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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9518/2023

ACPR/696/2023 du 08.09.2023 sur ONMMP/1962/2023 ( MP ) , ADMIS

Normes : CP.292

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9518/2023 ACPR/696/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du vendredi 8 septembre 2023

 

Entre

 

A______, domiciliée ______ [TI], représentée par Me Timo SULC, avocat, Dupraz Sulc, rue Jean-Jaquet 10, 1201 Genève,

recourante,

 

contre l’ordonnance de non-entrée en matière rendue le 17 mai 2023 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 30 mai 2023, A______ recourt contre l’ordonnance du 17 mai 2023, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé d’entrer en matière sur sa plainte du 3 mai 2023.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l’annulation de l’ordonnance querellée et au renvoi de la cause au Ministère public pour l’ouverture d’une instruction.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 3 mai 2023, A______ – administratrice unique de B______ SA – a porté plainte contre C______ et D______ pour infraction à l'art. 292 CP. Elle a précisé que la villa de E______, mentionnée comme domicile des précitées, faisait l'objet d'un avis de vente aux enchères prévue le 27 juin 2023.

b. Il ressort des documents versés à la procédure ce qui suit.

b.a. Le 16 octobre 2020, A______ a saisi le Tribunal de première instance (ci-après; TPI) de mesures superprovisionnelles.

Dès lors, dans la procédure C/1______/2020 – par des mesures superprovisionnelles maintenues sur mesures provisionnelles du 18 janvier 2021 –, le TPI a retenu qu'à la suite de la vente, en date du 10 juillet 2020, par F______ SA de ses actions de B______ SA à D______ et C______ et du refus essuyé par A______ d'exercer son droit de préemption sur ces actions, le risque que les précitées revendent leurs actions à un tiers acquéreur de bonne foi ne pouvait être exclu.

Le Tribunal a ainsi "fait interdiction à C______, D______ et F______ SA, ainsi qu'à leurs représentants, de vendre, transférer ou remettre à quiconque, à quelque titre que ce soit, les 50 actions au porteur de B______ SA, soit le certificat no 3 du 24 mars 2010 pour les actions 51 à 60, le certificat no 4 du 25 mars 2010 pour les actions 61 à 80 et le certificat no 5 du 25 mars 2010 pour les actions 81 à 100".

Il a prononcé cette interdiction sous la menace de la peine de l'art. 292 CP reproduisant le texte de cet article.

b.b. À l'occasion de leur réponse du 26 mars 2021 dans cette procédure civile, C______ et D______ ainsi que F______ SA, sous la plume de leur conseil,


Me G______, ont produit l'attestation suivante, datée du 24 précédent, par laquelle Me H______ déclare:

"détenir en mon Etude en exécution des contrats de cession signés du 10 juillet 2020, divers certificats d'actions originaux de B______ SA soit plus particulièrement :

pour le compte de C______, 25 actions au porteur de B______ SA, Genève (soit les certificats d'actions no 3 pour 5 actions au porteur n° 51 à 55 et no 4 pour 20 actions au porteur 61 à 80);

pour le compte de D______, 25 actions au porteur de B______ SA, Genève (soit les certificats d'actions no 5 pour 20 actions au porteur n° 81 à 100 et no 3 pour les actions n° 56 à 60)."

b.c. Par jugement du 10 janvier 2022, le TPI a débouté A______ de sa demande.

Dans son appel contre ce jugement, cette dernière a notamment conclu au maintien de l'interdiction faite sous la menace de l'art. 292 CP. La procédure est toujours pendante.

Les mesures provisionnelles ordonnées par le TPI le 16 octobre 2020 n'ont, à teneur du dossier, pas été modifiées ou révoquées, depuis le 18 janvier 2021.

b.d. Le 14 avril 2023, le TPI a prononcé, dans une autre procédure, deux séquestres sur certains desdits titres se trouvant sous la garde de Me H______.

Il ressort du procès-verbal de non-lieu de séquestre du même jour que l'avis de séquestre a été notifié le 17 avril 2023 auprès de l'Etude I______. Le 20 avril 2023, Me H______ a informé téléphoniquement l'Office des poursuites qu'il n'était plus en possession des certificats d'actions visés par les ordonnances de séquestre et a confirmé par écrit le même jour que "les séquestres n'avaient pas porté".

c. L'ordonnance querellée, notifiée à l'adresse de C______ et D______ à E______, a été retournée avec la mention "destinataire introuvable" au Ministère public lequel l'a notifiée à leur conseil.

C. Dans l’ordonnance querellée, le Ministère public retient qu'il ne ressortait pas de l'interdiction faite le 16 octobre 2020 à C______ et D______ que les certificats d'actions n° 3 à 5 devaient être conservés en l'Etude de Me H______, ni que les concernées devaient informer le Tribunal de leur localisation exacte. Le 24 mars 2021, le Tribunal avait été informé que lesdits certificats se trouvaient détenus par l'avocat précité pour le compte des sœurs C______/D______/J______ et les mesures provisionnelles n'avaient pas été modifiées à la suite de cette information. Ainsi, les mises en cause devaient simplement garder la possession et la propriété de ces certificats d'actions, étant précisé que le dépôt auprès de l'Etude de Me H______ n'avait manifestement pas contrevenu aux mesures provisionnelles. Aucun autre élément ne ressortait de la procédure C/1______/2020 quant à la localisation réelle des certificats d'actions, élément qui ne faisait pas l'objet du litige civil lequel portait sur un éventuel droit de préemption de A______. Aucun séquestre ne portait sur ces certificats dans le cadre de cette procédure civile, les séquestres des certificats d'actions n° 4 et 5, visant à recouvrer des créances, ayant été ordonnés dans le cadre de procédures de poursuites parallèles.

Pour le surplus, la plaignante n'apportait aucun élément factuel dans sa plainte laissant apparaître un quelconque soupçon à l'encontre des mises en cause quant à une vente, à un transfert ou à une remise à quiconque des certificats d'actions n° 3 à 5 de B______ SA.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public la violation de l’art. 292 CP.

Le Ministère public avait déduit de manière erronée qu'il ne ressortait pas de l'interdiction faite à C______ et D______ que les certificats d'actions devaient être conservés en l'Etude du dépositaire dès lors que le Tribunal avait été informé le 24 mars 2021 que lesdits certificats se trouvaient détenus par Me H______ postérieurement au prononcé des mesures superprovisionnelles. Or, en informant le Tribunal que les certificats d'actions étaient conservés par Me H______ – précédent conseil de F______ SA – en exécution des contrats de cession signés le 10 juillet 2020, C______ et D______ avaient cherché à rassurer le TPI et elle-même sur le fait que ces documents étaient conservés en lieu sûr en respect de l'ordonnance judiciaire, évitant ainsi d'autres mesures provisionnelles plus contraignantes. Dès lors, en instruisant le dépositaire de déplacer les certificats, les mises en cause avaient violé l'interdiction qui leur avait été faite.

Le prononcé d'une ordonnance de non-entrée en matière était prématuré. Le Ministère public devait investiguer l'identité de la personne à laquelle le dépositaire aurait transmis ou remis les certificats et sur instructions de qui, afin de confirmer ou d'infirmer les soupçons portés à sa connaissance en rapport avec l'infraction dénoncée. L'Office des poursuites avait interpellé le conseil juridique afin de connaître l'emplacement desdits certificats visés par le séquestre. Ce dernier n'avait donné aucune suite, ce qui renforçait les soupçons de l'infraction dénoncée. Elle-même, par son conseil, avait demandé à Me H______ à quel titre et à partir de quand il avait détenu les certificats de B______ SA pour le compte des mises en cause, à quelle date il avait cessé de les détenir et à qui il les avait remis sur instructions de qui.

Elle demande que les mesures d'instruction suivantes soient menées : l'audition des mises en cause, et que celles-ci produisent les originaux des certificats devant le Ministère public et l'audition de Me H______ comme témoin.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours.

c. La recourante réplique et précise qu'à la suite de la visite de la villa organisée par l'Office cantonal des poursuites, le 9 juin 2023, il est apparu que la maison n'était habitée que par J______. Elle redemande ainsi la mise sous séquestre des 50 actions au porteur de B______ SA.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et – faute de respect des réquisits de l’art. 85 al. 2 CPP – dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP; en matière d'infraction à l'art. 292 CP; ACPR/700/2022 du 7 février 2022 consid. 1.2.3).

1.2. L'art. 292 CP est classé dans le Code pénal parmi les "infractions contre l'autorité publique" (Titre 15) et protège donc en première ligne l'intérêt collectif. En ce cas, les particuliers ne sont considérés comme lésés que si leurs intérêts privés ont été effectivement touchés par les actes en cause, de sorte que leur dommage apparaît comme la conséquence directe de l'acte dénoncé (ATF 129 IV 95 consid. 3.1;
123 IV 184 consid. 1c; 120 Ia 220 consid. 3). L'atteinte doit par ailleurs revêtir une certaine gravité. À cet égard, la qualification de l'infraction n'est pas déterminante, sont décisifs les effets de celle-ci sur le lésé (ATF 129 IV 216 consid. 1.2.1), lesquels doivent être appréciés de manière objective, et non en fonction de la sensibilité personnelle et subjective de ce dernier (arrêt du Tribunal fédéral 6B_266/2009 du 30 juin 2009 consid. 1.2.1).

1.3. En l'espèce, bien que l'infraction dénoncée ne protège pas directement ses intérêts, la recourante est la bénéficiaire de l'interdiction sanctionnée par l'art. 292 CP – interdiction faite aux mises en cause de se dessaisir de quelque façon des certificats d'action sur lesquels elle veut exercer son droit de préemption –. L'atteinte – soit la violation de l'interdiction – revêt une certaine gravité comme l'a relevé le TPI qui a retenu que le risque que les mises en cause revendent leurs actions à un tiers acquéreur de bonne foi ne pouvait être exclu, rendant ainsi illusoire l'exercice de son droit de préemption par la recourante, si elle venait à avoir gain de cause dans la procédure civile.

Le recours est ainsi recevable.

1.3.1. Les conclusions nouvelles – à savoir celles formulées après l’échéance du délai de recours de dix jours – sont irrecevables. En effet, la loi ne permet pas d’accorder au


justiciable une prolongation de ce délai (art. 396 al. 1 et 89 al. 1 CPP; APCR/503/2021 du 3 août 2021 consid. 3). La motivation d'un acte doit donc être entièrement contenue dans le recours lui-même (arrêt du Tribunal fédéral 1B_120/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.1).

La conclusion, prise dans la réplique, de procéder au séquestre des titres litigieux est ainsi irrecevable.

1.4. Les pièces nouvelles produites devant la juridiction de céans sont par contre recevables, la jurisprudence admettant la production de faits et de moyens de preuve nouveaux en deuxième instance (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.2).

La recourante reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte du 4 décembre 2019.

2.             2.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis. Le ministère public doit être certain que les faits ne sont pas punissables (ATF 137 IV 285 consid. 2.3 et les références citées).

Le principe "in dubio pro duriore" découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 19 al. 1 et 324 CPP ; ATF 138 IV 86 consid. 4.2; arrêt du Tribunal fédéral 6B_185/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références citées). Il signifie qu'en principe, un classement ou une non-entrée en matière ne peuvent être prononcés par le ministère public que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infraction grave (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; ATF
138 IV 86 consid. 4.1.2; ATF 137 IV 285 consid. 2.5; arrêts du Tribunal fédéral 6B_417/2017 du 10 janvier 2018 consid. 2.1.2 ; 6B_185/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.1.2 et les références citées).

2.3. Tombe sous le coup de l'art. 292 CP, celui qui ne se sera pas conformé à une décision à lui signifiée, sous la menace de la peine prévue par cet article, par une autorité ou un fonctionnaire compétents.

L'art. 292 CP tend à assurer, par la menace pénale, le respect des ordres valablement donnés par l'autorité compétente. Cette infraction suppose que le comportement ordonné par l'autorité soit décrit avec suffisamment de précision pour que le destinataire sache clairement ce qu'il doit faire ou ce dont il doit s'abstenir, et partant quel comportement ou omission est susceptible d'entraîner une sanction pénale. Cette exigence de précision est une conséquence du principe "nullum crimen sine lege" de l'art. 1 CP (ATF 127 IV 119 consid. 2a et les arrêts cités).

L’insoumission doit être intentionnelle, mais le dol éventuel suffit (ATF 119 IV 240 consid. 2a). Le destinataire doit donc être informé de manière précise qu'il s'expose à la peine prévue par l'art. 292 CP s'il n'obtempère pas.

2.4. En l’espèce, la recourante reproche aux mises en cause d’avoir violé l’interdiction contenue dans l'ordonnance du TPI du 16 octobre 2021, contre laquelle les concernées n'ont pas recouru, prononcée sous la menace de la sanction prévue par l’art. 292 CP.

L'injonction était claire en ce qu'elle faisait interdiction de vendre, transférer ou remettre à quiconque, à quelque titre que ce soit, les certificats d'actions visés.

À cette suite, les concernées ont précisé que lesdits certificats se trouvaient en dépôt chez Me H______, pour leur compte, manifestant par-là avoir bien reçu et compris l'injonction.

La procédure civile dans le cadre de laquelle l'injonction avait été ordonnée étant toujours pendante, il importe peu, contrairement à ce que retient le Procureur, que ce soit à l'occasion d'une autre procédure qu'il soit apparu que cet avocat ne détenait plus certains de ces certificats, sans que ni les parties ni ce conseil n'aient précisé où ils se trouvaient. Il apparaît que les titres ne sont plus en mains de la personne désignée par les mis en cause dans la procédure civile et qu'une infraction à l'art. 292 CP a vraisemblablement été commise, justifiant une instruction de la part du Ministère public. Il appartiendra au Procureur d'instruire cette cause au besoin en séquestrant les titres.

3.             Justifié, le recours sera admis, l'ordonnance annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour instruction.

4.             La recourante, qui a gain de cause, ne supportera pas de frais (art. 428 al. 4 CPP).

5.             Représentée par un avocat, la recourante, partie plaignante, n'a pas chiffré ni justifié de prétentions en indemnité (art. 433 al. 2 cum 436 al. 1 CPP), de sorte qu'il ne lui en sera point alloué (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1345/2016 du 30 novembre 2017 consid. 7.2).

* * * * *



PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours et annule la décision entreprise.

Renvoie la cause au Ministère public pour instruction.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Oriana BRICENO LOPEZ, greffière.

 

La greffière :

Oriana BRICENO LOPEZ

 

Le président:

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).