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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/3072/2023

ACPR/44/2024 du 23.01.2024 sur OMP/23303/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU;MOTIVATION DE LA DÉCISION;EXPERTISE
Normes : CP.20; CPP.3.al2.letc

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/3072/2023 ACPR/44/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 23 janvier 2024

 

Entre

A______, domicilié ______ [GE], représenté par Me B______, avocat,

recourant,

contre le mandat d'expertise psychiatrique rendu le 11 décembre 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 20 décembre 2023, A______ recourt contre le mandat d'expertise psychiatrique décerné contre lui le 11 décembre 2023 et communiqué sous pli simple.

Le recourant conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation dudit mandat.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ est prévenu de lésions corporelles simples aggravées (art. 123 ch. 2 CP) et de violation du devoir d'assistance et d'éducation (art. 219 ch. 1 CP). Il lui est reproché de s'être livré à des violences physiques (notamment à des coups de ceinture) sur son fils C______, né le ______ 2012.

b. Interpellé le 8 février 2023, A______ a été mis le 10 février 2023 en liberté sous mesures de substitution, valables pour une durée de six mois – renouvelées jusqu'au 8 février 2024 par ordonnance rendue le 21 juillet 2023 par le Tribunal des mesures de contrainte – consistant à s’abstenir de tout contact avec son fils, à entreprendre un traitement psychothérapeutique auprès de l’association D______ et à se présenter et se soumettre au Service de probation et d'insertion (ci-après : SPI) pour le suivi de ces mesures.

c. Dans son rapport d'arrestation du 9 février 2023, la police, qui avait mené une perquisition du domicile de A______, a fait état de "l'encombrement excessif de ce logis, à savoir que le couloir d'entrée, la cuisine, la salle de bain, les toilettes et le cagibi [étaient] remplis d'objets de toutes sortes, à tel point qu'il [était] quasiment impossible de se déplacer dans ce capharnaüm" et de ce que le fils – dont "il était difficile d'imaginer [qu'il] puisse vivre et s'épanouir dans un tel bric-à-brac", dormait sur des couettes à même le sol.

d.a. Dans un rapport du 22 mai 2023, le SPI relevait que A______ excluait la possibilité d'une récidive, dès lors qu’il affirmait désormais comprendre le caractère illégal de ses actes.

d.b. Le 4 juillet 2023, l'association D______ a rendu compte au SPI des séances tenues avec A______. Ce dernier respectait les mesures de substitution et en était au début de sa prise en charge. Il consentait à "mettre progressivement en travail" les difficultés qu’il rencontrait dans l’éducation de son fils et exprimait des sentiments d’injustice et d’incompréhension, en lien avec la procédure, et d'inquiétude concernant son fils, placé en foyer.

d.c. Dans son rapport d'expertise du même jour, le Centre universitaire romand de médecine légale a notamment constaté, après examen de photographies et du corps de l'enfant C______, l'existence de cicatrices susceptibles d'être la conséquence de coups de boucle et de lanière de ceinture. En particulier, une lésion "en forme" de la région cervicale droite, sur une partie non saillante du corps, et des cicatrices linéaires et arciformes multiples, avec motifs répétés, principalement au niveau du dos et des cuisses, faisaient évoquer un tableau de maltraitance physique.

e. A______ a été auditionné à plusieurs reprises au cours de la procédure.

e.a. Le 8 février 2023 devant la police, ainsi que les 9 février et 8 mai 2023 devant le Ministère public, il a contesté tout acte de maltraitance envers son fils, précisant qu'il faisait dormir celui-ci – atteint d'énurésie nocturne – sur le sol afin de protéger les draps du lit. Selon lui, les cicatrices sur le corps de l'enfant avaient été causées dans le cadre scolaire et sa méthode éducative s'expliquait par des différences culturelles, lui-même étant de culture africaine.

e.b. Le 16 octobre 2023 devant le Ministère public, il a déclaré avoir compris, dans le cadre d'un suivi psychothérapeutique hebdomadaire, que frapper un enfant était illégal en Suisse. Après avoir contesté frapper son enfant avec une ceinture, il avait reconnu avoir pu en utiliser une "pour une correction", en janvier 2023. En revanche, il n'y avait eu aucun coup entre novembre 2019 et janvier 2023. Il a en outre affirmé que son fils mentait car "lorsqu'il fai[sai]t une bêtise, il [le] cach[ait]".

e.c. Lors de la même audience, le curateur de l'enfant a fait état de déclarations de ce dernier, qui accusait son père de le frapper avec des objets (cuillère en bois, ceinture, fil électrique) pour l'éduquer et de lui faire faire la cuisine, le ménage et la vaisselle.

f.a. Le 13 novembre 2023, le Ministère public a adressé aux parties un projet de mandat d'expertise psychiatrique en les invitant à lui communiquer leurs éventuelles déterminations.

f.b. Par courrier du 14 novembre 2023, le curateur de l'enfant C______ s'est déterminé sur le mandat, sans s'y opposer.

f.c. Par courrier du 1er décembre 2023, A______ a fait valoir que la mise en œuvre d'une expertise psychiatrique n'était pas nécessaire, aucun élément au dossier ne permettant de douter de sa responsabilité. Le certificat de suivi psychothérapeutique du 4 juillet 2023 ne mentionnait aucun doute à cet égard. Par ailleurs, il s'était toujours conformé aux recommandations du Ministère public et avait entamé un suivi psychologique, qui n'avait fait ressortir aucun indice d'irresponsabilité au sens de l'art. 20 CP. Le fait qu'il préférait répondre, lors de ses auditions, par des phrases "plus longues et développées plutôt qu'en faisant des phrases courtes et succinctes" ne justifiait pas plus d'ordonner une expertise psychiatrique. Enfin, une telle mesure prolongerait la durée de la procédure, l'empêchant de reprendre contact avec son fils dans un avenir proche.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que A______ était prévenu de lésions corporelles simples aggravées et de violation du devoir d'assistance et d'éducation. Au vu de la teneur de l'art. 20 CP, il était "indispensable" d'établir une expertise psychiatrique du prévenu.

D. a. Dans son recours, A______, qui rappelle contester être l'auteur des lésions constatées dans le rapport d'expertise du 4 juillet 2023, fait valoir qu'aucun élément ne permettait de douter de sa responsabilité pleine et entière. Le Ministère public ne motivait pas la décision querellée, se contentant d'un simple rappel des infractions reprochées. Le fait de répondre à des questions de l'autorité par des phrases longues et développées plutôt que par des phrases courtes – donnant l'impression de "tourner autour du pot" – ne justifiait pas l'établissement d'une expertise psychiatrique.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de notification conforme à l'art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP ; cf. arrêt du Tribunal fédéral 1B_242/2018 du 6 septembre 2018 consid. 2.4).

2.             Le recourant se plaint d'une absence de motivation de l'ordonnance attaquée.

2.1. L'art. 20 CP dispose que l'autorité d'instruction ou le juge ordonne une expertise s'il existe une raison sérieuse de douter de la responsabilité de l'auteur.

L'autorité doit ordonner une expertise non seulement lorsqu'elle éprouve effectivement des doutes quant à la responsabilité de l'auteur, mais aussi lorsque, d'après les circonstances du cas particulier, elle aurait dû en éprouver, c'est-à-dire lorsqu'elle se trouve en présence d'indices sérieux propres à faire douter de la responsabilité pleine et entière de l'auteur au moment des faits (ATF 133 IV 145 consid. 3.3). Constituent de tels indices, une contradiction manifeste entre l'acte et la personnalité de l'auteur, le comportement aberrant du prévenu, un séjour antérieur dans un hôpital psychiatrique, une interdiction prononcée sous l'empire des anciennes dispositions du code civil, une attestation médicale, l'alcoolisme chronique, la dépendance aux stupéfiants, la possibilité que la culpabilité ait été influencée par un état affectif particulier ou l'existence de signes d'une faiblesse d'esprit ou d'un retard mental (ATF 133 IV 145 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 7B_738/2023 du 30 novembre 2023 consid. 2.2.2).

2.2. Le droit d'être entendu, garanti à l'art. 29 al. 2 Cst., impose à l'autorité l'obligation de motiver sa décision afin, d'une part, que son destinataire puisse l'attaquer utilement et, d'autre part, que la juridiction de recours soit en mesure d'exercer son contrôle (ATF 139 IV 179 consid. 2.2 ; 138 I 232 consid. 5.1).

En matière de violation du droit d'être entendu, la réparation consiste à renvoyer le dossier à l'autorité intimée pour qu'elle rende une nouvelle décision, étant rappelé qu’aucun effet guérisseur n'est reconnu, en instance de recours, aux observations par lesquelles le Ministère public suppléerait au défaut de motivation de sa décision (ACPR/658/2023 du 21 août 2023 consid. 2.2).

2.3. En l'espèce, la décision querellée se limite à faire état des infractions pour lesquelles le recourant est prévenu et à reprendre le texte de l'art. 20 CP. Elle ne mentionne pas quels indices concrets permettraient de douter de la responsabilité du précité. Or, le recourant a étayé ses objections à une expertise psychiatrique par courrier du 1er décembre 2023, de sorte que le Ministère public ne pouvait se contenter de les ignorer, sans raisonnement – même bref – permettant de comprendre en quoi il considérait que les conditions de l'art. 20 CP étaient réalisées.

Partant, la Chambre de céans n'est pas en mesure d'exercer son contrôle.

3.             Fondé, le recours doit être admis et le mandat querellé annulé.

4.             Au regard de la nature procédurale des motifs conduisant à l'admission du recours et dans la mesure où la Chambre de céans n'a pas traité la cause sur le fond, ne préjugeant ainsi pas de l'issue de celle-ci, il peut être procédé au renvoi sans ordonner préalablement un échange d'écritures (ATF 133 IV 293 consid. 3.4.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_662/2020 du 18 août 2020 consid. 2 et 6B_30/2020 du 6 avril 2020 consid. 2).

5.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6.             Le défenseur d'office du recourant sera indemnisé à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 cum 138 CPP), de sorte qu'il n'y a pas lieu de l'indemniser, à ce stade, pour le recours.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule le mandat d'expertise psychiatrique du 11 décembre 2023 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il rende une décision motivée.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président ; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).