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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/4744/2019

ACPR/687/2023 du 04.09.2023 sur OCL/790/2023 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CONTRAINTE(DROIT PÉNAL);CHANTAGE;CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;TENTATIVE(DROIT PÉNAL)
Normes : CP.156; CP.181; CPP.319.al1.letb

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/4744/2019 ACPR/687/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 4 septembre 2023

 

Entre

A______, domicilié ______ (Hongrie), représenté par Me Olivier CRAMER, avocat, Cramer Avocats, Place du Bourg-de-Four 24, case postale 3171, 1211 Genève 3,

recourant,

contre l'ordonnance de classement rendue le 31 mai 2023 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 15 juin 2023, A______ recourt contre l'ordonnance du 31 mai 2023, notifiée le 5 juin 2023, par laquelle le Ministère public a classé la procédure P/4744/2019.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et, cela fait, au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il prononce une ordonnance de condamnation contre B______, subsidiairement pour nouvelle décision au sens des considérants.

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'500.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. B______ a travaillé du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016 pour C______ SA, devenue C______ SA, aujourd'hui en liquidation. Selon le contrat de travail du 3 décembre 2013, l'employé était engagé pour les "relations publiques", aux conditions suivantes : une activité hebdomadaire de 40 heures, 5 semaines de vacances annuelles et un salaire mensuel de CHF 4'500.- bruts, avec un treizième salaire versé au prorata.

b. Le 1er juin 2017, C______ SA a signé une reconnaissance de dette de CHF 34'800.-, avec intérêt à 5% dès le 1er juin 2016, correspondant aux "arriérés de 6 mois de salaires" de B______.

c. Le 18 avril 2018, B______ a déposé une demande contre C______ SA devant le Tribunal des prud'hommes en lien avec le paiement de salaires et l'indemnisation de jours fériés et dimanches ainsi que d'heures supplémentaires, la valeur litigieuse s'élevant à CHF 147'640.-.

d. Le 30 octobre 2018, le Tribunal des prud'hommes a rayé la procédure civile du rôle, au motif de la radiation de C______ SA du Registre du commerce le ______ 2018.

e. Le 4 mars 2019, A______ a déposé plainte contre B______, notamment pour tentative d'extorsion et chantage (art. 22 CP cum art. 156 CP), enregistrée sous le numéro de cause P/17194/2019.

Il a expliqué n'être ni administrateur ni actionnaire de C______ SA. Pourtant, B______ s'était adressé à lui personnellement pour être satisfait de ses prétentions à l'encontre de cette société. Le 1er janvier 2019, il avait reçu un SMS – qu'il pensait avoir été envoyé par l'intéressé – dont le contenu était "Salaries, week end, E______, F______, G______ [VD], double nationality, prostitution, H______, money origine, I______ (contacted). 10 days to pay." Le lendemain, B______ lui avait adressé un courriel en arabe. Le terme "E______" se référerait à une demande d'asile qu'il avait déposée en 2009 à Vienne à la suite de ses critiques contre l'application de la loi islamique en Arabie Saoudite. Le 7 février 2019, B______ avait fait notifier au domicile genevois de son épouse une facture d'un montant de CHF 122'000.- à titre de salaires prétendument impayés. Les envois du SMS et du courriel constituaient une tentative d'extorsion et chantage.

Il a produit une copie du SMS, non signé, reçu le 1er janvier 2019 du numéro "+ 1 (970) 300-6213", ainsi que le courriel du 2 janvier 2019 (en arabe), dont la traduction libre est la suivante : "[…] Le consul d'Arabie Saoudite à Genève a reçu une lettre de ma part concernant les 6 mois de salaire, plus 10% et 3 ans de travail les weekends ; actuellement seules ces informations ont été livrées ; possible d'envoyer aux ambassades d'autres pays. Si je ne reçois pas mon argent avant le 11 janvier, je soumettrai tout ce que j'ai en détail à la chaîne J______ avec tous les points juridiques. Elle aura alors l'exclusivité pour distribuer les informations et les nouvelles à la presse suisse. J'ai des copies des transferts de votre compte à C______ SA. Je peux porter de nombreux cas contre vous, j'ai le temps et des Etats qui sont intéressés, l'Organisation internationale du Travail et le Conseil des droits de l'homme. Tout sera publié, et le reste, je vous poursuivrai en justice. Je n'ai pas besoin de vous expliquer combien d'informations j'ai et la sensibilité de ces informations. Me fuir ne fera qu'empirer les choses et tout est bien préparé et étudié du point de vue juridique. Je vous ai envoyé des points importants sur les autres sujets, les enquêtes sur les transferts et les actifs sont les plus faciles à ouvrir. Salutations de E______, K______ et peut-être L______". Il a également produit deux courriels des 25 janvier et 6 février 2019 d'B______ à son avocat, ainsi que le courrier adressé le 30 janvier 2019 par l'intéressé au domicile genevois de son épouse, résumant ses prétentions, chiffrées à 313 jours de travail de week-end de 2014 à 2016, à CHF 250.- le jour, soit CHF 78'250.-, plus un solde de CHF 34'400.- de salaires impayés.

f. Le 20 août 2019, le Service de l'inspection du travail a signalé au Ministère public des faits commis par C______ SA en lien avec l'engagement de plusieurs employés, affectés au foyer des époux A______/M______, ainsi qu'au service de D______, frère de A______. Or, lesdits faits étaient susceptibles de constituer des infractions pénales en lien avec le travail au noir. Ce service précisait que selon B______, ancien employé, C______ SA était exclusivement gérée par les actionnaires, soit M______ et A______, ainsi que D______, de sorte que les précités pouvaient être considérés comme les employeurs réels du personnel ayant travaillé à leur service.

g. Le 18 septembre 2019, B______ a déposé une plainte, notamment contre A______, enregistrée sous le numéro de cause P/4744/2019.

Il a expliqué que C______ SA n'avait aucune autre activité que celle d'engager le personnel de maison de la famille A______/D______/M______. Lui-même devait accompagner A______ et sa famille en week-end. Bien que A______ lui demandât d'être disponible 24h/24 et 7 jours sur 7, il n'avait été payé ni pour les six derniers mois de travail ni pour les heures supplémentaires effectuées. En trois ans, il n'avait pu prendre que trois semaines de vacances, sans repos les week-ends ou les jours fériés.

h. Par ordonnance rendue le 16 juin 2020, le Ministère public a joint les procédures P/17194/2019 et P/4744/2019 sous ce dernier numéro de procédure.

i. Le 4 mars 2021, le Ministère public a mis A______ et M______ en prévention pour avoir, de concert avec D______, employé, par le biais de C______ SA, dont le premier était actionnaire, du personnel de maison au service de leur famille, dont B______, alors que certains d'entre eux ne bénéficiaient pas d'autorisation de travail, sans les rémunérer pour les heures concrètement effectuées, ni les déclarer aux assurances sociales, en exploitant ainsi leur situation personnelle, leur gêne ou leur faiblesse – car ils étaient sans ressource et en situation irrégulière – en les faisant travailler plus de 50 heures par semaine, sans leur octroyer les vacances légales et pour un salaire largement en-dessous des salaires minimaux applicables en Suisse, et d'avoir de la sorte profité sans droit d'avantages pécuniaires disproportionnés.

j. Entendu le 8 mars 2021 par le Ministère public, A______ a expliqué être né en Arabie Saoudite et avoir travaillé une dizaine d'années, soit jusqu'en 2015 ou 2016, pour la famille royale saoudienne dans le domaine de l'immobilier, en tant qu'intermédiaire. Cette activité qui lui avait rapporté entre USD 20 et 40 millions, sans impôts à payer dans ce pays. Il a par ailleurs contesté les faits reprochés par B______.

k. Par courrier du 30 septembre 2021, A______ s'est étonné de l'absence d'acte d'instruction du Ministère public concernant sa plainte contre B______ et a, s'agissant des faits qui lui étaient reprochés, requis le classement de la procédure.

l. Le 7 octobre 2021, le Ministère public a indiqué que la plainte de A______ serait examinée une fois l'instruction de la plainte déposée par B______ terminée, le sort de la première dépendant étroitement de la seconde.

m. Entendu le 7 décembre 2021 par le Ministère public, A______ a déclaré que C______ SA lui adressait les factures correspondant aux services des employés, dont il s'acquittait mensuellement. À partir de 2015, un "chantage" avait débuté au sein de la société. N______, qui faisait du ménage chez lui, avait réclamé un montant de CHF 30'000.- en heures supplémentaires. B______ et O______, administrateur de C______ SA, lui avaient conseillé de payer cette somme, ce qu'il avait fait pour ne pas placer son épouse dans une situation difficile. Après le paiement, il avait reçu un envoi, adressé à O______ mais contenant des menaces le concernant en lien avec de fausses accusations qui seraient montées en parallèle de la réclamation d'un montant de CHF 3'000'000.-. Ce courrier provenait d'un certain P______. Le 1er janvier 2019, il avait reçu un SMS d'un numéro américain faisant mention de "salaire, argent, prostituées, etc". Il avait le lendemain reçu un courriel de B______, ne mentionnant aucun montant.

Lors de ladite audience, le Ministère public a étendu l'instruction pénale contre A______ à la détention d'une arme interdite en Suisse, à savoir un coup de poing américain retrouvé le 14 juillet 2021 dans ses affaires lors du passage de la sécurité à l'aéroport.

n. Le 28 juin 2022, le Ministère public a informé les parties qu'une ordonnance de classement serait rendue concernant B______, tandis qu'une ordonnance pénale et de classement partiel serait rendue à l'égard d'A______.

o. Le 19 août 2022, A______ a requis, s'agissant du volet de la procédure concernant sa plainte contre B______, l'audition de ce dernier et sa propre audition.

p. Par ordonnance rendue le 4 novembre 2022, le Ministère public a ordonné le classement partiel de la procédure P/4744/2019 à l'égard de A______ s'agissant des faits susceptibles d'être qualifiés d'infractions aux art. 157 CP, 117 LEI, 87 LAVS, 76 LPP, 187 LIFD, 18 de la loi sur le travail au noir (RS 822.41 ; LTN) et 12 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les conditions minimales de travail et de salaire applicables aux travailleurs détachés en Suisse et sur les mesures d'accompagnement du 8 octobre 1999 (Ldét ; RS 823.20), le personnel ayant été employé par C______ SA, dont A______ n'était ni administrateur ni directeur. D'éventuelles infractions aux art. 18 LTN et 12 al. 1 let. a LDét étaient par ailleurs prescrites.

q. Par ordonnance pénale du même jour, le Ministère public a condamné A______ à 60 jours-amende à CHF 80.- le jour, assortis d'un sursis avec délai d'épreuve de trois ans, pour infraction à l'art. 33 al. 1 let. a LArm.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que B______ estimant être titulaire d'une créance à l'encontre de A______, l'élément subjectif de l'infraction d'extorsion et de chantage faisait défaut. Sous l'angle de la tentative de contrainte, les envois du SMS du 1er janvier 2019 et du courriel du lendemain ne constituaient pas un moyen de pression abusif, dès lors qu'ils se rapportaient à une créance relevant du droit civil.

D. a. Dans son recours, A______ soutient, s'agissant de l'art. 156 CP, que la menace de prendre contact avec le consulat d'Arabie Saoudite et avec J______, en insistant sur la sensibilité des informations susceptibles d'être communiquées, constituait un moyen de contrainte illicite. Par ailleurs, la somme demandée, d'un montant de CHF 122'000.-, dépassait largement les conclusions de B______ au Tribunal des prud'hommes, qui s'élevaient à CHF 34'800.-. En outre, compte tenu de cette différence avec la somme réclamée en justice, l'élément subjectif était réalisé, un dessein d'enrichissement illégitime étant avéré, à tout le moins sous la forme du dol éventuel. Enfin, l'infraction de contrainte était réalisée pour les mêmes motifs, B______ ayant agi en vue du paiement de CHF 34'800.- par son ancien employeur, tombé en faillite, de sorte qu'il s'était adressé à lui par des moyens illicites pour obtenir une somme indue et exorbitante.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à voir poursuivre l'auteur de la prétendue infraction commise contre son patrimoine et sa liberté (art. 115 et 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant soutient qu'il existe contre le prévenu une prévention suffisante de tentative d'extorsion et chantage (art. 156 CP), voire de contrainte (art. 181 CP).

3.1.       Aux termes de l'art. 319 al. 1 CPP, le ministère public ordonne le classement de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) et lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b).

Cette disposition doit être interprétée à la lumière du principe "in dubio pro duriore", selon lequel un classement ne peut être prononcé que quand il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables. Ainsi, la procédure doit se poursuivre quand une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou que les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'infractions graves. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, à ce sujet, d'un pouvoir d'appréciation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 du 10 juin 2021 consid. 2.1).

Il peut toutefois être renoncé à une mise en accusation si : la victime fait des dépositions contradictoires, rendant ses accusations moins crédibles; une condamnation apparaît, au vu de l'ensemble des circonstances, a priori improbable pour d'autres motifs; il n'est pas possible d'apprécier l'une ou l'autre des versions opposées des parties comme étant plus ou moins plausible et aucun résultat n'est à escompter d'autres moyens de preuve (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1164/2020 précité, consid. 2.2).

3.2.1. Se rend coupable d'extorsion au sens de l'art. 156 ch. 1 CP, celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura déterminé une personne à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers, en usant de violence ou en la menaçant d'un dommage sérieux.

3.2.2. Commet une contrainte selon l'art. 181 CP, celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d'un dommage sérieux, ou en l'entravant de quelque autre manière dans sa liberté d'action, l'aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte.

3.2.3. Tant s'agissant de l'art. 156 ch. 1 CP que de l'art. 181 CP, l'un des moyens de contrainte consiste en la menace d'un dommage sérieux. La menace est un moyen de pression psychologique. L'auteur doit faire craindre à la victime un inconvénient, dont l'arrivée paraît dépendre de sa volonté (ATF 122 IV 322 consid. 1a). Il importe peu qu'en réalité l'auteur ne puisse pas influencer la survenance de l'événement préjudiciable (ATF 106 IV 125 consid. 1a) ou qu'il n'ait pas l'intention de mettre sa menace à exécution (ATF 122 IV 322 consid. 1a). La menace peut être expresse ou tacite et être signifiée par n'importe quel moyen. Le dommage évoqué peut toucher n'importe quel intérêt juridiquement protégé (arrêt du Tribunal fédéral 6S_277/2003 du 23 septembre 2003 consid. 2.1). Il faut toutefois qu'il soit sérieux, c'est-à-dire que la perspective de l'inconvénient soit propre, pour un destinataire raisonnable, à l'amener à adopter un comportement qu'il n'aurait pas eu s'il avait eu toute sa liberté de décision ; le caractère sérieux du dommage doit être évalué en fonction de critères objectifs et non pas d'après les réactions du destinataire (ATF 122 IV 322 consid. 1a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_275/2016 du 9 décembre 2016 consid. 4.2.1).

En cas d'extorsion et de chantage, l'illicéité résulte en principe déjà de la contrainte, dans la mesure où l'auteur amène la victime à réaliser un acte préjudiciable à ses intérêts pour obtenir un avantage illicite. Si le transfert de patrimoine est déjà illicite, il n'est pas nécessaire d'examiner l'illicéité du comportement contraignant. Une infraction d'extorsion peut aussi exister en cas de moyen de pression licite. Tel est le cas si l'auteur menace d'un comportement en soi permis, dépendant de sa volonté – comme par exemple le dépôt d'une plainte pénale –, pour obtenir l'exécution d'une prestation, alors que la prétention demandée n'existe pas, n'est juridiquement pas fondée ou est disproportionnée (arrêts du Tribunal fédéral 6B_411/2009 du 18 août 2009 consid. 3.2 ; 6B_402/2008 du 6 novembre 2008 consid. 2.4.2.3). Celui qui, sous la menace d'une plainte pénale, exige, dans un dessein d'enrichissement, plus que ce qui lui est dû, commet une extorsion (arrêt du Tribunal fédéral 6S_77/2003 du 6 janvier 2003 consid. 4.6 = JdT 2004 I 515, SJ 2004 I 335 consid. 2-4, recht 2004 119). Si, en revanche, la prestation est due, il n'y a pas d'extorsion, mais éventuellement une infraction de contrainte, en cas de disproportion entre le moyen utilisé et le but recherché (arrêts du Tribunal fédéral 6B_275/2016 du 9 décembre 2016 consid. 4.2.2 et les références ; 6B_411/2009 du 18 août 2009 consid. 3.2 et 6B_402/2008 du 6 novembre 2008 consid. 2.4.2.3).

Sur le plan subjectif, il faut que l'auteur ait agi intentionnellement, le dol éventuel étant suffisant, et dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime (arrêt du Tribunal fédéral 6B_275/2016 du 9 décembre 2016 consid. 4.2.5).

3.2.4. Il y a tentative lorsque l'auteur a réalisé tous les éléments subjectifs de l'infraction et manifesté sa décision de la commettre, alors que les éléments objectifs font, en tout ou en partie, défaut (ATF 140 IV 150 consid. 3.4). L'équivalence des deux formes de dol - direct et éventuel - s'applique également à la tentative (ATF 122 IV 246 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1146/2018 du 8 novembre 2019 consid. 4.2).

3.3. En l'espèce, aucun élément au dossier ne permet d'établir que le SMS du 1er janvier 2019 – envoyé depuis un numéro américain – provient du prévenu. La seule proximité temporelle avec le courriel adressé le lendemain par le prévenu est insuffisante, dès lors que d'autres employés ont été en litige pour des salaires ou heures supplémentaires impayés en raison de leur emploi au service de la famille du recourant. Or, ce dernier a lui-même évoqué une machination orchestrée de concert entre eux et la société qui les employait, ainsi qu'un chantage portant sur une importante somme d'argent réclamée par un tiers.

S'agissant du courriel du 2 janvier 2019, le prévenu y indique avoir déjà pris contact avec le consulat d'Arabie Saoudite. Or, d'une part, le contenu de la lettre qu'il aurait adressée n'est pas connu. D'autre part, une dénonciation d'un employé auprès du consulat du pays de son ancien employeur de fait n'est pas de nature à porter atteinte aux intérêts du recourant sous la forme d'un dommage sérieux, étant relevé qu'à teneur du courriel, le prévenu aurait simplement informé ledit consulat de ses prétentions. Par ailleurs, la mention de transferts du compte du recourant à celui de la société employeuse n'est pas non plus de nature à porter atteinte au premier, qui a reconnu que ladite société lui adressait des factures pour le travail des employés de maison. Il s'agit du reste d'une allégation du recourant en lien avec le statut présumé d'employeur du recourant, et non d'une menace.

Les autres mentions de transferts d'argent, y compris la précision du caractère sensible des informations, sont pour le moins floues et ne se réfèrent à aucun élément particulier ; faute d'être plus précise, la seule indication que des enquêtes seraient "faciles à ouvrir" est insuffisante pour représenter une menace crédible, de nature à provoquer un dommage sérieux ou impressionner une personne de sensibilité moyenne. Au demeurant, l'avènement de cette prétendue menace ne dépendait pas de lui, mais de l'autorité d'enquête à saisir. Il en va de même du fait d'alerter un média connu du Moyen-Orient ou d'autres consulats, voire des organisations internationales, en l'absence d'éléments suffisamment ciblés et concrets que le prévenu aurait pu divulguer. En effet, rien n'indique que les informations que le prévenu aurait pu transmettre auraient eu un quelconque intérêt pour un média international ou le consulat d'un pays tiers, voire une organisation internationale. À supposer que tel soit le cas, le fait de rendre publique l'implication d'un employeur – pour autant que le recourant revête cette qualité – dans un litige de droit du travail ne constitue pas une menace d'un dommage sérieux ni n'est de nature à lui faire adopter un comportement déterminé. À cet égard, la bonne marche des affaires du recourant, qui a constitué sa fortune dans l'immobilier au Moyen-Orient, n'est pas liée à une exigence particulière de réputation en matière d'employeur domestique et l'intéressé a de toute façon bénéficié du classement de la procédure pénale y relative.

En outre, la référence aux trois noms ("E______, K______ et peut-être L______") dans les salutations est trop vague pour constituer une menace concrète propre à impressionner le recourant, dont l'interprétation du premier nom – qui se référerait à une demande d'asile déposée à Vienne, voire à des critiques sur l'application de la loi islamique – est loin d'être manifeste. Or, une telle interprétation n'est ni expliquée par l'intéressé ni corroborée par les éléments au dossier.

Enfin, le fait pour le prévenu de s'adresser au recourant plutôt qu'à la société qui l'a employé – par exemple lorsqu'il évoque de saisir la justice – s'explique par le doute qui subsistait sur la qualité de dirigeant effectif du précité, au sens de l'art. 29 let. d CP, doute que le prévenu pouvait légitimement éprouver au vu du courrier du 20 août 2019 du Service de l'inspection du travail. Il a en outre détaillé le calcul de ses prétentions, tant dans son courriel du 6 février 2019 au conseil du recourant que dans son courrier du 30 janvier 2019. Or, ledit calcul correspond au montant réclamé dans le courriel litigieux, de sorte que le but poursuivi – à savoir récupérer une créance alléguée – n'est pas illicite, sous l'angle du droit pénal. La question de savoir si le montant réclamé correspond aux conclusions du prévenu devant le Tribunal des prud'hommes, qui ne sont d'ailleurs pas établies, n'est pas pertinente, dans la mesure où seul importe que le montant réclamé au recourant n'apparaisse pas d'emblée infondé.

Pour les mêmes raisons, le prévenu était légitimement fondé à croire détenir la créance réclamée, ce qui, par surabondance de motifs, enlève tout élément intentionnel à sa démarche, sous l'angle de l'infraction à l'art. 156 CP.

Dans ces circonstances, le Ministère public était fondé à classer, sur la base de l'art. 319 al. 1 let. b CPP, les accusations de tentative de contrainte et de tentative d'extorsion et chantage, en lien avec l'envoi du courriel du 2 janvier 2019. S'agissant du SMS reçu le 1er janvier 2019, aucun élément ne permet de retenir que le prévenu en était l'auteur, de sorte que le classement sur la base de l'art. 319 al. 1 let. a CPP se justifie également. À les considérer établis, les écrits du prévenu n'ont en effet aucun caractère pénal – faute tant de crédibilité que de représenter une menace d'un préjudice sérieux – et les probabilités d'acquittement de celui-ci apparaissent nettement plus élevées que celles de condamnation.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'500.- pour la procédure de recours (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). Ce montant sera compensé avec l'avance de frais versée.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés à CHF 1'500.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, à B______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Alix FRANCOTTE CONUS et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/4744/2019

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'415.00

- demande sur récusation (let. b)

CHF

Total

CHF

1'500.00