Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/10520/2023

ACPR/64/2024 du 25.01.2024 sur ONMMP/1997/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;CONFRONTATION À UN ACTE D'ORDRE SEXUEL
Normes : CPP.310; CP.198.al2

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10520/2023 ACPR/64/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 25 janvier 2024

 

Entre

A______, domiciliée ______, représentée par Me Innocent SEMUHIRE, avocat, Etude ISE, rue du Conseil-Général 8, 1205 Genève,

recourante,


contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 22 mai 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 2 juin 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 22 mai 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte contre B______.

La recourante conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce que la cause soit renvoyée au Ministère public pour qu'il ouvre une instruction, subsidiairement qu'il rende une nouvelle décision dans le sens des considérants.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 900.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Selon le rapport de renseignements du 4 mars 2023, A______, chauffeuse de taxi, a appelé le poste de police de l'aéroport le 1er septembre 2022, signalant avoir été importunée par un autre chauffeur, détenteur du véhicule immatriculé GE 1______.

Sur place, A______ a expliqué que ledit chauffeur avait tenu des propos dégradants à son égard, soit "tu m'excites quand tu marches". Interrogé, le chauffeur en question – identifié comme étant B______ – a exposé qu'il discutait avec un groupe de collègues et que cette phrase n'était pas destinée à la prénommée. Malgré ces explications, il avait tout de même tenu à s'excuser, ce que A______ avait refusé.

b. Lors de son audition du 14 septembre 2022 par la police, A______ a déposé plainte pour les faits précités. Alors qu'elle se trouvait avec des collègues, elle s'était dirigée vers son véhicule pour le déplacer. En marchant en direction de sa voiture, B______ lui avait dit la phrase litigieuse. Elle lui avait demandé de répéter, ce qu'il avait fait, ne laissant aucun doute sur ses intentions à son égard. Elle avait été choquée puis lui avait dit que son comportement était inacceptable. Elle s'était sentie atteinte dans son intégrité. L'intéressé avait reconnu les faits et s'était excusé auprès du policier intervenu sur les lieux. Ledit chauffeur avait voulu en faire de même auprès d'elle, ce qu'elle avait refusé.

c. Entendu le 23 janvier 2023 par la police, B______ a reconnu avoir dit "tu m'excites quand tu marches" alors qu'il discutait, en albanais et en français, avec un groupe de chauffeurs de taxi; cette phrase n'était toutefois pas destinée à A______. Il ne se souvenait pas si la prénommée lui avait demandé de répéter. Il avait tenu à s'excuser auprès de A______ et de son frère, car cette dernière l'avait pris "pour elle". Il précisait l'avoir toujours respectée. En outre, ce n'était "pas [son] genre de tenir des propos comme ceci".

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'il n'existe pas de prévention pénale suffisante contre B______, les déclarations des parties étant contradictoires et aucun élément objectif ne permettant d'établir le déroulement des faits, à suffisance de droit.

D. a. Dans son recours, A______ reproche tout d'abord au Ministère public une constatation incomplète et erronée des faits, pour avoir retenu qu'il n'existait pas d'élément de preuve objectif pour ouvrir une instruction pénale.

Elle invoque en outre une violation du principe in dubio pro duriore. Avant de rendre l'ordonnance querellée, le Ministère public devait, à tout le moins, entendre le policier intervenu sur place afin qu'il puisse rapporter les déclarations de B______ juste après les faits, ce d'autant que le rapport de police était "en contradiction" avec les questions posées à ce dernier lors de son audition. De plus, ses déclarations à elle, contrairement aux explications de B______, étaient cohérentes. Les chances d'acquittement étaient donc égales à celles d'une condamnation, ce qui devait conduire à l'ouverture d'une instruction.

Enfin, les propos tenus par B______ avaient eu de graves conséquences sur elle (période dépressive, sentiment de honte, perte de confiance et de la peine à se rendre au travail). Il importait peu que l'auteur ait voulu, par son comportement, provoquer, choquer ou simplement jouer. Elle avait ressenti son comportement comme une atteinte à sa dignité, son honneur, son intégrité sexuelle et sa pudeur, étant précisé que l'art. 198 al. 2 CP pouvait entrer en concours avec l'art. 177 CP.

b. Le Ministère public conclut à la confirmation de l'ordonnance querellée.

Une audience de confrontation entre les parties ou l'audition du policier intervenu le jour des faits n'apporterait aucun élément nouveau, étant précisé que le rapport établi par ce dernier ne laissait pas place à l'interprétation. Aucun autre élément matériel ni témoignage ne permettait d'établir le déroulement des faits.

c. A______ réplique.

L'audition de B______ permettrait de préciser le contexte dans lequel la phrase litigieuse avait été prononcée et celle du policier d'éclaircir pourquoi le prénommé avait tenu à s'excuser, tant auprès d'elle que de son frère, également chauffeur de taxi et présent le jour des faits. Le Ministère public devait aussi entendre les autres collègues de B______, en particulier ceux dont les véhicules étaient immatriculés GE 2______, GE 3______ ainsi que deux autres, dont les coordonnées seraient fournies "ultérieurement".

Enfin, cet échange s'inscrivait dans un contexte d'hostilité et de cabale orchestrée contre elle par certains chauffeurs de taxi lui reprochant de ne pas avoir suivi un mot d'ordre d'une grève organisée le 18 mai 2022 contre la révision de la loi sur les taxis. Des ordonnances pénales pour menaces, tentatives de contrainte, injure et violation de la loi précitée, avaient été rendues dans le cadre de la procédure P/4______/2022 ouverte ensuite de plaintes déposées par elle-même. Elle sollicite l'apport de ladite procédure produisant, à l'appui de ses écritures, une copie, caviardée, des décisions et des oppositions formées contre ces dernières.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites devant la juridiction de céans à l'appui du recours sont également recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

2.             La recourante reproche au Ministère public d'avoir constaté les faits de manière incomplète ou erronée.

2.1. Aux termes de l'art. 393 al. 2 let. b CPP, le recours peut être formé pour constatation incomplète ou erronée des faits.

Une constatation est erronée (ou inexacte) lorsqu'elle est contredite par une pièce probante du dossier ou lorsque le juge chargé du recours ne peut déterminer comment le droit a été appliqué (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 17 ad art. 393 ; ACPR/609/2015 du 11 novembre 2015 consid. 3.1.1).

2.2. En l'espèce, la recourante reproche à l'autorité précédente d'avoir retenu qu'il manquait des éléments de preuves objectifs pour ouvrir une action pénale.

La conclusion du Ministère public résulte toutefois d'une appréciation, par l'autorité précédente, des éléments du dossier, et nullement d'une constatation erronée au sens de la définition sus-rappelée.

Quoi qu'il en soit, la Chambre de céans jouit d'un plein pouvoir de cognition en droit et en fait (art. 393 al. 2 CPP) (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 p. 197; arrêt du Tribunal fédéral 1B_524/2012 du 15 novembre 2012 consid. 2.1.), de sorte que les éventuelles constatations inexactes auront été corrigées dans l'état de fait établi ci-avant.

3.             3.1. Conformément à l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Au moment de statuer sur l'ouverture éventuelle de l'instruction, le ministère public doit examiner si les conditions d'exercice de l'action publique sont réunies, c'est-à-dire si les faits qui sont portés à sa connaissance sont constitutifs d'une infraction pénale et si la poursuite est recevable. Il suffit que l'un des éléments constitutifs de l'infraction ne soit manifestement pas réalisé pour que la non-entrée en matière se justifie (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 8 ad art. 310). Face à des versions contradictoires des parties, il peut être exceptionnellement renoncé à une mise en accusation lorsqu'il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre version comme étant plus ou moins plausible et qu'aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_174/2019 du 21 février 2019 consid. 2.2).

3.2. Se rend coupable de la contravention réprimée par l'art. 198 al. 2 CP notamment celui qui aura importuné une personne par des paroles grossières.

L’appréciation de la grossièreté des paroles doit se faire objectivement, en tenant compte du contexte et des circonstances dans lesquels elles ont été proférées. Une simple déclaration d’amour ou une invitation exprimée poliment ne peuvent remplir le caractère de grossièreté et cela même si ces paroles n’ont pas été voulues par l’interlocuteur qui les reçoit. Par contre, dire à la victime qu’elle a les seins trop petits et qu’elle devrait faire quelque chose pour y remédier ou poser la main sur sa cuisse en lui disant qu’elle est "bien ferme" constituent respectivement des paroles grossières et des attouchements et sont donc punissables selon l'art. 198 al. 2 CP. Que les propos aient été tenus en privé ou en public n’est pas important, c’est leur contenu qui doit avoir une connotation sexuelle. C’est le cas par exemple des expressions vulgaires, des blagues salaces ou de la manifestation du désir sexuel envers la victime. Quant à la victime, elle ne doit pas avoir provoqué ni consenti à la tenue de tels propos. Elle pourrait favoriser le comportement de l’auteur, par exemple, en plaisantant ou en tenant des propos provocateurs. Il n'est pas nécessaire que l'auteur s'adresse directement à la victime. Il est envisageable que la victime entende l'auteur pendant que celui-ci tient des propos ou paroles grossières face à une tierce personne. Par contre, si la victime n'est pas physiquement présente, les paroles ou propos tenus par l'auteur ne sont pas constitutifs de l'infraction prévue par l'art. 198 al. 2 CP (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 21-22 ad art. 198).

L'infraction est intentionnelle, le dol éventuel suffit. La raison qui a poussé l’auteur (mobile) n’a pas d’importance, son comportement peut vouloir provoquer, choquer une tierce personne ou simplement être un jeu (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Ibidem, n. 28 ad art. 198).

3.3. En l'espèce, la recourante accuse le mis en cause de désagréments causés par la confrontation à un acte d'ordre sexuel (art. 198 al. 2 CP) pour lui avoir dit "tu m'excites quand tu marches", ce que ce dernier conteste, affirmant que cette phrase ne lui était pas destinée.

Si l'attitude du mis en cause, qui conteste les faits mais a tenu tout de même à s'excuser, est contradictoire, ladite attitude ne permet pas, en l'absence d'autre élément au dossier, de retenir une prévention suffisante à son égard.

Aucun autre acte d'instruction n'apparait propre à modifier ce constat. Notamment, rien n'indique qu'une confrontation des protagonistes permettrait de départager les versions, car tout laisse à penser que chacun maintiendrait la sienne. L'audition du policier intervenu sur les lieux ne permettrait pas non plus d'apporter d'élément probant supplémentaire dès lors que ce dernier n'était pas présent lors de l'assertion litigieuse. En outre, s'il existe manifestement un contentieux entre la recourante et d'autres chauffeurs de taxi, rien n'indique que le mis en cause y aurait pris part de sorte que l'apport de la procédure sollicité n'apparait pas pertinent. Enfin, les déclarations des autres chauffeurs de taxi présents devraient être appréhendées avec circonspection, eu égard aux relations les unissant respectivement à la recourante – pour son frère – ou au mis en cause. En tout état, celles-ci ne suffiraient pas, à elles seules, à fonder une prévention pénale suffisante.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.

5.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/10520/2023

ÉTAT DE FRAIS

ACPR/

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

900.00