritable audition, lors de laquelle il aurait été invité à s'exprimer sur les faits et aurait répondu aux questions des policiers (cf. art. 143 al. 4 et 5 CPP). Le recourant n'allègue d'ailleurs pas que d'autres questions lui auraient été posées, ni n'expose lesquelles. La brève réponse mentionnée dans le rapport montre que l'échange informel avec les policiers n'a pas été au-delà des investigations policières autorisées et ne saurait ainsi être qualifié d'audition au sens des art. 142 ss CPP.

Par conséquent, l'art. 158 CPP ne trouvait pas application à ce stade."

Cet arrêt n'a pas été contesté.

i. Par courrier du 15 septembre 2023, A______ a, derechef, sollicité du Ministère public le retranchement des "éléments du dossier violant l'art. 113 CPP".

Il a précisé que les policiers l'avaient questionné sur les faits dénoncés non pas lors de son interpellation le 28 juillet 2023 mais une fois amené au poste, alors qu'il se trouvait en cellule "depuis un certain temps". Les propos litigieux, à savoir qu'il aurait reçu une fellation "vite fait" de D______, dépassaient le cadre d'un simple interrogatoire informel de la police. La discussion ainsi intervenue devait être considérée matériellement comme une audition au sens des art. 142 ss CPP et devait se conformer aux exigences légales. Or, avant d'être interrogé, il n'avait pas été valablement informé de ses droits. Malgré cela, ses déclarations avaient été utilisées en sa défaveur par la police, le Ministère public et le TMC. Toutes les pièces au dossier y faisant référence devaient être retranchées du dossier, car inexploitables.

C. Dans son courrier du 18 septembre 2023, le Ministère public rappelle que la Chambre de céans s'était déjà penchée sur la question du retranchement sollicité des pièces et avait jugé que le grief de l'inexploitabilité devait être rejeté. L'arrêt en question n'ayant pas fait l'objet d'un recours, ce volet était définitivement tranché.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public de n'avoir pas pris en compte "les nouveaux éléments factuels soumis, lesquels n'étaient pas connus de la Cour de justice". Ses déclarations litigieuses à la police avaient été tenues sans qu'il ne soit informé de ses droits fondamentaux, en particulier ses droits de se taire et de ne pas s'incriminer. La police l'avait interrogé non pas au moment de son interpellation, mais alors qu'il se trouvait déjà en "détention" et les propos contenaient des "aveux", lesquels ne pouvaient lui être "soutirés" sans le respect des exigences légales relatives aux auditions. Tous les documents contenant les déclarations en cause étaient inexploitables et devaient être retranchés du dossier, "sous peine de déni de justice". L'arrêt de la Chambre de céans n'avait pas pour objet principal cette problématique. Le Ministère public n'avait "pas instruit, traité et motivé le grief de façon suffisante et pertinente pour l'issue du litige" et avait "commis un déni de justice formel".

b. Dans ses observations, le Ministère public ne discerne pas quels étaient les éléments nouveaux invoqués par le précité et les propos litigieux n'avaient pas été tenu au poste de police, mais lors de l'interpellation. À titre superfétatoire, les charges retenues contre A______ ne reposaient pas uniquement sur les déclarations orales contestées mais également sur celles de D______.

c. Dans sa réplique, A______ conteste que son grief ait été déjà rejeté, l'arrêt de la Chambre de céans portant sur sa détention provisoire. Malgré ses demandes, le Ministère public n'avait pas instruit les faits relatifs à ses déclarations litigieuses, se limitant à reprendre les considérants de l'arrêt ACPR/651/2023. En outre, lors d'une audition tenue le 3 octobre 2023, un témoin avait certifié qu'il n'avait pas effectué de déclarations lors de son interpellation.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émane du prévenu, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP).

1.2. L'acte entrepris ne refuse pas de manière expresse le retrait des pièces prétendument inexploitables; on comprend néanmoins de son contenu, et des observations du Ministère public, que tel est sa finalité.

Il s'ensuit que le recours concerne une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (393 al. 1 let. a CPP), contre laquelle le recourant a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à sa modification ou à son annulation (art. 382 al. 1 CPP; ATF 143 IV 475 consid. 2).

Partant, le recours est recevable.

2.             L'autorité qui se refuse de statuer, ou ne le fait que partiellement commet un déni de justice formel (ATF 144 II 184 consid. 3.1). En l'occurrence, le recours porte sur une décision du Ministère public refusant le retrait de pièces du dossier.

On ne discerne dès lors pas en quoi l'autorité précédente aurait commis un déni de justice formel et ce grief doit être rejeté.

3.             Le recourant demande le retrait de toutes les pièces au dossier faisant référence à ses propos mentionnés dans le rapport d'arrestation du 28 juillet 2023, alléguant désormais qu'il ne les aurait pas tenus lors de son interpellation mais alors qu'il était déjà "en détention", sans être informé de ses droits.

Les principes juridiques et les développements contenus dans l'ACPR/651/2023, entré en force, demeurent pleinement applicables et il y a lieu de s'y référer. Il est, à cet égard, sans conséquence que les raisonnements s'inscrivent dans un arrêt portant sur la détention provisoire du recourant.

Au demeurant, le recourant reproche au Ministère public de n'avoir pas tenu compte d'éléments nouveaux et allègue avoir été interrogé alors qu'il était déjà "en détention".

On peine à comprendre quels faits nouveaux seraient à considérer selon le recourant, si ce n'est ses propres affirmations sur la chronologie des événements. Or, aucun élément ne permet d'étayer sa version. Il ne ressort pas du rapport d'arrestation qu'il aurait été questionné une fois amené au poste, étant rappelé qu'il a immédiatement demandé la présence d'un avocat lorsque son audition formelle à la police a débuté. Par ailleurs, au moment d'être interrogé sur les propos litigieux, la question stipulait: "vous avez déclaré à un de mes collègues qui vous ont interpellé qu'elle vous avait juste "sucé". Qu'avez-vous à dire ?", ce qui confirme que la discussion a bien eu lieu lors de l'interpellation.

Qu'un témoin – dont l'audition ne figure pas au dossier en main de la Chambre de céans – certifierait que le recourant n'aurait rien déclaré lors de son interpellation ne suffit pas à renverser ce qui précède.

En définitive, la Chambre de céans ne peut que confirmer que les propos litigieux n'ont pas dépassé le cadre des discussions informelles (cf. ACPR/1005/2023 du 23 décembre 2023). Le grief d'inexploitabilité des propos mentionnés dans le rapport d'arrestation du 28 juillet 2023 et dans les pièces subséquentes ne peut ainsi qu'être rejeté. Il appartiendra, le cas échéant, au juge du fond d'apprécier l'ensemble des preuves (cf. art. 331 CPP; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 1B_63/2019 du 16 avril 2019 consid. 2.3 et 2.6), y compris les éventuels aveux (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., Bâle 2019, n. 9 ad art. 160).

4.             Infondé, le recours doit être rejeté.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

6.             La procédure n'étant pas terminée, il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade (cf art. 135 al. 2 CPP) le défenseur d'office.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/16471/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

Total

CHF

900.00