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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/8274/2023

ACPR/113/2024 du 14.02.2024 sur OMP/22926/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CONSULTATION DU DOSSIER;MESURE DE PROTECTION
Normes : CPP.149.al2.lete

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/8274/2023 ACPR/113/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 14 février 2024

 

Entre

 

A______, représentée par Me Laura SANTONINO, avocate, SWDS Avocats, rue du Conseil-Général 4, 1204 Genève,

recourante,

 

contre la décision rendue le 5 décembre 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 18 décembre 2023, A______ recourt contre la décision du 5 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé d'anonymiser son adresse et « sa situation financière ».

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à la réformation de cette décision, dans le sens d’une limitation du droit du prévenu d’accéder à son adresse au dossier et au caviardage de celle-ci, ainsi que des pièces relatives à sa situation financière.

b. Elle a versé les sûretés, en CHF 800.-, qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        A______ a entretenu une relation sentimentale avec B______ qui s’est progressivement dégradée. Après cohabité jusqu’en mars 2023, ils ont rompu. A______ a pris un nouveau domicile.

b.        Par plainte du 8 mars 2023, A______ accuse B______ de l’avoir frappée, injuriée et menacée à réitérées reprises. Elle a produit des captures d’écran et des messages audio. B______ conteste toute violence, mais admet avoir proféré des menaces, sous l’emprise de l’alcool et sans intention de jamais passer à l’acte.

c.         Le 18 septembre 2023, A______, par son avocate, a demandé le bénéfice de l’assistance judiciaire, produisant moult pièces, dont plusieurs comportent une adresse qui n’est pas celle à laquelle elle résidait à l’époque des faits.

d.        Le 10 octobre 2023, A______, par son avocate, a écrit au Ministère public que B______, trois jours plus tôt, lui avait écrit deux messages (joints en capture d’écran : trad. « Salut A______ comment ça va » et « Bon ok c’était seulement un salut »). Bien qu’elle eût immédiatement bloqué le numéro d’appel, elle tenait à en informer le Ministère public, car B______ avait fait défaut à une première convocation et le Procureur ne disposait pas d’un autre numéro téléphone de lui (sic).

e.         Le 10 octobre 2023, A______, par son avocate, a écrit au Ministère public que B______ lui avait envoyé un autre message, par le canal d’un autre numéro de téléphone (trad. « Salut une question. Sans déranger. Pourquoi ai-je reçu une convocation au tribunal maintenant après si longtemps. J’y serai. J’espère que tu vas bien »). Elle avait immédiatement bloqué ce nouveau numéro.

f.         Le 30 novembre 2023, B______ a été prévenu de lésions corporelles, voies de fait, injures, menaces et tentatives de contrainte sur A______.

g.        Par pli du même jour, A______ a fait valoir au Ministère public que, à raison du « harcèlement » qu’elle subissait par le prévenu, qui l’avait contactée « à deux [recte : trois] reprises sur son téléphone portable depuis le début de la procédure », il était nécessaire d’empêcher celui-ci de connaître son adresse actuelle et d’obtenir « des informations relatives à sa situation financière ».

C. Dans la décision querellée, le Ministère public rappelle que la garantie de l’anonymat n’est possible qu’à titre d’ultima ratio. Les deux messages incriminés n’étaient pas virulents et ne représentaient pas une menace concrète pour A______.

D. a. Dans son recours, A______ reprend les arguments qu’elle a vainement soumis au Ministère public. Quand bien même les messages envoyés par B______ en automne 2023 ne présentaient pas un caractère virulent, il convenait de ne pas perdre de vue les menaces antérieures, avérées et prouvées. En refusant les mesures de protection sollicitées, le Ministère public avait violé l'art. 149 al. 2 let. a CPP.

b. À réception, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 384 let. a, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP ; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 17 ad art. 149) et émaner d’une lésée constituée partie plaignante, qui a ainsi qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP ; op. cit. n. 6 ad art. 149).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             La recourante estime que son adresse devrait être, cumulativement si on la comprend bien, soustraite à la consultation par le prévenu et caviardée.

3.1.       L'art. 147 al. 1, 1ère phrase, CPP consacre le principe de l'administration des preuves en présence des parties durant la procédure d'instruction et les débats. Il en ressort que les parties ont le droit d'assister à l'administration des preuves par le ministère public et les tribunaux et de poser des questions aux comparants. Ce droit spécifique de participer et de collaborer découle du droit d'être entendu (art. 107 al. 1 let. b CPP). Il ne peut être restreint qu'aux conditions prévues par la loi, notamment lorsque cela est nécessaire pour assurer la sécurité de personnes ou pour protéger des intérêts publics ou privés au maintien du secret (art. 108 al. 1 let. b CPP ; op. cit., n. 4 ad art. 108).

3.2. L'art. 149 al. 1 CPP, qui prévaut sur la règle générale prévue à l'art. 108 al. 1 let. b CPP, prévoit plus spécifiquement que, s'il y a lieu de craindre qu'une personne appelée à donner des renseignements – qui est le statut sous lequel dépose la partie plaignante (art. 178 let. a CPP) – puisse, en raison de sa participation à la procédure, être exposé à un danger sérieux menaçant sa vie ou son intégrité corporelle ou à un autre inconvénient grave, la direction de la procédure prend, sur demande ou d'office, les mesures de protection appropriées. Dans ce cadre, elle peut notamment assurer l'anonymat de la personne à protéger (art. 149 al. 2 let. a CPP) et limiter le droit de consulter le dossier (art. 149 al. 2 let. e CPP).

L'existence d'un danger sérieux pour la vie ou l'intégrité corporelle sera admise lorsque des menaces de mort ont été proférées à l'encontre de la personne concernée ou doivent être sérieusement redoutées (L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, Bâle 2016, n. 3 ad art. 149). Une simple hypothèse, même théoriquement ou abstraitement plausible, ne suffit pas. Il doit exister des indices concrets. Ainsi, la peur purement subjective de menaces est insuffisante (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 9 et 11 ad art. 149).

L'inconvénient majeur doit être d'un niveau comparable au risque pour la vie et l'intégrité corporelle (P. GOLDSCHMID / T. MAURER / J. SOLLBERGER (éds), Kommentierte Textausgabe zur Schweizerischen Strafprozessordnung, Berne 2008, p. 160; voir ACPR/595/2018 du 17 octobre 2018 consid. 5.1. pour la protection d’un témoin). Les autres dangers que ceux menaçant la vie ou l'intégrité corporelle ne peuvent donc être pris en considération que s'ils représentent un cas d'exposition grave (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 12 ad art. 149). Il y a notamment menace d'un tel inconvénient lorsque quelqu'un doit s'attendre à un dommage matériel important, par exemple la destruction au moyen d'explosifs de sa maison de vacances. Des indices sérieux d'une menace concrète sont exigés (ATF 139 IV 265 consid. 4.2 p. 267 s.). Des simples pressions psychologiques, d'éventuels désagréments sur le plan personnel ou financier, de possibles tentatives d'intimidation ou une probable réaction haineuse du prévenu à l'encontre de la personne entendue à charge ne sont pas suffisants. Tel pourrait en revanche être le cas du danger de perdre le droit de garde sur un enfant, la menace d'une atteinte à l'intégrité sexuelle, le risque d'une atteinte grave à l'avenir professionnel susceptible de provoquer un gain manqué considérable, voire une perte durable des moyens de subsistance ou la menace d'une atteinte grave à la réputation professionnelle (arrêt du Tribunal fédéral 1B_447/2015 du 25 avril 2016 consid. 3.1).

3.3.       En l'espèce, la question n’est pas de savoir s’il faut anonymiser l’identité de la recourante, que le prévenu connaît forcément, mais si des mesures de protection, telles qu’une restriction du droit de consulter le dossier, doivent être ordonnées contre celui-ci.

En premier lieu, la recourante n’a jamais allégué subir de « harcèlement » de la part du prévenu avant de se plaindre de trois messages reçus sur son téléphone portable, en automne 2023. Un « harcèlement » téléphonique, à le supposer établi par les trois messages mis en exergue dans le recours, n’est pas en lui-même un danger pour la vie et l’intégrité corporelle qui justifierait de caviarder une adresse (sic). D’autres moyens techniques qu’une occultation d’adresse (ou une restriction d’accès au dossier) étaient immédiatement à disposition de la recourante, puisqu’elle explique elle-même avoir immédiatement « bloqué » les numéros importuns.

À lire les messages dont la recourante veut tirer argument (« Salut A______ comment ça va » ; « Bon ok c’était seulement un salut » ; « Salut une question. Sans déranger. Pourquoi ai-je reçu une convocation au tribunal maintenant après si longtemps. J’y serai. J’espère que tu vas bien »), on se convainc sans difficulté qu’aucun ne revêt de caractère menaçant, contrairement à ceux, verbaux et écrits, dont elle a fait état dans sa plainte pénale, huit mois plus tôt – et qui, contrairement à ceux de la fin d’année 2023 ont valu une mise en prévention formelle de l’intéressé –.

Or, non seulement les messages plus anciens n’avaient pas conduit la recourante à redouter des passages à l’acte émanant du prévenu, mais aussi, voire surtout, ils ne l’ont pas empêchée – alors qu’elle était conseillée par avocat – de fournir – sans caviardage aucun de ce qui serait son adresse actuelle – toutes les pièces utiles pour appuyer sa demande d’assistance judiciaire. En d’autres termes, le caviardage qu’elle revendique aujourd’hui était à sa portée lorsqu’elle a réuni ces pièces. On ne voit pas en quoi les trois messages qu’elle a reçus postérieurement suffiraient à lui faire craindre un danger d’abus et d’atteinte à l’intégrité, si son adresse actuelle était accessible ou divulguée. On ne discerne même pas de curiosité au sujet de sa nouvelle adresse (ni non plus de sa situation financière). Ce risque n’apparaît, en tout cas, ni plus aigu ni plus concret aujourd’hui qu’il ne l’était lors du dépôt de la demande d’assistance judiciaire. Le prévenu, qui n’a pas demandé l’accès au dossier après sa mise en prévention, encourrait la détention provisoire si son comportement laissait présager un risque concret de passage à l’acte (cf. art. 221 al. 1bis et 2 CPP), et ce, indépendamment de la connaissance de la nouvelle adresse de la recourante.

Partant, la décision du Ministère public n'est pas critiquable et sera donc confirmée.

4. Le recours est par conséquent rejeté.

5. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, arrêtés en totalité à CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés à CHF 800.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/8274/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

715.00

Total

CHF

800.00