Skip to main content

Décisions | Chambre pénale de recours

1 resultats
P/10653/2023

ACPR/905/2023 du 16.11.2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : CONNEXITÉ;JONCTION DE CAUSES
Normes : CPP.29; CPP.30; CPP.49

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10653/2023 ACPR/905/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 16 novembre 2023

 

Entre

A______, représenté par Me B______, avocat,

recourant,

 

contre l'ordonnance de jonction rendue le 29 août 2023 par le Ministère public,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 11 septembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 29 août 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a ordonné la jonction de la procédure P/1______/2023 à la P/10653/2023 sous ce dernier numéro de procédure.

Le recourant conclut, sous suite de frais, à l'annulation de l'ordonnance querellée.

b. Par ordonnance du 12 septembre 2023 (OCPR/57/2023), la Direction de la procédure a refusé l'effet suspensif demandé.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

P/10653/2023 :

a. Le 17 mai 2023, le Ministère public a ouvert une instruction pénale contre C______ et D______, à la suite des plaintes pénales déposées contre eux, le jour précédent, par A______ et sa mère, E______, pour extorsion et chantage, menaces, contrainte et séquestration.

Il leur est reproché d'avoir, durant la soirée du 15 mai 2023, menacé E______ – en affirmant que si son fils ne rendait pas l'argent provenant de la vente d'une montre, il y allait avoir des problèmes avec un colonel saoudien travaillant avec la famille de la propriétaire de ladite montre –, ainsi que A______ – en lui disant qu'ils allaient "l'exposer", le "mettre dans une cave" et le "découper" si l'intéressé ne leur remettait pas la somme de CHF 12'000.- –. Dans ces mêmes circonstances, il leur est reproché d'avoir tenté de déterminer A______ à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires en le menaçant d'un dommage sérieux, soit en lui montrant qu'ils étaient en possession d'une arme à feu, et en l'entravant dans sa liberté d'action, en le contraignant à rester dans le véhicule dans lequel il était monté, requérant la remise d'une somme de CHF 97'000.- au total.

b. C______ et D______ ont été interpellés le 16 mai 2023.

Lors de leurs auditions à la police et au Ministère public, ils ont contesté l'ensemble des faits reprochés. En substance, ils savaient que le prince F______ avait remis une montre de marque G______, appartenant à sa mère, à A______ pour qu'il la vende à un prix déterminé. Ce dernier ne s'était toutefois pas exécuté. Pour rendre service à F______, ils avaient donc cherché à régler le problème à l'amiable. Ils s'étaient d'abord rendus au domicile de A______, où ils avaient échangé avec E______, puis avaient retrouvé l'intéressé en ville, accompagné de trois personnes, dont un ami nommé "H______". Après discussion, ils avaient raccompagné A______ chez lui pour récupérer de l'argent et rembourser F______.

c. Lors de ses auditions des 14, 22 juin, 4 juillet et 18 août 2023 – hors confrontation directe avec les prévenus –, A______, assisté de son conseil, a confirmé sa plainte. Il a également répondu à diverses questions en lien avec la vente de la montre.

P/1______/2023 :

d. Le 15 août 2023, F______ a déposé plainte contre A______ notamment pour abus de confiance. Il lui reprochait de ne pas lui avoir remis la totalité de la contrevaleur de la montre G______ qu'il lui avait confiée en vue de la vendre.

e. Lors de l’audience du 28 août 2023, le Ministère public a informé les parties de l'existence de cette plainte, enregistrée sous le numéro de procédure P/1______/2023, et annoncé la prochaine jonction de celle-ci à la procédure P/10653/2023.

Interpellé sur le fait qu'il revêtira la qualité de prévenu dans la P/1______/2023, A______ a indiqué ne pas s'opposer à ce que l'audience se tienne à condition d'être mis en prévention.

Le Ministère public a décidé de reconvoquer l'audience ultérieurement afin d'entendre les parties.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a ordonné la jonction des procédures "vu la qualité des parties et la connexité des faits". Il considère que les faits ayant donné lieu aux plaintes de A______ et de F______ sont connexes et reliés entre eux.

D. a. À l'appui de son recours, A______ conteste cette jonction, faisant valoir qu'elle porte atteinte à ses droits en permettant à F______ de prendre connaissance des déclarations qu'il a faites en tant que plaignant – alors qu'il était tenu de déposer –, en particulier celles concernant la vente de la montre. Il considère en outre que les conditions pour joindre les deux causes ne sont pas réalisées, en l'absence de lien objectif entre elles. Enfin, il se plaint d'une violation du principe de célérité dès lors qu'une jonction prolongerait inutilement l'instruction de sa plainte qui arrivait à son terme alors que celle portant sur les faits dénoncés par F______ ne faisait que commencer.

b. Dans ses observations du 31 octobre 2023, le Ministère public s'en tient à sa décision et propose le rejet du recours comme étant mal fondé. La jonction avait été ordonnée en raison de la connexité des faits. Les questions posées à A______ en qualité de plaignant étaient légitimes pour déterminer si un acte de disposition préjudiciable aux intérêts du lésé avait été commis. Il était loisible à A______ – qui était certes tenu de déposer – de refuser de répondre aux questions posées, si celles-ci l'incriminaient. La procédure P/10653/2023 avait été instruite de manière soutenue, de sorte que le grief de la violation du principe de célérité devait être rejeté.

c. Le recourant maintient les termes de son recours. La jonction litigieuse avait pour conséquence l'apport à la procédure dans laquelle il est prévenu des déclarations faites en tant que partie plaignante, ce alors que les informations relatives à l'art. 158 al. 1 CPP ne lui avaient pas été mentionnées. Ses déclarations étaient ainsi inexploitables (art. 158 al. 2 CPP).

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant se plaint d'une violation du principe de l'unité de la procédure.

2.1. À teneur de l'art. 29 al. 1 CPP, les infractions sont poursuivies et jugées conjointement lorsqu'un prévenu a commis plusieurs infractions (let. a) ou lorsqu'il y a plusieurs coauteurs ou participation (let. b).

Ce principe, dit de l'unité, tend à éviter les jugements contradictoires et sert l'économie de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 1B_428/2018 du 7 novembre 2018 consid. 3.2).

De façon générale, l'art. 49 CP impose la règle de l'unité des poursuites qui veut que les infractions commises en concours doivent être réprimées dans un seul et même jugement et qu'un seul juge doive se prononcer sur l'ensemble des faits qui peuvent être reprochés à un délinquant. Cette solution permet d'éviter la multitude de jugements rendus à l'encontre du même prévenu, le prononcé d'une peine complémentaire ou peine d'ensemble, ainsi que les frais liés à toute nouvelle procédure. En ce sens, les intérêts de l'auteur sont préservés. La solution choisie par le législateur tend aussi à éviter des jugements contradictoires, que cela soit au niveau de la constatation de l'état de fait, de l'appréciation juridique ou de la fixation de la peine (ATF 138 IV 214 consid. 3 ; L. MOREILLON / A. PAREIN‑REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, 2ème éd., Bâle 2016, n.3 ad art. 29).

2.2. Selon l'art. 30 CPP, si des raisons objectives le justifient, le ministère public et les tribunaux peuvent ordonner la jonction ou la disjonction de procédures pénales.

La faculté offerte par cette norme d'ordonner la jonction de plusieurs procédures s'entend en quelque sorte comme une extension du principe d'unité à d'autres situations que celles qui sont visées à l'art. 29 CPP (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 3 ad art. 30).

La disjonction des causes en vertu de l'art. 30 CPP doit cependant rester l'exception et l'unité de la procédure la règle, dans un but d'économie de procédure, d'une part, mais aussi afin de prévenir le prononcé de décisions contraires, d'autre part. Une étroite connexité entre différentes infractions plaide également pour une jonction au sens de l'art. 30 CPP. Elle est notamment donnée, lorsque des participants s'accusent mutuellement d'infractions qui auraient été commises dans le cadre d'un même conflit. Une jonction des causes dans ce cas de figure va dans l'intérêt de l'économie de procédure et permet d'éviter des décisions contradictoires. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que dans le cas d'une personne blessée par des policiers qu'elle aurait agressés auparavant, les procédures ouvertes contre la victime et les agents de police devaient être instruites par un seul Ministère public, en l'occurrence extraordinaire (ATF 138 IV 29 consid. 5.5 ; ACPR/654/2016 du 13 octobre 2016).

2.3. En l'espèce, le recourant est plaignant dans la procédure P/10653/2023. Par suite de la plainte de F______, le Ministère public a ouvert une procédure séparée contre lui (P/1______/2023), avant d'ordonner la jonction de ces deux procédures.

Dans la première procédure, il est reproché à C______ et D______ d'avoir commis des infractions d'extorsion et chantage, menaces, contrainte et séquestration contre le recourant et sa mère et dans la seconde, le recourant est mis en cause pour avoir notamment abusé de la confiance de F______.

Il ressort de ce qui précède que les prévenus et les parties plaignantes ne sont pas les mêmes dans les deux procédures. En outre, les infractions sont distinctes et ne portent pas sur les mêmes faits.

L'art. 29 CPP n'apparait ainsi pas applicable au recourant, étant souligné que la réunion des deux procédures placerait le recourant dans une situation dans laquelle il revêtirait la qualité de plaignant et de prévenu, ce qui ne se justifie ici pas sous l'angle de l'opportunité.

L'exception prévue à l'art. 30 CPP n'est pas non plus réalisée. Aucune raison objective ne milite pour que les procédures soient poursuivies ensemble, étant souligné que, comme relevé par le recourant, l'instruction de la P/10653/2023 est plus avancée que celle de la P/1______/2023.

2.4. Pour le surplus, l'éventuel accès par une partie dans la P/1______/2023, au dossier de la P/10653/2023, n'est pas l'objet de la décision querellée. La Chambre de céans n'a donc pas à s'en saisir (ACPR/111/2022 du 15 février 2022).

3.             Fondé, le recours doit donc être admis; l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour procéder dans le sens des considérants.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5.             5.1. Le recourant, partie plaignante qui obtient gain de cause, a droit à une indemnité pour ses frais de défense (art. 433 al. 1 let. a cum 436 al. 1 CPP).

5.2. Il conclut à CHF 2'000.-, à ce titre, plus la TVA, correspondant à 5 heures d'activité de chef d'étude au tarif horaire de CHF 400.-.

5.3. Eu égard au travail accompli – le recours comportant 13 pages sans la page de garde – et l'admission du recours, l'indemnité sollicitée sera allouée et mise à la charge de l'État.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule, en conséquence, l'ordonnance de jonction et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 2'154.- (TVA à 7.7% incluse) pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).