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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/111/2023

ACPR/878/2023 du 10.11.2023 ( RECUSE ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION
Normes : CPP.56

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/111+116/2023 ACPR/878/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 10 novembre 2023

Entre

A______, représentée par Me Robert ASSAEL, avocat, Mentha Avocats, rue de l'Athenée 4, case postale 330, 1211 Genève 12,

requérante

et

B______, C______ et D______, juges au Tribunal correctionnel, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, 1211 Genève 3

cités

 


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 9 octobre 2023, A______ requiert la récusation in corpore [de la composition] du Tribunal correctionnel qui devrait la juger.

b. Par pli du 19 octobre 2023, A______ requiert « une nouvelle fois » la récusation des juges concernés.

c. La Direction de la procédure du Tribunal correctionnel a transmis les requêtes à la Chambre de céans.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.             Des membres de la famille [de] A______, composée de E______ (père), A______ (mère), F______ (fils) et G______ (épouse de ce dernier) sont l'objet d'une procédure pénale pour traite d'êtres humains par métier (art. 182 CP), usure par métier (art. 157 ch. 1 et 2 CP) et infractions, cas échéant aggravées, aux lois fédérales sur les étrangers et l'intégration (art. 116 al. 1 et 3 et 117 al. 1 et 2 LÉI) et sur l'assurance vieillesse et survivants (art. 87 LAVS). Il leur est, notamment, reproché d'avoir exploité leur personnel de maison.

b.             Par acte d’accusation du 14 février 2023, ils ont été renvoyés par-devant le Tribunal correctionnel. Après que celui-ci eut demandé, le 6 juin 2023, que l’acte fût complété et corrigé avant le 15 août 2023, le procès (initialement prévu du 2 au 6 octobre 2023, cf. ACPR/700/2023) a été reporté. Le tribunal serait composé des juges B______, C______ et D______.

c.              Une demande de récusation, formée notamment par A______ contre B______, a été rejetée le 11 septembre 2023 (ACPR/701/2023).

d.             Le 28 septembre 2023, à l’occasion d’un changement du défenseur de E______ (cf. ACPR/834/2023), la Direction de la procédure du Tribunal correctionnel (ci-après, la Direction de la procédure), sous la plume de B______, a informé l’avocat répudié que son successeur devrait être disponible du 20 au 22 novembre 2023 (sans explication), faute de quoi le client se verrait nommer un défenseur d’office. Copie de cette lettre a été adressée à toutes les parties.

e.              Le 2 octobre 2023, les citations aux débats ont été décernées, avec la précision que ceux-ci, qui s’ouvriraient le 20 novembre 2023, se poursuivraient les lendemain et surlendemain.

f.              Par pli du 4 octobre 2023, la Direction de la procédure, en réponse au défenseur de G______ qui se plaignait du raccourcissement de la durée des débats et se déclarait indisponible aux dates choisies, a avisé les parties que ces dates étaient maintenues.

g.             Le 13 octobre 2023, la Direction de la procédure, se référant notamment aux requêtes en récusation formées par E______ et par A______ le 9 précédent, a écrit aux parties qu’il n’avait « jamais » été question de mettre fin aux débats le 22 novembre 2023 ; cela étant, au vu de l’indisponibilité ce jour-là du défenseur de A______, l’audience serait suspendue la veille, après avoir été consacrée aux questions préjudicielles, auditions des prévenus et, cas échéant, premières auditions des parties plaignantes.

h.             Une demande de récusation, formée dans l’intervalle par A______ contre C______, a été rejetée le 25 octobre 2023 (ACPR/831/2023).

C. a. Dans sa requête du 9 octobre 2023, A______ soutient qu’en ayant planifié les débats sur trois jours, le Tribunal correctionnel in corpore violait son droit à un procès équitable et son droit d’être entendue. « La défense » avait annoncé vouloir interroger chacune des parties plaignantes au minimum pendant une demi-journée. Prévoir un quart d’heure pour chacun des témoins était beaucoup trop peu. Les plaidoiries ne pourraient se dérouler sur une seule journée. Cette « justice TGV » créait une apparence de prévention. Par ailleurs, son défenseur avait annoncé ne pas être disponible avant le 23 novembre 2023, ce qui ajoutait à cette suspicion.

b. Les juges de la composition de jugement, sous la plume de B______, excipent de tardiveté. L’information à l’origine de la requête datait de onze jours avant le dépôt de celle-ci. Par ailleurs, il n’existait aucune trace d’une annonce préalable d’indisponibilité du défenseur de A______. La fixation des débats relevait de la Direction de la procédure du tribunal, seule ; mais il n’était pas question de clôturer les débats le 23 novembre 2023 : ceux-ci seraient continués ultérieurement, selon dates à déterminer à l’occasion de leur suspension.

c.A______ estime que ces explications relèvent d’un rattrapage « désespéré, pour ne pas dire [d’un] bricolage ». Il n’arrivait jamais d’emblée qu’une audience de jugement fût « saucissonnée ». Par ailleurs, son défenseur avait démontré par pièces son indisponibilité aux dates convoquées.

D. a. Dans sa requête du 19 octobre 2023, A______ affirme avoir appris à réception des observations susmentionnées [let. C.b. supra] les raisons de la durée et des modalités du procès à venir. Les principes de continuité et de « concentration » des débats (art. 340 CPP) étaient violés, sauf à soupçonner que le Tribunal correctionnel comptât, contrairement à la bonne foi et en « fraude à la loi », sur l’absence de l’un ou l’autre des prévenus à l’ouverture du procès, qui serait abrégé d’autant.

b. Les juges de la composition de jugement, sous la plume de B______, déclarent s’en tenir à leurs précédentes observations.

c.A______ réplique en persistant dans les termes et conclusions de son recours.

E. Le 1er novembre 2023, la Direction de la procédure a avisé les parties que les débats prévus pour les 20 et 21 novembre 2023 étaient annulés et reportés du 15 au 19 janvier 2024, cas échéant les 25 et 26 janvier 2024, en raison d’un déplacement à l’étranger du défenseur de E______ entre les 10 et 25 novembre 2023.

EN DROIT :

1.             Partie à la procédure, en tant que prévenue (art. 104 al. 1 let. a CPP), la requérante a qualité pour agir (art. 58 al. 1 CPP), et la Chambre de céans est compétente pour connaître de sa requête, dirigée contre le Tribunal correctionnel (recte : contre des membres du tribunal de première instance, au sens de l’art. 59 al. 1 let. b CPP). À vrai dire, les décisions dans lesquelles la requérante voit de la partialité ont été prises par B______, en qualité de Direction de la procédure du Tribunal correctionnel, de sorte qu’on ne voit pas en quoi les deux autres juges de la composition de jugement seraient concernés. Ils doivent, au contraire, être mis d’emblée hors de cause.

2.             L’évidente connexité des requêtes, qui s’inscrivent l’une à la suite de l’autre et pour des motifs tirés, notamment, de la réponse de la citée à la première, commande leur jonction. Aussi seront-elles tranchées dans un seul arrêt.

3.             La question de savoir si la requête du 9 octobre 2023 doit être déclarée irrecevable, pour n’avoir pas été déposée sans délai, au sens de l’art. 58 al. 1 CPP, n’a pas besoin de recevoir une réponse, dès lors que les moyens soulevés sont dénués de tout fondement.

4.             La requérante invoque l’art. 56 let. f CPP.

4.1.       Un magistrat est récusable, selon l'art. 56 let. f CPP, lorsque « d'autres motifs », notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 § 1 CEDH
(ATF 144 I 234 consid. 5.2 p. 236; 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74). Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 148 IV 137 consid. 2.2). Plus généralement, pour être à même de trancher un différend avec impartialité, un juge ne doit pas se trouver dans la sphère d'influence des parties (ATF 144 I 159 consid. 4.3). Le lien doit, par son intensité et sa qualité, être de nature à faire craindre objectivement qu'il influence le juge dans la conduite de la procédure et dans sa décision (ATF 144 I 159 consid. 4.4). Est déterminant le point de savoir si, objectivement, l'issue du procès reste ouverte (ATF 142 III 732 consid. 4.2.2 i.f.).

4.2.       En l’espèce, la requérante ne rend pas « plausibles », comme il le lui incombe (art. 58 al. 1 CPP), les griefs qu’elle invoque ; autrement dit, elle échoue à présenter une motivation factuelle d’une vraisemblance prépondérante (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 3 ad art. 58).

En premier lieu, elle ne prétend plus que son défenseur aurait pris la peine d’avertir la citée de ses autres engagements professionnels, avant l’envoi, le 2 octobre 2023, des mandats de comparution décernés pour le 20 novembre 2023. Quant aux empêchements de l’avocat qui se sont avérés sur ces entrefaites, la citée a montré, dans sa lettre aux parties du 13 octobre 2023, qu’elle en tenait compte. On ne saurait donc y voir la marque d’une prévention contre la requérante (cf. art. 202 al. 3 CPP).

La requérante, qui se plaignait, dans un premier temps, de la durée réduite des débats, telle qu’elle avait été planifiée, vitupère maintenant contre leur possible extension, telle qu’elle se lit dans les explications données par la citée dans le pli susmentionné et dans ses observations. Selon elle, la citée commettrait une violation de l’art. 340 CPP pour avoir réservé la prorogation des débats, à une ou des dates qui seraient fixées le dernier jour de disponibilité de son défenseur (soit le 21 novembre 2023).

Avec la décision prise par la citée le 1er novembre 2023 (report des débats en janvier 2024), il n’est pas sûr du tout que le grief ait conservé de la pertinence.

Ce nonobstant, il importait peu que le texte des citations décernées le 2 octobre 2023 (pas plus que la lettre confirmatoire du 4 octobre 2023) n’eût pas réservé de possibilité de reprendre les débats après le 23 novembre 2023. Il n’en demeurait pas moins que le choix de la date des débats était – et reste – une prérogative de la Direction de la procédure (art. 331 al. 4 CPP) et que celle-ci se prononce de manière définitive – c’est-à-dire sans recours, cf. ibid., n. 9 ad art. 331 – sur les demandes d’ajournement qui lui parviennent avant l’ouverture des débats (art. 331 al. 5 CPP).

L’art. 340 CPP fixe des règles pour la poursuite des débats après la liquidation des questions préjudicielles (pour autant que l’issue de celles-ci n’entraîne pas l’interruption des débats, cf. ibid., n. 1 ad art. 340). Or, en l’espèce, la violation de ces règles –pour des débats fixés en janvier 2024 – est largement conjecturale, en l’état, et pourrait être réparée par des moyens juridictionnels ultérieurs, même s’ils ne sont pas immédiatement ouverts ou suspensifs.

Pour le surplus, il a été jugé de longue date que les mesures de procédure, justes ou fausses, ne sont pas, comme telles, de nature à fonder un soupçon objectif de prévention du juge qui les a prises (ATF 114 Ia 153 consid. 3b/bb ; 113 Ia 407 consid. 2b ; 111 Ia 259 consid. 3b/aa).

5.             Il n’y a donc pas matière à récusation, et les requêtes sont rejetées.

6.             La requérante, qui succombe, assumera les frais de la procédure (art. 428 al. 1 CPP), fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 13 al. 1 let. b du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Joint les requêtes.

Cela fait, les rejette.

Condamne A______ aux frais de l’instance, arrêtés à CHF 2'000.-.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______ (soit pour elle son avocat), à B______, C______ et D______.

Le communique pour information au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente ; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, juges ; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/111+116/2023

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur récusation (let. b)

CHF

1'915.00

Total

CHF

2'000.00