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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10977/2018

ACPR/585/2023 du 26.07.2023 sur OCL/1215/2022 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : GESTION DÉLOYALE;ESCROQUERIE
Normes : CP.158; CP.146

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10977/2018 ACPR/585/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 26 juillet 2023

 

Entre

A______, représentée par son curateur, Me B______, ______,

recourante,

contre l'ordonnance de classement rendue le 22 septembre 2022 par le Ministère public,

et

C______, domicilié ______, Italie, représenté par Me Claudio FEDELE, Saint-Léger Avocats, rue de Saint-Léger 6, 1211 Genève 4,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 3 octobre 2022, A______, par son curateur, recourt contre l'ordonnance du 22 septembre 2022, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a classé la procédure à l'égard de C______.

La recourante conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et à ce que le Ministère public soit invité à rendre une ordonnance condamnant C______, subsidiairement à renvoyer ce dernier en jugement.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- demandées par la direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.        Par ordonnance du 15 décembre 2017, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant a désigné Me B______ aux fonctions de curateur de portée générale de A______, née le ______ 1923.

Il ressort de cette ordonnance que C______ avait demandé, le 2 octobre 2017, à être nommé curateur de A______, expliquant s'occuper des affaires de celle-ci depuis près de 7 ans. Cette dernière, qui était hospitalisée à l'Hôpital de N______, l'avait choisi comme exécuteur testamentaire et comme héritier, joignant un courrier de l'intéressée, daté du 29 septembre 2017, allant en ce sens.

Le 17 octobre 2017, l'assistante sociale aux Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après : HUG), avait, quant à elle, sollicité l'instauration d'une mesure de protection en faveur de A______, laquelle ne pouvait pas intégrer un EMS tant que sa situation financière n'était pas réglée. Or, C______, qui s'était engagé à faire les démarches nécessaires, ne les avait pas entreprises mais avait demandé une attestation confirmant la capacité de discernement de A______ qu'il voulait remettre à un notaire, parce que cette dernière l'avait désigné comme exécuteur testamentaire et seul héritier. Or, A______, très attachée à C______, ne se souvenait pas avoir rédigé un testament ni de lui avoir donné procuration sur ses comptes.

Un certificat médical des HUG du 2 octobre 2017 attestait que A______ devait être représentée, au vu de son état de santé et l’altération majeure de son état mental la rendant incapable de prendre les décisions indispensables pour garantir ses besoins de soins et de sécurité; elle n'avait plus la capacité de discernement nécessaire pour se charger de sa situation financière et ne pouvait en aucun cas contrôler ou superviser la gestion effectuée par une tierce personne.

Dans son rapport du 24 novembre 2017, la curatrice d'office d'alors de A______ précisait que cette dernière était un peu isolée du monde n’ayant plus ni ami ni proche, à part C______. Celui-ci qui avait déclaré être au bénéfice d’une procuration sur les comptes bancaires de la concernée auprès de E______, l'assistait pour les courses, le paiement des factures, remplissait ses déclarations d’impôts et gérait sa fortune. La curatrice estimait que le testament désignant C______ ne pouvait pas être valable. En effet, A______ ne se souvenait pas de combien d'argent elle disposait ni d'avoir donné une procuration sur ses comptes pas plus que d'avoir rédigé un testament.

Dans son rapport du 24 novembre 2017, le Dr F______, médecin traitant de A______, avait diagnostiqué une démence débutante au printemps 2015 et confirmé que l'intéressée n'avait plus l'entier de sa capacité de discernement à la fin de l'année 2016.

b.        Le 7 juin 2018, Me B______ a déposé plainte contre C______ pour abus de confiance, voire gestion déloyale, lui reprochant d'avoir abusé de la confiance de A______ en effectuant à son insu des prélèvements sur ses comptes E______, avec la carte bancaire G______ qu’elle lui avait confiée et qu'il avait restituée en 2018.

Au total, entre 2013 et 2017, les prélèvements effectués aux bancomats de H______, I______ et J______ s'élevaient à
CHF 230'769.90 sur un compte et CHF 7'800.- sur un autre. En particulier, un total de CHF 114'367.15 avait été retiré au bancomat de J______, soit celui le plus proche du domicile de C______, alors que A______ était domiciliée à l'avenue 1______ et qu'elle était hospitalisée à l'hôpital de K______ dès le 14 août 2017.

c.         Le 29 juin 2018, lors de la perquisition de son domicile, C______ a remis à la police une copie du testament de A______, un codicille, une demande de mise sous curatelle ainsi qu'une enveloppe contenant CHF 30'000.-.

Entendu par la police, le prévenu a contesté avoir agi au détriment de A______. Il travaillait à 50 % pour une rémunération d’environ CHF 2'000.- par mois et son revenu brut annuel était d’environ CHF 25'000.- à
CHF 30'000.-. Il avait des comptes bancaires auprès de L______ et de M______, en Italie. Le loyer de son appartement était de
CHF 2'131.- et ses dépenses courantes en Suisse étaient très faibles. Au 1er janvier 2018, il avait déplacé sa résidence principale en Italie, où il était propriétaire d'un bien immobilier, afin de diminuer sa charge fiscale et ne plus être astreint à la LAMal.

Il avait rencontré A______ dans les années 1980, dans le cadre de son travail de dépanneur. Elle était restée sa cliente, même après son licenciement en 2011; il réglait sa télévision et résolvait ses problèmes techniques. Ensuite, elle l’avait contacté pour qu'il lui rende divers services. Depuis 2013, elle passait des fêtes avec lui et se rendait en vacances chez lui, en Italie. Elle lui avait demandé de devenir son curateur lorsque le corps médical de N______ avait voulu lui en nommer un; il était son héritier car elle n’avait plus personne et qu'elle le considérait comme le fils qu’elle n’avait pas eu. A______ avait quitté son domicile le 7 juin 2017 pour séjourner à O______, avant d'être hospitalisée, le 25 juillet 2017, [à] N______, et transférée, trois mois plus tard, à l’hôpital de K______. En mars 2018, elle avait été admise à l'EMS de P______.

Il disposait d’une procuration uniquement sur les comptes bancaires de A______ auprès de E______, dont l'un était destiné au remboursement des factures médicales. Il n’avait découvert l’existence du compte L______ qu’en juin 2017, lorsqu’ils étaient allés le clôturer ensemble. Il avait effectué le paiement de nombreuses factures avec le système Q______.

Les nombreux retraits en espèces effectués sur les comptes bancaires, pour un montant d’environ CHF 100'000.-, avaient servi à couvrir les frais courants. La somme de CHF 30'000.-, qu'il avait remise à la police, avait été prélevée en six retraits de CHF 5'000.-, entre mi-janvier et mi-février 2016, et était destinée à régler les frais d’obsèques de A______, laquelle lui avait dit qu'à son décès ses comptes seraient bloqués; elle voulait qu'il transporte ses cendres, celles de son mari et celles de ses parents, en Italie.

Avant son hospitalisation, un mois type de dépenses était constitué de quatre séances chez le coiffeur, soit CHF 335.-, deux séances de pédicure à 240.-, le loyer CHF 1'297.-, l'assurance maladie environ CHF 620.-, le téléphone environ CHF 200.- et l'électricité environ CHF 50.-. Tous les jours, le restaurant "R______" lui montait un plat du jour et elle l'invitait également à y déjeuner. Elle avait de nombreuses dépenses en couche-culotte, à CHF 30.- le paquet.

d.        La documentation bancaire (2013-2017) des trois comptes E______ de A______ a été versée à la procédure, soit:

-        le compte épargne qui a fait l'objet, exclusivement, de retraits aux bancomats de I______ et H______ – CHF 1'000.- , les 23 juillet, 29 août et 5 novembre 2013 – ainsi que de CHF 4'800.- le 18 septembre 2017, au bancomat de J______;

-        le compte personnel 60plus n° ______, lequel n'a fait l'objet que de mouvements en lien avec les frais maladie (W______, HUG etc);

-        le compte personnel 2______, sur lequel elle percevait CHF 2'340.- d'AVS et CHF 4'348.- de rente LPP; elle avait donné un ordre permanent de transférer CHF 2'250.- sur son compte auprès de S______; elle effectuait divers versements et paiements avec la carte G______.

Ainsi, à titre d'exemple, concernant le compte personnel 2______ :

-        en février 2017, la carte G______ a été utilisée essentiellement pour des dépenses de plus de CHF 500.- à T______ de J______ et U______, V______ à J______ etc., ainsi qu'au restaurant "R______" (CHF 198.-) à H______ et trois retraits en espèces au bancomat de J______ pour un total de
CHF 3'180.-;

-        en juin 2017, le compte a été débité – outre pour exécuter un ordre de virement concernant des factures des SIG, AIG, AFC, W______, et l'assurance maladie – avec la carte G______ pour des dépenses à T______ de J______ et X______ de plus de
CHF 500.-, ainsi qu'au restaurant "R_______" (CHF 612.-) et deux retraits en espèces au bancomat de J______ pour un total de
CHF 3'300.-;

-        en juillet 2017, le compte a fait l'objet d'un retrait en espèces au bancomat de J______, pour un total de CHF 2'500.-;

-        en août 2017, il a servi au paiement d'une facture de W______
(CHF 943.10); il a connu deux retraits en espèces au bancomat de J______ pour un total de CHF 3'547.15.

e.         Le compte postal de A______, crédité mensuellement de CHF 2'250.- en provenance de son compte E______, a permis à cette dernière de s'acquitter de diverses factures mensuelles de CHF 2'200.- en moyenne, depuis 2013.

Ainsi, à teneur du détail de certains ordres de paiement – le dossier ne comportant pas l'ensemble de ceux-ci –,

-        en février 2017, ce compte a servi au paiement d'un ordre de CHF 2'247.50 correspondant au loyer (CHF 1'296.95.-), la prime maladie (CHF 608.85), les SIG (CHF 107.30), Y______ (CHF 200.95), à une facture de W______
(CHF 33.35);

-        en août 2017, il a servi au paiement d'un ordre de CHF 2'163.70 correspondant au loyer (CHF 1'296.95.-), la prime maladie (CHF 608.85), les SIG (CHF 51.45), Y______ (CHF 43.60), à une facture AIG
(CHF 39.50), à une facture de W______ (CHF 33.35), et à l'abonnement TPG (CHF 90.-).

f.         Le compte épargne, ouvert en 2000 auprès de L______, par A______, a été soldé le 9 avril 2018. Le solde créditeur de ce compte était de CHF 20'325.- en janvier 2013 et de CHF 73.95, le 31 décembre 2017.

Le 25 novembre 2016, la titulaire a donné une procuration à C______ et demandé une carte bancaire de remplacement (n°______).

Ce compte a fait l'objet de retraits en espèces les 13 juin 2013, de CHF 5'000.- au bancomat de J______ et 21 novembre 2013, de CHF 4'000.- au bancomat de U______. Ensuite, avec la carte bancaire de remplacement, il y a eu les retraits suivants, tous au bancomat de J______ : les 5 décembre 2016, de CHF 5'000.-, 12 décembre 2016, de CHF 5'000.-, 2 juin 2017, de CHF 700.- et 6 juin 2017, de CHF 550.-.

g.        Le 8 octobre 2019, C______ a remis, sur demande, la documentation bancaire concernant son compte auprès de la Banque M______.

h.        Il ressort du rapport de renseignements du 20 décembre 2019 que, s'il n'y avait eu aucun transfert direct entre les comptes de A______ et ceux de C______, le compte italien de C______ avait souvent été alimenté par le compte suisse de ce dernier. En outre, la police a mis en évidence une quarantaine de crédits du compte L______ de C______ concomitants à des débits des comptes E______ de A______, pour plus de CHF 118'000.-, soit:

-        6 versements en espèces sur le compte L______, une à deux heures après un retrait en espèces du compte E______;

-        2 versements en espèces sur le compte L______, quelques heures après un retrait en espèces du compte E______;

-        17 versements en espèces sur le compte L______, un jour après un retrait en espèces du compte E______;

-        15 versements en espèces sur le compte L______, entre 2 et 3 jours après un retrait en espèces du compte E______.

i.          Entendu une nouvelle fois par la police le 25 avril 2022 concernant cesdites opérations bancaires, C______ a en substance déclaré qu'il s'agissait de coïncidences.

Concernant la source de ses revenus, soit CHF 5'000.- à CHF 7'000.- versés comptant mensuellement sur ses comptes bancaires L______, entre février 2013 et juillet 2017, il a expliqué qu'après le chômage, il avait contacté ses anciens clients qu'il facturait directement lors d’installation ou de dépannage afin de récupérer immédiatement l’argent en espèces. Ensuite, lorsqu’il avait trop d’argent à son domicile, il le versait au bancomat de L______, à côté de son domicile. Sa compagne et son fils, Z______, lui versaient également une participation en espèces pour les frais du ménage.

j.          L’Administration fiscale cantonale a fourni notamment les copies des déclarations fiscales des années 2013 à 2017, les comptes de résultat et les bilans de AA_____, de 2014 à 2017.

C______ avait déclaré un revenu brut (activité dépendante) de CHF 35'512.- en 2013; de CHF 16'490.- – dont CHF 11'239.- de bénéfice net de la société – en 2014; de CHF 23'840.- – dont CHF 5'584.- de bénéfice net de la société – en 2015; de CHF 30'251 – dont CHF 11'239.- de bénéfice net de la société –en 2016; de CHF 14'070.- – dont CHF 4'362.- de bénéfice net de la société – en 2017. Il a à chaque fois annoncé être titulaire de comptes auprès de E______, et n'a annoncé aucun compte L______.

k.        Le 2 juin 2022, Z______ a confirmé avoir participé régulièrement aux frais du foyer, lorsqu’il résidait sous le même toit, en se limitant à payer certaines factures par e-banking, et avoir dépanné son père à cinq ou six reprises pour des montants entre CHF 100.- et CHF 200.-. Il n'avait jamais vu la compagne de ce dernier lui donner de l'argent en espèces. Son père et A______ entretenaient une « belle amitié ».

l.          Précédemment, le curateur a informé le Ministère public que A______ n’avait plus le discernement pour se prononcer, ni même la capacité physique de se déplacer, joignant à l’appui un certificat médical daté du
15 novembre 2019.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public retient que C______ et A______ étaient liés par une "belle amitié" et que le prévenu aidait l'intéressée dans son quotidien, laquelle le considérait un peu comme son fils, l’instituant à cet égard héritier unique en rédigeant un testament en sa faveur. Il gérait la fortune de A______, ayant reçu les pouvoirs sur les comptes E______, à l'exclusion des comptes S______ et L______.

Il avait expliqué les retraits à hauteur de CHF 230'769.90, entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2017, par le train de vie mené par A______, ses factures courantes, ses factures médicales, ses hospitalisations à partir d’août 2017 et ses différents séjours dans les maisons de retraite. Il s’occupait des paiements en utilisant le système Q______ et, dès que A______ n'avait plus pu signer les ordres, il avait prélevé l’argent et avait payé à la Poste avec son accord. Il avait toujours agi dans l’intérêt de son amie et ne s’était pas enrichi à son insu et contre son gré. Ses propos avaient été en substance confirmés par son fils.

Le compte italien de C______ avait été alimenté par des virements en cash provenant de ses comptes suisses, et une quarantaine de transferts en espèces, pour un total de plus de EUR 118'000.-, pouvaient ainsi laisser planer un doute, dans la mesure où des débits en cash avaient été effectués à la même période sur les comptes de A______. C______ avait déclaré qu'il s'agissait d'une coïncidence.

Le prévenu avait expliqué que ces revenus, soit les CHF 5'000.- à CHF 7'000.- versés comptant mensuellement sur ses comptes bancaires L______ entre le mois de février 2013 et le mois de juillet 2017, provenaient essentiellement des revenus de sa société AA_____ et que la somme de CHF 30'000.- remise à la police était destinée aux obsèques de A______. Au regard des pièces figurant au dossier, ses allégations semblaient crédibles et aucune pièce ne permettait de les mettre en doute.

A______ n’avait jamais pu être entendue dans le cadre de la procédure, de sorte que sa version des faits, qui permettrait de la confronter à celle de C______, ne serait jamais connue du Ministère public.

Hormis quelques opérations bancaires qui pourraient – par hypothèse – être liées, le dossier ne recelait aucun indice concret permettant d’établir que le prévenu avait transféré de l’argent du compte de A______ sur les siens. Ainsi, à défaut d’indices objectifs, il n'était pas possible d’établir une prévention pénale suffisante à l’encontre de C______ de sorte qu’un acquittement apparaissait plus probable qu’une condamnation.

D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public la violation du principe in dubio pro duriore. Bien qu'aucun transfert direct n'ait eu lieu, il ressortait du dossier que plus de CHF 230'000.- avaient été retirés en espèces de ses comptes, parmi lesquels plus de CHF 118'000.- avaient très vraisemblablement par la suite été versés sur le compte de C______ dans les heures ou jours suivants. Les versements litigieux, en plus d'être rapprochés dans le temps, concernaient des montants similaires aux montants retirés de ses comptes. Il semblait très peu probable qu'autant de coïncidences soient survenues en l'espace de seulement quelques années.

Les déclarations de C______ étaient dépourvues de toute crédibilité et ne permettaient pas de lever le voile sur la provenance des sommes importantes en espèces. Son fils n'avait pas confirmé ses déclarations et le total des montants crédités chaque année sur ses comptes bancaires excédait largement les revenus déclarés à l'administration fiscale et les produits d'exploitation réalisés par AA_____. En outre, une très grande partie des retraits en espèces du compte de A______ avait été effectuée à J______, le lieu de domicile de C______; l'intéressée, vivant à ce moment-là à H______, n'avait aucune raison de se rendre à J______ pour y retirer de l'argent.

Contrairement à ce qu'avait affirmé C______, A______ ne payait pas ses besoins courants en espèces (estimés d'après ses déclarations à environs CHF 41'000.-/mois); les extraits de compte S______ démontraient au contraire que chaque mois, des ordres pour un montant de CHF 2'200.- en moyenne étaient faits, pour vraisemblablement payer le loyer et l'assurance maladie, ainsi que d'autres frais courants.

Il y avait ainsi un grand nombre d'éléments permettant de penser que C______ avait profité du fait que A______ lui avait donné procuration sur ses comptes bancaires. Le pronostic du Ministère public, supposant qu'un acquittement était plus probable qu'une condamnation, était incompatible avec tous les détails exposés ci-dessus. Le fait que A______ soit incapable de discernement n'était par ailleurs pas une raison valable pour procéder à un classement. Au contraire, son incapacité démontrait qu'elle n'était pas en mesure de défendre ses propres intérêts pécuniaires, ce dont C______ devait être au courant et ce dont il semblait avoir profité.

b. Dans ses observations, le Ministère public souligne que l'impossibilité totale d'entendre A______ rendait très problématique l'établissement des faits. Il serait impossible d'établir avec un degré suffisant de certitude comment l'argent de A______ avait été dépensé entre 2013 et 2017.

C______ avait agi de manière plutôt transparente avec A______, en faisant établir des procurations formelles à son nom, et même en tentant d'obtenir le statut de curateur, ce qui l'aurait soumis à un contrôle strict des autorités; cette attitude n'était pas, a priori, celle de quelqu'un qui aurait eu des intentions délictueuses. Un acquittement de C______ était plus probable qu'une condamnation.

c. Dans ses observations, C______ conteste l'affirmation selon laquelle il "gérait " les comptes bancaires de A______ et avoir été en possession de ses cartes bancaires; il n'avait qu'une procuration sur le compte bancaire E______ de A______.

Il n'avait pas été démontré que A______ n'était pas en état de santé de procéder à des retraits lorsqu'ils se rendaient ensemble à la banque. Les retraits en espèces pour un total d'environ CHF 230'000.- avaient été faits depuis le compte E______ de A______ pendant la période sur 5 ans, soit CHF 46'000.- par année, soit environ CHF 3'800.- par mois. Aucun élément au dossier ne permettait de démontrer qu'une partie de cette somme aurait été versée sur son compte bancaire.

Le recours formé par le curateur de A______ était fondé sur des hypothèses.

 

 

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP), et émaner de la partie plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP) et disposant d'un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP), fait l'objet d'une curatelle de portée générale la privant de l'exercice de ses droits civils (art. 398 al. 3 CC), si bien qu'elle est valablement représentée par son curateur légal (art. 107 al. 2 CPP) dont émane le recours.

2.             Le recourant estime que le Procureur qui aurait dû condamner ou renvoyer en jugement le prévenu, a violé le principe in dubio pro duriore".

2.1. Selon l'art. 319 al. 1 let. a CPP, le ministère public ordonne le classement de tout ou partie de la procédure lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi.

Cette disposition doit être appliquée conformément à l'adage "in dubio pro duriore". Celui-ci, qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2 p. 91) et qui s'impose également à l'autorité de recours, signifie que, en principe, un classement ne peut être prononcé que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 p. 243).

2.2. L'art. 158 CP réprime celui qui, en vertu de la loi, d'un mandat officiel ou d'un acte juridique, est tenu de gérer les intérêts pécuniaires d'autrui ou de veiller sur leur gestion et qui, en violation de ses devoirs, aura porté atteinte à ces intérêts ou aura permis qu'ils soient lésés (ch. 1 al. 1).

Cette disposition suppose la réalisation de quatre conditions : il faut que l'auteur ait eu une position de gérant, qu'il ait violé une obligation lui incombant en cette qualité, qu'il en soit résulté un préjudice et qu'il ait agi intentionnellement (ATF 120 IV 190 consid. 2b; arrêts du Tribunal fédéral 6B_136/2017 du 17 novembre 2017 consid. 4.1; 6B_949/2014 du 6 mars 2017 consid. 12.1).

2.2.1.  Revêt la qualité de gérant celui à qui incombe, de fait ou formellement, la responsabilité d'administrer un complexe patrimonial non négligeable dans l'intérêt d'autrui. La qualité de gérant suppose un degré d'indépendance suffisant et un pouvoir de disposition autonome sur les biens administrés. Ce pouvoir peut aussi bien se manifester par la passation d'actes juridiques que par la défense, au plan interne, d'intérêts patrimoniaux, ou encore par des actes matériels, l'essentiel étant que le gérant se trouve au bénéfice d'un pouvoir de disposition autonome sur tout ou partie des intérêts pécuniaires d'autrui, sur les moyens de production ou le personnel d'une entreprise. Même s'il n'en est pas investi formellement, celui qui dispose de fait d'un tel pouvoir a la qualité de gérant (ATF 142 IV 346 consid. 3.2 p. 350 et les arrêts cités).

2.2.2. Le comportement délictueux visé à l'art. 158 CP n'est pas décrit par le texte légal. Il consiste à violer les devoirs inhérents à la qualité de gérant. Le gérant sera ainsi punissable s'il transgresse – par action ou par omission – les obligations spécifiques qui lui incombent en vertu de son devoir de gérer et de protéger les intérêts pécuniaires d'une tierce personne. Savoir s'il y a violation de telles obligations implique de déterminer, au préalable et pour chaque situation particulière, le contenu spécifique des devoirs incombant au gérant (arrêt du Tribunal fédéral 6B_878/2021 du 24 octobre 2022 consid. 3.2.2). 

2.3. Se rend coupable d'utilisation frauduleuse d'un ordinateur celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura, en utilisant des données de manière incorrecte, incomplète ou indue ou en recourant à un procédé analogue, influé sur un processus électronique ou similaire de traitement ou de transmission de données et aura, par le biais du résultat inexact ainsi obtenu, provoqué un transfert d’actifs au préjudice d’autrui ou l’aura dissimulé aussitôt après (art. 147 ch. 1 CP).

L'utilisation d'une carte bancaire d'un tiers sans son autorisation est un comportement tombant sous le coup de cette disposition (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_627/2012 du 21 janvier 2013).

2.4.1. Selon l'art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d'escroquerie quiconque, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l'aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d'un tiers.

2.4.2. La tromperie peut consister soit à induire la victime en erreur, par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais, soit à conforter la victime dans son erreur. Pour qu'il y ait tromperie par affirmations fallacieuses, il faut que l'auteur ait affirmé un fait dont il connaissait la fausseté (ATF 140 IV 206 consid. 6.3.1.2 p. 209).

2.4.3. Pour qu'il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit pas. Il faut encore qu'elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l'art. 146 CP, lorsque l'auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu'il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n'est pas possible, ne l'est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l'auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu'elle renoncera à le faire en raison d'un rapport de confiance particulier (ATF 147 IV 73 consid. 3.2 p. 78 ss).

Pour apprécier si l'auteur a usé d'astuce et si la dupe a omis de prendre les mesures de prudence élémentaires, il ne suffit pas de se demander comment une personne raisonnable et expérimentée aurait réagi à la tromperie. Il faut, au contraire, prendre en considération la situation particulière de la dupe, telle que l'auteur la connaît et l'exploite, par exemple une faiblesse d'esprit, l'inexpérience ou la sénilité, mais aussi un état de dépendance, d'infériorité ou de détresse faisant que la dupe n'est guère en mesure de se méfier de l'auteur. L'exploitation de semblables situations constitue précisément l'une des caractéristiques de l'astuce (ATF 147 IV 73 consid. 3.2 p. 79; 128 IV 18 consid. 3a p. 21; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1010/2018 du 22 janvier 2019 consid. 3.3.1).

2.5. En l'espèce, il ressort de la décision du Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant du 15 décembre 2017 que A______ souffrait d'une démence débutante dès le printemps 2015 et n'avait plus l'entier de sa capacité de discernement dès la fin de l'année 2016. La Chambre de céans ne peut suivre le présupposé du Ministère public selon lequel le prévenu aurait été valablement institué héritier unique, le testament en sa faveur apparaissant vraisemblablement invalide, ou que l'intéressée aurait voulu valablement le nommer curateur.

Le prévenu gérait les affaires financières de la recourante – même s'il le conteste dans ses observations – depuis de nombreuses années, expliquant s'occuper des factures dont il faisait signer les ordres de versement à la vieille dame. Il a admis l'avoir accompagnée au bancomat pour retirer des espèces ainsi qu'effectuer des paiements cash. En effet, le prévenu disposait de cartes bancaires de la
recourante – l'intéressé ayant remis la carte G______/E______ au curateur en 2018, celle en lien avec le compte L______ n'ayant pas fait l'objet d'instruction – avec lesquelles les montants litigieux ont été retirés – à proximité de son domicile–. Il semble qu'à tout le moins depuis 2015, en raison de la santé déficiente et de l'état de faiblesse de A______, le prévenu a occupé – de facto – une place où l'accès de cette dernière à ses avoirs bancaires dépendait de lui. Cela laisse envisager qu'une position de garant puisse lui être reconnue. Compte tenu de sa relation avec A______, il peut également être admis – à ce stade et sans préjudice sur le fond – qu'il était tenu à veiller à ce que ces avoirs soient gérés dans l'intérêt de la première citée. L'instruction devra également porter sur les conditions d'application de l'escroquerie vu l'état de faiblesse de la recourante au regard de ce qui suit.

Les relevés bancaires, qui mettent en exergue des retraits ascendant à CHF 230'000.-, interrogent.

Le prévenu soutient que les dépenses en espèces étaient justifiées par le train de vie de A______. Cependant, elle ne vivait plus à son domicile depuis juin 2017, ayant été placée en institution ou hospitalisée, et il apparaît que, pendant cette période, ses factures ont été payées, comme chaque mois, par son compte S______ et E______. Or, de juin à août 2017, sa carte G______ a pourtant été utilisée notamment pour des achats à J______ et des retraits en espèces, pour un total de plus de CHF 9'300.-, au bancomat de J______, commune de domicile du prévenu. On peine dès lors à comprendre quel train de vie d'une femme de 93 ans, non autonome, incapable de discernement et placée en institution, pourrait justifier des retraits d'une telle importance. En outre, si certes, précédemment, elle pouvait avoir ses habitudes au restaurant "R______" proche de son domicile, il apparaît que nombre de ces repas étaient payés avec la carte G______/E______ et non en espèces. Les autres frais mentionnés par le prévenu ne sont pas documentés. Les "retraits bancomat", de 2013 à 2017, qui se sont élevés à plus de CHF 230'000.- (soit une moyenne de CHF 46'000.- par an) dont plus de CHF 114'000.- au bancomat de J______, ne sont ainsi pas justifiés avec suffisamment de vraisemblance par les besoins de A______; il n'apparait pas non plus vraisemblable que l'intéressée se soit rendue à J______ pour effectuer elle-même ces prélèvements.

Contrairement à ce que soutient le prévenu et retient le Procureur, le premier cité disposait d'une procuration sur le compte L______ – et fort probablement d'une carte de remplacement sur le compte de la recourante – lequel a été débité dès décembre 2016 (époque où elle ne disposait plus de toute sa capacité de discernement) de plus de CHF 11'000.-.

Les déclarations du prévenu apparaissent ainsi insuffisantes pour expliquer l'usage concret de la somme substantielle retirée des comptes de A______. Il ne peut donc être exclu, à ce stade, qu'il ait bénéficié, à titre personnel et dans un dessein d'enrichissement illégitime, d'une part des retraits. Le montant des revenus professionnels du prévenu, annoncés aux impôts, ne permettent pas d'expliquer les opérations litigieuses. Ainsi, les mouvements "miroir" pour plus de CHF 230'000.- entre le compte L______ du prévenu et le compte E______ de A______, mis en évidence par la police, ne permettent pas de considérer que les probabilités d'acquittement du prévenu seraient supérieures à celle d'une condamnation, étant précisé que le prévenu n'a pas annoncé au Procureur ses comptes auprès de E______ qui apparaissent sur ses déclarations fiscales, lesquels n'ont pas pu être analysés.

Les difficultés liées à l'impossibilité d'entendre A______ ne sont à l'évidence pas un motif de classement, le curateur de celle-ci ayant justement été nommé pour défendre ses intérêts.

3.             Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée au Ministère public pour complément d'instruction et renvoi en jugement.

4.             L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP).

5.             Le curateur, représentant de la partie plaignante, n'a pas demandé d'indemnité, de sorte qu'il ne lui en sera pas accordée.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance de classement du 22 septembre 2022 et renvoie la cause au Ministère public pour qu'il procède dans le sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour elle son curateur, à C______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.

 

La greffière :

Olivia SOBRINO

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).