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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9059/2020

ACPR/808/2023 du 17.10.2023 sur OPMP/7136/2023 ( MP ) , REJETE

Normes : CPP.319; CP.183

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9059/2020 ACPR/808/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 17 octobre 2023

 

Entre

A______, domiciliée ______, représentée par Me B______, avocate,

recourante,

contre l'ordonnance pénale et de classement partiel rendue le 22 août 2023 par le Ministère public,

et

C______, domicilié ______, représenté par Me D______, avocat,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 4 septembre 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 22 août 2023, notifiée le 24 suivant, par laquelle le Ministère public a notamment classé les faits dénoncés comme une séquestration.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens non chiffrés, à l'annulation de cette ordonnance et au renvoi de la procédure au Ministère public pour une mise en accusation. Elle sollicite également l'octroi de l'assistance judiciaire.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 8 mars 2020, A______ s'est présentée au poste de police de E______ [GE] afin de déposer plainte contre C______, son beau-père, des chefs de vol et menaces.

En substance, elle rencontrait des difficultés avec le prénommé, qui n'avait jamais accepté son union avec son fils, F______. Il proférait des menaces régulières à son encontre, en lui disant "je vais te tuer" et "je ne peux pas te tuer ici, quand tu seras en Bosnie, je vais envoyer quelqu'un te tuer".

Durant son audition, elle a précisé détenir, depuis trois ans, un double des clés d'une résidence secondaire appartenant à C______, située à G______ (Vaud), où elle pouvait se rendre sans contacter au préalable ses beaux-parents.

b. Conformément à l'arrêt de la Chambre de céans ACPR/939/2020 du 23 décembre 2020, annulant l'ordonnance de non-entrée en matière rendue pour ces faits, le Ministère public a ouvert, le 26 février 2021, une instruction contre C______ pour menaces.

c. Dans une plainte complémentaire datée du 27 octobre 2020, remise au Ministère public le 26 février 2021, A______ a accusé C______ des chefs de tentatives de viol et de séquestration.

Son beau-père l'avait emmenée à G______ où il l'avait enfermée de novembre 2016 à avril 2017 et de juin 2017 à octobre 2018. Durant cette période, elle ne pouvait pas sortir sans son autorisation. Au début, elle n'avait pas de téléphone puis son mari lui en avait acheté un. Sa belle-mère détenait la clé du logement et y venait selon son bon vouloir. Elle subissait des violences psychologiques et parfois physiques. Elle n'avait jamais été autorisée à travailler ni à se rendre à des cours de français. Après octobre 2018, elle avait suivi des cours grâce au chômage et trouvé un emploi. C______ lui avait alors donné une clé de la résidence secondaire, refusant qu'elle vive à Genève, ce qui l'avait contrainte à faire le trajet quotidiennement pour se rendre au travail.

d. Le 8 mars 2021, le Ministère public a accordé l'assistance judiciaire à A______ et désigné Me B______ à cet effet.

e. Le Ministère public a tenu des audiences les 16 avril et 2 décembre 2021.

A______ a expliqué avoir vécu à G______ seule et enfermée, ne disposant pas de clé pour sortir. C______ venait lui apporter à manger une fois par jour. Elle n'avait pas appelé la police car le précité la menaçait et lui affirmait qu'étant riche, il pouvait tout faire. Elle "pouvai[t] sortir", ou alors son beau-père venait la chercher pour l'amener à des rendez-vous. Entre août et septembre 2018, elle était allée demander de l'aide au Service des prestations complémentaires (ci-après: SPC), qui l'avait dirigée vers le chômage. Lorsqu'elle avait trouvé une formation, C______ avait été forcé de lui donner une clé du logement. En 2019, elle était partie six ou sept fois en Turquie, pour voir sa famille. Cette même année, C______ avait essayé de la violer. Comme ses beaux-parents avaient dénoncé son mariage avec F______, elle avait dû demander des visas à l'Office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM). Comme inscrit dans son passeport, elle s'était rendue en Slovénie le 9 mai 2018 car son beau-père, qui était amoureux d'elle, avait peur qu'elle tombât amoureuse d'un autre à Genève. Elle avait fait d'autres voyages avec sa belle-famille, en ce sens qu'elle était "seule mais qu'ils étaient toujours présents". Contrairement à ce qu'elle avait déclaré à la police, le 8 mars 2020, elle ne détenait pas les clés du logement de G______.

C______ a contesté les faits. Il n'avait jamais menacé A______; il l'avait plutôt aidée en lui amenant à manger tous les jours, en lui donnant de l'argent et en lui mettant à disposition deux véhicules pour lui permettre de se rendre au travail ou pour aller voir sa sœur habitant à H______ [BE]. Il lui avait proposé d'habiter à G______ pour être près de cette dernière. Durant cette période, A______ avait travaillé vers Neuchâtel, H______ et K______[VD]. Elle disposait des clés du logement et d'un téléphone.

F______ a confirmé "l'enchainement des évènements tels qu'expliqués par" A______. Il n'y pouvait rien, ce n'était pas lui "qui l'a[vait] forcée". La précitée conduisait les véhicules fournis par C______ et, pour lui, elle travaillait à l'époque au noir.

f. Par avis de prochaine clôture du 16 juin 2022, le Ministère public a informé les parties de son intention de classer la procédure à l'égard de C______ s'agissant des faits dénoncés par A______ contre son intégrité sexuelle; pour le surplus, une ordonnance pénale serait rendue.

g. Faisant suite à cet avis, C______ a notamment sollicité – et obtenu – l'apport à la procédure du passeport de A______.

Il ressort de ce document que A______ a voyagé à plusieurs reprises entre 2017 et 2018.

h. Parmi les autres pièces versées à la procédure figurent:

- de nombreuses attestations médicales concernant l'état de santé de A______, lequel se serait dégradé en raison du "harcèlement" subi par sa belle-famille;

- une lettre manuscrite, non datée, rédigée par I______, cousin de C______, dans laquelle il affirme avoir vécu dans le même immeuble que A______ à G______, que celle-ci avait été "séquestrée" entre les mois de novembre 2016 et octobre 2018 et qu'elle ne pouvait pas sortir sans autorisation;

- des échanges du 13 décembre 2017 entre A______ et F______ sur la messagerie J______, desquels il ressort, selon la traduction effectuée par celle-là, qu'elle devait se cacher et entrer dans l'appartement "comme un voleur".

i. Dans un nouvel avis du 18 avril 2023, le Ministère public a informé les parties qu'une ordonnance pénale serait rendue contre C______ pour l'infraction de menaces et que les faits dénoncés d'agression sexuelle et de séquestration feraient l'objet d'un classement.

C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient, par rapport à la séquestration, qu'il ressortait du passeport de A______ qu'elle avait voyagé à plusieurs reprises entre décembre 2016 et octobre 2018. En outre, elle avait déclaré être allée s'inscrire au chômage entre août et septembre 2018. Dans l'un de ses messages envoyés à son époux, elle affirmait devoir se cacher pour entrer au domicile conjugal, à Genève. Ces éléments démontraient que A______ était en mesure de quitter l'appartement de G______ durant les périodes concernées. Il était "hautement vraisemblable" qu'elle disposât des clés dudit appartement, comme elle l'avait d'abord déclaré à la police le 8 mars 2020. Tant C______ que F______ avaient affirmé qu'elle travaillait durant cette période et qu'elle conduisait. Enfin, il était difficile de comprendre pour quelle raison C______ aurait "prétendument séquestré" sa belle-fille durant de longues périodes pour "soudainement décide[r] de mettre un terme à ses agissements" en lui permettant de recouvrer sa liberté au moment où l'intéressée commencerait une formation. Même si l'existence d'un conflit avec sa belle-famille pouvait générer une souffrance pour A______, qui pouvait avoir l'impression d'être privée de liberté, son ressenti n'était pas, à lui tout seul, suffisant pour réaliser les éléments constitutifs de l'infraction de séquestration. L'attestation établie par I______, peu détaillée et non datée, ne permettait pas d'aboutir à une conclusion différente. À titre superfétatoire, une partie des faits dénoncés s'étant déroulée dans le canton de Vaud, un doute subsistait sur le for de la poursuite.

D. a. Dans son recours, A______ estime que le Ministère public avait arbitrairement apprécié les faits au sujet des déclarations de F______, lequel avait pourtant confirmé les accusations de séquestration. L'autorité intimée avait perdu de vue qu'elle n'avait "jamais prétendue être restée enfermée en permanence" dans l'appartement de G______. Elle avait, au contraire, déclaré pouvoir sortir mais seulement en présence de son époux ou de son beau-père. Sa crainte de ce dernier expliquait, en outre, ses propos tenus à la police le 8 mars 2020. C______ avait confirmé lui avoir amené à manger tous les jours, ce qui étayait sa version. L'attestation de I______ confirmait également ses accusations, tout comme les déclarations de F______.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante conteste le classement de la procédure uniquement sous l'angle de l'infraction de séquestration.

2.1. Aux termes de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure notamment lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis.

La décision de classer la procédure doit être prise en application du principe "in dubio pro duriore", qui découle du principe de la légalité (ATF 138 IV 86 consid. 4.2). Ce principe vaut également pour l'autorité judiciaire chargée de l'examen d'une décision de classement. Il signifie qu'en règle générale, un classement ou une non-entrée en matière ne peut être prononcé par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation
(ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1).

2.2. Se rend coupable de séquestration quiconque, sans droit, arrête une personne, la retient prisonnière ou, de toute autre manière, la prive de sa liberté (art. 183 al. 1 CP).

Les éléments objectifs constitutifs sont réalisés si la personne est privée de sa liberté d'aller et venir et de choisir le lieu où elle souhaite rester (ATF 141 IV 10 consid. 4.4.1; arrêt 6B_543/2022 du 15 février 2023 consid. 5.2). Le moyen utilisé pour atteindre le résultat n'est pas déterminant. Une personne peut être séquestrée par le recours à la menace, à la violence, en soustrayant les moyens dont elle a besoin pour partir ou encore en la plaçant dans des conditions telles qu'elle se sent dans l'impossibilité de s'en aller (arrêts 6B_543/2022 du 15 février 2023 consid. 5.2). Pour que l'infraction soit consommée, il n'est pas nécessaire que la victime soit totalement privée de sa liberté; il suffit qu'elle se trouve dans une situation dans laquelle il est difficile ou risqué pour elle de tenter de recouvrer sa liberté (arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2022 du 8 mai 2023 consid. 5.1). La séquestration est ainsi réalisée dès que la victime est concrètement privée de sa liberté de mouvement, même si les entraves imposées ne sont pas insurmontables (ATF 104 IV 170 consid. 3; plus récemment, arrêts 6B_808/2022 précité consid. 5.1; 6B_543/2022 précité consid. 5.2). 

2.3. En l'espèce, la question du for de la poursuite peut souffrir de rester indécise, les conditions de l'infraction de séquestration n'apparaissant pas, de toute manière, réalisées.

En effet, au moment de déposer plainte le 8 mars 2020, la recourante a spontanément déclaré qu'elle disposait de la clé du logement de G______ depuis trois ans. Si elle allègue aujourd'hui avoir tenu ces propos sous la crainte de son beau-père notamment, d'autres éléments permettent de conclure qu'elle n'était pas "enfermée" contre son gré.

Tout d'abord, à teneur de son passeport, elle a voyagé à plusieurs reprises entre 2017 et 2018. Le message envoyé à son mari le 13 décembre 2017, dans lequel elle explique devoir entrer en cachette au domicile conjugal à Genève, suppose qu'elle était libre de quitter G______. Par ailleurs, elle a expliqué s'être rendue à l'OCPM, certes accompagnée, mais également au SPC puis à l'Office du chômage, grâce auquel elle a pu débuter une formation. Enfin, au cours de l'audience du 16 avril 2021, elle a déclaré qu'elle "pouvai[t] sortir" ou alors que son beau-père venait la chercher pour l'accompagner à des rendez-vous.

Parallèlement, le prévenu et son fils ont conjointement affirmé que la recourante conduisait et qu'elle avait travaillé durant la période en cause.

Les éléments au dossier ne permettent ainsi pas d'établir que la recourante n'était pas libre de ses mouvements.

L'attestation du cousin du prévenu n'est pas probante à cet égard car elle n'est pas datée et ne contient aucun détail particulier. Les déclarations du mari de la recourante ne suffisent pas non plus à établir les accusations de cette dernière. Il n'a, en effet, jamais prétendu que son épouse n'était pas libre de se déplacer, affirmant plutôt qu'elle avait travaillé et conduisait.

Le Ministère public pouvait donc, sans verser dans l'arbitraire, écarter ces déclarations et classer la procédure pour les faits allégués de séquestration.

3.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée. Le recours, qui s'avère mal fondé, pouvait être traité sans échange d'écritures, ni débats (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

4.             La recourante succombe mais, plaidant au bénéfice de l'assistance juridique gratuite, elle sera exemptée des frais de la procédure (art. 136 al. 1 et l. b CPP).

5.             La procédure étant terminée, son conseil sera indemnisé pour son activité en deuxième instance (art. 135 al. 2 al. 2 cum art. 138 CPP). L'indemnité sera fixée, ex aequo et bono, à CHF 500.- TTC, compte tenu du recours de huit pages (pages de garde et conclusions comprises), dépourvu de complexité juridique.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Alloue à Me B______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 500.- TTC pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante et à C______, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).