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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/25081/2022

ACPR/76/2024 du 05.02.2024 sur OMP/20992/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : EXPERTISE PSYCHIATRIQUE
Normes : CPP.182; CPP.184.al2.letc; CP.197; CP.135

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/25081/2022 ACPR/76/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 5 février 2024

 

Entre

A______, domicilié ______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,


contre le mandat d'expertise psychiatrique rendu le 10 novembre 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 20 novembre 2023, A______ recourt contre le mandat du 10 novembre 2023, communiqué par pli simple, par lequel le Ministère public a désigné le Dr C______ comme expert psychiatre pour procéder à son expertise.

Le recourant conclut, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif et à l'exonération des frais de la procédure de recours ; principalement, à la modification d'une des questions à l'expert et à l'ajout de deux autres.

b. Par ordonnance du 21 novembre 2023 (OCPR/71/2023), l'effet suspensif a été accordé au recours.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, né en 2002, est prévenu de pornographie (art. 197 CP) et de représentation de la violence (art. 135 CP). Il lui est reproché d'avoir, à Genève, à tout le moins entre août 2021 et mars 2023, téléchargé puis stocké sur son matériel informatique plusieurs dizaines de fichiers contenant des images et/ou vidéos pédopornographiques, à caractère zoophiles et montrant des corps décapités et se faisant mutiler.

b. Arrêté le 30 mars 2023, il a été relaxé le même jour par le Ministère public avec des mesures de substitution.

c. Le 4 octobre 2023, le Ministère public a informé A______ que son expertise psychiatrique allait être ordonnée, laquelle serait confiée au Dr C______, psychiatre et psychothérapeute, et l'a invité à faire part de ses éventuels motifs de récusation, observations et questions complémentaires.

Était joint le projet de mandat, dont la question III, sous le titre "Mesures (articles 56 et suivants CP)" était ainsi libellée :

"4. Le prévenu présente-t-il un risque de commettre à nouveau des infractions ? Si oui, à quel genre d'infractions peut-on s'attendre ?

Quel est le degré de probabilité de réalisation de ce risque, en fonction des infractions auxquelles on peut s'attendre ? Prière de quantifier ce degré de probabilité (élevé, moyen, faible) en fonction des infractions auxquelles on peut s'attendre, en distinguant :

4.1. les infractions contre la vie et l'intégrité corporelle (atteintes physiques, psychiques, sexuelles);

4.2. les infractions contre les biens;

4.3. les autres types d'infractions".

d. Par lettre de son conseil, du 16 octobre 2023, A______ a fait savoir qu'il n'avait pas de motifs de récusation, mais souhaitait la modification de la question III.4 du projet, ainsi que l'ajout de deux questions.

S'agissant de la question III.4, l'expert psychiatre ne pouvait pas déterminer la prédisposition d'un suspect de crime à caractère sexuel à commettre tous les autres types de crimes possibles. Une telle hypothèse manquait de fondement scientifique et juridique. Cette question ne pouvait donc être retenue, de sorte qu'il y avait lieu de supprimer les questions III.4.1. à III.4.3, et la question III.4 devait être modifiée comme suit :

"Le prévenu présente-t-il un risque de commettre à nouveau les infractions qui lui sont reprochées dans le cadre de la présente procédure pénale (téléchargement de vidéos pédopornographiques) ou des autres infractions à caractère sexuel liées aux infractions qui lui sont reprochées ? Quel est le degré de probabilité de réalisation de ce risque ? Prière de quantifier ce degré de probabilité (élevé, moyen, faible)".

Deux autres questions devaient être ajoutées, soit :

"4.1. Est-ce que le fait que Monsieur A______ entretienne une relation personnelle de longue durée avec une femme de son âge a un impact sur le risque de la récidive ? Si oui, quel impact ?"

"6.7. Est-ce que le traitement que suit Monsieur A______ déjà avec le docteur D______ peut être considéré comme adéquat pour diminuer un éventuel risque de récidive ? Si oui, dans quelle mesure ? Si non, dans quelle mesure le traitement avec le docteur D______ pourrait être adapté pour atteindre l'objectif recherché ?".

e. Le Procureur a répondu, le 8 novembre 2023, que le paragraphe 4 figurait dans le modèle standard et les experts savaient s'ils pouvaient répondre à ces questions ou non. Quant aux questions complémentaires, le prévenu pourrait les poser à l'expert lors de l'audience, si l'expertise n'y répondait pas à satisfaction, étant précisé que l'expert prendrait connaissance, à réception du dossier, des questions complémentaires souhaitées par le prévenu.

C. a. Dans le mandat querellé – qui porte la même date que le projet, soit le 4 octobre – la question III.4 n'a pas été modifiée et les deux questions complémentaires du prévenu n'y figurent pas.

b. Par lettre du 13 novembre 2023, le Procureur a informé le prévenu que le Dr E______ serait également expert et a renvoyé un mandat corrigé, portant également la date du 4 octobre 2023.

D. a. Dans son recours, A______ signale, en premier lieu, que la date du 4 octobre 2023 était erronée, sauf à donner à penser que l'autorité avait déjà rendu sa décision avant de recevoir ses commentaires sur le projet d'expertise.

Il soutient, ensuite, que la question III.4 du mandat d'expertise porterait atteinte à ses droits fondamentaux, violerait le principe de la proportionnalité et serait inopportune. Le refus du Ministère public de modifier cette question le mettait dans "une situation très dangereuse". Si l'expert décidait de répondre affirmativement à la question de savoir s'il était capable de commettre d'autres types de crimes, il n'aurait aucune possibilité d'annuler cette réponse, puisqu'il n'aurait pas les moyens financiers d'engager d'autres experts pour compléter l'expertise. La question querellée équivalait à un "profilage psychiatrique" des personnes non encore reconnues coupables par les tribunaux et était contraire à la notion de récidive utilisée par le Code de procédure pénale, notamment à l'art. 221 CPP, lequel exigeait la présence d'infractions du même genre. De plus, la question était inopportune puisqu'elle laissait à la discrétion de l'expert le choix des questions auxquelles il souhaitait répondre, ce qui était contraire à l'art. 184 al. 2 let. c CPP, à teneur duquel la direction de la procédure devait établir une définition précise des questions à élucider.

Par ailleurs, le refus d'admettre ses deux questions complémentaires portait atteinte à son droit d'être entendu et violait le principe de la célérité (art. 5 CPP). En effet, s'agissant de la première, la relation qu'il entretenait de longue date avec une femme de son âge confirmait qu'il n'était pas attiré sexuellement par les enfants, mais avait agi par curiosité. La seconde question était en outre cruciale, car elle pourrait avoir des répercussions majeures sur le choix des mesures que pourrait appliquer le tribunal. Ces deux questions devaient être traitées par l'expert en détail dans son rapport et non être remplacées par une brève réponse à une question en audience.

b. Le Ministère public se réfère au contenu de sa lettre du 8 novembre 2023 et n'a pas d'observations complémentaires. La date du projet de mandat avait été maintenue par erreur dans la version définitive.

c. Le recourant renonce à répliquer.


 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP ; cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_242/2018 du 6 septembre 2018 consid. 2.4).

2.             Le recourant ne prend aucune conclusion s'agissant de la date du mandat querellé, soit le 4 octobre 2023, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'examiner ce grief, étant toutefois relevé que le Ministère public y a répondu dans ses observations sur le recours.

3.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas avoir accepté sa proposition d'amendement de la question III.4 du mandat d'expertise.

3.1. À teneur de l'art. 182 CPP, le ministère public et les tribunaux ont recours à un ou plusieurs experts lorsqu’ils ne disposent pas des connaissances et des capacités nécessaires pour constater ou juger un état de fait.

3.2. La direction de la procédure établit un mandat écrit qui contient une définition précise des questions à élucider (art. 184 al. 2 let. c CPP).

Celles-ci doivent être précises (c'est-à-dire ne pas porter sur des généralités) et leur formulation doit être la plus neutre possible (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 7 ad art. 184).

3.3. En l'espèce, la première partie de la question litigieuse demande à l'expert si le prévenu présente un risque de commettre à nouveau des infractions, et, si oui, à quel genre d'infractions on peut s'attendre.

Cette question, qui vise à déterminer l'éventuel risque de réitération, pour des faits similaires à ceux qui sont reprochés au prévenu – soit pornographie et représentation de la violence –, ou des faits d'autre nature – liés par exemple à la violence, au vu des faits reprochés sous l'angle de l'art. 135 CP –, est suffisamment précise et ne sort pas du cadre de compétences d'un expert psychiatre.

En effet, l'un des buts de l'expertise psychiatrique est de déterminer si l'expertisé souffre d'un grave trouble mental (art. 59 al. 1 ou 63 al. 1 CP) et, dans cette hypothèse, si un traitement institutionnel ou ambulatoire peut être ordonné par le juge, lorsque l'auteur a commis un acte punissable en relation avec son état (let. a) et s'il est à prévoir que la mesure ou le traitement le détournerait de nouvelles infractions en relation avec ce trouble (let. b).

Il est donc nécessaire de déterminer non seulement si un risque de réitération existe, mais pour quels types d'infractions. L'expert expliquera ainsi, dans la motivation de son rapport, les raisons pour lesquelles il parvient, le cas échéant, à la conclusion qu'un tel risque existe, et pour quel genre d'infraction. Si un seul type d'infractions lui paraît entrer en ligne de compte, il le précisera.

Les questions III.4.1 à III.4.3 du mandat concernent le degré du risque de réitération retenu par l'expert et invitent ce dernier à préciser ses réponses en fonction des types d'infractions qu'il aura retenu. S'il n'en retient qu'un seul, il ne répondra pas aux autres questions.

Il s'ensuit que, contrairement aux craintes du recourant, la question III.4 ne représente aucun danger pour lui, ni ne s'apparente à un "profilage psychiatrique" prohibé. Posée sous le titre des éventuelles mesures à ordonner par le juge, au sens des art. 56ss CP, cette question vise à déterminer l'existence d'un éventuel risque de réitération et ne saurait par conséquent, dans ce cadre, être limitée au seul type d'infraction retenu dans la procédure en cours.

Le grief est donc infondé.

4.             Le recourant reproche ensuite au Ministère public d'avoir refusé de compléter le mandat d'expertise avec les deux questions qu'il propose.

La première concerne l'incidence, sur l'évaluation de l'éventuel risque de récidive, de la relation qu'entretient le recourant avec une femme de son âge. La vie amoureuse du recourant sera toutefois d'emblée prise en compte par l'expert psychiatre (cf. la situation personnelle de l'expertisé, question 2.4), et discutée dans le cadre de l'évaluation du risque de réitération, sans qu'une question spécifique n'ait besoin d'être posée à cet égard.

La seconde question vise à déterminer si le traitement suivi par le recourant avec son psychiatre pourrait diminuer l'éventuel risque de récidive ou en quoi ce traitement devrait être adapté pour atteindre cet objectif. Ici encore, l'expertise abordera la question de savoir si un traitement est susceptible de diminuer l'éventuel risque de récidive retenu (cf. question II.6.1), et si ce traitement doit être administré en milieu institutionnel ou si un traitement ambulatoire suffit (II.6.2). Dans ce cadre, le suivi actuel du recourant sera abordé par l'expert psychiatre, et pourra l'être lors de son audition si la prise en compte de cet élément ne devait pas l'avoir été à sa juste mesure.

Partant, le refus du Ministère public d'ajouter ces deux questions au mandat d'expertise ne viole ni le droit d'être entendu du recourant, ni le principe de la célérité.

5.             Infondé, le recours sera dès lors rejeté.

6.             Le recourant, prévenu, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 800.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

7.             Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade (cf. art. 135 al. 2 CPP) le défenseur d'office, qui ne l'a du reste pas demandé.

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette le recours.

Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 800.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/25081/2022

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

715.00

 

 

 

Total

CHF

800.00