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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2618/2022

ACPR/937/2023 du 05.12.2023 sur OCL/816/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ;LÉSÉ;LOI COVID-19;ESCROQUERIE;FAUX INTELLECTUEL DANS LES TITRES
Normes : aOCaS-COVID-19.23; aOCaS-COVID-19.6; aOCaS-COVID-19.7; aOCaS-COVID-19.11; LCaS-COVID-19.5; CPP.382; aOCaS-COVID-19.3; CP.146; CP.251

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2618/2022 ACPR/937/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 5 décembre 2023

 

Entre

A______, sise ______ [VD], représentée par Me François MICHELI, avocat, Kellerhals Carrard Genève SNC, rue François-Bellot 6, 1206 Genève,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 7 juin 2023 par le Ministère public,

et

B______, domicilié p.a. C______, ______ [GE], agissant en personne,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 19 juin 2023, [l'organisme de cautionnement] A______ recourt contre l'ordonnance du 7 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé la procédure ouverte à l'encontre de B______.

La recourante conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour complément d'instruction, en particulier par des actes d'enquête qu'elle énumère.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.D______ SA – sise rue 1______ no. ______, [code postal] Genève – était une société anonyme inscrite au Registre du commerce genevois depuis le ______ 2008 sous le numéro d'identification (ci-après, IDE) CHE-2______, dont le but était la "conception, réalisation et production d'outils et produits de communication sur supports informatiques, internet ou vidéo; prestations de conseil et service y relatives, accorder des prêts ou des garanties à des actionnaires ou des tiers, si cela favorise ses intérêts". E______ en était directeur, puis administrateur secrétaire – respectivement administrateur président –, avec signature individuelle.

Le 10 avril 2019, au moyen de nouveaux statuts, la raison sociale de la société précitée a été changée en F______ SA avec comme but social la "conception, réalisation, production et commercialisation d'objets connectés destinés au grand public; conception, développement et exploitation de logiciels, bases de données et protocoles de communication; prise et cession de licences d'exploitation sur brevets, dessins, marques, modèles et logiciels en Suisse et à l'étranger; toutes prestations de conseils et de services en systèmes d'information et de communication". B______ en est devenu administrateur, puis – à partir du 16 octobre 2020 – a exercé cette fonction aux côtés de E______ et ce, jusqu'au 3 février 2022, date à laquelle ses pouvoirs ont été radiés. F______ SA a repris l'adresse et l'IDE de D______ SA.

Le ______ 2022, F______ SA a été radiée du Registre du commerce genevois et inscrite à celui du canton de Vaud sous la nouvelle raison sociale G______ SA.

b. Le 27 mars 2020, B______ a rempli et signé, au nom et pour le compte de F______ SA, un formulaire de convention de crédit COVID-19 avec [la banque] H______, déclarant dans la case relative au montant du crédit, intitulée "Bloc 2 (seulement si le bloc 1 n'est pas rempli)", une masse salariale estimée de CHF 300'000.- devant couvrir un exercice et cinq employés, ainsi qu'un chiffre d'affaires estimé de CHF  500'000.-. Selon les indications du formulaire, ledit "bloc 1" devait contenir le chiffre d'affaires définitif à fin 2019, à défaut celui provisoire et, encore à défaut, le chiffre d'affaires réalisé en 2018.

Par la signature du formulaire, la société preneuse du crédit s'engageait à utiliser le crédit accordé uniquement pour couvrir ses besoins courants de liquidités et attestait qu'elle était gravement atteinte sur le plan économique en raison de la pandémie de COVID-19, notamment en ce qui concernait son chiffre d'affaires. Elle confirmait également que toutes les informations figurant sur le formulaire étaient complètes et correspondaient à la réalité et prenait connaissance du fait qu'en fournissant des informations inexactes ou incomplètes, elle s'exposait à des poursuites pénales.

c. Sur la base de cette convention, F______ SA a obtenu un crédit de
CHF 50'000.-, lequel a été versé sur le compte courant de la société ouvert auprès de H______ (ci-après, compte 3______).

d. L'extrait dudit compte pour la période du 27 mars 2020 au 8 février 2022 fait état de débits pour un total de CHF 922'884.20 – correspondant en substance à des paiements des salaires, loyers et factures des fournisseurs – et de crédits pour un total de CHF 931'372.62 provenant notamment de la location de biens, ainsi que de la vente des produits et des divers prêts (PP 200'010 ss).

e. Par courrier du 3 février 2022, l'Administration fédérale des contributions (ci-après, AFC) a déposé une "dénonciation pénale" auprès du Ministère public contre B______ des chefs d'escroquerie (art. 146 CP) et de faux dans les titres (art. 251 CP).

Elle a expliqué que F______ SA – laquelle avait changé d'actionnariat en avril 2019 – s'était lancée dans le développement d'un outil de téléconférence (ci-après, le produit I______) et avait recherché activement des investisseurs pour financer, à hauteur de CHF 5 millions, la première ligne de production. Le lancement du produit avait ensuite été reporté à 2022.

À teneur de la comptabilité de la précitée pour les années 2019 et 2020 – produite à l'appui de la dénonciation – les chiffres d'affaires s'élevaient à CHF 54'230.-, respectivement à CHF 62'590.-, et la masse salariale à CHF 33'548.10, respectivement à CHF 53'885.50. Il s'ensuivait donc que B______ avait déclaré dans le formulaire de convention de crédit COVID-19 un chiffre d'affaires supérieur à celui inscrit dans les livres comptables de F______ SA.

f. Le 10 février 2022, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre B______ pour escroquerie et faux dans les titres, lui reprochant d'avoir, pour le compte de F______ SA, obtenu un crédit COVID-19 sans respecter ses conditions d'octroi et d'utilisation.

g. Entendu par la police le 7 avril 2022, B______ a contesté les faits qui lui étaient reprochés. Il avait acheté en avril 2019 les actions de D______ SA – sans activité – et avait ensuite changé la raison sociale en F______ SA avec comme but la fabrication d'appareils de visioconférence innovants. Un autre associé, E______, l'avait rejoint en octobre 2020, et ils avaient, fin 2020, procédé à deux augmentations du capital, pour un montant total de CHF 600'000, lesquelles avaient permis d'engager jusqu'à huit salariés et de payer des dettes. Après deux ans de recherche et de développement, la société avait commencé récemment la commercialisation de son produit.

S'agissant du crédit COVID-19, dans la mesure où F______ SA n'avait pas de chiffre d'affaires significatif, il avait fait une estimation de la masse salariale, raison pour laquelle il avait rempli le "Bloc 2" du formulaire. Le chiffre d'affaires de CHF 500'000.- avait été fixé automatiquement par le système informatique sur la base d'une méthode de calcul mentionnée dans le formulaire. Il y était explicitement précisé que les sociétés en phase de démarrage avaient le droit de remplir le "Bloc 2". Le prêt COVID-19 avait été utilisé pour l'achat des matériaux, ainsi que pour les paiements des salaires et des loyers. Il était prévu de le rembourser sur une période de 24 mois, le premier paiement ayant eu lieu en avril 2022. La situation de la société était obérée, dans la mesure où celle-ci n'avait pas été en mesure de lever les montants nécessaires pour "l'industrialisation du projet".

h. Par courrier du 3 juin 2022 adressé au Ministère public, A______ s'est constituée partie plaignante au civil et au pénal.

Le 13 suivant, H______ a résilié le crédit COVID-19 octroyé à F______ et exigé le remboursement de la somme de CHF 43'938.43.

Le 22 juin 2022, H______ a fait appel à A______, laquelle a remboursé la banque le 7 juillet 2022.

i. Entendu par le Ministère public le 24 août 2023, B______ a confirmé les déclarations faites à la police. En 2019, F______ – laquelle venait de démarrer son activité – comptait un employé, en plus de E______ et de lui-même, et avait des charges liées notamment à la création de prototypes et à l'utilisation d'un petit bureau. En mars 2020, il avait demandé un crédit COVID-19, non pas pour lever des fonds, mais car l'activité de la société avait été impactée par la pandémie. Il avait rempli la case dédiée à la masse salariale estimée pour 2020, au double motif qu' – au moment de la demande – les comptes de F______ pour l'année 2019 n'avaient pas encore été établis et qu'il n'y avait pas de chiffre d'affaires relatif à la nouvelle activité de la société preneuse du crédit. L'annonce d'une masse salariale de CHF 300'000.- correspondait à des projets de business plan présentés à de nombreux investisseurs. La différence avec la masse salariale figurant dans les bilans des années 2019 et 2020 s'expliquait par la crise sanitaire, laquelle avait retardé de six mois le processus d'investissement dans la société. Dès lors que dans la case relative au montant du crédit intitulé "Bloc 2", le chiffre d'affaires estimé était automatiquement calculé en multipliant par trois la masse salariale estimée – mais au moins CHF 100'000.- et au plus CHF 500'000.- –, il n'avait aucun intérêt à déclarer faussement une masse salariale de CHF 300'000.-, alors qu'en annonçant "uniquement CHF 170'000.-", il aurait pu obtenir le même montant de crédit.

j. Par courrier du 23 septembre 2022 adressé au Ministère public, B______ a expliqué que E______ et un autre employé avaient, en janvier 2019, touché un dernier salaire en lien avec l'ancienne activité de F______ SA. S'agissant de la nouvelle activité de la précitée, les premières commandes du produit avaient eu lieu fin août 2020 et "les ventes significatives" avaient commencé au dernier trimestre de 2021.

Y étaient joints divers documents dont notamment:

-                        des contrats de travail conclus, entre les 30 septembre 2019 et 25 février 2021, entre F______ SA et une dizaine d'employés (PP 610'039 ss);

-                        un tableau récapitulatif des salaires pour la période de janvier 2020 à décembre 2021, duquel il ressort que la masse salariale annualisée du premier trimestre 2020, pour trois employés, s'élevait à CHF 135'600.- et que celle pour la période d'août 2020 à juillet 2021 à CHF 324'000.- (PP 610'029);

-                        des formulaires intitulés "[d]éclaration des salaires versés par l'employeur à son personnel" faisant état d'un montant total des salaires de CHF 25'750.- en 2019 (quatre employés) – dont CHF 15'750.- pour le mois de janvier (deux employés) –, CHF 87'600.- en 2020 (cinq employés) et CHF 497'600.- en 2021 (huit employés) (PP 610'026 à 610'029);

-                        un document intitulé "Startup Factsheet for I______" daté de septembre 2019, dans lequel E______ apparaissait comme CEO de F______ SA et B______ comme son directeur financier (PP 610'101). Les coûts totaux de fabrication et de production du produit I______ étaient estimés à CHF 200'000.- en 2019 et à CHF 5 millions en 2020 (PP 610'103). Il était prévu de lever CHF 1.5 millions pour financer la production des 1000 premières unités, lesquelles allaient être livrées au troisième trimestre 2020 (PP 610'104);

-                        des extraits des comptes "3000 ventes de produits fabriqués" pour les années 2020 et 2021 faisant état des crédits d'un montant total de CHF 17'000.- entre les 31 août et 31 décembre 2020 (PP 610'016), respectivement de CHF 107'537.50 entre les 1er  janvier et 31 décembre 2021 (PP 610'025).

k. Par avis de prochaine clôture de l'instruction du 2 mai 2023, le Ministère public a informé les parties de son intention de rendre une ordonnance de classement et leur a accordé un délai au 15 suivant pour déposer leurs éventuelles réquisitions de preuves.

l. Dans le délai imparti, A______ a sollicité la production, par l'AFC et l'OCAS, des décomptes TVA de F______ SA pour les exercices comptables 2018 et 2019, respectivement des attestations de salaires annoncées par la précitée pour les années 2019 à 2022.

m. Par ordonnance de refus d'administration de preuves du 7 juin 2023, le Ministère public a rejeté la demande du plaignant au motif que le prévenu n'avait jamais inscrit sur le formulaire de la demande de crédit le chiffre d'affaires des années 2018 et 2019. Le précité avait par ailleurs produit suffisamment de justificatifs, lesquels faisaient état de la masse salariale de la société preneuse du crédit.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public considère que, dans la mesure où la société preneuse du crédit n'avait pas encore d'activité en avril 2019, le prévenu était légitimé à choisir le "Bloc 2" dans le formulaire de la demande du crédit et à y inscrire une masse salariale estimée de CHF 300'000.-, laquelle paraissait conforme au business plan. Qui plus est, les comptes pour l'exercice 2019 n'étaient pas encore disponibles au moment de la demande du crédit et la société n'avait pas réalisé de chiffre d'affaires en 2019. Certes, la masse salariale estimée n'avait été atteinte qu'en juillet 2021. Le prévenu avait toutefois expliqué que la pandémie avait retardé le processus d'investissement au sein de l'entreprise, ce qui pouvait être considéré comme plausible. Rien ne permettait dès lors de retenir que le précité aurait agi avec l'intention de tromper la banque, pas plus que de se procurer un avantage illicite ou d'affecter les fonds prêtés à des fins étrangères au but du prêt COVID-19.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public d'avoir violé les art. 319 CPP, 146 CP et 251 CP. Le prévenu avait mentionné dans le formulaire de demande de crédit COVID-19 – soit un titre – un montant "frauduleusement augmenté" dans le but de tromper la banque et de se voir octroyer indûment un prêt. En effet, aucun cas de figure visé par l'art. 7 al. 2 de l'ancienne Ordonnance du Conseil fédéral du 25 mars 2020 sur l'octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus (aOCaS-COVID-19; RS 951.261) n'était réalisé en l'espèce, dès lors que la société preneuse du crédit avait été fondée en 2008 et que le changement de raison sociale n'en faisait pas pour autant une nouvelle entité juridique. En tout état de cause, le prévenu aurait dû inscrire sous le "Bloc 2" de la convention de crédit COVID-19 la masse salariale de l'année en cours et non pas un montant qu'il espérait atteindre dans le futur. Que la masse salariale estimée ait été atteinte lors d'un exercice ultérieur n'avait aucune importance.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours. Comme cela ressortait du Registre du commerce genevois, en 2019, la société preneuse du crédit avait – en sus d'une modification de sa raison sociale et de ses statuts – également changé son but social. Au moment de la demande de crédit COVID-19, l'intéressé ne disposait ainsi d'aucune information sur son chiffre d'affaires pour l'exercice en cours et ce, malgré "l'entité juridique préexistante".

c. Dans ses observations, B______ conclut, sous suite de frais et indemnité de CHF 10'000.-, au rejet du recours. Il fait sien le raisonnement figurant dans l'ordonnance entreprise et persiste, pour l'essentiel, dans les termes de ses précédentes déclarations.

d. Dans sa réplique, A______ souligne que les buts sociaux de D______ SA et de F______ SA n'étaient pas fondamentalement différents, si bien que E______ – directeur, puis administrateur de la première – était devenu, en octobre 2020, organe de la seconde. Par ailleurs, contrairement à ce que soutenait le prévenu, les difficultés financières de la société preneuse du crédit étaient dues à des causes indépendantes de la pandémie.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).

1.2.1. Seule une partie qui a un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée a qualité pour recourir contre celle-ci (art. 382 al. 1 CPP).

La partie plaignante a qualité de partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP).

On entend par partie plaignante le lésé qui déclare expressément vouloir participer à la procédure pénale comme demandeur au pénal ou au civil (art. 118 al. 1 CPP). L'art. 115 al. 1 CPP définit le lésé comme étant toute personne dont les droits ont été touchés directement par une infraction.

1.2.2. Selon l'art. 104 al. 2 CPP, la Confédération et les cantons peuvent reconnaître la qualité de partie, avec tous les droits, ou des droits limités, à d'autres autorités chargées de sauvegarder des intérêts publics.

1.2.3. L'art. 5 al. 1 de la Loi fédérale du 18 décembre 2020 sur les crédits garantis par un cautionnement solidaire à la suite du coronavirus (LCaS-COVID-19; RS 951.26) prévoit qu'en ce qui concerne les cautionnements solidaires octroyés en vertu de l'OCaS-COVID-19, les organisations de cautionnement assurent les tâches suivantes: (a) la gestion, la surveillance et le règlement des cautionnements; (b) les tâches qui leur sont attribuées dans le cadre de la prévention de la lutte et de la poursuite en matière d'abus; (c) les tâches prévues par la convention conclue avec la Confédération.

L'al. 2 de cette disposition prévoit qu'afin d'accomplir leurs tâches, les organisations de cautionnement peuvent introduire et mener des procédures civiles et pénales de manière autonome (let. b) et se constituer parties plaignantes dans des procédures pénales; elles ont tous les droits et obligations qui en découlent (let. c).

Pour sauvegarder les intérêts de la Confédération, les organisations de cautionnement disposent en tant que partie plaignante de tous les droits et obligations prévus aux art. 118 ss CPP. Pour les organisations de cautionnement, qui ont en leur qualité de cautions solidaires une responsabilité directe envers les donneurs de crédit, cette possibilité existe aussi dans les procédures pénales qui sont exécutées avant la sollicitation formelle ou le versement formel du cautionnement (Message du Conseil fédéral concernant la Loi sur les crédits garantis par un cautionnement solidaire à la suite du coronavirus [ci-après, Message], FF 2020 8195 s.).

1.2.4. En l'espèce, la recourante est une organisation de cautionnement reconnue par la Confédération, de sorte qu'elle revêt cette qualité au sens de l'art. 5 LCas-COVID-19. Par ailleurs, la société F______ a obtenu un crédit COVID-19 garanti exclusivement par son cautionnement. La recourante doit ainsi être reconnu comme partie plaignante en vertu de l'art. 5 al. 2 LCaS-COVID-19.

1.3. Il s'ensuit que la recourante dispose de la qualité pour recourir contre l'ordonnance querellée et que le recours est recevable.

2.             La recourante fait grief au Ministère public d'avoir classé la procédure, en violation de l'art. 319 CPP.

2.1.       Selon l'art. 319 al. 1 let. a CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore". Celui-ci, qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et qui s'impose également à l'autorité de recours, signifie que, en principe, un classement ne peut être prononcé que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243).

2.2. Selon l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

L'escroquerie consiste à tromper la dupe. Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas ; il faut qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 143 IV 302 consid. 1.3 ; 142 IV 153 consid. 2.2.2; 135 IV 76 consid. 5.2).

2.3. L'art. 251 ch. 1 CP réprime le comportement de quiconque, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d'autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelle d'autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d'un tel titre.

Cette disposition vise tant le faux matériel, qui consiste dans la fabrication d'un titre faux ou la falsification d'un titre, que le faux intellectuel, qui consiste dans la constatation d'un fait inexact, en ce sens que la déclaration contenue dans le titre ne correspond pas à la réalité.

Le faux intellectuel vise l'établissement d'un titre qui émane de son auteur apparent, mais qui est mensonger dans la mesure où son contenu ne correspond pas à la réalité. Un simple mensonge écrit ne constitue pas un faux intellectuel punissable. Pour que le mensonge soit punissable comme faux intellectuel, il faut que le document ait une valeur probante plus grande que dans l'hypothèse d'un faux matériel. Sa crédibilité doit être accrue et son destinataire doit pouvoir s'y fier raisonnablement. Une simple allégation, par nature sujette à vérification ou discussion, ne suffit pas. Il doit résulter des circonstances concrètes ou de la loi que le document est digne de confiance, de telle sorte qu'une vérification par le destinataire n'est pas nécessaire et ne saurait être exigée (ATF 144 IV 13 consid. 2.2.3; 142 IV 119 consid. 2.1; 138 IV 130 consid. 2.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_55/2017 du 24 mars 2017 consid. 2.2).

2.4.1. Dans le contexte de la pandémie de coronavirus (COVID-19), les autorités fédérales ont pris de nombreuses mesures visant à atténuer les conséquences économiques de celle-ci, en particulier à éviter les licenciements massifs, à garantir le versement des salaires en cas d'absence involontaire au travail et à empêcher que des entreprises et des travailleurs indépendants solvables ne soient acculés à la faillite en raison d'un manque de liquidités. C'est ainsi qu'en date du 26 mars 2020 est entrée en vigueur l'OCaS-COVID-19, laquelle a été abrogée le 18 décembre 2020. Les mesures prévues par cette ordonnance – en vigueur au moment des faits – visaient à fournir en particulier aux travailleurs indépendants et aux petites et moyennes entreprises un accès rapide et non bureaucratique aux crédits bancaires – et donc aux liquidités – afin qu'ils puissent supporter leurs frais malgré des pertes de revenus liées à la pandémie (Commentaire de l'Administration fédérale des finances concernant l'ordonnance sur l'octroi de crédits et de cautionnements solidaires à la suite du coronavirus [ci-après, Commentaire DFF], p. 2).

2.4.2. À teneur de l'art. 3 al. 1 aOCaS-COVID-19, une organisation de cautionnement accorde sans formalités un cautionnement solidaire unique pour des crédits bancaires jusqu'à concurrence de CHF 500'000.-, notamment, si des entreprises individuelles, sociétés de personnes ou personnes morales ayant leur siège en Suisse déclarent qu'elles ont été fondées avant le 1er mars 2020 (let. a) et qu'elles sont substantiellement affectées sur le plan économique en raison de la pandémie de COVID-19, notamment en ce qui concerne leur chiffre d'affaires (let. d).

Les diminutions du chiffre d'affaires qui étaient dues à d'autres raisons, par exemple la perte du site de production en raison d'un sinistre ou la fermeture de l'entreprise pour des raisons d'hygiène, ne donnaient pas droit à une aide au sens de l'ordonnance (Commentaire DFF, p. 6). De même, une société existante qui n'avait pas d'activité avant la pandémie de COVID-19 ne pouvait avoir été durement atteinte et n'avait donc pas droit à un crédit (F. MICHELI / E. SPAHNI, Irrégularités dans les crédits COVID-19: État des lieux après trois ans de lutte contre les abus, in PJA 2023, p. 479 KELLERHALS CARRARD / BÜRGSCHAFTSGENOSSENSCHAFTEN SCHWEIZ (éds), Corona-Kredite für KMU : Umsetzung des Massnahmenpakets und Kommentierung des Covid-19 Solidarbürgschaftsgesetzes, Zurich 2021, N. 22 ad art.  25).

2.4.3. En vertu de l'art. 6 aOCaS-COVID-19, le cautionnement solidaire a pour seul but de garantir les crédits bancaires destinés à satisfaire les besoins courants en liquidités du requérant (al. 1). L'octroi d'un cautionnement solidaire est notamment exclu si le crédit à cautionner doit permettre au preneur de crédit d'effectuer de nouveaux investissements dans des actifs immobilisés qui ne constituent pas des investissements de remplacement (al. 2 let. b).

2.4.4. D'après l'art. 7 al. 1 aOCas-COVID, le montant total cautionné s'élève à 10% au plus du chiffre d'affaires du requérant en 2019. Si la clôture définitive de l'exercice 2019 n'est pas disponible, le résultat provisoire ou, si ce dernier fait également défaut, le chiffre d'affaires de 2018, font foi. Selon l'al. 2, si l'activité commerciale a débuté le 1er janvier 2020 ou plus tard, ou si la durée de l'exercice est supérieure à une année en raison de la fondation de la société en 2019, est réputée chiffre d'affaires la masse salariale nette d'un exercice multipliée par trois, mais au moins 100 000 francs et au plus 500 000 francs.

Il est précisé dans le commentaire du DFF que "[l]es travailleurs indépendants et les entreprises qui n'ont commencé leurs activités ou qui n'ont été fondées que dans le courant de l'année 2019 ne disposent d'aucune indication sur leur chiffre d'affaires pour un exercice complet. Dans ce cas il faut prendre en considération la masse salariale: dans le secteur des PME, les salaires représentent environ un tiers du chiffre d'affaires d'une entreprise moyenne. Par conséquent, au lieu d'un chiffre d'affaires inconnu, il faut se baser sur la masse salariale nette pour l'ensemble de l'exercice en cours et la multiplier par trois. Comme cette formule de calcul est quelque peu approximative et ne tient pas compte de la structure individuelle de l'entreprise, l'ordonnance fixe simultanément une limite supérieure et une limite inférieure […]" (Commentaire DFF, p. 10).

Un changement dans l'organisation de la société – comme un changement d'actionnaire ou de direction ou, plus généralement, un nouveau business plan – ne permettait pas d'obtenir un crédit sur la base d'un chiffre d'affaires estimé pour 2020. Le montant du crédit COVID-19 devait être calculé sur la base du chiffre d'affaires effectif – définitif ou provisoire – (F. MICHELI / E. SPAHNI, op. cit., p. 489 note 78).

2.4.5. L'art. 11 al. 1 à 3 aOCaS-COVID-19 prévoit que la transmission à la banque de la convention de crédit signée par le requérant est réputée demande. Le requérant confirme par écrit ou par tout autre moyen permettant d'en établir la forme par un texte que les données figurant dans le formulaire de demande sont complètes et véridiques. Les organisations de cautionnement vérifient l'exhaustivité et l'exactitude formelle des demandes de cautionnement solidaire.

2.4.6. L'art. 23 aOCaS-COVID-19 dispose que quiconque, intentionnellement, obtient un crédit en vertu de la présente ordonnance en fournissant de fausses indications est puni d'une amende de 100'000 fr. au plus, à moins qu'il n'ait commis une infraction plus grave au sens du code pénal.

2.4.7. Les fausses déclarations faites lors de la formulation d'une demande de crédit COVID-19 constituent des tromperies astucieuses au sens de l'art. 146 CP, car il est notoire que les crédits COVID-19 ont été octroyés sur la seule base de la propre déclaration du requérant, sans examen des conditions ou de l'intention dans laquelle ils devaient être utilisés. Il n'y a pas de coresponsabilité de la dupe qui exclurait l'astuce, car il s'agissait de rendre possible l'octroi à court terme et de manière standardisée des crédits dans une situation d'urgence. De même, la demande d'octroi d'un tel crédit COVID-19 bénéficie d'une crédibilité accrue, dans la mesure où la loi impose en règle générale de renoncer à une vérification plus approfondie des indications fournies, la banque ou ses collaborateurs étant en droit de se fier au contenu constaté dans le titre (TC VD, CAPE/2022/298 du 5 décembre 2022 consid. 6.2.1 et 6.2.3, confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 6B_244/2023 du 25 août 2023 consid. 4.2 et 4.3; décision du Bezirksgericht de Dietikon du 27 avril 2020, publié in forumpoenale 5/2022 n. 32 pp. 326 ss; AARP/249/2023 du 17 juillet 2023 consid. 2.3.4).

2.5. En l'espèce, la recourante reproche à l'intimé d'avoir rempli le formulaire de convention de crédit COVID-19 avec des informations mensongères, ce qui est contesté par le second qui soutient avoir, à bon droit, estimé une masse salariale pour l'exercice en cours de F______ SA, dans la mesure où celle-ci avait commencé ses activités en avril 2019.

Avec la recourante, force est de constater que le but social de F______ n'a que très peu changé par rapport à celui de D______ – dont elle a conservé l'adresse et l'IDE au Registre du commerce –, dès lors que les deux sociétés ont été actives dans le même domaine et que E______ – directeur, puis administrateur de la seconde nommée – était également CEO, voire actionnaire, de la première. En outre, il ressort du dossier, d'une part, que des salaires ont été versés, en 2019, à quatre employés – dont le précité – et, d'autre part, que le chiffre d'affaires pour cette année s'élevait à CHF 54'230.-, ce qui ne permet pas de conclure, d'emblée, à la création d'une nouvelle entreprise en avril 2019. Que la raison sociale ait été modifiée n'implique pas pour autant qu'une nouvelle société ait été constituée (cf. ATF 128 III 137 consid. 4a). De même, l'établissement d'un nouveau business plan résulte d'un choix économique et commercial de l'entreprise et ne correspond pas forcément au commencement d'une nouvelle activité, mais plutôt à la continuation de celle-ci. Même à admettre le caractère nouveau de l'activité, le montant total des salaires versés par la société preneuse du crédit en 2020 ne permet pas de déboucher sur une masse salariale de CHF 300'000.- – figurant dans le formulaire –. Quand bien même il s'agissait dans la demande de prêt d'estimer la masse salariale pour un exercice, on ne comprend pas pourquoi l'intimé ne s'est pas fondé sur la masse salariale annualisée de premier trimestre 2020 pour trois employés, mais sur un montant qu'il espérait atteindre dans le futur, étant précisé – qu'en mars 2020 – F______ n'avait procédé à aucune augmentation du capital. Enfin, d'après le business plan de septembre 2019, la précitée avait besoin de lever CHF 1.5 millions pour financer la production des 1000 premières unités du produit I______. Or ce besoin financier existait déjà avant la crise sanitaire, de sorte que – sous l'angle de vraisemblance –, la société preneuse du crédit ne semblait pas subir une grave atteinte économique en raison de ladite crise, et des mesures en découlant, lorsqu'elle a sollicité le crédit COVID-19, mais plutôt d'absence d'investissements.

En conséquence, il ne peut être exclu, à ce stade, que le formulaire de la convention de crédit COVID-19 contienne des informations inexactes. Il existe dès lors une prévention pénale suffisante des infractions dénoncées.

Il appartiendra au Ministère public de procéder aux mesures d'instruction complémentaires jugées utiles, notamment à la production des décomptes TVA de F______ SA pour les exercices comptables 2018 et 2019 et à l'audition de E______.

3. Le recours doit être admis. L'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public. Les sûretés versées par la recourante lui seront restituées.

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

5. La recourante n'a pas chiffré ni justifié de prétentions en indemnité (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne leur en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ l'avance de frais (CHF 2'000.-).

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, à B______ et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).