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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6911/2022

ACPR/820/2023 du 20.10.2023 sur OMP/15034/2023 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : PLAIGNANT;ASSISTANCE JUDICIAIRE;CHANCES DE SUCCÈS
Normes : CPP.136

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6911/2022 ACPR/820/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 20 octobre 2023

 

Entre

A______, représentée par Me J______, avocat, ______, Genève,

recourante,

contre l'ordonnance de refus d'octroi de l'assistance judiciaire rendue le 15 août 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 28 août 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 15 précédent, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé de la mettre au bénéfice de l'assistance judiciaire.

La recourante conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et à l'octroi de l'assistance judiciaire gratuite avec effet au 24 mars 2022.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.A______, née le ______ 1995, et B______, né le ______ 1986, se sont mariés en ______ 2011 en Serbie. Ils sont venus en Suisse le 15 décembre 2011.

b. Par pli du 24 mars 2022, A______ a déposé plainte contre son époux pour actes d'ordre sexuel avec des mineurs contre rémunération (art. 196 CP), mise en danger du développement de mineurs (art. 187 CP), contrainte sexuelle (art. 189 CP), viol (art. 190 CP), abus de détresse (art. 193 CP), exploitation de l'activité sexuelle et encouragement à la prostitution (art. 195 CP), pornographie (art. 197 CP), lésions corporelles simples (art. 123 CP) voire lésions corporelles graves (art. 122 CP) et séquestration et enlèvement (art. 183 CP).

En substance, elle expliquait avoir, en Serbie, fréquenté des consommateurs d'héroïne entre 2008 et 2009 et être devenue à son tour dépendante. Elle avait ensuite été encouragée à se prostituer pour financer sa consommation. En 2010, à la suite d'une prise d'otage dont elle avait été victime, le réseau avait été démantelé. Dans ce contexte, elle avait fait la connaissance de B______, client avec qui elle avait eu plusieurs relations tarifées. Comme elle était mineure, ses parents l'avaient émancipée afin qu'elle puisse épouser le précité. Dès leur arrivée en Suisse, elle avait perdu toute indépendance. Elle n'avait pas son mot à dire sur la cadence de leurs rapports sexuels, ni leurs formes, devenues de plus en plus violentes et dégradantes. Elle ne voulait pas desdits rapports mais demeurait sous le contrôle de, et soumise à, son époux.

Fin 2018, sur insistance de son époux et afin de compléter leurs revenus, elle avait commencé à se prostituer. Sous le couvert de petites annonces sur des sites échangistes, son mari proposait ses services, décidant seul des photographies et des pratiques à prodiguer (sodomie, fellation violente, soumission et autres traitements dégradants). Il se faisait passer pour elle dans le cadre des échanges avec les clients, organisant quand et comment les passes se dérouleraient; il diffusait aussi des images et vidéos "dégradantes" d'elle sur internet, sans son consentement. Il participait en outre aux passes, dans le cadre de jeux de soumission violents, ce qui était de la "torture" pour elle. Elle pouvait avoir jusqu'à cinq clients par jour, six jours sur sept. Afin de pouvoir supporter les douleurs occasionnées par cette activité, elle prenait de l'ecstasy et de la cocaïne, fournies par son époux ou des clients. Son époux gérait l'argent gagné par cette activité.

Le 12 avril 2020, son mari avait tenté de l'étrangler. Un praticien de C______ [service médical d'urgence] était intervenu. À la suite de cet incident, elle avait tenté de fuir, en vain. Elle pesait alors 48 kilos. Le 16 avril suivant, son époux l'avait laissée partir et elle s'était réfugiée dans un hôtel, sur conseil de son psychiatre. Malgré son départ du domicile conjugal, son époux avait gardé une emprise sur elle, lui dictant ce qu'elle devait dire aux médecins, psychologues et personnel du foyer D______, qui l'hébergeait.

Elle pensait ne pas être la seule victime dès lors que son mari avait abordé d'autres filles en Serbie pour qu'elles viennent se prostituer et tourner des films X en Suisse. Enfin, son époux regardait des vidéos à caractère pédopornographiques sur le darknet, notamment sur un ordinateur qui était en sa possession à elle.

Elle demandait la mise en œuvre d'actes d'enquête (perquisition du domicile de son époux, audition de ses médecins) et précisait disposer de téléphones et disques durs contenant des images dégradantes prises par son époux ainsi que des informations sur l'organisation des passes.

Enfin, elle sollicitait l'assistance judiciaire gratuite pour la procédure et la nomination de Me J______ à la défense de ses intérêts.

c. Par pli du 25 mars 2022, le Ministère public a demandé à A______ de lui fournir des documents médicaux attestant des conséquences physiques et/ou psychiques du comportement de son époux ainsi que les coordonnées de témoins.

d. A______ a transmis au Ministère public une liste de témoins (médecins, psychologue, ancien employeur, amis et membres de sa famille). Elle a aussi joint à sa missive des documents, dont une attestation établie le 24 septembre 2021 par E______ [association qui lutte contre les violences sexuelles], qui fait état d'un suivi régulier depuis le 3 novembre 2020. A______ avait relaté avoir été victime de violences, de viol et de traite d'êtres humains de la part de son époux. Les conséquences des violences étaient lourdes pour elle, étant précisé qu'ils avaient "observé plusieurs perturbations caractéristiques après des évènements traumatiques".

En outre, selon l'attestation établie le 28 avril 2022 par le Dr F______, psychiatre, A______ était suivie à raison d'une fois par semaine depuis avril 2019 dans le cadre d'"agressions" subies dans son couple. Il ajoutait : "c'est un fait clinique présent et récurrent dans ses consultations: l'observation clinique de la domination subie par A______ au niveau de son couple, d'où la notion d'abus de faiblesse, avec un niveau de violence psychique et corporelle très grave, impliquant des troubles au niveau de son développement et de sa vie quotidienne (…) Les traumatismes alors subis produisent actuellement des conséquences dans sa santé mentale et dans son neurodéveloppement".

e. Par pli du 23 septembre 2022, A______ a relancé le Ministère public au sujet de sa demande d'assistance juridique.

f. Selon le rapport de renseignements du 18 octobre 2022, A______ a remis du matériel informatique à la police (ordinateurs, clés USB, disque dur externe et téléphones) expliquant que celui-ci comportait des traces de son exploitation sexuelle, notamment des viols, ainsi que des images à caractère pédopornographique, des enregistrements et des audios.

g. Par ordonnance du 28 novembre 2022, le Ministère public a ordonné la perquisition et la mise sous séquestre dudit matériel informatique, les données pouvant être utilisées comme moyen de preuve.

Le même jour, le Ministère public a chargé la police d'exécuter ladite ordonnance.

h. À teneur du rapport de renseignements du 3 juillet 2023, la Brigade de criminalité informatique a procédé aux extractions des données issues des appareils saisis et a découvert, notamment, plusieurs images de pédopornographie, récupérées à la suite d'une recherche d'éléments effacés. Il n'était toutefois pas possible de déterminer la provenance de ces images et qui les avaient consultées.

S'il existait des fichiers en lien avec la prise d'otage dont A______ avait été victime en Serbie, aucune preuve relative aux "délits graves" dénoncés par la prénommée n'avait été retrouvée, et ce malgré le visionnement de plusieurs dizaines de milliers d'éléments. Il apparaissait, au vu des photographies des petites annonces érotiques, que le couple avait des pratiques sexuelles comportant du sadomasochisme; toutefois, rien ne démontrait que "cela n'était pas consenti".

En outre, l'inscription suivante, datée du 18 décembre 2020, figurait dans la main courante : "[A______] a rencontré son mari en 2010 en Serbie. Trois mois après, ils se sont mariés et sont venus en Suisse. De 2011 à 2018, il y avait régulièrement des conflits verbaux. Son mari ne cessait de la rabaisser psychologiquement, la considérant comme une femme-objet. À partir de 2018, B______ a créé trois comptes sur les sites G______, H______ et I______ afin que le couple entretienne des relations sexuelles "SM" tarifées, non consenties par la plaignante. Lors de certaines pratiques, elle a indiqué s'être fait violer. Elle a expliqué consommer de l'ecstasy afin de "se laisser aller" lors de ces pratiques. En avril 2020, son mari a tenté de l'étrangler mais elle a réussi à quitter le logement". Aucune trace des suites données à cette inscription ne figurait dans le système.

Enfin, la police a procédé à la retranscription de certains messages écrits et audios.

i. Par mandat d'acte d'enquête du 15 août 2023, le Ministère public a chargé la police d'entendre A______ au sujet de l'analyse des données extraites des appareils électroniques.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public a justifié son refus par le fait que l'action civile paraissait vouée à l'échec, dès lors que l'analyse des appareils et supports électroniques remis à la police par la plaignante n'avait pas permis de confirmer ses dires, contrairement à ce qu'elle avait soutenu.

D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient que sa plainte ne pouvait être considérée comme dépourvue de chance de succès dès lors qu'elle avait produit, à l'appui de celle-ci, une liste de plus de quatorze témoins, des photographies d'elle-même dans un état physique inquiétant ainsi que des attestations médicales. Les actes entrepris par le Ministère public allaient aussi dans ce sens; sinon, une ordonnance aurait été rendue avant que la police n'analyse plusieurs dizaines de milliers d'éléments durant des mois. Enfin, elle était de nationalité serbe et maitrisait mal le français, de sorte qu'il lui était impossible de comprendre une procédure judiciaire et de s'y orienter. À cela s'ajoutaient des difficultés psychologiques et une fragilité l'empêchant d'entreprendre les démarches administratives et juridiques en lien avec les faits décrits dans sa plainte. Partant, les conditions de l'art. 136 CPP étaient réunies.

À l'appui, elle produit notamment des décomptes de l'Hospice général en sa faveur pour les mois de juin à août 2023.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours, sous suite de frais.

A______ avait déposé plainte sans mentionner le type de prétentions civiles qu'elle entendait faire valoir. Elle avait produit une liste de témoins qui étaient essentiellement des médecins et dont certains avaient déjà délivré un certificat médical ou une attestation versée au dossier. Si A______ faisait état d'une agression physique particulièrement traumatisante survenue en avril 2020, elle n'avait produit aucun document médical à l'appui de ses dires. En outre, tous les documents étaient rédigés en termes généraux et peu précis. A______ avait été victime de faits graves en Serbie entre 2008 et 2010, lesquels pouvaient expliquer, à eux seuls, l'état psychologique dans lequel elle se trouvait. Il apparaissait donc primordial de trouver d'autres éléments de preuves susceptible de corroborer ses dires quant aux faits qu'elle disait avoir subis en Suisse de la part de son époux. Or, les témoins proposés n'étaient pas domiciliés en Suisse et il ne s'agissait pas de témoins directs. Les seuls éléments de preuves concrets dont elle s'était prévalue était le matériel informatique, lequel avait été saisi et analysé par la police. Or, en dépit d'une analyse approfondie, la police n'avait pu mettre en évidence aucun élément susceptible d'appuyer ses déclarations.

c. La recourante persiste dans les termes de son recours.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de notification (art. 85 al. 2 CPP) n'ayant pas été observées –, concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             2.1. À teneur de l'art. 136 al. 1 CPP, la direction de la procédure accorde entièrement ou partiellement l'assistance judiciaire à la partie plaignante pour lui permettre de faire valoir ses prétentions civiles lorsqu'elle est indigente (let. a) et que l'action civile ne paraît pas vouée à l'échec (let. b).

Cette norme concrétise les conditions d'octroi de l'assistance judiciaire pour la partie plaignante dans un procès pénal et reprend ainsi les trois conditions cumulatives découlant de l'art. 29 al. 3 Cst., à savoir l'indigence, les chances de succès et le besoin d'être assisté (cf. arrêts du Tribunal fédéral 1B_317/2021 du 9 décembre 2021 consid. 4.1 et 6B_1321/2019 du 15 janvier 2020 consid. 3.5.1).

2.1.1. La démarche n'est pas dépourvue de toute chance de succès si, compte tenu d'une appréciation anticipée des preuves disponibles et offertes, les chances de gagner et les risques de perdre sont à peu près équivalents ou si les premières ne sont que de peu inférieures aux seconds (ATF 138 III 217 consid. 2.2.4).

Dans la mesure du possible, la partie plaignante doit chiffrer ses conclusions civiles lors de sa déclaration de partie plaignante au sens de l'art. 119 CPP, les motiver par écrit et citer les moyens de preuve à l’appui (art. 123 al. 1 CPP). Bien que le dépôt de la plainte intervienne souvent à un stade où le lésé n'est pas nécessairement en mesure d'établir l'ampleur de son préjudice – raison pour laquelle le calcul et la motivation des conclusions civiles doivent être présentés au plus tard durant les plaidoiries (art. 123 al. 2 CPP) – la partie plaignante doit toutefois, dans sa demande d'assistance judiciaire gratuite, à chaque stade de la procédure, exposer notamment en quoi son action civile ne paraît pas dépourvue de chances de succès (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1324/2021 du 20 septembre 2022 consid. 2.2).

2.1.2. Pour évaluer si l'affaire présente des difficultés que la partie plaignante ne pourrait pas surmonter sans l'aide d'un avocat, il y a lieu d'apprécier l'ensemble des circonstances concrètes. Il faut tenir compte notamment des intérêts en jeu, de la complexité de la cause en fait et en droit, des circonstances personnelles du demandeur, de ses connaissances linguistiques, de son âge, de sa situation sociale et de son état de santé (ATF 123 I 145 consid. 2b/cc et 3a/bb; arrêts du Tribunal fédéral 1B_450/2015 du 22 avril 2016 consid. 2.3; 1B_173/2014 du 17 juillet 2014 consid. 3.1.2).

2.2. En l'espèce, la plainte pénale n'a pas fait d'emblée l'objet d'une non-entrée en matière. Bien au contraire, après avoir demandé la production de documents à la recourante – laquelle s'est exécutée –, le Ministère public a ordonné l'analyse par la police du matériel informatique remis par cette dernière. Puis, considérant que ladite analyse n'avait pas permis de corroborer les dires de la recourante, le Ministère public a rendu l'ordonnance querellée. Cela étant, parallèlement, le Ministère public a encore délégué l'audition de la recourante à la police.

Dès lors qu'un acte d'enquête était en cours au moment de la reddition de l'ordonnance querellée, l'on ne peut exclure, à ce stade, toute chance de succès de la procédure pénale.

Compte tenu de ce qui vient d'être exposé, l'action civile de la recourante ne parait pas d'emblée vouée à l'échec. En outre, au vu des faits de la cause, qui présentent manifestement une certaine complexité, et l'emprise dont la recourante dit avoir fait l'objet de la part de son époux, à teneur des infractions qu'elle dénonce, la suite de la procédure paraît suffisamment délicate pour appeler le concours d'un conseil juridique. L'indigence de la recourante, qui émarge à l'aide sociale, est en outre établie par les pièces produites à l'appui de son recours.

3.             Partant, l’assistance judiciaire sera accordée à A______, au sens de l'art. 136 al. 2 let. a et b CPP, et Me J______ désigné en qualité de conseil juridique gratuit (art. 136 al. 2 let. c CPP) avec effet au 24 mars 2022, date du dépôt de la demande.

4. Il ne sera pas perçu de frais (art. 20 RAJ).

5. L’indemnité du conseil juridique gratuit sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 cum 138 al. 1 CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule l'ordonnance querellée.

Met A______ au bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite, à compter du 24 mars 2022, et désigne Me J______ en qualité de conseil juridique gratuit.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l’État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.

 

La greffière :

Séverine CONSTANS

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).